Passer au playerPasser au contenu principalPasser au pied de page
  • 21/05/2023

Catégorie

Personnes
Transcription
00:00 Bonsoir à tous, bienvenue dans 27, 27 la grande conversation des citoyens européens,
00:08 ravie de vous retrouver.
00:09 Au programme de cette émission, faut-il craindre un effondrement de nos économies sous le
00:13 poids de nos dettes ? Jamais dans son histoire, l'Europe n'avait cumulé un tel endettement.
00:17 Près de 13 000 milliards d'euros de déficit, soit 90% de son PIB.
00:23 Face aux crises auxquelles nous devons encore aujourd'hui faire face, certains voient planer
00:27 le spectre d'un cataclysme gigantesque, synonyme d'austérité.
00:31 Une perspective qui effraie les citoyens européens à qui nous avons demandé ce que leur inspirait
00:37 la dette.
00:38 La dette ce sont avant tout des contraintes, une obligation, prétexte, je dirais désespoir
00:44 mais je dirais aussi opportunité, remboursement, monnaie, souffrance, une menace sur l'économie
00:50 mondiale.
00:51 Une dette illégitime ou une dette odieuse ne doit pas être payée.
00:55 Pour en débattre, nous recevons Lars Feld, professeur d'économie à l'université de
00:59 Fribourg, conseiller du ministre des Finances allemand et libéral Christian Lindner.
01:04 Il propose un retour à plus de rigueur budgétaire pour éviter à l'avenir d'avoir recours
01:09 à l'austérité.
01:10 Historien de la finance et de l'économie internationale, Rul Pedro Esteves de l'Institut
01:16 des hautes études internationales de Genève, viendra nous rappeler ce qu'a permis la dette
01:20 publique au cours des siècles et pourquoi il faut défendre ce bien commun loin de toute
01:25 idéologie.
01:26 Michelle Murphy est membre de l'ONG social justice Ireland, pour elle, la dette a un
01:31 coût social et humain.
01:33 Notre reportage nous conduira en Italie où les entreprises qui ont contracté des emprunts
01:38 garantis par l'Etat pendant le Covid sont désormais étranglées par les remboursements.
01:43 « Si l'entreprise ne parvient pas à rembourser ses dettes, elle fait faillite.
01:48 Elle fait faillite vis-à-vis de la banque.
01:53 Il faut que ce soit clair parce que la banque peut se tourner vers l'Etat alors que l'entreprise,
01:59 elle, ne peut pas le faire.
02:00 Et enfin notre grand entretien, je recevrai Philippa Achati-Stravrou, la professeure
02:05 de sciences politiques de l'université d'Athènes, plaide pour lever les tabous idéologiques
02:10 autour de la dette et dénonce.
02:12 Son instrumentalisation politique.
02:14 Voilà, c'est le programme de 27 et c'est parti.
02:16 [Musique]
02:27 Bonsoir à tous, bienvenue, bienvenue et dans ce débat comme chaque semaine, Corentin Chrétien-Droz.
02:34 Alors vous m'avez écrit Corentin, tereotust ?
02:37 Tereotust.
02:38 C'est en quelle langue ?
02:39 C'est de l'estonien.
02:40 C'est de l'estonien, voilà.
02:41 Corentin, vous allez nous parler des dates, des chiffres, des données clés et être le
02:44 rapporteur du débat qu'on a eu en ligne en amont de cette émission.
02:47 Oui, cette semaine on a reçu beaucoup de monde, comme chaque semaine un représentant des banques
02:50 polonaises, un économiste allemand ou des activistes grecs et espagnols ayant subi l'austérité
02:55 de plein fouet.
02:56 C'est rien de vous dire qu'ils n'étaient pas d'accord.
02:57 Surtout, ensemble, on a essayé de comprendre ce sujet complexe de la dette publique, on
03:01 a essayé de comprendre ce que c'était et on a surtout essayé de comprendre qui allait
03:04 la payer.
03:05 Et justement, peut-on emprunter à vie sans jamais rembourser ? C'est un peu la question
03:09 que vous vous êtes posée en résumant ce débat Corentin et c'est votre pourquoi de
03:13 la semaine.
03:14 Bob, il aime faire des trucs.
03:17 Mais les trucs c'est cher.
03:18 Alors, il demande de l'argent à Charles.
03:21 Et quand faut rembourser Charles, il demande de l'argent à Julie.
03:24 Et quand faut rembourser Julie, il demande de l'argent à Maurice.
03:28 C'est super simple.
03:29 Vous trouvez ça trop facile ? Pourtant, c'est ce que font nos États depuis le XVIIe siècle.
03:37 En général, la dette publique n'est pas remboursée.
03:40 Jamais.
03:41 À aucun moment.
03:43 Ce n'est même pas nécessaire.
03:44 Fin 2021, la dette des gouvernements européens avoisinait les 13 000 milliards d'euros.
03:50 Pas loin de son PIB.
03:52 Un record.
03:53 En France, la dette publique a augmenté de 3000% en 40 ans.
03:57 Pas grave, c'est Charles et Maurice qui paient, non ? En fait, c'est un peu plus compliqué.
04:02 Vous connaissez ce dicton d'économistes qui dit "there is no free lunch".
04:07 Tout le monde va rembourser, personne ne va déjeuner gratuitement.
04:10 Un mur de dette est devant nous.
04:13 Et le problème, c'est qu'on y va à 200 à l'heure.
04:17 Après deux ans de Covid et des mois de guerre, l'Europe a vu revenir un vieux serpent.
04:22 L'inflation a deux chiffres.
04:23 Et pour la stopper, toutes les banques remontent leurs taux d'intérêt.
04:26 Concrètement, ça veut dire que Charles voudra moins prêter à Bob.
04:30 Encore plus concrètement, ça veut dire que bientôt, va falloir payer.
04:35 Et qui va payer ?
04:37 À votre avis ?
04:38 Oh, vous le savez.
04:40 Si, bien sûr que vous le savez.
04:43 Coucou !
04:45 La question "qui paiera ?"
04:47 Nous, on a peur de la réponse.
04:49 Toute dette publique est finalement payée par quelqu'un.
04:51 C'est toujours l'individu, les citoyens, qui porte le fardeau de payer cette dette.
04:57 Oui, oui, c'est vous.
04:59 Et si personne ne paie, les États invoqueront celui dont on ne doit pas prononcer le nom.
05:04 Vous le mord ?
05:05 Pire, le retour de l'austérité.
05:10 Coupes budgétaires, blocage des salaires, hausse des taxes.
05:13 Un moyen radical de remettre les comptes à l'endroit,
05:16 quitte à mettre les citoyens à l'envers.
05:18 La Grèce ne s'en est toujours pas remise.
05:20 Les conséquences des mesures d'austérité, des politiques d'austérité
05:25 qui ont été imposées à un pays comme la Grèce,
05:28 vont durer pendant des décennies.
05:30 Des mesures qui blessent, qui attaquent les groupes les plus faibles de la population.
05:35 Ce n'est plus une crise économique, c'est une crise humanitaire.
