BFM BUSINESS PARTENAIRE - Ce samedi 12 juillet, dans le cours n°344, Lucie Robieux, directrice du plaidoyer et des relations extérieures chez Apprentis d'Auteuil, et Benjamin Sarda, Partner au BCG, se sont penchés sur le coût du décrochage scolaire en France et les solutions pour l'éviter, dans l'émission BFM Stratégie présentée par Frédéric Simottel sur BFM Business. Cette émission a été réalisée en partenariat avec Boston Consulting Group.
00:00BFM Stratégie avec Frédéric Simotel sur BFM Business
00:08Bienvenue dans cette nouvelle session BFM Stratégie.
00:13On va s'intéresser à un sujet, le décrochage scolaire.
00:17Alors certainement, vous avez certainement des enfants, si ce n'est chez vous, enfin autour de vous.
00:22Et vous entendez souvent ce terme de décrochage scolaire.
00:25Eh bien figurez-vous qu'il est assez important, chaque année c'est 76 000 jeunes qui quittent le système scolaire sans diplôme.
00:31C'est-à-dire qu'après la troisième, eh bien ils partent.
00:33Alors voilà, ils sont nés en apprentissage peut-être.
00:36Enfin en tout cas, ils partent sans vraiment diplôme.
00:39Donc c'est quand même un sujet important.
00:40Alors c'est un chiffre qui a légèrement baissé, mais qui reste quand même très important sur environ 600 000 jeunes qui poursuivent leur scolarité.
00:49Et figurez-vous que, pourquoi il faut s'y intéresser ?
00:51Parce que si on calcule un coût par décrocheur, ça peut atteindre 340 000 euros.
00:56Alors comment éviter ces 340 000 euros multipliés par 76 000 jeunes ?
01:01On va en parler avec nos deux invités.
01:03Benjamin Sarda, partenaire au BCG.
01:04Bonjour.
01:05Bonjour Frédéric.
01:05Benjamin, merci d'être avec nous.
01:06Et Lucie Robieux.
01:07Bonjour Lucie.
01:08Bonjour.
01:08Vous êtes directrice du plaidoyer des relations extérieures à Apprenti d'Auteuil.
01:12Alors je vais démarrer avec vous justement, Lucie.
01:14La bonne nouvelle, c'est que le nombre de décrocheurs est en baisse.
01:17Je l'ai dit très rapidement.
01:18De 11% en 2012, il est passé à 7,6%.
01:20Mais si je regarde clairement les chiffres, ça reste quand même près de 80 000 jeunes,
01:27enfants qui sont en décrochage.
01:29Tout à fait.
01:30Ce chiffre est vraiment préoccupant à l'échelle de notre société.
01:33En fait, on est dans la situation où on peut en même temps se réjouir de la décrue
01:36que vous avez soulignée.
01:37Cette décrue, on la doit vraiment à une action de long terme, amorcée à la fin des
01:42années 2000 par l'Éducation nationale.
01:45Évidemment, qui a été complétée par l'action d'autres acteurs privés, notamment associatifs.
01:50La Fondation Apprenti d'Auteuil innove tous les jours au sein de ses 60 établissements
01:54pour ses 8000 élèves décrocheurs, avec ses 800 enseignants qui, tous les jours, tentent
01:59de combattre.
02:00On est capable d'évaluer quand est-ce qu'ils décrochent un peu ? Est-ce qu'ils décrochent
02:03vraiment au collège ? Est-ce qu'ils décrochent beaucoup plus tôt ?
02:05Ils peuvent décrocher vraiment tôt.
02:07Ce qu'on observe, nous, sur le terrain, c'est qu'un élève peut déjà être en difficulté
02:11d'accrochage scolaire dès l'âge de la maternelle, voire la primaire.
02:14Donc après, on le porte tant qu'on peut.
02:17Exactement.
02:17Ce qui invite donc une action vraiment précoce à l'échelle du parcours scolaire.
02:22On observe aussi qu'en 2025, il y a de plus en plus de filles qui sont concernées par
02:26ce décrochage.
02:28Là où il y a encore 20 ou 25 ans, c'était un phénomène essentiellement masculin.
02:32Et puis, on a des adolescents qui, au lieu de décrocher vers 15-16 ans, c'est-à-dire
02:35aux portes de l'apprentissage professionnel, décrochent de plus en plus tôt.
02:40Ce qui, en fait, montre que les modalités de décrochage scolaire évoluent et qu'il
02:44faut qu'on continue de s'en préoccuper.
02:45Et puis derrière, c'est l'isolement, l'apprenti d'Auteuil, vous connaissez ça,
02:49l'isolement, précarité, la santé mentale aussi dont on parle beaucoup.
