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  • 16/05/2025
L'affaire Ranucci décrite par Gilbert Collard, avocat de la partie civile

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00:00Tout le monde sait qu'on a enlevé une petite fille.
00:07Ça fait 30 ans qu'on nous raconte des bêtises sur cette affaire et ça continue.
00:11La mère de Ranouchi est, comment dirais-je, responsable de la mort de la petite Rambla.
00:20Mais il va soutenir que ces aveux ont été extorqués par la violence.
00:25On a fait notre travail de citoyen d'abord, de journaliste ensuite.
00:30Il ne faut pas oublier que le père aussi est responsable.
00:33Vraiment, les gens venaient au spectacle.
00:35Ils venaient voir mourir un homme.
00:38La foule criait à mort, à mort Ranouchi.
00:41C'était la corrida humaine.
00:44Pour moi, c'est un accident émotionnel.
00:47Christian Ranouchi était coupable,
00:49mais qui peut dire aujourd'hui qu'il méritait d'être condamné à mort ?
01:25Ce 3 juin 1974, il fait très chaud sur Marseille.
01:35Les enfants de la cité Saint-Agnès, comme la plupart des enfants des cités de Marseille,
01:40jouent dans le parc.
01:42Il y a là une petite fille de 8 ans et un petit garçon de 6 ans.
01:48Leur mère, du haut de l'appartement, entre deux vaisselles de matelas qu'elle retourne,
01:54que sais-je, les surveille, mais enfin, les surveille.
01:56Elle les surveille contre quoi ?
01:58Vous voulez me dire ce qui peut arriver dans une cité marseillaise le jour de la Pentecôte,
02:03sous un magnifique soleil ?
02:05Il est 10 heures et déjà, le soleil cogne.
02:17Une voiture entre lentement
02:21et s'arrête à la hauteur du petit garçon et de la petite fille.
02:25Un homme dit qu'il a perdu son chien, un chien noir.
02:32Et il demande à la petite fille si elle veut bien l'aider à retrouver son chien.
02:36Quand un petit garçon, il part en courant pour voir dans la cité si le chien noir n'est pas là.
02:43La petite fille s'installe dans la voiture à côté de ce jeune homme aux cheveux bruns
02:51Pour la petite fille, c'est une aventure de monter dans une bagnole.
02:53Son père n'a pas de voiture.
02:55C'est l'aventure du jour, d'aller rechercher le petit chien noir.
02:59Elle a accepté, malgré les conseils de ses parents,
03:02qui, comme tous les parents du monde, disent à tous les enfants du monde,
03:06si quelqu'un te dit de venir avec lui, ne le suis pas.
03:10Elle croit qu'elle va participer à la recherche du petit chien qui a disparu,
03:14mais c'est elle qui va disparaître.
03:16On sait qu'une enfant a été enlevée, mais on ne sait pas par qui.
03:20On ne sait pas pourquoi elle a été enlevée.
03:22Et on continue à espérer qu'on va la retrouver vivant.
03:25Peut-être le conducteur est-il gentil avec elle ?
03:29On ne sait pas ce qu'il veut faire d'elle.
03:31Tandis qu'il roule en sa compagnie comme s'il avait pris une autostoppeuse.
03:35Se rend-il compte seulement qu'il a affaire à une gamine ?
03:39À la hauteur du carrefour, il y a un petit garçon.
03:43À la hauteur du carrefour dit de la pomme,
03:47le véhicule conduit par le ravisseur heurte de plein fouet
03:52le véhicule conduit par M. Martinez.
03:56Le véhicule fait un tête-à-queue, est endommagé,
04:00et au lieu de s'arrêter, le conducteur prend la fuite.
04:03M. Martinez ne peut pas repartir, sa voiture est trop accidentée,
04:06la carrosserie frotte contre la roue.
04:08Un automobiliste, qui est en compagnie de sa femme, M. Aubert,
04:12va le prendre en chasse.
04:14Il le poursuit.
04:16Et à un moment donné, il voit ce véhicule qui s'arrête.
04:19Et il voit descendre le conducteur
04:24qui tient à la main une petite fille
04:27et qui se précipite dans les fourrés pour se dissimuler.
04:30Ils échangent quelques paroles.
04:33M. Aubert lui dit de revenir que c'est rien, ce n'est qu'un accrochage.
04:37Et lui répond, allez, je viens.
04:41Mais ce qui est extraordinaire,
04:46c'est qu'à ce moment-là,
04:50M. Aubert a le temps d'enregistrer le numéro minéralogique
04:55du véhicule du ravisseur.
04:58On sait, grâce à M. Aubert,
05:02à qui appartient le véhicule.
05:07Sur le moment, les époux Aubert ne se préoccupent pas trop
05:11de cet individu qui s'enfuit avec une enfant à la main.
05:14C'est peut-être un père avec sa fille ou un frère avec sa soeur.
05:18Les époux Aubert vont revenir un instant après en disant à M. Martinez
05:22qu'il s'est arrêté un peu plus loin au bord de la route.
05:25Il s'est enfui dans les fourrés avec un enfant.
05:28Et voilà le numéro d'immatriculation de la voiture, 1369 SG06.
05:32Et l'affaire pourrait en rester là.
05:36...
05:43Sauf que l'inquiétude, elle est quand même dans le coeur des parents.
05:48Pierre Rambla vient de constater que sa fille a disparu.
05:52Il court au commissariat. Là, on le prend pas au sérieux.
05:56A dire vrai, la police ne s'inquiète pas tout de suite.
05:59Il va alors à l'évêché. Il est 13h. L'affaire commence.
06:03...
06:12Ardouin sur Europe 1, Robert Sessieux sur RTL,
06:16Paul Georges sur Radio Monte Carlo
06:19ne cessent de raconter l'enlèvement de la petite fille au chien noir.
06:25Toute la cité phocéenne est paralysée par la crainte d'apprendre le pire.
06:32À l'époque, j'étais jeune journaliste au Méridional.
06:35Je suis allé dans une cité où habitaient Pierre Rambla
06:38et sa petite Marie Dolorès avec toute sa famille.
06:41Et nous-mêmes, journalistes, on est citoyens avant tout
06:44et on s'est mis à chercher cet enfant un peu partout.