05:39 Alors on fait quoi ?
05:41 On réduit la dette, quitte à revenir aux coupes franches et au licenciement ?
05:44 Ou on annule la dette et on repart à zéro ?
05:47 Mais si on arrête de rembourser, est-ce qu'on nous prêtera encore ?
05:50 Derrière les taux qui s'affolent et les étincelles des marchés,
05:54 peut-on déjà distinguer les flammes de la prochaine crise ?
05:58 Lars Feld, je rappelle, vous êtes professeur d'économie à l'université de Fribourg,
06:04 conseiller du ministre des Finances allemand.
06:06 Est-ce que vous considérez qu'on est des drogués de la dette ?
06:09 Je n'irai pas jusqu'à parler de dépendance.
06:13 J'essaie toujours de rester un peu plus mesuré.
06:16 Il est vrai bien sûr que l'on est arrivé à un niveau d'endettement relativement élevé.
06:20 Et avant de se retrouver dans une situation aussi défavorable que la Grèce à partir de 2010,
06:25 il est nécessaire de consolider à temps les budgets publics,
06:28 de manière à ce que le taux d'endettement diminue.
06:31 C'est ce qui compte au final, le taux et non le montant absolu.
06:37 On voit effectivement aussi que le montant de dette accumulé par les Etats européens est important,
06:41 mais entre-temps il y a eu des crises.
06:43 La crise du Covid-19, évidemment, la guerre en Ukraine, la crise de 2008,
06:47 expliquent en partie cet endettement.
06:49 Mais même en 2007, la dette atteignait déjà dans la zone euro près de 70% de son PIB.
06:54 Ruy Esteves, est-ce que c'est déjà arrivé dans l'histoire ?
06:56 Oui, les nations européennes au lendemain des Premières et Secondes Guerres mondiales
07:02 ont atteint des niveaux d'endettement plus élevés.
07:05 Dans le cas de la Première Guerre mondiale, plus de 100% du PIB.
07:09 Et dans le cas de la Seconde Guerre mondiale, plus de 200% du PIB.
07:14 Évidemment, les raisons de ces extraordinaires accumulations de dettes étaient claires à l'époque.
07:19 L'après-Deuxième Guerre mondiale a été mieux gérée
07:23 et les nations ont pu surmonter cet endettement extraordinaire,
07:26 en partie grâce à une remise coordonnée de certaines dettes de guerre,
07:30 et en partie grâce à l'inflation.
07:32 Qu'est-ce que ça vous inspire, Michelle Murphy,
07:34 ce débat politique perpétuel qu'on a autour de l'endettement de nos pays ?
07:38 Au bout du compte, c'est le citoyen qui paiera.
07:41 Si vous prenez l'exemple de l'Irlande, après le crash financier,
07:44 nous avons participé à un programme de renflouement.
07:46 Nous avons pris en charge la dette de nos banques nationales à hauteur de 64 milliards d'euros.
07:51 Et nous continuons à porter cette dette.
07:53 Et avec en plus la dette que nous avons accumulée aujourd'hui à cause du Covid.
07:57 Il y a des arguments en faveur de stocker la dette du Covid au niveau européen,
08:01 de la retirer des bilans des États membres,
08:03 qui luttent actuellement en plus contre l'augmentation des prix de l'énergie.
08:06 Mais à la fin, c'est toujours les citoyens qui doivent payer la dette.
08:10 Ce sont les Irlandais qui ont dû payer la dette des banques après la crise financière.
08:13 Et nous continuons à la payer.
08:15 Et partout en Europe, ce sont des citoyens qui font face à la dette.
08:18 Quoi qu'il arrive, Michelle Murphy,
08:19 ce sont les citoyens qui payent, que ce soit le coût social ou le coût humain.
08:24 Corentin, vous le disiez justement dans votre Pourquoi.
08:27 Oui, c'est un petit peu ce qui est arrivé en 2008.
08:28 Alors, je parle sous le contrôle des économistes qui sont là,
08:30 qui me corrigeront peut-être, je vais vulgariser un petit peu.
08:32 Mais oui, il fallait sauver les banques.
08:33 Alors, les États se sont parfois endettés, parfois sur-endettés pour les sauver.
08:37 Et une fois sur-endettés, il faut continuer de payer les intérêts.
08:38 Alors, ils se tournent parfois vers leur propre population.
08:41 Ce qui est inquiétant, c'est qu'aujourd'hui en Europe,
08:42 on voit des signes qui nous font un petit peu penser aux crises précédentes.
08:46 On voit que la France emprunte désormais à 2 %, l'Italie emprunte à 4 %.
08:50 Il faut bien comprendre que pour les États, ce sont des taux élevés.
08:52 C'est une dette qui est très chère.
08:53 Il y a quelques années, la France empruntait à 0 %,
08:55 il y a quelques mois, à des taux négatifs.
08:58 Et donc, le problème risque d'être le même
09:00 quand il faudra rembourser les intérêts des dettes précédentes.
09:03 Ces États qui ont plus de mal à emprunter,
09:04 vers qui ils vont à nouveau se retourner ?
09:07 Potentiellement vers nous.
09:08 En tout cas, selon les membres de notre atelier,
09:10 c'est un petit peu ce qui est en train de se passer en Europe.
09:12 Ça nous fait peur parce qu'on a encore une mémoire très concrète
09:14 de la crise de 2008.
09:16 Il y a eu des lois qui ont été passées
09:18 et des entreprises semi-publiques qui ont été créées
09:21 pour justement transférer une grande partie de la dette privée
09:24 des grandes entreprises et concrètement des grandes banques en Espagne
09:27 vers l'État.
09:28 Au même temps, on faisait des coupures budgétaires.
09:30 Quelque part, finalement, ces dettes, c'est toujours les familles,
09:33 c'est toujours les petites entreprises qui les payent.
09:35 Avec le PGE, le prêt garanti par l'État,
09:37 en France, on a eu très vite le sentiment
09:41 que l'État a autofinancé sa dette publique
09:44 en endettant les entreprises,
09:46 puisqu'en fait, on nous a octroyé,
09:48 je ne dirais même pas on nous a octroyé,
09:50 on nous a quasiment obligé à prendre un emprunt,
09:54 mais cet emprunt, il servait d'abord à payer les charges de nos entreprises.
09:59 Et quelles sont les premières charges de nos entreprises ?
10:01 C'est les charges salariales, les charges patronales, les taxes, etc.
10:05 Donc, l'État s'est autofinancé ses impôts et ses taxes
10:09 un petit peu avec le PGE.
10:11 Lars Feld, finalement, qui est responsable de ce niveau d'endettement ?
10:15 Est-ce que ce sont les États, les particuliers, les entreprises
10:18 ou est-ce que c'est un système ?
10:20 Eh bien, nous sommes typiquement face à une situation de crise
10:24 qui mène à l'augmentation de la dette publique.
10:26 Cette crise peut être de différentes natures.
10:28 Cela peut être, comme dans la crise financière,
10:31 l'effondrement du système bancaire.
