Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), est l'invité du Grand entretien de France Inter. Il revient sur la Convention citoyenne sur la fin de vie qui a rendu son avis dimanche et sur le discours d'Emmanuel Macron de lundi. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mardi-04-avril-2023-1194522
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin le président du Comité Consultatif National
00:05 d'Éthique qui célèbre ses 40 ans.
00:08 Le comité « Questions et réactions au 01 45 24 7000 » est sur l'application de France Inter.
00:15 Jean-François Delfraissy, bonjour.
00:17 Bonjour.
00:18 Et merci d'être à ce micro ce matin.
00:20 Vous co-signez à l'occasion de cet anniversaire 40 ans d'éthique en France le Comité Consultatif
00:27 National d'Éthique 1983-2023, c'est aux éditions d'Ile Jacob, on va en parler
00:33 dans quelques instants.
00:34 Mais commençons par évoquer la question de la fin de vie.
00:37 La Convention Citoyenne a rendu sa copie dimanche après trois mois de débats intenses
00:43 et de hautes tenues.
00:44 Elle se prononce clairement, en grande majorité, pour faire évoluer la loi vers une aide active
00:49 à mourir sous condition qu'il s'agisse de suicide assisté ou d'euthanasie.
00:54 Hier, Emmanuel Macron a annoncé qu'un projet de loi serait présenté d'ici la fin de
01:00 l'été.
01:01 Est-on, Jean-François Delfraissy, sur ce sujet, en train de vivre un véritable changement
01:06 de paradigme en France ?
01:08 Alors, le CCNE, dans son avis de septembre, avait souhaité qu'on prenne le temps de
01:14 prendre le temps, de réfléchir sur cette question qui touche à l'intime et qui évidemment
01:20 nous touche tous.
01:21 Et il avait suggéré qu'on puisse mettre en place une grande Convention Citoyenne.
01:26 Moi, j'ai deux remarques à ce stade.
01:29 Premièrement, en termes de démocratie, il me semble que le modèle de la construction
01:34 à la fois d'un avis d'un comité d'éthique au plan national reconnu, deuxièmement, ensuite
01:39 de la mise en place d'une Convention Citoyenne de façon intelligente par le CESE, troisièmement,
01:44 du fait que les citoyens, ces 184 citoyens qui ont démarré début décembre et qui
01:50 ont fini à 184 fin mars.
01:53 Donc, c'est assez extraordinaire.
01:54 Et on réussit à faire un exercice d'intelligence collective, à s'emparer finalement de questions
02:00 ô combien difficiles.
02:01 Vous avez assisté, je précise que vous avez assisté vous personnellement, aux neuf week-ends
02:06 de réunion.
02:07 Oui, je suis allé aux neuf week-ends.
02:08 J'y étais, je les ai vus travailler.
02:10 Et alors, je le dis d'autant plus que je suis connu pour pousser à cette forme de
02:16 démocratie participative, mais je l'aurais probablement construit différemment, c'est-à-dire
02:20 j'aurais été plus comme un médecin en disant il y a cinq grandes questions, il faut que
02:24 vous y alliez.
02:25 Pas du tout.
02:26 Le modèle de construction a fait qu'ils se sont parés, qu'ils ont eux-mêmes posé
02:30 les questions sans tenir compte finalement trop de ce qu'il y avait autour.
02:33 Je suis moi assez admiratif de la façon dont tout cela a été construit et abouti maintenant
02:40 à une série de recommandations qu'on partage ou on ne partage pas.
02:44 C'est autre chose.
02:45 Mais ça montre qu'il y a une possibilité d'intelligence collective et qui permet,
02:49 me semble-t-il, sur des sujets difficiles, ça dépasse le problème de la fin de vie.
02:54 C'est dans notre démocratie complexe en France qui est un peu bousculée, en particulier
02:58 en ce moment, ces modèles, je dirais, d'aller avant la loi et de discuter avant la loi sur
03:04 le fond avec les citoyens m'apparaît un élément fondamental.
03:07 Mais le document qu'ils ont remis, je vous repose la question, est-ce qu'il formule
03:10 tout de même un changement de paradigme par rapport aux longues années de débats qu'on
03:16 a pu avoir à ce micro ou à d'autres sur ce sujet ?