06:47Tout le monde sait qu'on a enlevé une petite fille,
06:50une petite marseillaise, dans une cité pauvre.
06:53Les policiers vont enquêter dans la cité Saint-Agnès.
06:56Ils vont prendre le témoignage d'un carrossier
06:59qui s'appelle M. Eugène Spinelli
07:02et qui pense qu'il a peut-être vu la scène de l'enlèvement.
07:05Il a vu un adulte monter dans une voiture grise avec une fillette.
07:10Dans son esprit, il pense que c'est une synchance de sang.
07:13...
07:21Les gendarmes sont rejoints par deux individus.
07:25C'est M. Raoult et M. Gazon.
07:28Tous les deux travaillent à la champignonnière.
07:31Et ils racontent aux gendarmes une scène qui les a surpris
07:35parce qu'elle ne leur paraît pas vraisemblable.
07:38Un individu, disent-ils, nous a demandé de l'aider
07:42à désembourber sa voiture, une Peugeot de couleur grise.
07:46Il avait plu la semaine avant.
07:48Il y a beaucoup de boue dans la champignonnière.
07:51Et comme ça monte beaucoup, les roues de sa voiture patinent.
07:54Donc ils vont accrocher sa voiture à un tracteur et le sortir.
07:58Cet individu, on l'a aidé à désembourber son véhicule.
08:01Mais franchement, l'explication qu'il nous a donnée
08:04pour expliquer son embourbement ne nous a pas du tout satisfait.
08:08On veut vous fournir ces explications
08:10parce qu'on trouve que son attitude était vraiment très étrange.
08:14A la fin de la journée du mardi 4, la police piétine.
08:18Elle est complètement enlisée dans l'affaire.
08:29Les époux Aubert aussi écoutent la radio.
08:32Et à un moment donné, ils entendent parler
08:34de l'enlèvement de cette petite fille.
08:37Et ils font le rapprochement entre l'enlèvement et l'incident
08:42qu'ils ont eu avec le conducteur du véhicule
08:45qui s'est enfui en tenant par la main une petite fille.
08:48M.Aubert et M.Martiez vont évidemment faire le rapprochement
08:51en voyant que la voiture qu'on signale sur l'enlèvement a la même couleur
08:56qu'elle venait forcément de Marseille.
08:58Et qu'ils ont peut-être vu une scène qui se rapporte à cet enlèvement.
09:11Que voulez-vous que fassent les policiers à ce moment-là ?
09:14Ils ont un signe de piste qui est extraordinaire.
09:19Ils se rendent immédiatement sur les lieux.
09:23Le capitaine Legras de la compagnie d'Aubagne va réunir 50 gendarmes
09:27et des fouilles vont commencer à la fois dans la championnière
09:32et entre la championnière et le lieu où la petite fille a disparu.
09:38Et là, ils vont découvrir l'horreur.
09:46Une horreur qui va bouleverser la France entière.
09:51Le cadavre de la petite fille gît à l'endroit où l'homme au chien noir l'a entraîné.
10:00À l'appelant de l'endroit où les époux auberts l'ont vu monter dans les fourriers,
10:03des gendarmes vont trouver le corps de la petite fille qui a été tuée à cet endroit.
10:08Ce cadavre est couvert de sang.
10:11Il porte des blessures au cou et à la tête.
10:16Il est recouvert de branchages épineux.
10:21On retrouve une chaussure qui appartient à Marie Dolorès
10:27et deux pierres tachées de sang.
10:30Des pierres qui ont servi à frapper sur la tête de l'enfant.
10:35Les gendarmes étaient pâles.
10:37On se souvient de ces corps livides avec la terreur qui s'inscrit dans la lueur du regard.
10:43Et c'est ce qui me marque le plus.
10:45Ce sont ces souvenirs très forts parce qu'ils disent plus que des mots.
10:49On a retrouvé dans la championnière un pullover rouge.
10:54Le fameux pullover rouge qui occupe pour l'instant dans l'affaire une place tout à fait anecdotique.
11:11Il faut le reconnaître, la police est elle aussi bouleversée par cet assassinat.
11:16Et elle veut vraiment arrêter le plus rapidement possible l'assassin.
11:20Comment va-t-elle faire ?
11:21Elle a un moyen qui est évident.
11:23C'est le numéro d'immatriculation du véhicule de l'homme au chien noir.
11:28Il est facile au policier de retrouver son adresse et de se rendre chez lui à Nice.
11:33Et là, quand il sonne à la porte, ils sont d'abord reçus par la maman.
11:38Et puis il découvre un jeune homme tout gentil qui reconnaît bien volontiers être le propriétaire du véhicule
11:45mais qui se dit absolument étranger à tout enlèvement, à tout crime.
11:51Il concède l'accrochage.
11:53Donc ce fait est établi.
11:56Il va concéder qu'effectivement son véhicule s'est enlisé dans la championnière
12:01et qu'il est resté là un moment avant qu'il puisse être dégagé.
12:04Mais il nie complètement avoir été vu des époux au père.
12:09Oui, mais sur le parking de son immeuble, il a oublié qu'il y a son véhicule.
12:17Et la première chose que les policiers font, c'est de se précipiter pour fouiller ce véhicule.
12:23Et voici exactement ce qu'ils découvrent dans le véhicule.
12:26Alors d'abord, ils trouvent un pantalon d'homme taché de sang.
12:32Deux cheveux.
12:34L'un sera attribué à la petite victime, l'autre ne le sera pas.
12:38Un juricane et un couteau de marque Opinel.
12:43Il a déjà contre lui, vous me l'accorderez, de sérieuses charges.
12:48On le conduit de Nice à l'hôtel de police de Marseille,
12:53qu'on appelle l'évêché, qui n'a rien à voir avec un lieu épiscopal.
12:58Après avoir longé les couloirs vétustes de l'hôtel de police,
13:03dans le vieux quartier du panier,
13:05on entre maintenant dans la pénombre de la gare d'invue.
13:10Christian Ranucci arrive, conduit par l'inspecteur de police Frattacci,
13:16jusqu'au local où il va être interrogé.
13:19Là, Christian Ranucci rencontre un policier d'une sacrée envergure,
13:24le commissaire Alessandra.