02:51Exactement, des difficultés d'insertion sociale et professionnelle.
02:55Apprenti d'Auteuil, ce qu'on voit, c'est que ce phénomène de décrochage scolaire,
02:59il est précurseur d'une très grande difficulté d'insertion économique, sociale,
03:04et que donc, on ne peut pas fermer les yeux.
03:05C'est vraiment une affaire collective d'endiguer ce phénomène le plus tôt possible.
03:10Et c'est ça qui est intéressant avec ce que vous avez mis en place au sein du BCG,
03:13c'est de chiffrer ça.
03:15Et c'est vrai que quand on met un chiffre économique derrière,
03:18il y a la partie sociale qui est importante,
03:20mais là, 340 000 euros par élève décrocheur.
03:24Que recouvre exactement ce chiffre, Benjamin Sorda ?
03:28C'est un chiffre qu'il faut expliquer, effectivement.
03:30C'est 340 000 euros, c'est le coût pour la société du décrochage scolaire.
03:34Comment est-ce qu'on l'a calculé ?
03:35On a comparé d'une part les populations qu'on qualifie de décrocheurs,
03:38c'est-à-dire des gens qui vont jusqu'au brevet,
03:40mais qui n'ont pas de formation au-delà du brevet,
03:42avec ce que payent comme impôts, ce que coûtent et ce que cotisent,
03:47les gens qui ont fait des études.
03:48La différence entre les deux groupes, elle est énorme.
03:50Donc, c'est 26 milliards par an, divisé par le nombre de décrocheurs,
03:56c'est 340 000 euros par décrocheur.
03:58Et d'ailleurs, on est sur BFM Business,
04:00donc c'est pour ça qu'on parle de ces chiffres,
04:02mais ça veut dire derrière qu'on a des cotisations non perçues.
04:05Enfin, voilà tout ce qu'un salarié, un travailleur plus classique,
04:09rapporterait à la fois lui-même, mais aussi au système collectif.
04:13Exactement.
04:13En fait, ce chiffre, il se compose principalement de ce manque à gagner fiscal.
04:16C'est-à-dire que les gens qui n'ont pas de formation accèdent plus difficilement à l'emploi
04:20et donc bénéficient, par exemple, d'aide au chômage,
04:23qui sont un peu inférieures quand on a été formé,
04:26mais aussi, et vous le dites très justement, cotisent moins,
04:29soit directement, soit à travers la TVA, simplement parce qu'il y a une moins d'argent.
04:32Alors, vous aviez déjà fait ce calcul il y a une dizaine d'années,
04:37pratiquement une quinzaine d'années,
04:39c'était aux alentours de 200 000 euros.
04:41Qu'est-ce qui explique un peu cette, bon, au-delà, la vie en hausse, etc.,
04:45mais qu'est-ce qui explique cet écart de chiffre de 2012 ?
04:48C'était 230 000 euros.
04:49Et alors, vous avez raison, la première partie de l'écart, c'est de l'inflation.
04:53Et je pense que tout le monde se souvient qu'on a eu quelques années d'inflation post-Covid un peu musclée.
04:59Malheureusement, ce n'est pas que de l'inflation.
05:01Il y a à peu près un tiers de cet écart qui s'explique
05:02parce que la différence entre les deux populations,
05:05donc la population de décrocheurs et le reste de la population,
05:09cet écart s'est aggravé.
05:11Pour le dire simplement, c'est plus compliqué de ne pas avoir de diplôme
05:15et d'être un décrocheur en 2025 que ça ne l'était en 2012.
05:18On a plus de difficultés à accéder à l'emploi,
05:21on a plus de risques de précarité aigus.
05:24Et donc, tout ça, ça génère simplement plus de coûts pour la communauté
05:27en plus de la détresse sociale, évidemment, que ça génère auprès des décrocheurs.
05:30Et puis, ce serait intéressant de voir la pression du numérique aussi autour de tout ça.
05:34Je suis sûr qu'on peut regarder aussi ça de près.
05:37Lucie Robieux, justement, on a donc réussi à réduire en partir ce décrochage.
05:42Mais c'est quoi les solutions qui fonctionnent ?
05:44Comment on évite ce décrochage ?
05:46Si on le prend de plus en plus tôt, ça c'est bien, on l'a compris.
05:48Mais est-ce qu'il y a d'autres pratiques ?
05:50Absolument.
05:51En fait, c'est quand même un phénomène qu'on commence à bien cerner, à bien comprendre.
05:55À apprenti d'Audeuil, on sait que ça tient à une combinaison de différents leviers.
