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Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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00:00 places aux nouvelles têtes. Mathilde, ce matin, jeune romancier québécois, tout
00:04 juste en lice pour le prix Goncourt, est déjà plongée dans le chaudron à polémique.
00:09 Portrait sonore !
00:10 S'il était un générique, ce serait celui d'Harry Potter. Il appartient à cette génération
00:16 qui en a dévoré tous les tomes et s'est mise à rêver de ses propres histoires. Dans
00:20 les siennes, il imaginait un amour entre Harry et Ron, et il y avait matière.
00:24 Tu ne comprends pas, qu'est-ce qui n'est pas à la hauteur de tes espérances ? Tu
00:28 croyais être de retour chez ta maman pour Noël ? Je croyais qu'après tout ce temps,
00:31 on aurait au moins accompli quelque chose.
00:33 S'il est une colère intacte, ce serait celle de la grande grève étudiante au Canada,
00:38 son éveil politique.
00:39 Un jour, lorsqu'on parlera du printemps 2012, on l'appellera le printemps étudiant, et
00:47 ce sera le printemps de la victoire !
00:52 C'était il y a 11 ans, il avait 19 ans et venait de quitter ses parents et son bled
00:56 de chikoutimi, où être gay signifie se faire taper, tout simplement.
01:00 Il arrive à Montréal et dans son casque coule le son émancipateur de Maria.
01:05 Fly like a bird, ou vole comme un oiseau.
01:14 S'il était une chanson de Maria Carey, oui, ce serait celle-ci absolument.
01:18 Elle lui donne les ailes du courage, comme cette autrice québécoise qui le décentre
01:22 et lui donne envie d'écrire.
01:24 Je crois qu'il faut à l'écrivain une énorme contemplation du monde, une énorme découverte
01:30 des autres.
01:31 Donc si on est toujours autour de soi-même, c'est difficile de se découvrir, de découvrir
01:35 ceux qui nous entourent.
01:36 L'écrivain doit s'enrichir de tous ceux qu'il rencontre, donc il doit rencontrer
01:40 beaucoup de gens.
01:41 Marie Clerbelet, en 10 romans qui dressent le portrait des questions sociales et politiques
01:45 actuelles, le cycle soif pose chez lui les jalons d'une écriture qui n'oubliera
01:49 jamais que dehors hurle une grande douleur.
01:53 À 30 ans, après une belle entrée sur la scène italienne-française, c'était Querelle,
01:57 son deuxième roman, Prissade en 2019, le voilà propulsé dans la liste du Goncourt
02:01 2023 avec Que notre joie demeure, au Nouvel Attila, son troisième roman planté dans
02:06 l'époque, sa violence et ses hashtags.
02:09 Kevin Lambert, bonjour !
02:10 Bonjour Mathilde !
02:11 Ça va, vous vous êtes reconnu ?
02:12 Oui, je me suis reconnu et j'ai été touché d'entendre la voix de Marie Clerbelet.
02:16 Elle vous a déclenché quoi plus précisément ?
02:20 C'est fondamental pour moi comme rapport à la littérature, d'abord par son style
02:23 qui était unique vraiment dans le paysage contemporain, puis par la grandeur de son
02:29 humanité, cette forme-là de sa phrase très longue qui était capable d'accueillir toutes
02:32 les subjectivités de ses personnages, tous les types de paroles, de discours sociaux,
02:37 les meilleurs, les plus beaux et les pires aussi.
02:39 Elle est en exergue d'ailleurs, de ce roman Que notre joie demeure, qu'est-ce qui manque
02:43 dans ce portrait Kevin Lambert ? Qu'est-ce qui manque absolument ?
02:45 Qu'est-ce qui manque dans ce portrait ? Les contradictions peut-être ?
02:48 Je suis trop sympa avec vous.
02:50 À 30 ans, vous voilà donc en lice pour le plus prestigieux des prix littéraires francophones
02:54 et vous avez été accueilli direct par une polémique à croire que ça fait partie des
02:58 rites dans les lettres françaises.
02:59 Nicolas Mathieu, lui-même, prit Goncourt en 2018, vous reproche ou plutôt reproche
03:03 à votre éditeur d'avoir eu recours à des "sensivity readers", ces relecteurs experts
03:08 en sensibilité et d'en faire un argument marketing.
03:11 D'abord, c'est quoi pour vous un "sensitivity reader" ?
03:13 En fait, Marie Clerbelet en parle mieux que moi dans l'extrait que vous avez fait jouer.
03:17 C'est quelqu'un qu'on invite, qu'on rencontre pour enrichir le dialogue sur le texte.
03:21 C'est quelqu'un qu'on invite à la table éditoriale.
03:22 Donc, c'est tout simplement un point de vue de plus sur le texte qui nous permet d'aller
03:27 plus loin, de poser des questions qu'on ne s'était peut-être pas posées avant.
03:30 Mais vous comprenez Nicolas Mathieu quand il parle d'experts des stéréotypes, de spécialistes
03:34 de ceux qui s'acceptent et s'osent à un moment donné ou de nouvelles douanes ?
03:37 Je trouve que c'est réducteur parce que la question des stéréotypes, c'est évidemment
03:41 une question qui se pose en littérature et qui se pose depuis longtemps.
03:43 Mais ce n'est pas la seule du tout.
03:45 Il y a plein d'autres éléments dans un roman qui a des stéréotypes.
03:48 Et pour moi, l'expérience de dialogue éditorial, ça dépasse largement la question du stéréotype.