10:34 Cela peut être, comme maintenant, la crise Covid,
10:36 puis le glissement vers l'étape suivante, une crise énergétique.
10:40 Mais ce qui est intéressant, c'est que ce ne sont pas ces crises
10:43 qui génèrent un endettement plus important.
10:46 En fait, si l'on regarde sur le long terme,
10:48 nous avons une augmentation du taux d'endettement public en Europe
10:50 depuis les années 70.
10:52 Plus dans certains États, moins dans d'autres.
10:56 Dans certains pays, on a saigné de temps en temps.
10:59 L'exemple de la France a été cité.
11:01 Quand on a des taux d'intérêt bas, voire négatifs,
11:03 que la croissance est à peu près correcte,
11:05 c'est en fait à ce moment-là qu'il faut dépenser moins
11:08 que ce que l'on gagne, afin de consolider le budget.
11:13 Et ça, malheureusement, Roy Estéves, les États,
11:15 quand ils se retrouvent dans des positions
11:17 où ils seraient susceptibles d'assainir un petit peu leur dette,
11:19 ils ne le font pas.
11:20 Tout ça, c'est de la mauvaise dette,
11:22 parce que c'est de la dette de fonctionnement,
11:24 ce n'est pas de la dette d'investissement.
11:27 Eh bien, ça dépend beaucoup du contexte historique réel
11:29 dans lequel on se trouve.
11:31 Les deux exemples que Lars vient de donner,
11:33 la crise financière de 2008-2014 et la crise sanitaire du Covid,
11:37 ne sont pas exactement des moments idéaux
11:38 pour que les gouvernements se mettent en retrait
11:40 de la dette publique ou la réduisent, non ?
11:43 Ce sont des dettes qui ont été contractées
11:45 pour sauver l'économie,
11:46 pour garantir la stabilité du système financier,
11:49 pour permettre à la machine économique de tourner,
11:51 pour que les entreprises puissent continuer à fonctionner,
11:54 pour que les gens puissent avoir un revenu à la fin du mois.
11:57 Ce n'était donc pas exactement le moment idéal
12:00 pour réduire le poids de la dette.
12:01 Le déséquilibre qui a précédé la crise de 2007
12:04 était précisément un énorme accroissement de l'endettement.
12:07 Pas seulement public, mais aussi privé,
12:10 des entreprises, des familles à travers le monde.
12:12 Nous sommes précisément dans cette situation à nouveau, vous voyez.
12:15 La dette mondiale continue de battre des records.
12:19 Mais est-ce que, pardon, on a des pays dans le monde,
12:22 je pense notamment au Japon,
12:24 qui ont des dettes autrement plus importantes
12:27 que la moyenne des pays européens,
12:29 est-ce que finalement c'est si grave d'être endetté, Lars Feld ?
12:33 Il ne s'agit pas simplement de dire si c'est grave ou non,
12:37 mais quelles en sont les conséquences.
12:40 Le Japon s'en sort avec un taux d'endettement
12:42 de 260% du PBI,
12:45 car 95% de cette dette est détenue à l'intérieur du pays
12:49 et concerne uniquement ses propres banques,
12:51 sa propre banque centrale, ses propres caisses de pension.
12:55 Nous sommes dans une situation tout à fait différente.
12:58 Les États membres de la zone euro
13:00 ont des ratios d'endettement intérieur plus faibles.
13:03 Même l'Italie, avec une dette intérieure de 75%,
13:06 est exposée au marché international des capitaux.
13:09 Et c'est là qu'intervient la pression des taux d'intérêt
13:11 lorsque l'endettement devient trop élevé à l'extérieur du pays.
13:16 En effet, les conséquences sont toujours en trois dimensions.
13:19 Soit on ne paye pas ses dettes,
13:20 c'est-à-dire qu'on va vers une faillite de l'État
13:22 et un défaut de paiement,
13:24 et il faut restructurer la dette
13:25 comme le fait régulièrement l'Argentine.
13:28 Ou alors nous aurons une inflation plus élevée.
13:31 Et la troisième possibilité est de consolider activement,
13:34 de faire en sorte que l'évolution des recettes
13:36 soit plus favorable que celle des dépenses,
13:38 en période de prospérité et non de crise.
13:42 Et je crois vraiment qu'il faut se préparer à la prochaine crise
13:45 afin de rester résistant,
13:46 c'est-à-dire de garder sa poudre à canon sèche pour pouvoir tirer.
13:51 Michel Murphy, l'Irlande a le taux d'endettement par citoyen
13:53 le plus élevé d'Europe,
13:54 c'est plus de 47 000 euros par habitant.
13:57 Est-ce que les Irlandais voient le spectre d'une crise de la dette
14:00 telle qu'elle l'a connue il y a à peine une dizaine d'années maintenant ?
14:04 Oui, et les Irlandais sont inquiets.
14:06 Mais l'Irlande arrivait très bien à honorer sa dette nationale
14:09 très élevée jusqu'au Covid.
14:10 Notre ministre des Finances a été clair à ce sujet.
14:13 Nous pouvions honorer notre dette
14:14 et emprunter à des taux très bas sur le marché.
14:17 Mais cela voulait dire que nous ne pouvions pas investir cet argent
14:20 là où il était nécessaire,
14:22 dans des secteurs comme celui du logement social.
14:24 Nous avons une crise du logement en Irlande.
14:26 Ou dans des secteurs comme la santé ou les transports publics.
14:29 Le véritable problème est que, surtout au niveau européen,
14:32 nous parlons de consolidation fiscale et d'union financière et bancaire.
14:36 Mais qu'en est-il de la consolidation sociale ?
14:39 Oui, mais vous mélangez, si je puis me permettre,
14:43 deux questions différentes.
14:45 Bien sûr, les questions sociales, le bien-être des citoyens
14:48 et l'objectif le plus important de l'Union européenne.
14:51 Maintenant, ce que j'aimerais peut-être savoir,
14:53 c'est quel est votre plan ?
14:55 Parce qu'il ne suffit pas de dire
14:57 « on ne peut pas se contenter de parler d'enjeux économiques
14:59 et d'enjeux financiers et oublier les enjeux sociaux ».
15:03 Ce qui est le plus important,
15:05 c'est de comprendre comment l'un peut aider l'autre, n'est-ce pas ?
15:08 Malheureusement, on sait tous que mon propre pays
15:11 a traversé une crise de la dette compliquée.
15:13 Il a dû endurer un programme d'austérité.
15:16 Mais la question est de savoir
15:17 quelle serait l'alternative à l'austérité
15:19 qui aurait permis au pays de se redresser
15:22 et d'atteindre des niveaux de bien-être
15:23 et de moindre inégalité sociale, si je puis dire.
15:27 Oui, mais je voulais parler du manque d'investissement
15:30 dans les infrastructures.
15:32 Le logement, les transports publics,
15:34 Internet au débit, la santé, l'éducation.
15:37 Je prends maintenant l'exemple de l'Irlande,
15:39 qui a conduit à faire augmenter les inégalités économiques
15:42 parce que les logements et les loyers sont trop chers.