03:20 Il finit d'ouvrir la porte qui avait été ouverte par le CCNE sur à la fois le suicide
03:27 assisté et le tenazi.
03:30 On y est.
03:31 On y est.
03:32 C'est une vraie question qui est maintenant posée.
03:33 Je pense que le président de la République a eu la sagesse de dire "je comprends qu'il
03:38 faut évoluer sur une loi, mais de ne pas s'engager à ce stade sur où on devait aller".
03:43 Mais par rapport à l'avis du comité d'éthique qui ouvrait pour la première fois la possibilité
03:48 de faire évoluer la loi Claes Leonetti, mais dans des conditions extraordinairement strictes,
03:53 on vous avait reçu à ce micro dans une matinale très importante en septembre dernier, où
03:56 vous fixiez très clairement le cadre et notamment vous disiez "l'aide à mourir concerne les
04:00 personnes dont le pronostic vital est engagé à moyen terme", citant notamment certains
04:05 Parkinson ou la maladie de Charcot.
04:06 Est-ce qu'on peut dire que le texte qui a été le rapport qui a été rendu à Emmanuel
04:11 Macron dimanche va beaucoup plus loin que votre avis ?
04:14 Le texte va plus loin que l'avis du CCNO, c'est clair, puisqu'il envisage avec un certain
04:20 nombre de contraintes également d'aller vers le tenazi.
04:26 Donc ce texte va plus loin.
04:28 C'est un texte important, porté par les citoyens.
04:31 Il interroge, et je pense qu'on va avoir l'occasion d'en rediscuter, sur comment une réflexion
04:37 citoyenne aussi pose-t-elle le problème de la place de la médecine, puisqu'on sait
04:43 qu'une partie du corps médical a un certain nombre de grands questionnements vis-à-vis
04:47 de cette évolution.
04:48 Le moins qu'on puisse dire.
04:49 L'Ordre National des Médecins a redit ses exigences au cas où la loi évoluerait.
04:52 Vœux une clause de conscience, un médecin ne peut provoquer délibérément la mort,
04:57 dit l'Ordre National des Médecins.
04:59 Et puis vous le savez, il y a la Société Française d'accompagnement de soins palliatifs
05:02 qui s'est opposée à une évolution de la loi, qui estime que légaliser la mort médicalement
05:06 assistée reviendrait à subvertir la notion de soins.
05:09 Qu'est-ce que vous répondez à ces critiques ?
05:11 Je réponds d'abord que la première motion, si je peux dire, de cette convention citoyenne,
05:19 c'est de pousser et d'interpeller nos autorités sur la place des soins palliatifs.
05:25 Et le fait que la loi Clast-Léonetti n'est ni suffisamment connue, ni suffisamment appliquée,
05:30 y compris dans ses modalités pratiques.
05:32 Deuxièmement, et je pense que ça a été retenu par les autorités, c'est d'aller
05:36 plus loin dans la culture palliative en France, aller plus loin dans les moyens, aller plus
05:41 loin dans la structure, aller plus loin dans la formation d'universitaires sur les soins
05:45 palliatifs.
05:46 C'est donc ça, le socle de départ, un socle consensuel, puisque là, ils étaient à 95%
05:52 vis-à-vis de cette vision.
05:54 Et donc ça, c'est un point, à mes yeux, fondamental, qui ne répond pas à tout, mais
06:00 qui permettra d'avancer, entre guillemets, sur la prise en charge de la fin de vie.
06:04 Ensuite, sur les médecins.
06:06 D'abord, rappelons que je suis médecin moi-même et que j'ai vécu une période très difficile,
06:11 en particulier dans la période de l'IA-CHIDA.
06:14 D'abord, je pense qu'il y a des disparités.
06:16 Les soignants de soins palliatifs sont majoritairement contre une évolution de la loi.
06:21 Je pense qu'ils peuvent évoluer en fonction de ce qui va se passer du processus.
06:27 Il faut continuer à dialoguer, il faut continuer à discuter avec eux.
06:31 On n'ira pas vers une loi qui ira contre les médecins.
06:35 C'est fondamental.
