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Cette prof d'anglais fait voyager ses élèves : "Les cours entre quatre murs ne suffisent pas"
France Inter
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04/09/2023
Samia Essabaa, professeure d’anglais dans un lycée professionnel de Noisy-le-Sec, est l'invitée de Sonia Devillers.
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
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- Et 7h48, Sonia De Villers, votre invitée, professeure d'anglais au lycée professionnel
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Théodore Monod de Noisy-le-Sec en Seine-Saint-Denis.
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- 850 élèves qui sont âgés de 14 à 20 ans, 90 profs dont vous, Samia Essaba, bonjour !
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- Bonjour !
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- Soyez là, bienvenue ! Ça fait 20 ans que chaque année, vous vous battez pour trouver
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de l'argent et des financements.
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20 ans que vous emmenez les élèves en voyage !
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- Oui, absolument !
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- Aux quatre coins du monde !
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- Absolument !
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- Pourquoi ?
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- Parce que les cours théoriques entre quatre murs d'une classe ne suffisent pas, parce
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qu'ils ont besoin de sortir de leur quartier, de leur cité, de leur immeuble pour voir
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le monde.
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Et être cantonnés entre les murs de l'école, ce n'est pas suffisant.
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Et aussi pour que les cours soient plus concrets quand on se déplace, quand on rencontre des
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personnalités.
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- Vous avez emmené où ?
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- Oh là là ! Tokyo, Cap Canaveral, Washington au Congrès, au Mémorial Holocaust.
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- Vous y retournez ?
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- Oui !
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- Au Mémorial de la Joie à Washington.
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- Oui, et au Musée Afro-Américain pour la mémoire de l'esclavage et les droits civiques.
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Parce que c'est important, j'enseigne l'anglais, j'enseigne tout ça, et parfois c'est trop
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abstrait pour eux.
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Et le fait de se rendre, par exemple, ne serait-ce qu'au Musée Afro-Américain et de voir le
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bus physiquement où Rosa Parks a été arrêtée, la tenue qu'elle portait le jour où elle
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a été arrêtée.
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Je veux dire, les élèves, pour eux, ils remobilisent leurs acquis et se disent "mais
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c'est vrai tout ça, c'est vrai".
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- C'est vrai ?
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- Oui, c'est pas de l'histoire ancienne, c'était hier et voilà.
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- Vous leur demandez combien aux familles pour financer ces voyages ?
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- Oh là là, ça dépend, ça dépend.
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On demande à peu près 250 euros payables en 10 fois, mais souvent les parents ne peuvent
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pas, donc il y a le fonds social qui contribue, les levées de fonds par le prof.
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Par exemple, cette année, on est allé à San Francisco, j'ai des enfants qui n'ont
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payé que 20 euros.
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- C'est ça.
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Alors les levées de fonds, c'est votre bataille, chaque année, trouver de l'argent.
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- Oui, oui, parce que je veux que j'ai des rêves pour mes gamins et que je veux qu'ils
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vivent des expériences qui leur seraient inaccessibles en dehors de l'école de la
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République.
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- Alors vous, vous rendez des comptes à ceux qui financent ces voyages, mais vous demandez
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aussi aux enfants de vous rendre des comptes.
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Aux enfants, aux ados, aux lycéens, de vous rendre des comptes.
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- Oui, c'est-à-dire, quand ils ne sont pas là, je veux savoir pourquoi, comment, ils
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m'écrivent, ils me téléphonent, mais je veux savoir.
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- Ils ne sont pas là, c'est-à-dire ?
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- Ils ne viennent pas à l'école, ils ne sont pas en cours, quel que soit le cours.
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Ce n'est pas seulement le mien.
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Donc je flique, je vérifie, on a un groupe WhatsApp, je veux tout savoir.
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Et s'il y a des problèmes, on trouvera des solutions.
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- Deux tiers d'élèves décrocheurs dans les lycées professionnels en France.
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Deux tiers.
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- Oui, donc il faut trouver des solutions.
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- C'est ça.
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Et le voyage, ça les tient jusqu'au bout de l'année scolaire ?
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- C'est la carotte !
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- Et ils s'accrochent ?
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- Ils s'accrochent parce que toute leur scolarité au collège, on ne leur a jamais rien proposé.
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Même Paris, venir à Paris, c'est comme s'ils allaient en province, c'est loin,
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c'est compliqué.
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Ils ont peur même.
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- Et ça a des effets sur le bac ?
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- J'ai 100% de réussite au bac.
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Chaque année.
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Quasiment, entre 80 et 100% selon les difficultés des gamins, etc.
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- Alors ce projet de voyage, et quand je dis que vous retournez au Mémorial de la Shoah
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à Washington, il est né en 2004, Samia El-Sabah, peu après les attentats du 11
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septembre.
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Et quand pour la première fois, vous l'avez pris en pleine figure, vous avez entendu
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vos élèves dire que c'est bien fait pour les juifs ?
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- Oui, il y en avait 2, 3 sur toute une classe qui ont dit ça.
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Et ça m'a alertée parce que je me suis dit que je ne peux pas laisser passer ça.
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Et je me suis regardée devant la glace et j'ai dit qu'il faut que je change ma façon
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de voir les choses et d'enseigner surtout.
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Et de me dire que ce n'est pas une fatalité, les enfants sont ignorants, il faut combler
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les lacunes.
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- Vous avez emmené ces enfants à Auschwitz et ça a été une péripétie.
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Et puis vous vous êtes dit qu'un voyage consacré à la mémoire c'est bien, mais
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vivre ensemble c'est mieux.
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Vous les avez emmenés rencontrer les élèves du lycée juif à Pavillon-sous-Bois, pas
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très loin de chez eux.
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Et puis les élèves du lycée juif à Casablanca au Maroc.