15:44 Les prix de l'énergie sont maintenant trop chers.
15:46 Et en termes de soins de santé,
15:48 il n'y a que les personnes qui ont les fonds nécessaires
15:50 pour acheter une assurance santé privée
15:52 qui peuvent y accéder.
15:53 Par exemple, au niveau européen,
15:55 nous avons mis en place un dialogue entre les citoyens,
15:57 car nous souhaitons qu'ils s'engagent davantage
15:59 pour l'Europe et le modèle social européen.
16:03 Puis-je faire une petite objection ?
16:04 Parce que c'est très important pour la discussion.
16:06 Ce que nous payons dans le domaine de l'éducation,
16:08 ce sont des salaires pour les professeurs,
16:10 pour les enseignants et les enseignantes.
16:12 Cela compte comme de la consommation,
16:14 ce n'est pas un investissement.
16:18 De même, dans le domaine de la santé,
16:19 on pourrait dire que tout ce que nous payons en salaire
16:21 ou personnel est une dépense de consommation de l'État
16:24 et non un investissement.
16:27 Il est donc important pour moi de préciser cette différence,
16:29 car on demande toujours plus d'investissement.
16:31 Et puis on énumère toute la gamme des activités de l'État
16:34 et ça ne marche pas comme ça.
16:36 Absolument. Mais construire une maison,
16:39 construire une maison en pleine crise du logement,
16:41 c'est fournir une maison à quelqu'un.
16:43 Cela signifie que l'État ne paie pas le marché locatif privé
16:46 pour loger cette personne.
16:47 Ou pour construire un centre de soins de santé.
16:50 Nous avons un défi à relever.
16:52 Nous n'avons pas assez d'installations de soins de santé,
16:54 d'installations physiques pour fournir des soins aux personnes.
16:57 Il en va de même pour les écoles.
16:59 Nous n'avons pas suffisamment de salles de classe.
17:01 Donc oui, nous devons investir dans ce type d'infrastructure.
17:05 Ce que j'entends dans ce que vous nous dites,
17:06 c'est qu'il y aurait donc une mauvaise dette et une bonne dette.
17:09 Une bonne dette qui permettrait des investissements de long terme
17:12 et une dette de moins bonne qualité
17:14 qui, elle, sert au fonctionnement de l'État
17:16 et qui est une dette structurelle qui empêche à terme
17:19 peut-être les dépenses sociales.
17:20 Mais on a entendu tout à l'heure un de nos intervenants
17:24 dans cet atelier que nous faisons en amont de chaque émission
17:26 nous parler des prêts garantis par l'État
17:29 qui ont été nombreux à être distribués pendant la période du Covid.
17:32 Et en Italie, justement, les entreprises doivent désormais le rembourser.
17:37 Mais plombées par l'inflation,
17:39 certaines n'en ont tout simplement pas les moyens
17:41 et craignent désormais la faillite.
17:44 Reportage d'Agraï Emiliar.
17:45 [Musique]
17:58 - Deux Baileys et deux Sambuca pour la huit.
18:01 Daniela Zanko est propriétaire de ce restaurant à Trévise.
18:05 En juin 2020, elle a souscrit un prêt
18:07 pour surmonter les difficultés liées à la pandémie de Covid-19.
18:11 D'un montant de 20 000 euros, il était garanti à 100% par l'État.
18:15 - On a utilisé cet argent pour rattraper nos retards de paiement,
18:20 les mois de loyaisin payés, les cotisations sociales.
18:23 Et puis j'ai aussi payé les courses, la marchandise pour le restaurant.
18:27 Et on a remplacé un parasol qui était cassé.
18:30 Et voilà, c'est tout.
18:35 Deux ans plus tard, l'heure est au remboursement.
18:38 La loi autorise les entreprises à solliciter leur banque
18:41 pour obtenir un délai supplémentaire de six mois.
18:43 Mais celle de Daniela n'a jamais répondu à sa demande
18:46 et a commencé à prélever de l'argent sur son compte sans la prévenir.
18:51 - Quand j'ai reçu la lettre de la banque, je ne me suis pas énervée.
18:55 Je me suis dit bon, ils se sont trompés.
18:57 Donc j'ai cherché à savoir ce qui s'était passé.
18:59 J'ai appelé la banque, ils m'ont dit qu'ils allaient vérifier
19:02 s'ils n'avaient pas fait d'erreur.
19:04 À ce moment-là, j'ai pensé que j'avais payé une échéance
19:07 et qu'ils arrêteraient de me prélever ensuite.
19:09 Et ça n'a pas été le cas.
19:11 Le mois suivant, j'ai reçu un appel me disant
19:13 que je devais approvisionner mon compte
19:15 car il n'y avait pas assez pour rembourser le prêt.
19:18 Là, ça a été la douche froide.
19:22 Je leur ai dit comment c'est possible ?
19:24 Vous m'aviez dit que vous alliez regarder si vous n'aviez pas fait d'erreur.
19:27 Le mois dernier, ça a été prélevé.
19:29 Mais je ne devais pas être prélevé.
19:31 Et ils ont dit non, mais maintenant on ne peut plus rien faire.
19:33 Voilà ce qui s'est passé.
19:36 En Vénécie, l'association d'entreprises Veneto Impresse Unité monte au créneau.
19:41 Sa vice-présidente craint la disparition d'une partie des commerces
19:45 et reproche à l'État d'avoir interrompu trop tôt les mesures de soutien.
19:49 Si l'entreprise ne parvient pas à rembourser ses dettes,
19:53 elle fait faillite.
19:56 Elle fait faillite vis-à-vis de la banque.
20:00 Il faut que ce soit clair parce que la banque peut se tourner vers l'État
20:04 alors que l'entreprise, elle, ne peut pas le faire.
20:07 Ces petites et moyennes entreprises, ce sont elles qui finalement font marcher le pays.
20:14 L'État aurait dû mieux les protéger.
20:17 Par exemple, les charges pour l'employeur ont été suspendues,
20:21 mais elles ont été rétablies.
20:23 Les impôts, on les paie tous, commerçants et citoyens.
20:26 L'État aurait dû les geler, mais il les a rétablies.
20:32 94% des entreprises de la région comptent moins de 9 employés.
20:37 Au printemps dernier, le Conseil régional a débloqué un fonds exceptionnel
20:42 de 135 millions d'euros pour leur permettre d'accroître leur liquidité.
20:47 Nous, nous sommes allés plus loin que l'État en ce qui concerne l'accès au crédit.
20:55 Nous avons fait en sorte que les banques puissent vraiment donner.
20:59 Par exemple, vous demandiez 50 000 euros de prêts, vous aviez un taux zéro,
21:04 vous ne payiez aucun frais bancaire, et en plus de ça,
21:08 une partie était non remboursable car prise en charge par la région.
21:13 On ne peut pas faire mieux.
21:16 Fort de son succès, ce fonds régional a été rapidement dépensé,
21:21 et toutes les entreprises demandeuses n'ont pu en bénéficier.
21:25 C'est le cas du restaurant de Daniela.