06:36 Il faut donc que le dialogue se poursuive.
06:39 Si on regarde d'autres spécialités médicales, les réanimateurs, les urgentistes, les oncologues
06:46 qui s'occupent de cancer, c'est beaucoup plus subtil.
06:50 Le problème est là.
06:52 C'est plutôt du 50/50.
06:55 Donc, il faut qu'on évolue.
06:57 Et puis, je pense que dans les semaines, les mois qui viennent, va se poser la question
07:01 sur la construction même de la loi, de savoir si nous restons en France dans un modèle
07:07 strictement médicalisé, c'est notre ADN français un peu, ou bien si nous évoluons
07:13 vers un modèle où on laisse plus de place aux milieux associatifs, comme dans certains
07:17 pays.
07:18 Ici, le rapport révèle les résultats d'un vote des conventionnels sur 19 modèles d'accès
07:24 à l'aide active à mourir.
07:26 Il privilégie le suicide assisté comme une possibilité générale et l'euthanasie comme
07:33 une modalité dans des cas exceptionnels.
07:36 Elle serait notamment concevable pour un malade qui ne peut accomplir seul le geste.
07:40 S'il y avait demain un projet de loi qui propose le suicide assisté seulement sans
07:46 l'euthanasie, les conventionnels considèreraient qu'ils seraient en deçà de ce qu'ils ont
07:51 proposé.
07:52 Voilà ce qui a été dit lors du rendu des travaux.
07:57 Que pensez-vous de cette position-là ?
07:59 Écoutez, moi je pense que c'est un travail, comme je l'ai dit, très remarquable qui a
08:05 été réalisé.
08:06 Il a été dit d'emblée à l'ensemble de ces conventionnels que les autorités prendraient
08:11 certaines choses et qu'elles n'en prendraient pas d'autres.
08:13 Je l'ai entendu dès la première réunion où on n'allait pas retomber dans le piège
08:19 de ce qui s'était passé sur la Convention sur le climat.
08:21 C'est un travail de fond assez remarquable qui a été réalisé, mais probablement tout
08:27 ne sera pas pris.
08:28 Donc c'est maintenant dans la construction même du faisable, du réalisable de ce printemps
08:36 2023.
08:37 On est là, on sent bien qu'il y a une avancée, on sent bien qu'il y a un point de butée
08:41 avec la discussion avec le corps médical et avec un certain nombre de soignants.
08:46 Continuons le dialogue, une fois de plus, avant d'arriver à la loi et à ses modalités.
08:53 Et probablement si on va vers une loi, il faut qu'elle soit très courte, c'est les
08:56 décrets d'application évidemment qui seront importants.
08:58 Eh bien, continuons ce dialogue avec l'ensemble des parties prenantes.
09:03 Emmanuel Macron parle de définir un modèle français de la fin de vie.
09:06 Vous aussi, vous avez employé ce mot.
09:07 Ce serait quoi le modèle français de la fin de vie ? Est-ce qu'on va avoir une évolution
09:11 à l'espagnol, où ils ont clairement légalisé l'euthanasie, ou vers une situation à la
09:17 Suisse où le suicide assisté est permis ? Où on va ? C'est quoi le modèle français ?
09:24 Écoutez, il est à construire dans les mois qui viennent.
09:26 À finir de construire dans les mois qui viennent.
09:28 On l'attend avant l'été, c'est dans trois mois.
09:31 Oui, c'est les trois mois qui viennent.
09:32 L'été, c'est le 21 juin.
09:34 On a trois mois devant nous pratiquement pour finir de le construire.
09:38 Moi, je vois, n'oublions pas que la France n'est pas un mauvais élève dans les soins
09:42 palliatifs, contrairement à ce que j'entends dire.
09:44 J'entends dire aussi qu'il y a 21 départements qui n'ont pas de soins palliatifs.
09:48 C'est faux, c'est faux.
09:49 Tous les départements français ont des lits de soins palliatifs.
09:52 21 départements n'ont pas d'unité de soins palliatifs.
09:55 C'est autre chose.
09:56 Mais vous savez comme c'est difficile de trouver une place en soins palliatifs.
09:59 Je sais que c'est particulièrement difficile.