13:26C'était vraiment un commissaire très attentif, très sérieux,
13:31qui s'est appliqué à faire les choses en fonction de la loi,
13:35et qui s'y est tenu.
13:36En tout cas, le commissaire Alessandra, lui,
13:38il en fait une affaire personnelle.
13:40C'est-à-dire qu'il a fait une affaire personnelle,
13:43il a fait une affaire personnelle,
13:45En tout cas, le commissaire Alessandra, lui,
13:47il en fait une affaire personnelle.
13:49Il est malheureux, comme un père,
13:51de savoir qu'une petite fille a été tuée.
13:54Et il veut vite confondre l'assassin.
13:57Le premier tête-à-tête entre lui et Christian Ranucci
14:00est un tête-à-tête négatif.
14:03Il y a un nombre incroyable de journalistes,
14:06peut-être une trentaine,
14:08qui sont quasiment derrière la porte
14:11où Christian Ranucci est interrogé par les policiers.
14:15Et les informations qu'ils filtrent,
14:17c'est que Christian Ranucci continue,
14:21contre vents et marées de l'évidence, de nier.
14:24Les policiers sont mis en demeure, en quelque sorte,
14:26par l'opinion publique,
14:27de trouver très rapidement cet assassin d'enfant,
14:29de le déférer à la justice,
14:30afin qu'il soit condamné dans les plus brefs délais.
14:33Le temps passe, la garde à vue, elle est de 48 heures.
14:36Et tout le monde se demande,
14:37est-ce qu'il va continuer à nier jusqu'au bout ?
14:50Le commissaire Alessandra n'en peut plus.
14:52Il faut dire qu'il a affaire quand même à un client qui résiste.
14:56On fait venir les époux Aubert.
14:58Christian Ranucci va, oui, il va tout avouer.
15:03Lorsqu'ils ont été confrontés à Ranucci,
15:05Mme Aubert s'est adressée à Christian Ranucci en disant
15:08arrêtez de dire que ce n'est pas vous, vous êtes un menteur,
15:11on vous reconnaît.
15:12Et c'est là que Christian Ranucci a avoué devant une femme.
15:17Attention, il va avouer sa vérité.
15:21Et voici ce qu'il va dire aux policiers,
15:24qu'il enregistre méticuleusement.
15:28Il va raconter que lui,
15:31le grand petit garçon qui vit avec sa maman,
15:35il est allé se promener du côté de cette cité,
15:39qu'il a vu une petite fille et qu'il voulait faire finalement un tour avec elle
15:43et qu'il n'avait l'intention de lui faire aucun mal.
15:47Il ne s'en est pas compte de la gravité de ses actes.
15:50Et puis, dans sa psychologie, il avait des raisons.
15:57En fait, lui considère, et j'ai tendance à le suivre,
16:03que c'était un accident, qu'il ne s'agissait pas d'une meurtre ni d'un assassinat,
16:07mais d'un accident.
16:09Ranucci a expliqué dans ses premiers aveux
16:12qu'il était venu à Marseille pour rendre visite à un copain de régiment
16:16qui habite à 600 mètres à vol d'oiseau de la cité de Saint-Agnès
16:19où a eu lieu l'enlèvement.
16:21Il m'avait demandé de descendre avec lui à Marseille
16:25pour voir un de nos collègues de l'armée.
16:28Ça laisse entendre qu'il avait peut-être une idée de préméditation.
16:36Quand il est venu me chercher, il m'a dit,
16:38« Bon, ben voilà, c'est aujourd'hui, on y va. »
16:40J'ai dit, « Non, moi, je ne veux pas y aller maintenant.
16:42Ce n'est pas possible. Ce soir, je travaille. »
16:44Enfin, je ne sais pas ce que je lui avais dit. J'avais sorti une vanne.
16:46En fait, j'avais une partie de poker à faire.
16:48Il a voulu s'appuyer sur lui pour devenir adulte.
16:51D'ailleurs, adulte, pour lui, c'était peut-être une virée, les filles, le poker.
16:56Alors que tout seul, il se sentait très infantile.
17:00Il est parti en colère. Je me souviens qu'il est monté dans sa voiture.
17:03Il n'était pas content. Il a foncé.
17:05Il dit qu'à un moment, il est un peu perdu.
17:07Il tombe sur des enfants en train de jouer dans la cité de Saint-Agnès.
17:10D'après un témoin qui a été retrouvé un peu plus tard,
17:13il surveille les enfants pendant une vingtaine de minutes.
17:15J'étais pizzaïer. J'avais une camionne de pizza.
17:17Tous les matins, je le nettoyais, je le préparais.
17:20En face de moi, j'ai remarqué ce monsieur.
17:23Je ne sais pas si c'est le lendemain ou le surlendemain que les journaux m'ont parlé.
17:26En plus, il y avait la photo dessus. J'ai reconnu Christian Ragnoussi.
17:29Et lorsque deux de ses enfants s'en vont, il n'en reste plus que deux,
17:34Marie Dolorès et son petit frère, ils décident d'enlever la petite fille.
17:37Il poste son véhicule en bas de la cité et va de suite s'adresser aux enfants en disant
17:42« J'ai perdu mon chien. Est-ce que vous voulez m'aider à le chercher ? »
17:45Mais que si, malheureusement, il en est arrivé à la tuer, c'est parce que l'accrochage a eu lieu,
17:50la poursuite a eu lieu.
17:53Il n'avait aucune intention sexuelle vis-à-vis de cet enfant et qu'il comptait la ramener.
18:00Les époux Aubert crient vers Christian Ragnoussi.
18:04Il a la petite fille à la main. Il l'entraîne dans les fourrés.
18:08Et là, il va se passer un événement qui va provoquer le passage à l'acte criminel, comme on dit.
18:14Il a eu l'accident. Il s'est senti brusquement dans une situation impossible en se disant
18:19« Mais pourquoi vous avez pris cet enfant ? Pourquoi vous l'avez emmené promener ? »
18:22La petite fille veut crier. Si elle crie, les époux Aubert vont l'entendre.
18:27S'ils l'entendent, peut-être vont-ils venir.
18:30Et là, il a eu une vague d'émotions comme s'il se sentait coupable vis-à-vis de sa mère.