21:27 Fin août, la propriétaire a dû reporter le paiement de ses charges
21:31 afin de pouvoir rembourser sa troisième échéance de prêts.
21:35 On vient de l'entendre dans le reportage,
21:38 si une entreprise ne rembourse pas son prêt, elle fait faillite, elle ferme.
21:42 Est-ce que vous diriez qu'à l'instar de ce qu'on voit en Italie,
21:45 et c'est le cas aussi en France, Larssen,
21:47 ces prêts garantis par l'État qui ont été consentis pendant la crise du Covid,
21:51 c'est une bombe à retardement ?
21:54 Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est une bombe à retardement,
21:57 mais il est vrai que lorsqu'il faut rembourser,
21:59 et que l'activité n'a pas encore redémarré,
22:01 il est difficile d'honorer cette tranche de crédit.
22:04 Mais je suis un peu étonné que les emprunteurs soient surpris,
22:08 car cela figure en principe dans le contrat,
22:10 à partir de quand les intérêts et le remboursement doivent être payés pour un crédit,
22:14 donc à quel moment il va falloir commencer à payer.
22:16 Et en conséquence, il faut faire en sorte d'être en mesure d'honorer ce crédit.
22:22 Mais si l'entreprise est face à une consommation qui n'a pas vraiment repris,
22:26 c'est une charge supplémentaire qu'ils ne peuvent pas toujours encaisser ?
22:30 Oui, bien sûr.
22:32 Bien entendu, il s'agit de coûts supplémentaires pour l'entreprise.
22:35 Mais il doit être clair pour tous les entrepreneurs que cela ne peut pas durer.
22:39 Je ne peux pas continuer à compter sur le fait que si une telle situation se produit,
22:45 mes pertes seront prises en charge par la collectivité et par l'État.
22:50 C'est ce qu'on a fait en Irlande avec la dette des banques
22:53 quand il y a eu l'explosion de la bulle spéculative
22:56 et qu'il a fallu aller sauver le tissu bancaire.
22:59 L'État est venu à la rescousse de ces entreprises.
23:02 Le gouvernement irlandais en a tiré des leçons.
23:05 Pendant la crise du Covid, il a soutenu les entreprises et les citoyens,
23:08 mais pas par des prêts.
23:10 Parce que ce que le gouvernement a appris de la dernière crise,
23:12 c'est le temps considérable qu'il a fallu aux entreprises pour se rétablir.
23:16 Donc lorsque la crise du Covid a frappé,
23:18 le gouvernement irlandais a adopté une approche différente de celle du gouvernement italien.
23:22 Il a soutenu les revenus des citoyens
23:25 et il a soutenu les entreprises en termes de subventions salariales
23:28 pour que leurs employés restent salariés par l'entreprise
23:31 jusqu'à ce que l'économie reprenne.
23:33 C'est ça qui est intéressant, c'est que finalement, cette dette qui est privée,
23:36 elle finit par être rendue publique quand il faudra venir sauver ce tissu d'entreprise.
23:42 Cette dette, il va falloir la rembourser.
23:45 Et Corentin, comment ? C'est une question justement
23:48 qui s'est débattue longuement pendant notre atelier
23:51 et une solution a émergé.
23:53 Taxer les grandes entreprises.
23:55 Oui, alors vous allez me dire "Ah bah super, très original, c'est évident".
23:58 Et pourtant, c'est pas si évident, en tout cas si on en croit les chiffres
24:01 qui sont donnés par la Commission européenne.
24:03 Les géants du numérique, par exemple, en Europe,
24:05 paient deux fois moins de taxes que les entreprises traditionnelles.
24:08 Et pourquoi ?
24:09 Tout simplement parce que votre épicier, s'il veut payer moins de taxes,
24:12 il ne peut pas déplacer son siège social en Irlande,
24:15 alors que Google, Apple, Facebook, eux ils le peuvent.
24:18 Et d'ailleurs, ils le font, ils l'ont fait.
24:20 Michel Morphée, vous n'allez pas me contredire là-dessus.
24:22 Et justement, c'est un problème et ils ne sont pas les seuls.
24:24 Selon l'économiste Eric Toussaint, que nous avons reçu dans notre atelier,
24:27 il est temps pour ces géants de passer à la caisse.
24:29 Les États ont décidé de ne pas taxer
24:34 ceux qui profitaient, bénéficiaient de la pandémie.
24:39 Les grandes entreprises pharmaceutiques,
24:42 les grandes entreprises du CAC 40,
24:44 ils ont accumulé des bénéfices extrêmement importants
24:47 sans contribuer au budget.
24:50 Il faut augmenter les impôts payés par les grandes entreprises pharmaceutiques.
24:55 Moderna, qui fournit des vaccins à la Commission européenne
25:00 qui les a achetés, déclare ses revenus
25:05 payés par l'Union européenne dans le canton de Bâle, en Suisse,
25:09 pour payer grosso modo du 10%, du 12% d'impôts sur ses revenus.
25:16 Il y a non seulement les grandes entreprises pharmaceutiques,
25:18 mais il y a évidemment les entreprises des GAFAM,
25:22 donc Google, Amazon, etc.
25:24 Les industries d'armement vont faire d'énormes profits.
25:28 Elles sont très puissantes en France et en Allemagne
25:31 avec l'augmentation des dépenses militaires.
25:33 C'est là qu'il faut aller chercher des revenus supplémentaires.
25:37 Michel Murphy, taxer les bénéfices des grandes entreprises, des GAFAM,
25:42 les Google, les Facebook, les Apple,
25:44 qui sont pour beaucoup basées en Irlande avec un taux d'imposition
25:48 qui défie toute concurrence autour de 12,5%.
25:52 Est-ce que ça, c'est l'idée ?
25:54 Oui. Le taux d'imposition effectif en Irlande est considérablement plus bas
25:59 que cela pour un grand nombre de ces entreprises.
26:01 Mais ce que cela a généré, c'est un revenu exceptionnel
26:04 en bénéfice de certaines entreprises en Irlande
26:07 dont nous nous sommes servis pour financer des dépenses publiques récurrentes.
26:11 Et si ces bénéfices exceptionnels disparaissent, ce qui arrivera à terme,
26:15 alors nous aurons un gros trou dans nos revenus.
26:17 Mais Lars Feld, pardon, ça paraît presque du bon sens que de taxer ces entreprises
26:23 qui, effectivement, je parlais du taux nominal qui est de 12,5% en Irlande,
26:27 mais les GAFA, souvent, payent 0 ou 0,5% d'impôt.
26:32 À un moment, quand les Européens font face à de telles crises,
26:36 quand on voit le taux d'inflation,
26:38 est-ce qu'il ne va pas falloir aller chercher l'argent là où il est ?
26:41 Eh bien, c'est ce que les États essaient de faire depuis longtemps.
26:46 Les GAFA payent des impôts, mais aux États-Unis.
26:49 C'est là que se trouve la société mère et c'est là qu'elle paye.
26:54 Par ailleurs, pour les entreprises basées en Europe, ce qu'a dit Eric Toussaint n'est pas vrai.