10:00 Tout le monde qui nous entend sait ça.
10:02 Je sais que c'est difficile, en particulier dans les EHPAD et en particulier pour le
10:06 décès à domicile.
10:07 Voilà le modèle français.
10:09 Les EHPAD, comment améliorer la fin de vie dans les EHPAD ?
10:12 Comment améliorer la fin de vie et permettre qu'elle se fasse à domicile ?
10:15 Et puis ensuite, la discussion dans un modèle culturel qui est le nôtre.
10:20 Est-ce qu'on doit être un peu disruptif ?
10:23 Est-ce qu'on laisse tout avec l'ensemble du corps médical, comme on l'a fait jusqu'à
10:28 maintenant ?
10:29 70 à 80% des décès survient dans une structure médicalisée ou bien au contraire, est-ce
10:35 qu'on laisse une part à inventer avec le milieu associatif en France ?
10:41 Et je pense que c'est vraiment là la vraie question.
10:42 C'est ce qui se passe en Suisse, non ?
10:43 C'est ce qui se passe en Suisse, il y a différents modèles.
10:46 Mais peut-être que notre modèle associatif, il est à construire avec une vision la française.
10:52 Sur les soins palliatifs, les conventionnels plaident pour un droit opposable garanti à
10:57 chacun d'accéder aux soins palliatifs.
11:00 Est-ce une bonne idée ?
11:02 Et est-ce déjà un levier pour accélérer le déploiement des soins palliatifs en France ?
11:09 Oui, il y a en effet des disparités.
11:13 Je répète que les deux points les plus difficiles sont les EHPAD.
11:20 Je rappelle que quand on est en EHPAD, on est en domicile privé.
11:23 Et donc on n'est pas tout à fait dans une structure médicalisée.
11:27 Les EHPAD ne sont pas équipés souvent pour accompagner les soins palliatifs.
11:32 D'où ces transferts de vieilles dames qui arrivent aux urgences et qui sont prises dans
11:36 des conditions qu'on doit "récuser", avoir des fins de vie sur un grand quart des urgences.
11:41 Et puis d'autre part, à domicile aussi, où les médecins généralistes, partagés
11:46 eux-mêmes sur la fin de vie, n'ont pas totalement les moyens, actuellement avec la loi Clasen
11:51 et Nettie, d'accompagner les personnes en fin de vie.
11:54 Une autre question très difficile qui a été sortie du rapport par les conventionnels,
11:58 c'est la question des mineurs.
11:59 Qui doit décider ?
12:01 C'est une question tellement épineuse.
12:03 Écoutez, je comprends cette convention citoyenne qui a mis un peu à pas.
12:09 Nous l'avions fait nous-mêmes au sein du CCNE, faute de temps, mais aussi avec cette
12:15 angoisse de l'abîme de prendre des décisions vis-à-vis des mineurs.
12:18 C'est un sujet qui est terrible, encore plus intime et encore plus difficile au plan humain
12:29 que le plan général.
12:30 Et on doit aussi, par ailleurs, ne pas oublier que c'est probablement dans les cancers pédiatriques
12:39 qu'on aura le plus d'avancées scientifiques dans les années qui vont venir.
12:42 Donc il y a ce partage entre des situations complexes.
12:46 Il faut qu'il y ait un certain nombre d'unités de soins pédiatriques et qu'elles soient
12:50 aussi améliorées en pédiatrie.
12:53 Je dirais comme service de référence, de là à aller à la loi, je comprends, la main
12:58 tremble toujours, mais particulièrement sur ce sujet.
13:01 On va au Standard Inter où nous attend Armel.
13:04 Bonjour et bienvenue Armel.
13:06 Bonjour France Inter, merci de prendre mon témoignage.
13:09 Je voulais témoigner, ma femme est décédée d'un cancer il y a 9 mois.
13:14 Elle avait fait auparavant des directives anticipées très précises, spécifiant qu'elle
13:20 ne voulait pas continuer les soins anti-cancer.
13:23 Quand elle a été hospitalisée aux urgences dans un hôpital public de ma région, tout
13:29 d'abord on n'a absolument pas voulu prendre en compte ces directives anticipées.