18:37Christian Ragnoussi a peur. Il est paniqué. Il essaye de faire taire l'enfant.
18:42Il lui serre le cou pour l'empêcher de crier. La petite fille essaye encore de crier.
18:47Il serre. Elle continue à crier. Il prend une pierre. Il tape sur la tête.
18:54Le sang gicle. Il prend son couteau dans la poche et il poignarde l'enfant.
18:59Et l'enfant meurt ensanglanté, torturé.
19:05Il dissimule le cadavre. Il le recouvre de branchages épineux et il attend.
19:15Il ne l'a pas violé. Et c'est cela qui préoccupera tout le temps les enquêteurs et qui nous préoccupera tous.
19:23Il l'a tué sans la violer. C'est-à-dire qu'on n'a pas affaire à un crime sexuel.
19:29C'est un type qui n'était pas arrivé à maturité sexuelle.
19:32Il ne parlait jamais de femme. Il avait un côté un peu enfantin. Pas enfantin, mais immature.
19:37Je ne pense pas, par exemple, qu'il ait eu une érection, une éjaculation. Non, pas du tout.
19:43On a affaire à un rapte, mais qui s'est transformé, selon Christian Ranucci, en crime
19:49parce qu'il y a eu ce dramatique accrochage, cette dramatique poursuite,
19:55cette panique qui s'est emparée de lui et qui a transformé la petite fille qu'il tenait par la main
20:01en proie, en proie qui crie et qu'il faut faire taire.
20:13Christian Ranucci a dessiné un plan de la cité.
20:17On lui donne une feuille de papier, un crayon, et il se met à dessiner un schéma des lieux
20:24qui correspond parfaitement au lieu, puisqu'il y a à cet endroit un immeuble qui est long et mince.
20:30Il dessine cet immeuble. Il y a une murette en bas de cet immeuble. Il va la dessiner.
20:34Il va dessiner de l'herbe à l'endroit où il y avait de l'herbe à cette époque-là.
20:37Il va marquer rue qui monte à l'endroit où la rue est en forte pente.
20:41Il va marquer l'endroit par où il est parti, et tout correspond.
20:45Et il dit aux policiers qu'il a tué avec un couteau.
20:50Là, on arrive à un élément qui règle la question de l'innocence ou de la culpabilité dans le sens de la culpabilité.
20:56Après avoir tué la petite fille, Ranucci profite d'un moment où il n'y a pas de passage de voiture sur la route, certainement,
21:02pour remonter dans sa voiture. Là, il doit se rendre compte qu'il est taché de sang.
21:06Il faut qu'il se change. Il faut surtout qu'il change la roue de sa voiture.
21:09Il voit un chemin sur la droite. Il prend ce chemin. Il tombe sur une champignonnière.
21:13Il se cache dans la champignonnière, va changer sa roue, va changer de vêtements
21:17et va se débarrasser du couteau à 100 mètres de l'entrée de la champignonnière, à un endroit où,
21:22s'il n'avait pas donné l'indication aux policiers et aux gendarmes, on ne l'aurait jamais retrouvé.
21:26Christian Ranucci, par téléphone, va orienter les gendarmes vers l'endroit où il aurait, d'un coup de talon,
21:35dissimulé le couteau. Et les gendarmes retrouvent le couteau.
21:41Donc, les policiers considèrent qu'à partir de ce moment-là, ils ont suffisamment de preuves,
21:49suffisamment d'indices, suffisamment de charges pour présenter Christian Ranucci à un jus d'instruction.
21:58Madame Hilda Di Marino.
22:02Madame Di Marino, c'est un sacré juge. Elle reçoit Christian Ranucci, qui est défendu par un avocat commis d'office.
22:20Eh bien, les choses sont simples. Christian Ranucci réitère chez le juge ses aveux.
22:26Donc, l'affaire, elle est, en quelque sorte, pliée. Christian Ranucci a avoué aux policiers.
22:34Entre-temps, il fera l'objet d'une expertise psychiatrique et il avouera aux experts psychiatres en leur donnant des détails très précis.
22:42Christian Ranucci leur a expliqué à plusieurs, en détail, tout ce qui s'était passé, selon sa version, sa première version.
22:52Il ne se sentait pas tout à fait coupable. Il croyait qu'il expliquait à des médecins qu'il avait été, en quelque sorte,
23:00saisi d'une émotion incontrôlable, mais dont on pouvait, en tout cas, surtout les médecins, l'excuser et le comprendre.
23:10Il a avoué chez le juge. Donc, il n'y a plus aucune raison de penser que cette affaire pourrait poser un quelconque problème.
23:22Le juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre. Le 27 décembre 1974, Mme Hilda Di Marino, première juge d'instruction,
23:47reçoit dans son cabinet Christian Ranucci pour mettre un terme au dossier. Ce rendez-vous doit être un rendez-vous de pure forme. Christian Ranucci qui est seul.
24:02On sent pendant toute la procédure et jusqu'au procès que les avocats sont convaincus que Christian Ranucci est coupable et ne veulent pas trop s'engager dans cette affaire.
24:10Ce garçon sera abandonné de ses avocats jusqu'au procès, quasiment, où il sera admirablement défendu par Maître Leforcenay, du reste.
24:19Maître Leforcenay le connaît très bien et l'a très bien compris. Il a suivi au début Christian Ranucci se livrait plus.
24:26Mme Di Marino n'en revient pas. Christian Ranucci la regarde et lui dit, je cite parce que la phrase est extraordinaire, « Je suis complètement innocent. Au début, dit-il, j'ai cru moi-même que ma culpabilité était possible. »
24:48Et voilà. À partir de cette déclaration, le nouveau Christian Ranucci est né. Il est innocent. Il n'a rien fait. Ses aveux ? La violence des policiers. Voilà.
25:08Il n'a pas été frappé, mais on peut dire qu'il a été soumis à des pressions psychologiques fortes. Ils l'ont poussé jusqu'à l'épuisement, comme ils le font pour beaucoup d'autres criminels.
25:22Mais il va soutenir que ses aveux ont été extorqués par la violence. Mais enfin quand même, il a avoué trois fois chez les policiers. Allez, on va accepter qu'il aurait pu être violenté.