03:53 Donc, les romans s'écriraient à plusieurs moments.
03:55 C'est un peu le projet, un peu comme Shakespeare peut-être dont on a déjà un moment qu'il
03:58 a écrit ses pièces à plusieurs.
03:59 Non, parce que c'est moi qui écris tout.
04:00 Mais je rencontre tellement de monde quand j'écris.
04:02 Je fais de la recherche.
04:03 Ce n'est pas pour transcrire le réel de manière plate et directe.
04:07 C'est pour aller chercher une sorte d'oscillation vraie.
04:10 L'oscillation vraie.
04:12 Dans un nouveau message de clarification, Nicolas Mathieu dit, j'imagine quand même
04:16 assez bien ce que c'est que pour ce jeune mec venu du Canada, d'être entré dans
04:20 le maelstrom des prix Goncourt.
04:21 Mais qu'est-ce que ça fait ? Qu'est-ce que ça vous fait ?
04:23 C'est sûr que c'est un bât lin.
04:26 Ça fait que les yeux se tournent vers le livre.
04:28 Donc, si on peut parler de littérature encore plus, ça me fait plaisir.
04:31 Dans votre roman, parlons-en, Kévin Lambert, que notre joie demeure.
04:34 Céline Wachowski, clin d'œil à Matrix, sûrement une super star de l'architecture,
04:37 une starchitecte comme on dit, qui a même sa série sur Netflix, construit un grand complexe
04:41 au cœur de Montréal accusé de gentrification.
04:44 Son suivre manif, violente polémique, hashtag destructeur sur les réseaux sociaux, jusqu'à
04:48 ce qu'elle soit mise à la porte de sa propre entreprise.
04:50 C'était votre première incursion littéraire chez les riches.
04:53 Qu'est-ce que vous cherchiez ? Pourquoi vous y alliez ?
04:55 Je m'étais intéressé à une grève dans une série au milieu ouvrier, dans Querelle.
04:58 Puis là, je me posais des questions.
05:00 C'était un peu la part de l'analyse qui manquait, je trouve, dans mon précédent
05:03 roman.
05:04 J'avais envie de voir comment pensent celles et ceux qui dirigent, qui décident, qui construisent
05:07 et qui détruisent aussi parfois le monde, me mettre dans leur peau et essayer de voir
05:11 comment ils se justifient à eux-mêmes leurs actions.
05:13 Que notre joie demeure, c'est la prière des élites dans votre livre.
05:16 À la sortie du livre, vous avez dit « Je pense que les riches ont raison d'avoir peur
05:19 aujourd'hui.
05:20 Pourquoi plus qu'hier ? » Et ce qu'écrire, c'est aujourd'hui rendre compte de cette
05:24 tension.
05:25 Parce que les milliardaires sont de plus en plus nombreux, leur fortune est de plus en
05:29 plus grande.
05:30 On atteint aujourd'hui des sommets qui sont difficiles à concevoir pour l'esprit humain
05:34 en termes de quantité d'argent que certains individus peuvent posséder.
05:37 Dans un monde où les inégalités, on le voit tous les jours, sont immenses et produisent
05:42 des violences sociales qui sont aussi incommensurables.
05:44 Pour moi, il y a quelque chose d'absolument grossier, presque une forme de provocation
05:48 dans cette richesse-là.
05:49 Et j'avais envie de la dépeindre.
05:51 Peut-être la prochaine fois avec une intelligence artificielle.
05:54 Pourquoi pas ? Oui ou non ?
05:55 L'intelligence artificielle, c'est maintenant une source d'argent pour beaucoup de monde.
05:58 C'est vrai.
05:59 Alors, sujet libre.
06:00 Vous avez l'antenne pour vous, Kévin Lambert.
06:01 Et vous êtes venu avec un manifeste.
06:04 À partir de quand le mot « sensible » est-il devenu un défaut ?
06:10 Enfant, je ne pleure jamais.
06:13 Toute forme d'émotivité trop grande inquiète les adultes.
06:16 Pourtant, le monde s'inscrit en pleine chair.
06:20 Les paroles, les regards, les récits me traversent, établissent des connexions nouvelles, des
06:25 liens étranges, incompréhensibles.
06:27 Les affects creusent dans l'espace sans forme où il n'y a pas de « moi » possible,
06:33 pas de nom, pas de genre.
06:34 On donne à ce lieu, je l'apprends plus tard, le nom de littérature.
06:41 J'attends d'avoir fermé la porte de ma chambre pour relâcher en silence, laisser
06:47 l'affect me traverser, défaire mon corps, mes perceptions, ma personne, déplacer les
06:52 frontières.
06:53 Que part-on à penser la littérature en retrait, à l'écart du sensible ?
06:58 Sensible, manière dont la multiplicité infinie du monde s'imprime en nous, la nécessaire
07:08 dimension plurielle, publique du sens à faire.
07:11 Non pas pétrification, restriction, mais effondrement des places et des catégories.
07:15 Pourquoi se méfie-t-on du mot « sensible » ? Parce qu'on n'en mesure pas encore
07:24 la puissance.
07:25 Nathalie Benhamou : Merci sensible Kevin Lambert.
07:28 Que notre joie demeure, c'est paru.
07:29 Aux éditions nouvelles, Attila en lice pour le concours 2023.
07:32 Prochaine étape, la liste finale le 2 octobre.
07:34 Bonne chance à vous.
07:35 Kevin Lambert.