13:33 Quand elle s'est retrouvée dans le service, l'équipe médicale qui l'a prise en charge
13:38 a redémarré un traitement qu'elle ne souhaitait pas avoir.
13:42 Il a fallu que la famille nous battions contre cette équipe médicale pendant deux semaines
13:47 pour faire en sorte que les directives anticipées de mon épouse puissent être respectées.
13:51 Elle a été transférée dans un autre hôpital où cette équipe médicale a tout à fait
13:56 respecté ces directives anticipées et elle a pu séjour dignement par une sédation longue.
14:02 Mon témoignage voudrait mettre en avant le fait que les équipes médicales ne respectent
14:06 en tout cas dans ce cas-là pas du tout les directives anticipées et que c'est au cœur
14:12 finalement de ce problème de la fin de vie, les directives anticipées des patients et
14:15 le respect des patients et des familles.
14:18 Je pense que la loi sur la fin de vie qui doit être votée doit prendre en compte spécifiquement
14:24 tout cet aspect-là.
14:25 Merci infiniment, Armel, pour votre témoignage.
14:29 Jean-François Delphressi, quels commentaires vous évoque-t-il ?
14:32 Merci, monsieur, de ce témoignage très émouvant.
14:35 Malheureusement, vous avez raison.
14:37 C'est-à-dire qu'il existe une hétérogénité de prise en charge ou même d'utilisation
14:42 de la loi Claes-Leonetti selon les unités de soins pédiatriques.
14:48 Ils le reconnaissent eux-mêmes.
14:49 Il y a des pratiques qui sont différentes dans le nord de la France ou dans le sud,
14:55 par exemple.
14:56 C'est clair.
14:57 Je n'aurai qu'un mot, c'est de dire qu'à l'occasion de cette loi, si loi, et comment
15:05 elle sera construite où nous allons, c'est rappeler que la médecine n'est pas faite
15:11 pour elle-même.
15:12 La médecine ne sait pas ce qu'il faut faire ou pas faire.
15:15 La médecine, elle est là pour aider, elle est là pour accompagner le patient.
15:20 La maladie, elle appartient au patient.
15:22 C'est fondamental d'avoir compris ça.
15:25 Fondamental.
15:26 Et donc, sur ce sujet de la fin de vie, ça repose évidemment la question de à qui la
15:32 mort appartient.
15:33 Est-ce qu'elle appartient au médecin ou est-ce qu'elle appartient à l'individu ?
15:36 Et vous avez compris quelle est ma position.
15:38 À l'individu.
15:40 Ferdinand, sur l'application, nous les médecins sommes là pour sauver des vies, pas pour
15:44 achever des malades.
15:45 Nous ne sommes pas des bourreaux.
15:47 Oui, c'est bien sûr la position très dure d'ailleurs, qu'a prise, on a vu des affiches
15:54 dans les métros sur ce même thème.
15:58 Alors je dirais que les médecins, les soignants de soins palliatifs font un travail admirable,
16:04 remarquable.
16:05 Souvent un peu isolé, souvent je dirais un peu à côté de la grande communauté médicale
16:11 dans un CHU par exemple, où ils ne sont pas considérés, ou en tout cas ils n'étaient
16:16 pas considérés jusqu'à maintenant, comme tout à fait au même niveau que les spécialités
16:19 plus prestigieuses.
16:21 Alors même qu'ils font un travail du quotidien, à la fois les médecins mais les non-médecins,
16:27 les aides-soignantes dans les unités de soins palliatifs sont des femmes souvent admirables.
16:32 Et à l'inverse, il faut aussi qu'ils puissent s'ouvrir, s'ouvrir sur une vision de la prise
16:38 en charge plus globale du patient et aussi, je dirais, dans certaines circonstances, admettre,
16:45 admettre qu'un patient peut avoir une vision qui est un peu différente de la vision médicale.
16:50 Est-ce qu'il y a des choses dans le texte, dans le rapport de la Convention citoyenne
16:54 et dans ce que vous avez entendu des débats, où vous dites là ça va trop loin, avec
16:59 votre regard, avec votre expertise de président des comités consultatifs qui pense à ces
17:05 questions et qui réfléchit à ces questions depuis des années et des années, Jean-François Delfercier ?