06:00Celui de s'intéresser au projet vraiment personnel de chaque élève, de chaque jeune.
06:04De comprendre sa situation, de comprendre ses freins.
06:07De parler d'orientation aussi avec lui.
06:10On a aussi...
06:11Assez tôt ?
06:12À partir de quelle heure, à quel âge un enfant peut être...
06:15Pas mature, parce qu'il faudra quelques années, mais on peut lui parler d'orientation, de métier.
06:21Début de l'adolescence.
06:22Au moment où, s'il en fait la demande, si c'est quelque chose qui l'aide à comprendre le sens des apprentissages,
06:28je dirais, il n'y a pas d'âge minimum, mais à partir de l'adolescence, chaque jeune commence à se dire
06:33« qu'est-ce que je deviendrai l'âge adulte ? »
06:35Donc, il y a quelque chose à construire aussi dans un lien de confiance entre les enseignants,
06:40entre la famille, entre le jeune, pour que se restaure la confiance en soi,
06:46la confiance dans les autres, la confiance dans l'avenir.
06:47Et enfin, je dirais qu'il y a un autre aspect très intéressant, c'est de venir en aide aussi aux enseignants,
06:53qui parfois sont désemblés, on n'a pas forcément le temps.
06:56Donc, dans une classe chargée, il y a quelques élèves qui décrochent.
07:01Là, on voit aussi qu'aider les enseignants, c'est aider à prévenir le plus tôt possible le décrochage,
07:06et donc, au service de l'ensemble des élèves.
07:08Et vous avez en exemple déjà quelques dispositifs qui donnent des résultats ?
07:12Tout à fait, qui donnent d'excellents résultats.
07:12En fait, ces leviers, quand ils sont combinés, sont extrêmement efficaces.
07:17On voit que, par exemple, à l'école Pierre-Georgio Frassati, à Saint-Syr-L'École, dans les Yvelines,
07:22c'est une école primaire qui se concentre vraiment sur les élèves les plus en difficulté.
07:26L'équipe éducative et d'enseignants, c'est vraiment structuré pour aller aider ceux qui sont les plus vulnérables.
07:33Et on insiste aussi sur la dimension de comportement.
07:36C'est-à-dire qu'un élève en difficulté va être sensible à la solidarité entre les élèves,
07:41va participer à la vie de la classe,
07:45et ça va lui remettre un pied à l'étrier pour l'apprentissage.
07:50Mais là, vous avez cité des dispositifs un peu particuliers.
07:52Comment on fait dans les...
07:53Parce que tout le monde n'est pas...
07:54On parlait de Pau, on parlait de Saint-Syr-L'École.
07:56Les enfants décrocheurs, il y en a partout.
07:58Comment on fait pour intégrer ces dispositifs dans le système scolaire ?
08:01Enfin, si on peut.
08:01En fait, il y a quand même des leviers, des approches qui sont très efficaces.
08:06Parlons du climat scolaire, qui est si décisif à l'âge de l'adolescence.
08:10Un jeune qui se sent bien dans son établissement,
08:11qui se sent bien dans son groupe de pères,
08:13avec ses autres camarades et avec les enseignants,
08:15on a fait un très très grand pas pour qu'il passe les portes du collège
08:20avec confiance, avec sérénité.
08:22Ça, ce n'est pas spécifique aux élèves décrocheurs.
08:25C'est bénéfique à l'ensemble du système scolaire, par exemple.
08:28Le travail avec les familles aussi peut être extrêmement bénéfique.
08:33Travailler avec les familles, c'est se dire,
08:35même pour des parents pour lesquels l'école a été une expérience
08:38pas satisfaisante, parfois douloureuse,
08:40on va reconstruire le dialogue, reconstruire la foi
08:42dans ce que l'école peut apporter à leurs enfants.
08:45Est-ce qu'on pourrait retravailler ?
08:46Je sais que parfois dans les pays nordiques,
08:49il y a aussi des pays anglo-saxons,
08:51où on ne regarde pas forcément les résultats en tant que tels,
08:54le 18 sur 20, 20 sur 20.
08:56Est-ce qu'il y a aussi un effort à faire ?
08:57Parce que je pense qu'on a tous eu des enfants, des petits-neveux,
09:01dès qu'ils ont des notes qui baissent,
09:05on est un peu entré dans une spirale négative.
09:07Un cercle vicieux de la déconsidération,
09:11de l'absence de confiance en soi, dans les autres.
09:14Donc oui, tout à fait.
09:14Il y a peut-être un changement à opérer,
09:17à l'échelle de notre société, sur la mission de l'école.
