00:00On entend souvent dire que la France doit s'excuser pour la colonisation et l'esclavage.
00:04Mais sérieusement, pourquoi s'excuser pour quelque chose qu'on n'a pas fait, qu'on n'a pas vécu ?
00:08Pourquoi s'excuser pour ce qu'on n'a pas fait ?
00:12Parce que le problème, ce n'est pas juste ce qui s'est passé, c'est ce qui continue.
00:19J'ai vu passer cette vidéo et je comprends pourquoi beaucoup se posent cette même question.
00:25Pourquoi la France devrait s'excuser pour l'esclavage et la colonisation alors que nous, on n'y était pas ?
00:33Mais le truc, c'est que cette question repose sur un malentendu profond.
00:38Les excuses ne sont pas une machine à remonter le temps.
00:42Elles sont un acte politique et moral pour reconnaître que ce qui a été commis au nom de l'État,
00:49je parle du niveau étatique, continue d'avoir des conséquences aujourd'hui.
00:53Si on suit ton raisonnement, alors on ne devrait pas non plus commémorer le 11 novembre ou le 8 mai.
01:02Après tout, la majorité des Français et Françaises d'aujourd'hui n'ont pas vécu les deux guerres mondiales.
01:08Et pourtant, on commémore, on rend hommage et parfois même on s'excuse.
01:12Pourquoi ? Parce que l'État est une continuité.
01:16Les crimes ou actes d'héroïsme passés engagent l'État d'aujourd'hui, qu'on le veuille ou non.
01:23Quand l'Allemagne, par exemple, présente ses excuses pour la Shoah,
01:25ce n'était pas parce que les dirigeants actuels y avaient participé,
01:29mais pour reconnaître la responsabilité historique et ses conséquences.
01:34Pourquoi s'excuser alors que tous les pays ont colonisé, ont mis en esclavage leurs voisins ?
01:39Cet argument, c'est comme dire tout le monde triche, donc ce n'est pas grave si moi aussi je triche.
01:46Oui, beaucoup d'empires ont colonisé, mais ça ne change en rien la responsabilité de la France pour ses propres crimes, tu comprends ?
01:53Et surtout, aucun autre pays ne peut effacer nos propres devoirs moraux.
01:59Les Britanniques se sont excusés publiquement pour certaines atrocités coloniales au Kenya.
02:04Le Canada s'est excusé pour le traitement des enfants autochtones.
02:09Ce n'est pas une compétition de qui a été pire que qui, c'est une question de dignité et de justice.
02:16Je ne vois pas l'utilité. Au bout d'un moment, il faut tourner la page.
02:19Tourner la page, c'est possible quand le livre est fini.
02:21Sauf que là, le livre n'est pas terminé.
02:25Les inégalités raciales, économiques et sociales héritées de la colonisation et de l'esclavage, elles sont encore là.
02:32Le code noir de 1685 ou de l'indigénat, ce n'était pas juste des lois du passé.
02:38Ce sont des systèmes qui ont structuré l'économie, la répartition des terres, la représentation politique
02:45et qui continuent d'avoir des effets mesurables aujourd'hui.
02:49Il y a des exemples très concrets de cette continuité.
02:53Prenons le mariage.
02:54Aujourd'hui, en France, il n'est plus obligatoire que les enfants héritent de leurs parents.
03:00Mais cette égalité est très très récente.
03:03Elle date de 1972 pour les enfants nés hors mariage et de 2001 pour les enfants adultérins.
03:10Avant ça, pendant près de deux siècles, le mariage était le seul moyen légal de garantir l'héritage à ses enfants.
03:16Et cette règle venait directement du code civil napoléonien de 1805 pensé dans un contexte racialiste et esclavagiste.
03:27Dans un monde en nègre et blanc, donc d'Aurélia Michel, à la page 346, on peut lire ceci.
03:33On ne peut être blanc qu'en naissant blanc et la propriété et sa succession ne peuvent se réaliser qu'au sein de la filiation blanche d'une part, de la filiation non blanche d'autre part.
03:43Grâce au mariage, la parenté du chef de famille est décidée d'avance.
03:47Quelle que soit la réalité biologique de sa parenté, il est le père légal des enfants de sa femme.
03:52Ce dispositif avait un objectif très clair.
03:56Empêcher les enfants métisses nés de femmes esclaves et de leurs géniteurs blancs d'hériter d'un père blanc.
04:03Quand je parle de blanc et noir, etc., je parle bien d'une réalité sociale.
04:08Le mariage servait donc d'outil légal pour verrouiller l'héritage au sein de la filiation blanche et de protéger les héritages économiques de cette classe dominante.
04:18Même si la loi a changé depuis, cette hiérarchie raciale dans la transmission des biens a marqué durablement les structures sociales et ses effets se ressentent encore aujourd'hui.
04:28Vous ne l'avez pas vécu, la colonisation, ni l'esclavage.
04:31On n'a pas vécu l'esclavage, mais on vit ses conséquences.
04:35Dans les Antilles françaises, par exemple, la quasi-totalité des grandes terres agricoles appartiennent encore à des familles descendantes de colons esclavagistes, autrement appelés des béquets.
04:46En Afrique, sinon, certaines frontières tracées par la colonisation ont laissé des conflits ouverts depuis des décennies.
04:55Et dans l'imaginaire collectif, des stéréotypes racistes créés pour justifier ces systèmes sont encore bien vivants.
05:04Les excuses servent à dire.
05:07On reconnaît que ça a été fait et on ne ferme pas les yeux sur ce que ça a produit encore aujourd'hui.
05:14Il faut arrêter de vous victimiser parce que ça suffit, ça ne marche plus.
05:18Ce n'est pas se victimiser de demander justice.
05:22Les mouvements pour la reconnaissance et les excuses ne demandent pas de pitié.
05:26Ils demandent la vérité et la réparation.
05:30D'ailleurs, ce sont souvent ceux qui disent arrêtez de vous victimiser,
05:34qui bénéficient encore du système hérité de ces crimes sans jamais le remettre en cause.
05:40La vraie victimisation, c'est celle qui continue en silence quand on nie à un peuple le droit d'exiger qu'on reconnaisse ce qu'il a subi.
05:50Les excuses officielles ne changent pas le passé, effectivement.
05:54Elles ouvrent la porte à des réparations concrètes, à des politiques de mémoire,
06:00à une réécriture honnête de l'histoire dans les manuels scolaires.
06:03Elles permettent aussi de dire aux générations futures, ce qui a été fait en notre nom était injuste.
06:11Nous ne le consonnons pas et ça, c'est un geste puissant.
06:15Ce n'est pas un effacement de l'histoire, c'est une promesse de ne pas répéter ses pires chapitres.
06:22Donc, la vraie question, ce n'est pas pourquoi s'excuser.
06:26C'est comment prétendre à l'égalité, à la fraternité, si on refuse de reconnaître les crimes commis au nom de notre propre pays.
06:37Les excuses, ce n'est pas pour les morts, c'est pour les vivants et pour éviter que l'histoire ne se répète.