17:09 Alors, rappelons aussi, parce qu'on ne le dit pas suffisamment, que 25% de la Convention
17:13 citoyenne n'est pas pour cette évolution.
17:16 C'est-à-dire qu'il y a une minorité, mais importante, non nulle, qui correspond d'ailleurs
17:22 à ce que nous avions eu au sein du CCNE ou au sondage qui précédait, qui est contre
17:30 une évolution.
17:31 Donc il y a à la fois un bloc qui a envie, qui pousse à l'évolution, mais une minorité
17:35 non négligeable qui pose un certain nombre de points d'interrogation.
17:38 Les points d'interrogation étant, est-ce que c'est le moment de faire ça alors que
17:43 notre système de soins est dans un état de complexité ? Est-ce que justement le travail
17:51 des médecins n'est pas de sauver des vies et non pas de participer à la fin de vie ?
17:56 Donc, tout ceci est dans les nombreuses propositions.
18:00 Je pense que dans ces nombreuses propositions, d'abord je pense qu'il y en a un peu trop,
18:03 mais c'est un signe de jeunesse, c'est un signe de vitalité de cette Convention citoyenne.
18:10 Il faudra les ramasser probablement en les rendant encore un peu plus lisibles.
18:14 Et puis ce sont leurs propositions.
18:17 Moi, je n'ai pas à juger.
18:18 Le CCNE n'est pas là pour dire ce qu'il faut faire ou pas faire.
18:23 Le CCNE est là pour poser des questions, les mettre sur la table, indiquer à certains
18:28 moments quelle est son opinion et servir de boussole pour nos concitoyens et pour les
18:33 autorités sanitaires.
18:34 La Convention a accompagné son rapport d'un manifeste dans lequel elle interpelle le gouvernement
18:40 sur le système de santé dans une situation alarmante, faute de moyens humains et financiers.
18:45 Nous déplorons le manque de soignants, les déserts médicaux, l'engorgement des services
18:50 d'urgence.
18:51 Ils ont eu raison, Jean-François Delphrécy, d'ajouter ce manifeste.
18:56 Ou ça n'a pas sa place dans un rapport sur la fin de vie ?
18:59 Si, moi, je pense qu'ils ont eu raison parce que c'est un combat, ce combat pour dire que
19:08 la santé est un bien précieux, que notre système de santé est en grosse pression
19:14 et en particulier depuis Covid, mais qu'il l'était déjà avant.
19:17 Et que donc, il y a un certain nombre d'interpellations qui sont faites et les choix qui vont être
19:23 faits.
19:24 Et je rappelle que le CCNE a sorti un avis sur les enjeux éthiques de la reconstruction
19:29 du système de santé.
19:30 Donc, c'est un thème qui m'est cher.
19:31 Donc, je pense vraiment que les citoyens, c'était leur opinion.
19:37 Ils le ressentent par rapport au système de santé.
19:40 Ils ont eu raison de le dire.
19:41 Un mot sur le CCNE, sur le comité d'éthique qui fait donc ses 40 ans.
19:45 Vous racontez son histoire dans un livre paru chez Odile Jacob.
19:50 Il a été fondé par François Mitterrand.
19:52 Aujourd'hui, les questions auxquelles vous devez faire face, c'est les questions évidemment
19:58 de la procréation, vous dites, des questions climatiques et puis évidemment l'intelligence
20:05 artificielle.
20:06 Est-ce que vous qui voyez débarquer l'intelligence artificielle aujourd'hui et depuis quelques
20:09 années, est-ce que ça vous fait peur ? Est-ce que vous trouvez ça fascinant ? Où vous
20:12 positionnez ?
20:13 Alors, on nous avait confié la création d'un comité pilote d'éthique du numérique
20:19 que ce qu'on a fait, qu'on a mis en place et le président de la République, lors des
20:23 40 ans du CCNE, a souhaité la mise en place d'un comité d'éthique du numérique et
20:28 de l'intelligence artificielle associé au CCNE.
20:31 Oui, c'est en train de révolutionner la médecine, de révolutionner complètement
20:34 la médecine.
