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  • 06/09/2023

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Transcription
00:00 La question du jour, bonjour Marguerite Caton.
00:02 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:04 Je suis en compagnie de Frédéric Bizarre pour trouver la réponse à une question.
00:08 Comment éviter la pénurie d'amoxycyline ?
00:10 L'amoxycyline c'est un antibiotique à large spectre, parmi les plus utilisés,
00:14 notamment pour les enfants.
00:16 Il constitue même les deux tiers des prescriptions d'antibiotiques pédiatriques.
00:19 Bonjour Frédéric Bizarre.
00:20 Bonjour.
00:21 Vous êtes économiste de la santé.
00:23 Quels constats dressez-vous à l'heure actuelle ?
00:25 Des tensions dans les pharmacies de ville, l'hôpital approvisionné, des risques de pénurie cet hiver ?
00:30 Oui parce que les causes sont structurelles.
00:32 On a pour ce qu'on appelle les médicaments matures, les médicaments anciens,
00:35 les médicaments qui sont tombés dans le domaine public, qu'on appelle les génériques
00:39 ou les biosimilaires pour les biotechnologies.
00:41 En fait on a une production qui s'est concentrée dans les mains de moins en moins d'acteurs.
00:46 Si on prend l'amoxycyline, c'est un cas extrêmement intéressant d'abord parce qu'un des antibiotiques
00:50 les plus consommés, on a en France un seul producteur qui ne produit pas la substance active,
00:59 la matière première.
01:00 Il ne fait qu'assembler en Mayenne, c'est le laboratoire GSK.
01:04 Où est produite la matière active ?
01:06 Elle est produite pour GSK à Singapour.
01:08 Et ensuite vous avez un autre laboratoire qui est Sandhose, qui appartient à Novartis,
01:14 qui produit en Autriche.
01:16 Et ça c'est les deux laboratoires qui produisent pour le monde entier.
01:20 Après vous avez des distributeurs, puisqu'en fait on est dans un marché concurrentiel.
01:23 Ce n'est pas la même chose que les marchés, ce qu'on appelle le principe de nouveaux produits
01:27 innovants.
01:28 Là on est sur les anciens produits, donc vous avez tout un tas de producteurs ou de
01:32 distributeurs qui ont le droit, parce que le brevet est dans le domaine public, de distribuer
01:37 les médicaments.
01:38 Mais eux ils produisent où ?
01:39 Ils produisent principalement en Inde et en Chine.
01:42 On a considéré au moment du Covid qu'il y avait 90% des antibiotiques qui étaient
01:46 produits en Inde et en Chine.
01:48 Il faut voir ce qui pose un problème essentiel, notamment sur un plan écologique, sur un
01:53 plan des normes environnementales.
01:56 A Hyderabad, une ville au sud de l'Inde, 150 industriels ont concentré leur production
02:04 d'antibiotiques là-bas.
02:05 Ce qui fait qu'on considérait que chaque jour, juste pour que vos auditeurs aient une
02:09 idée du problème que ça pose et une des raisons de la pénurie, c'est qu'on considérait
02:14 qu'il y avait chaque jour, dans les rivières, de rejetés l'équivalent de la consommation
02:20 en antibiotiques de la Suède.
02:22 Donc il a fallu fermer, parce qu'on est quand même y compris en Inde, aujourd'hui de plus
02:26 en plus regardant sur les normes environnementales, on a fermé tout un tas de ces usines-là.
02:31 Donc y compris dans ces pays-là, on a restreint les capacités de production.
02:35 La semaine dernière, la mission interministérielle mandatée par Matignon pour trouver des solutions
02:40 aux pénuries de médicaments a préconisé un New Deal européen.
02:43 Le 8 juillet, c'est la commission d'enquête sénatoriale lancée sur le même sujet qui
02:47 dévoilait ses recommandations.
02:48 Pour l'instant, en attendant le projet de loi de financement de la Sécurité sociale
02:51 qui viendra normalement avec la rentrée parlementaire, on a vu qu'une seule mesure pour lutter contre
02:56 le risque de pénurie.