27:00 Je peux confirmer très clairement que l'entreprise BioNTech,
27:03 qui a développé le principe actif pour Pfizer,
27:06 et mis au point le vaccin et qui en détient la licence,
27:09 a fait que grâce aux recettes fiscales tellement élevées qu'elle a généré,
27:12 la ville de Mayence, où elle est implantée,
27:15 a été libérée de toutes ses dettes du jour au lendemain.
27:18 Alors Corentin, il y a une autre solution
27:21 si on ne parvient pas à augmenter les recettes pour rembourser la dette.
27:24 Il ne reste plus qu'à baisser les dépenses publiques.
27:27 Ça s'appelle l'austérité et ça inquiète largement les Européens.
27:30 Oui. En tout cas, si on en croit une étude récente du journal européen de santé publique,
27:34 les coupes budgétaires n'entraînent pas seulement un assainissement des comptes publics,
27:38 mais aussi des conséquences sociales parfois délétères.
27:40 On en a parlé. En 2008, elles auraient notamment entraîné une hausse du nombre de chômeurs en Europe,
27:44 une hausse du nombre de sans-abri, une baisse de l'accès à la nourriture,
27:47 une baisse de l'accès à la santé.
27:48 Le taux de suicide qui était en baisse est reparti à la hausse en Europe.
27:51 Le taux de dépression en Grèce a été multiplié par trois.
27:54 On en a parlé avec Sofia Tzitzikou. Elle est grecque.
27:57 Elle se souvient encore de cette période et elle parle pour son pays d'un stress post-traumatique.
28:02 Durant ces années, il y a eu un démantèlement des services, des hôpitaux, des hôpitaux publics,
28:08 des services de santé, il n'y avait plus de personnel dans les hôpitaux.
28:11 Des cliniques étaient vendues dans le privé. Le chômage était à 30%, même plus que ça.
28:19 Alors, 3 millions de citoyens des Grecques, dans une population de 10 millions,
28:25 n'étaient plus couverts de sécurité sociale.
28:28 Ils devaient payer pour se faire hospitaliser ou pour recevoir leur traitement pharmaceutique.
28:36 Chose qu'ils ne pouvaient pas faire. Ils n'avaient plus d'argent.
28:38 Alors, ces gens-là, ce 30% de la population qui ne pouvait plus recevoir leur traitement médical,
28:49 étaient tout à fait abandonnés dans les rues.
28:52 Et même ils mourraient, ils se laissaient mourir,
28:55 des personnes qui avaient des maladies chroniques comme le cancer, des maladies cardiaques, le diabète.
29:04 Ils se laissaient vraiment aller.
29:07 Un pays qui s'est presque laissé mourir.
29:09 L'harcèle vous est tenant de ce qu'on appelle une forme de rigueur budgétaire.
29:12 C'est même inscrit dans la constitution allemande.
29:14 C'est la règle du zéro noir. Vous n'avez pas le droit de vous endetter particulièrement.
29:19 Quand on voit ce qui s'est passé en Grèce,
29:23 l'Allemagne a été pour beaucoup dans le choix qui a été fait par la Troïka,
29:27 c'est-à-dire la Banque centrale européenne, le FMI, le Fonds monétaire international,
29:30 et la Commission européenne, de mettre en place ces plans.
29:34 On se souvient aussi à l'époque des journaux allemands qui disaient aux Grecs
29:38 "Vous avez un problème de dette ? Vendez vos îles !"
29:41 Est-ce qu'on n'a pas été trop loin dans la rigueur qui a été mise en place en Grèce ?
29:46 Ce qu'il faut toujours garder en tête, je crois, dans cette discussion,
29:50 c'est que si on en arrive là, comme c'est le cas en Grèce,
29:53 c'est qu'on n'a pas su auparavant assainir le budget à temps.
29:56 C'est précisément ce qui ne doit pas se produire.
29:59 Ce que la Troïka a fait, c'est qu'elle est intervenue parce que le système financier
30:03 n'était plus prêt à prêter à la Grèce.
30:06 Cela signifie qu'en réalité, cette politique de la Troïka a permis d'éviter une austérité encore pire,
30:10 si on y réfléchit bien. C'est là le vrai sujet.
30:14 Quand on sortira de la crise, il faudra veiller à ce que les dépenses n'augmentent pas davantage,
30:18 c'est crucial. Donc, il ne s'agit pas de baisser les dépenses,
30:22 mais de ne pas les augmenter, ou du moins de ne pas les augmenter autant que les recettes.
30:26 Ensuite, on consolide, et c'est ainsi que l'on montre de la discipline budgétaire.
30:32 Michel Murphy, qu'est-ce que ça vous inspire ? En 2014, vous avez piloté un rapport
30:36 sur le coût humain de la crise qui a touché l'Europe, et particulièrement l'Irlande,
30:40 qui a aussi été placé sous cette tutelle de la Troïka,
30:44 BCE, FMI, Commission européenne. Qu'est-ce que ça vous inspire, ces débats autour de
30:49 "il faut bien un peu d'austérité pour remettre en état les finances publiques" ?
30:53 Je pense que nous avons les preuves que cela ne fonctionne pas.
30:57 Je veux dire, le FMI et la Commission européenne ont tous les deux déclaré
31:01 que l'approche d'austérité qu'ils ont adoptée pour faire face au crash financier
31:05 n'a pas fonctionné au niveau du coût humain et social que ces Etats membres
31:09 essaient toujours de surmonter. Et c'est quelque chose qui pèse toujours sur ces Etats membres
31:13 en termes de haut niveau de chômage. Le FMI, je vous coupe Michel,
31:17 le FMI avait dit à l'époque que peut-être que le remède était plus fort que le mal.
31:21 Absolument. Et si l'on regarde le contexte irlandais,
31:25 le peuple irlandais a énormément souffert d'avoir dû porter le poids de la dette des banques
31:30 et d'un processus d'austérité où il y a eu deux tiers de coupe dans les dépenses publiques,
31:34 dans les aides sociales pour les chômeurs, les retraités, les personnes handicapées,
31:40 contre un tiers d'augmentation de la fiscalité pour faire face aux défis à relever.
31:44 L'Irlande en subit encore les conséquences.
31:48 Dans notre grande consultation mec.org, Marina, 58 ans, fait une proposition choc.
31:54 Elle nous dit qu'il faut annuler la dette des Etats car ils ne pourront pas de toute façon rembourser.
32:00 Alors finalement, Michel Murphy, ce n'est pas très compliqué. Allez, un coup d'éponge et ça repart.
32:05 Ce n'est pas si facile que ça. Mais nous avons fait campagne et nous continuons à le faire
32:10 pour l'annulation de la dette des pays en développement.
32:13 Par exemple, 60% des pays en développement dépensent plus d'argent pour le remboursement de leur dette
32:19 que pour les soins de santé, et ce, en pleine pandémie mondiale.
32:23 Vous en avez un sur huit qui dépense plus d'argent pour refinancer la dette que pour les services sociaux.