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- Oui.
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- Histoire que musulmans et juifs se parlent.
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- Oui, je les ai emmenés 4-5 fois au Maroc, effectivement, pour rencontrer ces lycéens
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de Casablanca, le lycée Maïmonide de l'Alliance israélite.
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Et il y a des enfants musulmans et juifs qui étudiaient ensemble.
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Et donc j'ai montré à mes élèves que oui, dans un pays arabo-musulman, nous avons
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un musée du judaïsme marocain à Casablanca, dont la conservatrice est une musulmane qui
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s'appelle Zohor.
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Et puis surtout, je leur ai fait rencontrer les tirailleurs qui ont contribué à la libération
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de la France, qui sont compagnons de la libération.
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J'ai beaucoup parlé aussi du sultan Mohamed V, de son rôle par rapport à ses sujets,
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à la communauté juive.
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- Vous, vous êtes fille d'immigrés marocains ?
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- Oui, et puis petite fille de tirailleurs aussi, donc c'est important.
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- Et petite fille de tirailleurs, qui à l'âge de 5 ans s'est dit « moi je serai prof ».
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- Oui, au CP.
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- Au CP ! Parce que la maîtresse était formidable ?
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- La maîtresse était formidable, et puis surtout, j'adorais écrire au tableau, j'adorais
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ramasser les cahiers.
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Oui, c'est ma vocation, elle est née au CP.
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- Et cette vocation, elle est là, le feu sacré, vous l'avez encore et toujours.
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En cette rentrée, il y a cette polémique qui grève l'approche de la rentrée, c'est
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celle des abayas, de l'entrée en vigueur du décret qui va interdire le port de l'abaya
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à l'école.
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Concrètement, comment ça se passe ?
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- Au lycée Théodore Monod, il y a des CAP électricité, il y a aussi des classes essentiellement
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féminines ou même 100% féminines.
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- Oui, les classes de couture par exemple, ou alors on a des classes mixtes en tertiaire.
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Mais l'abaya, déjà le terme ne me convient pas, parce que nos jeunes filles portent des
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kimonos longs, des vestes longues, des robes longues, et puis tout dépend aussi de l'intention
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qu'il y a derrière.
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Souvent, c'est des jeunes filles qui portent ça parce qu'elles sont complexées, parce
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qu'elles ne veulent pas qu'on voie leur forme.
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- Il y a quelque chose de religieux dans cette mode ?
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- Non, non, non, non, non.
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Le discours des garçons, c'est quand même assez tranchant, assez difficile.
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Donc elles se préservent, et ce que je peux comprendre, parce que moi j'ai des classes
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que de garçons, je les entends parler des filles, c'est horrible, ça c'est une chose.
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La deuxième chose, depuis le Covid, les familles se sont beaucoup paupérisées.
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Donc moi j'ai des jeunes filles qui ne peuvent pas s'acheter des vêtements de marque ou
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des vêtements tout courts, et elles ont quelques vêtements, et donc avec un kimono ou une robe
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longue, ça couvre quand même pas mal de choses.
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Les tenues que portent nos jeunes filles, on ne peut pas dire que ce sont des tenues
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communautaires, des tenues religieuses.
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D'abord, acheter une robe chez Zara ou chez H&M, ce n'est pas communautaire.
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Moi l'été, je porte des robes longues, et pourtant je suis républicaine, fonctionnaire
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d'État et tout ce qu'on veut.
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- Quand ces jeunes filles, parce qu'il y a énormément, il y a 22 semaines de stage
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dans le cursus d'un lycée professionnel, quand ces jeunes filles, elles partent en
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stage, elles partent en entreprise.
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Vous les accompagnez justement dans ces codes vestimentaires pour sortir du lycée, pour
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aller affronter le monde de l'entreprise ?
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- Il n'y a pas que le monde de l'entreprise.
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Quand on va au Sénat faire une visite, elles sont préparées.
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Quand on va au Quai d'Orsay, elles sont préparées.
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Quand on va à l'Élysée, visiter l'Élysée, parce qu'on y va aussi, elles sont préparées.
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On n'a aucun problème avec ça.
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- Ça veut dire qu'il n'y a aucune résistance à l'enlever la robe longue ?
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- Non, et puis on leur explique qu'il faut être dans le dialogue, on est dans la pédagogie,
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il ne faut pas être dans la violence, dans la violence verbale, tu ne rentres pas à
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l'école si tu ne portes pas ci, tu ne portes pas ça, c'est pas…
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On est des éducateurs, des enseignants.
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- Samia El Sabah, j'ai une dernière question.
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Hier, le président des Restos du Coeur a annoncé un cataclysme et une vraie difficulté
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à continuer à nourrir ceux qui demandent des repas.
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Vous, c'est un cas quotidien, des élèves qui ne peuvent pas se nourrir.
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- Bien sûr.
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Il y a des élèves qui attendent sur les marches d'escalier ou dans la cour que les
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copains, quand ils vont à la cantine, leur amènent quelque chose.
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Ça arrive souvent, et parfois même le logement.
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On a des élèves, moi ça m'est arrivé d'avoir une jeune fille à 16h30, à la fin
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du cours, elle vient me voir, elle me dit « Madame, je ne sais pas où je vais dormir
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ce soir, ma belle-mère m'a mise dehors, il faut que je lui trouve un hébergement ».
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Et l'assistante sociale, elle appelle le 115, il n'y a rien à cette heure-là,
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il faut un jour ou deux pour lui trouver quelque chose.
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C'est à nous les profs, on se cotise et on lui paye de nuit le temps qu'on lui
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trouve une solution.
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Mais c'est ça l'être prof, pour moi, c'est ça.
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Bonne rentrée.
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Merci.
09:26
- Et merci à vous Sonia De Villers.
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