09:19Nous, ce qu'on pense à Apprenti d'Auteuil,
09:21c'est que l'école, elle doit se concentrer sur deux objectifs,
09:25si elle ne doit n'en retenir que deux.
09:28La confiance en soi, qui est fondatrice,
09:31qu'on voit dans les entreprises.
09:33Un collaborateur qui a confiance en lui,
09:34c'est un collaborateur qui va savoir affronter des imprévus,
09:38s'adapter, etc.
09:39et aussi le goût d'apprendre.
09:41Donc ça, ça veut dire que s'il est acquis en âge scolaire,
09:45on va pouvoir le réexploiter, le remobiliser à l'âge adulte,
09:49quand il va falloir peut-être changer de métier
09:50ou se reformer en cas de difficulté.
09:53Benjamin Serda, quel peut être dans tout ça le rôle des entreprises ?
09:57Alors certes, il y a des enfants qui font des stages en entreprise,
10:00mais ça passe vite, c'est une semaine ou deux semaines
10:03quand on est en seconde.
10:05Qu'est-ce qui peut être fait dans ce domaine ?
10:07Déjà peut-être un mot sur la raison pour laquelle
10:09on doit faire quelque chose.
10:10En fait, ce décrochage scolaire,
10:12c'est un problème de compétitivité pour la France
10:15et c'est pour ça, en tout cas, qu'au BCG,
10:17on regarde ça de près.
10:18Maintenant, qu'est-ce qu'on peut faire ?
10:19Alors sur le décrochage en lui-même,
10:21il y a des dispositifs de prévention.
10:22Beaucoup d'entreprises font du mentorat.
10:24Il y a des dispositifs de rémédiation.
10:26Lucie a évoqué par exemple des parcours d'apprentissage
10:29un peu spécifiques.
10:31Je crois qu'au-delà du décrochage scolaire,
10:34j'aime bien les deux mots que Lucie vient d'évoquer,
10:36il y a une histoire de confiance.
10:39Et une histoire d'envie.
10:41Et donner confiance et donner envie aux jeunes
10:45de rentrer dans l'entreprise,
10:47c'est quelque chose que toutes les entreprises peuvent faire.
10:49Par exemple, au BCG,
10:51tous les ans, on organise ce qu'on appelle une summer school.
10:53On fait venir chez nous pendant,
10:55alors ce n'est pas très long, pendant une semaine,
10:56mais après on les suit dans les années qui suivent,
10:59une centaine de jeunes issus de milieux modestes.
11:01Et pendant une semaine,
11:03on va essayer de leur transmettre des compétences
11:05qui sont essentielles pour avoir confiance en l'entreprise.
11:07Comment je prends la parole ?
11:08Comment je résous des problèmes complexes ?
11:10Et on va les exposer à toutes sortes d'entreprises
11:13de façon à faire justement naître un peu d'envie.
11:15Il y a plein de métiers passionnants,
11:16simplement quand on ne les connaît pas,
11:17c'est difficile de trouver un sens aux apprentissages.
11:20C'est un dispositif sur lequel on a beaucoup de succès
11:22et beaucoup de retours positifs.
11:23Et on a pu le déployer chez des partenaires cette année,
11:26un peu partout en France.
11:27On a fait en Ile-de-France avec AXA et Allianz.
11:30On l'a fait dans l'ouest de la France avec Armour et Airbus Atlantique.
11:33Et on l'a fait dans la région de Lyon avec Seb.
11:35L'année prochaine, on a l'intention de démultiplier ce dispositif
11:38avec beaucoup plus d'entreprises partenaires
11:39parce que justement, ça permet de travailler sur la confiance
11:42et sur l'envie d'intégrer une entreprise.
11:44C'était intéressant comme session.
11:46On a fait ce lien entre la vie d'un enfant, son avenir
11:51et justement qu'il réussisse à trouver sa voie.
11:54Et puis le côté économique, parce qu'on le voit,
11:56ça compte sur l'économie.
11:57Je trouvais que ce chiffre était intéressant.
11:5976 000 jeunes sont en décrochage scolaire
12:01et ça coûte 340 000 euros par jeune.
12:03Donc au-delà de perdre des jeunes sur leur vie,
12:07la suite de leur carrière, il y a aussi ce co-économique.
12:10Donc c'est pourquoi les entreprises doivent y travailler.
12:12Merci à tous les deux d'être venu nous en parler.
12:13Benjamin Sarda, partenaire au BCG
12:15et Lucie Robieux, directrice du plaidoyer
12:17des relations extérieures, apprenti Toteuil.
12:20A très bientôt pour une nouvelle session BFM Stratégie.