32:29 Le Soudan du Sud, l'un des pays les plus pauvres du monde, dépense 11 fois plus pour refinancer sa dette
32:35 que pour les services sociaux. Cela n'a aucun sens que les Etats membres de l'Union européenne
32:40 et les pays européens fournissent une aide au développement à ces pays d'un côté,
32:45 et que de l'autre, la Banque mondiale finance ces pays pour qu'ils remboursent leur dette,
32:50 ce qui va ensuite aux banques du monde développé. Cela n'a absolument aucun sens.
32:55 La toute première chose à faire est d'annuler la dette des pays en voie de développement
32:59 et de les laisser développer leur économie et leur société sans avoir à dépendre des aides pour survivre.
33:05 Lars Feld, Michel Murphy, il faut l'entendre, à un moment on voit bien que c'est un système d'étranglement,
33:12 notamment des pays les plus pauvres.
33:15 Le problème que nous rencontrons dans la restructuration de la dette des pays en développement
33:20 et des pays émergents, c'est que l'on met typiquement en place des paquets de mesures
33:24 qui, en définitive, permettent aux banques de ne pas trop perdre.
33:27 Et cela signifie aussi qu'à long terme, il faudra quand même faire face à un endettement plus élevé.
33:32 Ensuite, si les mesures de consolidation ne sont pas prises, cela ne sert tout simplement à rien.
33:37 Un pays comme l'Argentine va de restructuration de dette en restructuration de dette
33:42 et ne parvient pas à se redresser économiquement.
33:44 C'est un problème que nous avons, c'est tout. Donc l'annulation des dettes n'aide pas vraiment.
33:49 Dans les deux cas différents dont on parle, j'ai aussi tendance à être d'accord avec Michel.
33:59 Il faut trouver des moyens de réduire la dette, la perte et surtout le poids de la dette dans les pays les plus pauvres.
34:05 Et on l'a déjà fait à plusieurs reprises.
34:07 Dans le cas particulier de l'Union européenne et de l'Europe,
34:11 la proposition alléchante d'annulation de la dette détenue par la Banque centrale européenne est séduisante.
34:17 Parce qu'elle donne l'impression de régler le problème des débiteurs sans nuire à personne.
34:22 Parce que normalement, quand on parle de remise de dette,
34:25 celui qui annule la dette doit avoir la capacité d'annuler.
34:29 Et Lars faisait référence au problème de la dette grecque.
34:32 L'un des problèmes avec le non-paiement de la dette, c'est qu'après,
34:36 les créanciers s'en souviennent et qu'ils ne prêtent plus.
34:40 Ce que j'entends dans ce que vous nous dites, c'est que finalement on est dans un dogme
34:43 et il va bien falloir aussi faire en sorte de restructurer tout ça, de revoir un peu notre fonctionnement.
34:49 Merci beaucoup à tous les trois.
34:51 Merci de nous avoir éclairés sur cette problématique extrêmement délicate et complexe de la dette.
34:56 Merci Corentin.
34:57 Mais tout de suite, c'est notre grand entretien.
34:59 Je reçois Philippe Achati de Savrou, professeur de sciences politiques à l'Université d'Athènes.
35:04 La Grèce est devenue un pays symbole de la crise de la dette.
35:11 Noyée sous les créances en proie à un cataclysme économique et social,
35:15 placée sous tutelle par la Commission, le Fonds monétaire international
35:19 et la Banque centrale européenne pendant des années,
35:21 elle en est sortie seulement l'été dernier.
35:24 Pourtant, ce pays berceau de la démocratie vit encore dans l'angoisse de la dette.
35:28 Un sujet bien trop important pour le laisser aux seuls économistes,
35:32 pour Philippe Achati-Savrou, professeur de sciences politiques de l'Université d'Athènes.
35:37 Bonsoir Philippe Achati-Savrou.
35:39 Bonsoir Nora Amany.
35:40 La Grèce est depuis près de 15 ans désignée comme le mauvais élève de la dette
35:44 et enjointe par les institutions à limiter ses dépenses au nom d'un assainissement de son économie.
35:50 A l'époque au plus fort de la crise, je me souviens que ce pays faisait partie
35:54 de ce qu'on appelait les PIGS, les cochons,
35:56 donc qui étaient les acronymes de Portugal, Italie, Grèce et Espagne.
36:01 Est-ce que vous diriez qu'aujourd'hui c'est encore une faute d'être endetté ?
36:05 Écoutez, le problème ne s'arrête pas à la Grèce en réalité.
36:12 La Grèce était le symbole d'un pays européen sur-endetté.
36:15 Mais il faut aborder cette question dans sa globalité, dans sa dimension européenne.
36:20 Et malheureusement, malgré toutes les difficultés rencontrées par la Grèce
36:26 ainsi que par d'autres pays, principalement les pays d'Europe du Sud,
36:29 ce que l'on constate aujourd'hui, c'est que rien n'a changé.
36:33 Nous continuons de discuter de la question dans les mêmes termes
36:37 que ceux employés après le krach de 2007-2008.
36:41 Je dirais donc que la Grèce reste le symbole d'une période difficile,
36:45 mais cela ne nous a pas poussé à nous remettre en question
36:48 et à essayer d'en discuter dans une dimension qui n'est pas seulement économique,
36:52 mais qui doit aussi être sociologique, juridique et politique.
36:56 Sinon, la question de la dette nous enfermera toujours, comme un piège.
37:01 Mais alors justement, on parle de Schulden en allemand, qui signifie coupable.
37:07 En Grèce, c'est kreos qui peut se traduire par obligation.
37:11 On a quelque chose de l'ordre du poids moral.
37:14 Cela pèse aussi dans notre gestion politique de la dette ?
37:17 Oui, je dirais oui.
37:20 On utilise souvent le terme "obligation morale".
37:23 Ce n'est pas vraiment une obligation morale,
37:26 parce que si on essaie de voir comment fonctionne l'influence protestante
37:29 dans l'ortolibéralisme, on a affaire en réalité à une culture moraliste.
37:35 Pour le comprendre, il faut suivre le concept religieux du protestantisme,
37:39 à savoir que lorsque quelqu'un travaille, il est récompensé.
37:42 Celui qui est pauvre, c'est de sa faute.
37:45 En d'autres termes, nous sommes dans une logique qui puise son fondement
37:49 dans le concept libéral, dans la philosophie où la responsabilité individuelle
37:53 est celle qui explique n'importe quel problème.
37:56 On a d'un côté les saints, par exemple les pays du Nord,
38:00 et de l'autre ceux qui vivent dans le péché, à savoir les pays du Sud.
38:05 Et donc, on met en place un discours, je dirais d'un racisme assourdissant,
38:09 qui ne nous aide pas du tout à résoudre nos problèmes communs.
38:12 Diriez-vous tout de même que l'exemple qu'a été la Grèce pour les Européens,
38:19 le cataclysme économique et social que vous avez traversé,
38:22 est aujourd'hui presque, je dirais, un exemple à ne plus suivre ?
38:27 Cela fonctionne de manière très paradoxale.
38:32 La Grèce, c'est le mouton noir. Personne ne veut devenir comme la Grèce.