25:37Chez le juge ? Allez, on va accepter que Mme Di Marino aurait pu exercer sur lui une autorité morale qui lui aurait fait peur. Mais chez le psychiatre, chez le professeur Sutter, est-ce qu'on peut imaginer qu'un professeur de médecine,
25:57expert en psychiatrie, va extorquer des aveux à un accusé qu'il est chargé d'examiner ? Et ce d'autant plus que le rapport de ce médecin n'est pas du tout accablant pour Christian Ranucci. Il semble plutôt le présenter comme un déséquilibré qui aurait droit à notre compassion plutôt qu'à notre sévérité.
26:15Il a un rapport fusionnel avec sa mère et un rapport émotionnel qui est l'origine de tous ces problèmes. Les psychiatres ont toujours été étonnés que les avocats n'aient pas saisi la balle au bon et n'ont pas présenté le problème comme il est en réalité.
26:33C'est-à-dire une vague émotionnelle sans relation sexuelle du tout, sans intention sexuelle, sans intention mauvaise. Ils ne voulaient pas faire du mal à l'enfant, ils voulaient qu'elle ne crie plus.
26:47Et bien pourtant, à partir de ce moment-là, et comme une espèce de folie flamboyante, Christian Ranucci va, avec une certaine forfanterie même qui à mon avis comptera dans la condamnation qui sera prononcée contre lui, s'affirmer complètement innocent.
27:07Il a fait un retournement à un psychiatre, il a bien expliqué avec tous les détails, et puis l'autre le voyant, 8 jours ou 15 jours après, il a commencé à changer de version. Mais il a changé de version sous la pression de l'opinion publique et de sa mère.
27:20Les écoutes du parloir, on peut l'allumer et tout le monde peut écouter, parce qu'il y a l'interphone. Il y a eu deux écoutes intéressantes. Le premier parloir de Mme Ranucci avec son fils. Les premières paroles qui ont été dites, ça a été « Mon petit, c'est bien toi qui as tué la petite ».
27:40À ce moment-là, il s'est mis à pleurer. Il a dit « Maman, je te demande pardon, je ne sais pas ce qui m'a pris ». Quelques temps plus tard, la mère lui a dit « Mon petit, il va falloir nier, tu as le même groupe de sons que la petite, il faut nier ».
27:59Mais il va reconnaître trois choses importantes. Il va dire « Je reconnais que j'ai dessiné le plan que vous me présentez de l'endroit où je me suis rendu à Marseille. Je reconnais que c'est moi qui ai indiqué aux policiers où se trouvait le couteau qui m'appartient. Et je reconnais qu'on a retrouvé un pantalon taché de sang dans ma voiture ».
28:14Un incident qui paraît anodin mais qui, après le procès, prendra une dimension fétichiste va se produire.
28:34Les fonctionnaires de l'ébéché ont reçu des déclarations de personnes qui se plaignaient des agissements d'un pédophile dans la cité des Cerisiers, qui s'était livré à des attouchements sur deux sœurs. Et cet homme était vêtu d'un pullover rouge. Et comme on a retrouvé un pullover rouge dans la champignonnière, il est tout à fait normal qu'on essaie de faire un rapprochement entre deux affaires qui ont la même connotation pédophile.
28:52Christian Ranucci n'a pas été reconnu comme étant l'homme qui s'est livré à des actes pédophiles dans cette cité des Cerisiers. Alors au mois de juin 1975 apparaît un nouveau témoin.
29:03Une dame mathéie prétend qu'un individu aurait importuné des enfants.
29:10Sa fille et une copine à sa fille ont été abordés le samedi où il y a eu l'affaire des Cerisiers, dans leur cité des Tilleuls, par un homme qui avait un pullover rouge, une 511 de sang et qui avait utilisé le stratagème du petit chien qui était perdu.
29:24Elle dit que l'homme était grand, roulait les airs et avait un pullover rouge à col roulé. Lorsqu'elle est entendue par la substitue, elle dit que l'homme était petit, il ne roulait plus les airs, il avait l'accent marseillais et le pull n'était plus à col roulé, il était radicaux.
29:39Et lorsqu'elle est entendue par l'inspecteur des visions d'aéroportes, elle dit que ce pull était rouge bordeaux.
29:43Les 9 et 10 mars 1975, le procès de Christian Ranucci va s'ouvrir devant la cour d'assises d'Aix-en-Provence. Présidé par monsieur Antonin, Christian Ranucci va répondre sous une tempête médiatique de l'assassinat de la malheureuse Marie Dolores.
30:10C'était chaud, c'était très chaud parce que l'opinion publique s'était massée devant la cour d'assises et donc les avocats de Ranucci étaient très mal considérés. Ils essuyaient des colibés, des injures au passage. Ils devaient se frayer un chemin dans la foule. La foule criait à mort, à mort Ranucci.
30:30On ne sait pas aujourd'hui ce que pouvait signifier une audience où la tête d'un homme allait être demandée. Et c'est dans cette ambiance d'appel au meurtre judiciaire, il faut bien le dire, la presse tout entière n'avait pas encore été acquise à l'idée de l'abolition de la peine de mort et il y avait très peu de journaux qui étaient favorables à la clémence.
30:48Il y avait une forte réprobation sociale et nous étions nous les dépositaires de cette réprobation sociale, de cette indignation du public qu'il nous fallait bien retransmettre le lendemain dans nos colonnes.
30:58Je veux simplement revenir sur un témoin dans ce procès. C'est madame Mattei, puisque c'est le témoin du pullot vert rouge. Elle avait laissé entendre l'idée que peut-être on prenait Christian Ranucci pour l'homme au pullot vert rouge.
31:16Ce qu'elle n'avait pas dit et qu'on lui fera dire en l'interrogeant en cour d'assise, c'est qu'elle a rencontré madame Ranucci à la prison parce qu'elle aussi est mère de prisonniers.
31:32Et ce qu'elle n'avait pas dit, c'est que madame Ranucci lui avait donné de l'argent. Son témoignage, donc, n'a pas fait beaucoup de poids devant la cour d'assise.