02:57 Donc jeudi dernier, l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament a pris la décision
03:01 d'augmenter de 10% le prix de l'amoxycyline.
03:04 A quoi s'engagent les laboratoires en contrepartie ?
03:06 Je crois surtout qu'il faut prendre conscience, malheureusement, de la nuillité de l'impact
03:12 d'une telle mesure.
03:13 Pourquoi ? Pour augmenter les capacités de production, il faut que l'industriel investisse
03:18 dans son usine une nouvelle ligne de production, engage de nouvelles forces vives.
03:23 Une augmentation de 10% du 1er octobre à fin avril, il n'y a qu'un effet d'aubaine,
03:30 entre guillemets, si on peut parler d'effet d'aubaine, pour le laboratoire à prendre.
03:33 Bien sûr que le laboratoire va prendre, mais on peut toujours le forcer à s'engager.
03:38 Il faut quand même comprendre qu'il y a des mécanismes économiques derrière.
03:42 On peut considérer qu'il y a les gentils et les méchants, que les labos sont forcément
03:45 méchants, mais les labos répondent à une chose assez simple, qui est une incitation
03:49 économique.
03:50 S'il y a seulement GSK qui produit en France, c'est que les conditions économiques de
03:56 production de l'amoxycyline en France ne sont pas remplies pour attirer de nouveaux acteurs.
04:01 La France est un pays à très forte consommation de médicaments, la France est un pays riche,
04:07 avec une sécurité sociale qui solvabilise la demande.
04:10 Donc croyez-moi que s'il y avait un intérêt économique à produire en France, il y aurait
04:14 des producteurs.
04:15 Donc tant qu'on ne considérera pas qu'il y a un problème de fond sur donner une visibilité,
04:21 un cap au laboratoire, mais pas de 6 mois, pas de septembre pour octobre, donner un cap
04:28 de long terme, arrêtons cette régulation purement comptable.
04:31 C'est-à-dire je baisse le prix à peu près autant que les volumes augmentent pour avoir
04:36 aucune augmentation du budget du médicament.
04:38 Et en contrepartie, il y a plein de choses à demander au laboratoire.
04:41 Plus de transparence des laboratoires, des laboratoires qui pensent un peu à l'avenir.
04:46 C'est-à-dire que la représentation des laboratoires en France est juste à un mot à la bouche,
04:51 c'est baisser les taxes.
04:52 Alors qu'il y a tellement d'autres choses à restructurer pour l'industrie, que là
04:55 je pense qu'il y a d'autres choses à demander.
04:56 - Ceci dit, en ce qui concerne l'amoxycyline, la pénurie n'est pas qu'en France.
04:59 Aux Etats-Unis, de la même manière, elle est placée depuis octobre sur la liste des
05:02 médicaments en pénurie par l'agence du médicament américain.
05:06 Donc on ne peut pas dire que les prix soient l'unique question et qu'en France, ce soit
05:10 simplement parce qu'il manque de visibilité.
05:11 Ce serait que la faute à la France.
05:12 - Non mais je vous ai donné...
05:13 Non mais il y a des facteurs externes, il y a des facteurs internes.
05:16 Après, vous savez, moi je suis un peu stoïcien.
05:18 C'est-à-dire qu'il faut savoir sur quoi on peut agir tout de suite.
05:20 On peut dire c'est la faute au monde, c'est la faute à l'Asie, c'est la faute à la mondialisation.
05:26 OK.
05:27 Mais une fois qu'on a dit ça, on n'a pas dit grand-chose.
05:28 Il y a des choses qu'on peut faire tout de suite, c'est-à-dire de redynamiser une production
05:32 qui existe et ce que je dis, c'est que ce n'est pas 10% sur 6 mois qui vont le faire.
05:38 Oui, il y a eu évidemment ce phénomène d'ultra financiarisation de l'industrie pharmaceutique
05:43 qui aurait dû être maîtrisée avant par les États dans le monde entier.