38:36 Et donc, c'est le meilleur moyen de faire pression sur les autres pays
38:39 et le reste des États pour qu'ils se soumettent à cette doctrine.
38:43 Parce qu'il s'agit d'une doctrine qui a des références religieuses.
38:48 Donc, nous ne sommes pas dans le cadre d'une société européenne
38:52 qui peut penser avec discernement, pour ainsi dire.
38:55 Nous fonctionnons en termes de dogme.
38:58 C'est très paradoxal par rapport aux valeurs fondatrices de l'Europe.
39:02 Celles avec lesquelles nous voulons agir aussi face aux autres forces
39:05 que nous rencontrons dans ce monde en perpétuelle évolution.
39:08 Ce qui se passe en Grèce, et ce n'est pas un problème spécifique à la Grèce,
39:13 c'est que de plus en plus de biens publics sont gérés et managés par le secteur privé.
39:18 Lorsqu'un pays est endetté, c'est très facile à faire.
39:22 C'est donc un hold-up des grands acteurs économiques,
39:25 des grands fonds d'investissement, qui, justement parce qu'un pays est dépendant,
39:30 peuvent plus facilement s'installer, contrôler et acquérir un rôle
39:34 sur de grandes parties du territoire.
39:36 Et ils peuvent accéder à moindre coût à ces ressources.
39:39 Moi, ce que j'entends aussi dans ce que vous nous dites,
39:47 c'est qu'à la faveur de cette crise, on a vu la Grèce dépecée quasiment.
39:51 On sait qu'une partie du port du Péret a été rachetée par la Chine.
39:56 Ce que vous êtes en train de nous dire, c'est que finalement,
39:59 la dette est un instrument politique au service d'une doctrine,
40:02 d'une idéologie libérale de telle sorte à quoi ?
40:06 À dépecer un pays ? À l'affaiblir ?
40:09 Celui qui prête ne le fait pas parce qu'il apprécie l'autre
40:12 ou parce qu'il est solidaire, comme certains nous le disent.
40:15 Il prête selon une logique très précise que l'on appelle,
40:18 dans la terminologie anglo-saxonne, "enlightened self-interest",
40:22 ce qui veut dire "dans son propre intérêt".
40:25 À savoir, je te prête parce que cela m'intéresse
40:28 et pas seulement parce que je suis gentil avec toi.
40:31 Le capitalisme n'a jamais été bon, il n'y a rien de bon dedans.
40:35 Penser que le capitalisme peut être moral est une notion très naïve.
40:39 Il est évident que les marchés monétaires ne s'attendent jamais
40:42 à récupérer l'argent qu'ils prêtent. Et ils s'en fichent.
40:45 Ce qui les intéresse, c'est d'avoir accès aux ressources d'un pays.
40:49 Parce que quand le port du Piret passe aux mains des Chinois
40:52 ou quand les chantiers navals en Grèce, en ce moment même,
40:55 s'apprêtent à passer aux mains des Américains,
40:57 ou quand demain la Compagnie des eaux pourra passer à la Lyonnaise des eaux,
41:00 la société française, qu'est-ce que cela veut dire ?
41:03 Cela signifie qu'ils peuvent avoir facilement accès à une main-d'oeuvre pas chère
41:06 et ils peuvent pousser à la réduction de la présence syndicale
41:09 afin de ne pas avoir de revendications.
41:12 En plus, ils ont un régime fiscalement favorable,
41:15 et donc un environnement très positif. Pourquoi ne pas en profiter ?
41:18 L'anthropologue David Graber a fait une somme absolument monumentale
41:22 autour de l'histoire de la dette, dans laquelle il disait
41:25 que la dette était un ferment de révolution.
41:28 On se souvient qu'en Grèce, Syriza, au pouvoir à l'époque,
41:31 n'a pas pu enclencher cette révolution, n'a pas pu faire en sorte
41:35 de lutter contre ce qu'on a appelé la troïka.
41:38 La question démocratique, elle est centrale,
41:41 pour autant, même quand on avait le peuple avec soi,
41:44 on n'a pas réussi. Est-ce qu'on ne peut pas lutter finalement
41:47 contre ces instances ?
41:50 Ce qui s'est passé avec Syriza en Grèce a été très décevant.
41:53 Cela a conduit beaucoup de gens à se détacher de la politique
41:56 et à ne pas vouloir participer aux affaires publiques.
41:59 David Graber a écrit un livre incroyable,
42:02 que je pense que tout le monde devrait lire,
42:05 car il nous dresse vraiment cette vision économiste
42:08 du débat sur la dette.
42:11 En tant qu'anthropologue anarchiste, il a voulu présenter
42:14 toutes les dimensions culturelles, sociologiques,
42:17 anthropologiques de la question.
42:20 Il dit aussi, et bien sûr c'est très intéressant,
42:23 qu'en dehors de l'esclavage, la relation prêteur-débiteur
42:26 présuppose que les deux parties soient égales,
42:29 qu'il y ait un rapport d'égalité.
42:32 Mais ce n'est pas vrai dans de nombreux cas,
42:35 en particulier dans le cas de la Grèce,
42:38 et aussi dans d'autres pays de la région du Sud,
42:41 je veux parler du Portugal et même de l'Italie
42:44 dans sa situation actuelle.
42:47 C'est précisément cette inégalité de pouvoir
42:50 entre le créancier et le débiteur
42:53 qui conduit à l'impossibilité de la démocratie.
42:56 La démocratie ne peut pas fonctionner
42:59 sans une asymétrie de pouvoirs.
43:02 Faire la révolution suppose une autonomie,
43:05 une autogestion, la capacité de pouvoir
43:08 prendre de vraies décisions.
43:11 Or, dans une relation centre-périphérie
43:14 et une asymétrie de pouvoirs,
43:17 c'est tout simplement impossible.
43:20 Justement, le débat sur la dette aujourd'hui,
43:23 il serait fondamentalement antidémocratique.
43:26 On en fait un débat de spécialistes,
43:29 d'économistes, de politiques.
43:32 Comment est-ce qu'on remet les citoyens
43:35 au centre de ce débat ?
43:38 On ne pourra pas le faire si nous continuons
43:41 à demander uniquement aux économistes
43:44 ce qu'il faut faire de la dette.
43:47 Il nous faut des sociologues, des juristes,
43:50 des juristes critiques, pas des institutionnels
43:53 qui vont se mettre sur une table
43:56 et redéfinir les termes dans lesquels
43:59 nous discutons du problème.
44:02 Sinon, on ne peut pas avancer.
44:05 - Merci. On voit à quel point cette question
44:08 de la dette dépasse la question économique.
44:11 Merci beaucoup, Philippa.
44:14 - Merci.
44:17 - C'est fini, mais comme vous le savez,
44:20 il y a un lien entre sport et politique.
44:23 Vous avez envie de débattre ?
44:26 N'hésitez pas à réagir et à commenter
44:29 sur les réseaux sociaux.
44:32 Très belle semaine à tous.
44:35 Tchuss !
44:38 ...
44:41 [Musique]

Recommandations