31:45Ce qui est extraordinaire, c'est l'exploitation romanesque talentueuse qu'a pu en faire Gilles Perrault. Tout l'argument du pullot vert rouge, dont on a du reste au procès pratiquement pas parlé, repose sur le témoignage d'une femme qui a été récupérée par madame Maton, la mère de Christian Ranucci, et madame Maton lui a donné de l'argent.
32:08Et puis alors à l'audience, vraiment, ce témoin s'est effondré. Alors il faut quand même dire certaines choses sur ce procès. Il a duré deux jours avec le temps pris pour les plaidoiries, pris pour les suspensions d'audience, pris pour le délibérer.
32:26Et je revois alors qu'on attendait dans la salle des pas perdus et que la nuit était tombée sur le palais de justice et que le lieu n'était éclairé que par les projecteurs des caméras, donc une lumière fragmentaire qui éclaire d'un côté et plonge le reste dans la nuit. Je revois la foule qui attendait dans la salle des pas perdus.
32:48Ranucci avait plaidé l'acquittement. L'avocat général avait requis la peine de mort et on était donc dans l'attente de savoir si la cour d'assises allait le condamner à mort ou l'acquitter. On savait quasiment qu'il serait condamné à mort. Le jury semblait tellement prolonger la foule dans une espèce d'harmonie vengeresse.
33:12Mais ce qui m'avait frappé, c'est l'unanimité apparente des magistrats, de la foule, des journalistes aussi et puis du public pour condamner Ranucci dont on savait qu'il était coupable.
33:24Il y avait peu d'espoir pour l'homme à la croix car Ranucci portait une grande croix sur lui de sauver sa vie.
33:34Ça avait une valeur symbolique entre Christian Ranucci et sa mère. Elle lui dit tu es crucifié comme le Christ. Ils ont mal mesuré l'influence que ça pourrait avoir sur les jurés et sur l'opinion publique.
33:48Quand la sonnerie a retentit, M. Antonin a dit d'une voix presque indifférente, la cour et le jury ont répondu oui à la question de la culpabilité. Vous êtes condamné à la peine de mort. Vous aurez la tête tranchée. Et là d'un coup, un silence s'est abattu sur la cour d'assises.
34:18On n'a pas du tout fait cas du profil psychiatrique de Ranucci et c'est dommage. Il interprète mal la réalité mais il la comprend. C'est pas un type qui délire, qui croit qu'il est l'archange Gabriel et qu'il emmène la petite fille au cieux, non pas du tout.
34:36Ranucci, je sais par les archives de la police que c'était un récidiviste qui avait déjà agi à Nice. Il n'en était pas du tout à son coup d'essai. Non seulement il a poursuivi un petit garçon dans un garage.
34:50Il y a l'affaire d'un petit enfant de 5 ans qui a été entraîné par un inconnu dans un garage souterrain. Il a laissé repartir en disant je reviendrai le lendemain. Le lendemain, le gamin a désigné un jeune homme qui regardait les boîtes aux lettres. Cet homme est parti en courant, ils n'ont pas réussi à le retrouver. Ils ont reconnu formellement Ranucci sur la photo qui paraissait sur Nice ce matin et lorsqu'il aura été présenté dans le cabinet de la juge lors d'un tapissage.
35:14Ensuite il a essayé une seconde fois d'emmener un enfant. La deuxième affaire, c'est l'affaire d'une petite fille qui revient d'un cours de danse un soir avec une copine et la mère l'attend à la fenêtre du premier étage et là la mère observe le manège d'un jeune homme qui les surveille. Lorsque les deux petites filles se séparent, la petite fille en question monte dans l'immeuble et là la mère voit le jeune homme se jeter en courant derrière elle.
35:40Donc elle ouvre la porte, elle se retrouve nez à nez avec un individu. Elle le reconnaît formellement sur la photographie qui est sur Nice ce matin. On retrouve le même mode opératoire que celui de la cité Saint-Agnès, c'est-à-dire que Ranucci surveille les enfants jusqu'à ceux qui se séparent et lorsque les enfants se séparent, il décide de passer à l'attaque sur un de ses enfants qu'il a choisi.
36:00Dire aujourd'hui que Ranucci était un engelot, c'est le méconnaître. Quand j'interroge son compagnon de chambre, qu'est-ce qu'il me dit ? Que Ranucci est un homme qui se taisait.
36:10On était militaires en Allemagne, ça s'appelait Wittlich. Un samedi soir, ils étaient au restaurant et puis au milieu du repas, il s'était levé, il s'était caché, enfermé dans les toilettes. Et puis il est resté enfermé dans les toilettes bien que les autres viennent taper à la porte, les laisser sans réponse, etc. Jusqu'à ce que le patron de l'établissement défonce la porte des toilettes et découvre Ranucci silencieux et imperturbable.
36:38Il a eu sans raison, sans avoir absorbé de drogue ni d'alcool, une vague émotionnelle telle qu'il s'est terré dans un coin d'un water pendant une heure ou deux et il est sorti de cette émotion absolument perturbé comme il est sorti de la vague émotionnelle qui l'a amené à tuer la petite Rambla, complètement perturbé.
37:00Il avait eu une enfance très difficile, une mère qui se prostituait, un père absent, une mère surprotectrice.
37:07On ne comprend pas Ranucci sans sa mère. Il a un rapport fusionnel avec sa mère qui est un rapport émotionnel qui est l'origine de tous ses problèmes.
37:19Est-ce qu'on ne peut pas s'interroger si, par hasard, quand il a tué la fillette, il n'a pas songé à tuer un peu l'image de la mère quelque part pour s'en extraire, elle qui le surprotégeait ?
37:31Dès l'âge de 3 ans, sa mère et son père se sont séparés. Sa mère a commencé à lui expliquer qu'il avait un mauvais père, qu'il était un voyou, qu'il risquait de l'enlever, qu'il fallait donc se cacher, qu'il ne fallait pas dire à ses copains où il était, etc.
37:45Christian Ranucci est victime de ne pas avoir eu de père ou plutôt d'avoir un père fantasmatique décrit comme mauvais.
37:53Il ne m'a jamais parlé de son père. Je savais que ses parents étaient divorcés, qu'il n'y avait que sa mère, mais sur son père, il ne m'a jamais rien dit de spécial, rien dit du tout même.