05:47 La France n'a fait que faire ce qu'ont fait les autres, c'est-à-dire laisser l'industrie
05:51 optimiser son retour sur capital sans considération de critères de santé publique.
05:57 Donc nous payons ce que nous avons, nous récoltons ce que nous avons semé.
06:00 Mais encore une fois, pour repartir, il faut à la fois une action européenne et vous
06:05 voyez bien qu'il n'y a aucune nouvelle usine en Europe de le faire.
06:09 Donc on voit bien que c'est un phénomène en effet qui est mondial et qui est européen.
06:12 Mais la France souffre de maux plus graves qu'une année.
06:16 Je vais vous donner juste un chiffre.
06:18 En 2008, la France était numéro 1 dans la production en Europe, avec près de 10 milliards
06:23 d'excédents commerciaux pour la pharmacie.
06:25 En 2013, nous étions numéro 3 avec 6 milliards d'excédents.
06:30 Aujourd'hui, nous sommes numéro 13 avec moins de 3 milliards d'excédents.
06:34 Le numéro 3, c'est la Belgique qui a 22 milliards d'excédents commerciaux.
06:38 Donc nous sommes quand même dans une descente assez dramatique de notre industrie pharma
06:43 et moins vous produisez, plus vous avez de pénuries.
06:45 Ceci dit, à plus court terme, en échange de cette hausse de 10% que vous jugez de court
06:50 terme, et je le comprends bien, les laboratoires se sont quand même engagés à avoir des
06:53 stocks et normalement à fournir de octobre jusqu'à mars des quantités suffisantes
06:59 d'amoxycylines.
07:00 Donc normalement on devrait peut-être passer le cap de la pénurie de cet hiver.
07:02 Encore une fois, j'aimerais que vous ayez raison.
07:04 J'essaie de vous donner une image assez réaliste.
07:07 Vous n'y croyez pas à cet engagement ?
07:09 Non mais j'y crois pas parce que je sais que les laboratoires ne vont pas engager les
07:14 ressources suffisantes pour garantir.
07:15 Cette usine de GSK à Mayenne exporte 80% de sa production.
07:21 Donc elle est assez libre pour trouver les débouchés qu'il le faut.
07:27 La demande est bien supérieure à l'offre.
07:29 Donc le rapport de force entre les Etats et les laboratoires, il faut les gérer avec
07:35 un certain équilibre, une certaine raison.
07:39 J'ai une dernière question à laquelle je voudrais que vous puissiez répondre très
07:42 rapidement Frédéric Bizarre.
07:43 Quand il est difficile d'augmenter l'offre, l'autre manière d'éviter les pénuries,
07:46 c'est évidemment de réduire la demande.
07:47 Vendredi dernier, le gouvernement a décidé d'autoriser les pharmaciens à délivrer
07:51 eux-mêmes des antibiotiques pour certaines infections sans ordonnance médicale, mais
07:55 après un test vérifiant l'origine bactérienne.
07:57 Est-ce qu'à votre avis, c'est une manière de réguler la prescription d'antibiotiques ?
08:03 C'est une très bonne mesure parce que je pense qu'il faut en effet, à partir de ces
08:06 tests qui sont fiables et y compris d'ailleurs, on pourrait y mettre les laboratoires, les
08:10 biologistes médicaux.
08:11 Une fois que vous avez un test fiable, il faut raccourcir les délais d'accès pour l'usager.
08:16 Ce qui compte, c'est ce qui compte pour l'usager, le service à l'usager.
08:19 Et une fois que les pharmaciens, avec ce test là, ce qu'on appelle ce trottinet, ces tests
08:22 rapides, ont détecté que c'était bien une bactérie, il faut leur donner évidemment
08:26 le droit à la prescription.
08:28 C'est une très bonne mesure.
08:29 Merci Frédéric Bizarre.
08:30 Je rappelle que vous êtes économiste de la santé, professeur associé à l'ESCP Europe,
08:34 président de l'Institut Santé.
08:35 Merci Marguerite Caton.

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