20:35 Alors, peut-être pour nos auditeurs de façon très simple, quand vous passez une IRM cérébrale,
20:42 dans à peu près plus de 50% des cas, le premier compte rendu qui est fait, est fait par une
20:48 de l'intelligence artificielle.
20:50 Et les médecins le revérifient après et ça va se généraliser.
20:53 C'est la machine qui conclut.
20:54 C'est la machine qui conçoit, qui conclut à partir des images.
20:58 Donc ça, ça vous parle, ça parle à tout le monde.
21:01 Et puis, il y a d'autres, il y a plein d'autres exemples sur les grandes bases de données,
21:06 sur l'accès à telle ou telle thérapeutique.
21:10 Alors que moi, j'ai construit ma pensée, mon cerveau dans l'immunologie, dans les
21:16 virus, un jeune interne peut avoir accès à l'ensemble de la base que j'ai mis 40
21:22 ans ou 50 ans à construire.
21:23 Donc après, le jugement sera différent, mais il aura les données en tout cas.
21:29 Et après, il va falloir interpréter ces données.
21:32 Donc, ça nous interpelle.
21:34 Ma génération est complètement bouleversée par ça.
21:37 Les plus jeunes l'utilisent comme un outil.
21:39 C'est une troisième main, comme a été le stéthoscope.
21:42 Puis ensuite l'échographie et maintenant l'accès aux bases de données.
21:46 Et donc, il est fondamental qu'il y ait une réflexion et que donc, il y ait aussi une
21:52 réflexion éthique sur ces enjeux.
21:53 Surtout, et je ne suis absolument pas spécialiste de ça, il y a bien sûr les numériques et
21:59 médecine, numérique et santé, mais il y a le numérique tout court.
22:02 Et on voit bien que ce sont des discussions que vous avez, y compris sur cette antenne,
22:06 depuis des semaines.
22:07 Donc, oui, c'est un enjeu majeur et je pense qu'il y a la place pour une réflexion éthique
22:11 sur ces sujets.
22:12 Et c'est un lieu de débat intéressant, le comité d'éthique.
22:15 Oui, je...
22:16 Bien sûr, je suis là pour le défendre.
22:21 C'est un lieu d'intelligence collective.
22:25 On nous demande souvent, mais qu'est-ce que vous avez de plus ?
22:29 D'abord, il n'y a pas que des médecins et des chercheurs.
22:32 On n'est qu'un tiers.
22:33 Le reste, il y a des grands juristes, des philosophes, des gens de sciences humaines
22:37 et sociales.
22:38 Et on a maintenant, depuis un an, six représentants de la société civile au sein même du comité
22:44 plénier.
22:45 Et qui ont vraiment rêve d'en faire partie.
22:46 Leur rêve, je pense, caché, c'est d'être au comité d'éthique.
22:50 Eh bien, il y a une journaliste actuelle qui représente plutôt la pensée catholique,
22:56 qui est une ancienne rédactrice en chef de La Croix.
22:58 Je ne sais pas quelle pensée, je ne peux pas prévenir.
23:01 Je ne sais pas, je vous laisserai...
23:03 Non, surtout, notre pensée, on la laisse à la porte du comité d'éthique.
23:09 Notre culture, on la laisse à la porte du comité d'éthique.
23:11 On arrive avec une idée et il y a un profond respect de l'autre et de la construction de
23:17 la pensée.
23:18 Ça existe encore en 2023 ?
23:19 Eh bien, écoutez, oui, ça existe, rue de Bellechasse, une fois par mois et dans les
23:24 groupes de travail.
23:25 Et c'est ça qui m'a plu, si vous voulez, dans la convention citoyenne.
23:28 C'est qu'on disait c'est possible avec une série d'intellectuels d'un certain niveau.
23:33 Et je dis non, non.
23:34 C'est possible aussi sur nos citoyens si on les forme, qu'on leur laisse le temps de
23:40 réfléchir et de construire leur pensée.
23:42 C'est une très belle image de la démocratie participative.
23:47 Merci Jean-François Delphrécy d'avoir été au micro d'Inter et merci Léa d'avoir fait
23:52 mon outing.
23:53 Il est 8h48.