38:03Ce que racontait la mère de Ranucci, c'était complètement faux. Le père n'a jamais essayé ni de le revoir, ni de s'en occuper, ni de l'enlever, ni de rien du tout. Il est parti et ne s'en est plus jamais occupé de sa vie.
38:15Même quand il a été condamné, le père ne s'est pas manifesté, il n'est pas intervenu. Donc le père est absolument absent. Il n'est pas méchant, il est absent. Mais la mère en avait fait quelqu'un de méchant.
38:27Il tenait tête aux hommes, comme il l'avait fait à l'armée à ses supérieurs, mais il était très faible devant les femmes. Lorsque les femmes faisaient preuve d'autorité devant lui, il avait tendance à se comporter différemment.
38:40Tout se passe comme si sa mère lui avait construit un univers qui n'était pas l'univers du réel. D'ailleurs, elle l'a fait vivre dans un univers fantasmatique.
38:50À l'armée, on aurait pu détecter un truc chez lui, un problème.
38:55La version réelle des faits n'a pas été vraiment expliquée par les psychiatres, n'a pas été vraiment plaidée par les avocats. Donc les jurés, on ne leur a pas expliqué, les magistrats n'ont pas expliqué, les avocats n'ont pas expliqué, la presse n'a pas expliqué que, en fait, Christian Ranucci jouait un bon enlèvement.
39:14Il était le bon grand frère qui venait chercher un enfant, qui l'emmenait, qui le promenait et le ramenait à son père. D'ailleurs, il a eu l'impression qu'il allait être accueilli en héros parce qu'il s'est dit que les parents allaient avoir peur de l'enlèvement d'un pédophile et que quand ils reverraient Christian Ranucci, qui n'était ni pédophile ni pervers, il allait être bien accueilli, sinon félicité.
39:44C'était les fantasmes d'un enfant de 12 ans ou même peut-être plus petit. Il n'est pas certain qu'il l'aurait tué si la gosse n'avait pas eu peur et si elle n'avait pas eu l'accident auto.
39:55Et puis, il y aura ce petit matin où, à la maison d'arrêt des Baumettes, les bois de justice seront dressés et Christian Ranucci ira sous le couperet pour y perdre la tête sans avoir crié avant à ses avocats « réhabilitez-moi ».
40:22La nuit de l'exécution, j'étais là. Il n'y a jamais eu de « réhabilitez-moi ». Rien ne s'est passé. Il est parti sans rien dire. Voilà.
40:30Voici ce qu'écrit l'avocat général, M. Viala, à l'intention du président de la République.
40:45Auteur d'un si grand crime, Ranucci ne pouvait, à mon sens, obtenir quelque indulgence qu'à la condition de le confesser publiquement et de s'en repentir sincèrement.
40:58Je pense, dit l'avocat général, c'est une opinion toute personnelle que s'il l'avait fait, il aurait échappé à la peine capitale.
41:07Christian Ranucci n'est pas aisément compréhensible ni pour les psychiatres, ni pour la société, ni pour les citoyens.
41:18Parce que quand il y a un mari jaloux qui trouve sa femme au lit avec son meilleur ami et qui la tue, tous les hommes et toutes les femmes le comprennent.
41:28La justice les comprend, etc. Mais là, Christian Ranucci, c'était plus compliqué de comprendre.
41:34Et ni le juge d'inscription, ni la cour d'assises, ni les avocats n'ont compris.
41:39Pour tuer un enfant, il faut avoir un problème, à mon avis, un sérieux problème.
41:43On pourrait penser que c'est l'horreur du crime qui justifie l'horreur du châtiment. Là, c'est la mauvaise mise en scène de défense.
41:51Il niait les faits. S'il les avait reconnus, il aurait pu plaider la folie ou quelque chose. Enfin, il aurait pu trouver des circonstances atténuantes.
41:57Mais le système de défense qu'il avait choisi, c'était une impasse. C'était une impasse comme les toilettes de ce restaurant en Allemagne.
42:13On aurait pu croire cette affaire en sevelie dans le panier de son des condamnés à mort.
42:20Eh bien, pas du tout. Parce que la peine de mort avait cette particularité de faire entrer le condamné dans un autre territoire.
42:33La dimension du châtiment capital donnait à la mémoire de l'accusé tous les droits de se défendre.
42:40Comme si l'excès de la mort infligée offrait un territoire de rédemption au décapité, à sa famille, à ses avocats.
42:49L'élite intellectuelle, les écrivains, tout ce que la France compte d'élus de gauche sont tombés sur nous, journalistes qui avions essayé de faire notre travail aussi.
42:59On a été pris dans une sorte de rouleau compresseur médiatique qui essayait de retricoter l'histoire à l'envers pour donner à penser que Ranucci n'aurait jamais dû être exécuté parce que c'était un innocent, ce qui est faux.
43:13Et surgira le talent de Gilles Perrault qui écrira Le Pulau vert rouge où il défendra la thèse que Christian Ranucci serait innocent.
43:21Je dois dire que c'est un livre d'un talent exceptionnel. Moi qui sais que Ranucci était coupable, j'ai été ébranlé à la fin du livre.
43:30Telski ne tient pas compte tenu des arguments que j'ai évoqués. Le couteau qu'il a enterré et qu'on découvre, les deux employés de la champignonnière, les tâches de sang, ses aveux.
43:44Les partisans de l'innocence de Christian Ranucci vont s'appuyer sur des arguments faux. On va dire que Jean Ramblin a vu une Simca. C'est faux.
43:54Il a jamais pu donner une marque de voiture, il ne connaissait pas les voitures.
43:57On a affirmé que Eugène Spinelli, le carrossier, avait vu une Simca. C'est faux. Il n'est en aucun cas sûr de lui. Il dit lui-même qu'il était trop loin pour voir.
44:09Il a toujours dit aux policiers cette scène ne m'intéressait pas du tout. Elle était banale comme tout. Je n'ai pas fait attention à la voiture.
44:16Il dit c'est vrai que je pense que c'est une Simca 1100, mais comme tout un chacun qui ne fait pas attention à quelque chose, je peux me tromper.
44:23On dit que personne n'a vu Christian Ranucci sur les lieux de l'enlèvement. C'est faux. Il y a un témoin que la police n'a jamais entendu. C'est le pizzayole.
44:34Il a vu Christian Ranucci et il a reconnu sa photographie dans le journal.
44:41En face de moi, j'ai remarqué ce monsieur. Il avait un petit blouson et ses lunettes fumées, toujours ses lunettes de vue. Je peux le reconnaître. C'était vraiment lui.
44:51On a dit également que les époux Aubert auraient menti parce qu'ils auraient déclaré avoir vu Christian Ranucci porter un paquet.
44:59Ils n'ont jamais déclaré ni à la police ni aux juges d'instruction que Christian Ranucci portait un paquet. Jamais.
45:06De suite après l'accident, les époux Aubert s'arrêtent à la gendarmerie de Roquevert. On va faire un gendarme qui leur dit je ne suis pas de permanence.
45:14Aujourd'hui, ce n'est pas moi. Cette affaire, je ne peux pas m'en occuper. Le gendarme ne prend pas le témoignage de monsieur Aubert.
45:20De toute façon, ça ne changeait rien. Ils ont coupé la tête de Christian Ranucci. A mon avis, on ne coupe pas la tête des gens. Point barre. Ils ont fini par l'admettre. Tant mieux.
45:31L'affaire Ranucci a été en tout cas le drapeau rouge de la révolte contre la peine de mort. Ce n'était pas le premier combat des abolitionnistes, mais c'était une occasion inouïe pour eux, à travers le livre de Perrault notamment, de pouvoir créer une ambiance anti-peine de mort.
45:58Robert Badinter, qui a conduit l'abolition de la peine de mort jusqu'à son terme, s'est appuyé sur l'affaire Ranucci pour obtenir que le Parlement vota l'abolition de la peine de mort.
46:12Monsieur Badinter est un homme estimable qui a accompli ce qu'il croyait devoir être sa conviction suprême. Je blâme ceux qui ont construit autour de lui une histoire tricotée de toutes pièces, tissée de mensonges, qui nous font passer pour des menteurs.
46:26Pourquoi a-t-il pu s'appuyer sur cette affaire dont vous avez pu vous rendre compte que les arguments en faveur de la culpabilité sont quand même assez évidents ?
46:39Mais parce que dans un monde relatif, le châtiment absolu n'est pas possible. Et quelle que soit la perfection d'un dossier, quelle que soit la méticulosité d'une enquête, quelle que soit la rigueur d'un travail scientifique, on est toujours dans le champ humain du relatif.
47:05Et quand le couperet tombe, on entre d'un coup dans le champ inhumain de l'absolu, de l'irréparable, de l'irrécupérable, de l'irréfragable, comme disait Victor Hugo.
47:22Et c'est parce que Christian Ranucci est entré dans ce champ de l'immortalité absolue que son affaire, quoi que l'on fournisse comme preuve, entre de fait dans le champ d'un débat parce que des hommes tout à fait relatifs ont pu prononcer un châtiment tout à fait absolu.
47:44Et ceux qui ne peuvent pas admettre dans leur mental l'existence du crime, ces gens-là ont gagné. Si vous interrogez encore les gens sur Ranucci aujourd'hui, vous verrez qu'il y a des doutes. Il n'était pas coupable, comme si les jurés étaient des imbéciles.
48:01Mais je n'aimerais pas être à leur place et me regarder dans la glace aujourd'hui en pensant à toutes les petites filles que Ranucci n'aura pas tuées, n'aura pas violées, n'aura pas salies et à toutes les familles qu'on aura épargnées grâce à son exécution.
48:15Il y a des gens qui s'imaginent qu'en tuant les autres, ça va régler des problèmes. Mais ça ne tient pas la route, ce genre de raisonnement.
48:32S'il n'y avait pas eu ce combat pour que la peine de mort soit abolie, s'il n'y avait pas eu ce dossier qui servait d'argument, mais le petit garçon qui avait grandi, le père qui avait vieilli, la mère qui s'était usée, aurais-tu la paix ?
48:55Ça a donné naissance, ça a donné lieu à toute une littérature, à des films, à des documentaires, à des séries télévisuelles qui sont autant de coups de poignard dans le dos d'une famille modeste, de boulanger, la famille de Pierre Ramblal.
49:08Le fait que l'assassin de leur fille ait été condamné à mort les a enchaînés au combat pour l'abolition. Et dans cette tourmente, dans cette persécution, un enfant a grandi, qui est allé, hélas, lui aussi en cour d'assises.
49:26Le fils vient d'être condamné aux assises à une lourde peine de réclusion criminelle. Ce n'est pas pour rien, ce n'est pas pour rien. Il n'a jamais pu se construire depuis cet événement tragique. Et c'est toute une famille qui a explosé et qu'on continue, nous, médias, nous, écrivains, nous, journalistes, de faire exploser.
49:46Et dans ce pays où le moindre rhume de l'enfant a une signification dans l'enquête de personnalité et sur la condamnation qu'on va prononcer, eh bien on n'a tenu aucun compte dans le destin judiciaire du petit garçon qui a vu partir sa petite sœur, qui allait chercher le petit chien noir et qui a trouvé la mort.
50:09La mission d'un magistrat, c'est de faire éclater la vérité. C'était de faire dire à ce Jean-Baptiste Ramblat, qui était traduit dans son box de la cour d'assises, « Monsieur, dites-nous ce que vous avez subi. Dites-nous pourquoi vous êtes là aujourd'hui. Dites-nous à quoi vous avez pensé quand vous avez tué cette malheureuse. Dites-nous pourquoi vous avez souffert autant. Pourquoi vous explosez aujourd'hui, trente ans après ? »
50:32On a trouvé dans ce passé, dans ce traumatisme, dans cette horreur, aucune explication à la folie qui s'est emparée de lui aussi.
50:42Il a commis un crime lui aussi, peut-être pour oublier tout ça, pour laver cette vision cauchemardesque de sa sœur qui l'appelle et qui lui dit « Mais où es-tu ? Tu devais me défendre, tu ne m'as pas défendu. Tu es parti. Pourquoi ? Tu m'as laissé avec le méchant. »
50:57Voilà ce qu'il se dit, ce gamin. Voilà pourquoi il a tué. Ah, la justice ! Elle a condamné Christian Ranucci à mort, mais elle a condamné cette famille à vivre.
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