Deux chefs de l'office antistupéfiants de Marseille ont été placés en garde à vue dans les locaux de l'IGPN. Peut-on empêcher les services de police d'être gangrénés par les narcotrafiquants ? Regardez Frédéric Ploquin, écrivain, journaliste et auteur du livre "Les narcos français brisent l'omerta", chez Albin Michel Regardez Les trois questions de RTL Petit Matin avec Jérôme Florin du 24 juin 2025.
00:00Il est 6h14 au coeur de l'actu et au coeur du soupçon, surtout le service anti-stupe de Marseille dont deux hauts responsables sont en garde à vue depuis hier matin
00:13dans le cadre d'une vaste enquête sur la disparition de près de 400 kilos de cocaïne, c'était en 2023.
00:19La drogue devait arriver sur le port de Fosse-sur-Mer en provenance de Colombie, les policiers étaient censés surveiller son acheminement et sa livraison,
00:26sauf que la marchandise s'est volatilisée. Bonjour Frédéric Ploquin, merci d'être avec nous ce matin, vous êtes journaliste et auteur du livre
00:34Les narcos français brisent l'omerta, c'est paru chez Albin Michel. On précise que trois autres policiers sont déjà mis en examen dans cette affaire,
00:43il y a aussi des indics, des informateurs. Au départ donc, les policiers marseillais ont pour mission de surveiller la livraison et l'acheminement de la drogue
00:51sans la saisir pour coincer un gros bonnet du trafic de drogue à Marseille. C'est une technique classique ça ? C'est une technique habituelle ?
01:01Absolument, si vous voulez, on part de l'idée que le pays est totalement débordé, qu'il y a un flux permanent de marchandises
01:08qui arrive à peu près partout, partout les ports, les aéroports, les frontières, etc.
01:15et que par définition, on ne sait pas d'ailleurs combien de drogues rentrent dans ce pays. Donc à partir du moment où on a un renseignement,
01:24c'est vraiment le renseignement étant vraiment l'arme fatale de lutte dans ces cas-là contre le trafic de stupéfiants,
01:31on a un renseignement comme quoi au départ entre 200 et 400 kilos de cocaïne vont arriver dans le port de Marseille
01:39en provenance de Colombie, renseignement donné par les collègues américains.
01:43Et au lieu de faire ce qui s'appelle une saisie sèche, c'est-à-dire de récupérer ces 6 kilos de cocaïne dans le bateau,
01:51de les saisir et de les détruire, ce qui ne donnerait rien et ne servirait pas à grand-chose.
01:56Comme vous le savez, si on supprime de la marchandise, les traficants de stupéfiants continuent.
02:01Je veux dire, ils n'ont pas de soucis là-dessus.
02:04Donc au lieu de faire ça, on décide de faire ce qui s'appelle dans le jargon une livraison surveillée.
02:09C'est-à-dire qu'on va laisser sortir la marchandise, mais on va mettre des sonnettes partout, des caméras,
02:15on va la surveiller, on va regarder ce qui se passe.
02:17Le but étant d'attirer dans le piège, si possible, un important trafiquant de stupéfiants
02:23intéressé par cette grosse quantité.
02:26Donc on met, c'est l'État, ce sont des services de l'État qu'il faut bien comprendre,
02:30qu'ils mettent sur le marché.
02:31Donc du coup, une marchandise à condition évidemment de contrôler ce qui se passe dans le but.
02:35C'est une espèce de pot de miel dans lequel on espère que les mouches vont tomber.
02:39Sauf que les mouches ne sont pas venues.
02:41Sauf que les mouches ne sont pas venues pour des raisons qui restent à élucider.
02:44Parce qu'il peut y avoir, vous savez, il n'y a pas plus corruptif que le milieu de la drogue.
02:49Il n'y a pas dans le milieu criminel d'autres endroits où il y a autant d'argent.
02:54Donc en tout cas, ils ne viennent pas.
02:56On saura peut-être un jour s'ils ont été mis au courant ou pas.
02:59Mais qu'est-ce qui a pu se passer ?
03:00Les policiers se sont fait avoir par leurs informateurs ou ils ont été complices d'un trafic ?
03:06Comme d'habitude, c'est quand même un milieu extrêmement difficile.
03:15La manipulation d'indicateurs est extrêmement complexe.
03:18Et à chaque fois que quelque chose déraille, c'est précisément là que ça se passe.
03:22C'est-à-dire que c'est dans le fait qu'on tente, on a besoin de ces informateurs.
03:30Mais à un moment donné, on ne sait plus qui manipule qui.
03:33Et là, visiblement, sur le terrain, dans ce petit groupe de policiers qui appartiennent quand même, je le rappelle, au service d'élite de la lutte contre les stupéfiants, l'OFAST.
03:41C'est pour ça, d'ailleurs, que c'est probablement la pire affaire au pire moment et au pire endroit.
03:48Je le rappelle quand même, le pire endroit, c'est Marseille qui est le cœur, le cœur même du trafic de stupéfiants en France.
03:55Au pire moment, parce qu'on est en train de remettre sur pied cet office central qui, je le rappelle, en 2020, a déjà été traversé par un scandale du même type.
04:04Pareil, à cause d'une livraison surveillée qui a mal tourné.
04:07Donc après, sur le terrain, est-ce qu'il y a, on va le savoir, mais il y a visiblement, en tout cas, il y a un allié de la police sur le terrain qui est un serrurier marseillais qui sert à ouvrir les portes quand il le faut.
04:21On dirait un mauvais polar, votre truc, là.
04:23Voilà, mais il y a un serrurier marseillais qui s'est retourné, qui lui-même a dénoncé les policiers avec lesquels il travaillait,
04:29et qui prétend, lui, qu'il y a effectivement sur le terrain plusieurs policiers qui ont complètement dérapé.
04:36En tout cas, toujours s'est-il, ces 400 kilos ont, il faut le rappeler aux auditeurs, totalement disparu.
04:40Valeur marchande, 21 millions d'euros.
04:43Donc effectivement, ça peut faire tourner la tête.
04:45Frédéric Ploquin, pour conclure, qu'est-ce qu'elle révèle, cette affaire, que la police doit travailler autrement aujourd'hui contre le narcotrafic ?
04:53Le problème, c'est ça, c'est qu'on n'a pas beaucoup d'autres solutions.
04:56Si vous misez sur le flair du douanier pour intercepter les kilos de cocaïne qui rentrent sur le territoire,
05:04vous allez en saisir peut-être, on ne sait pas, mais 5-10%, même pas, du produit qui rentre sur le territoire.
05:11Donc la seule solution, c'est ça, c'est d'infiltrer ce milieu pour savoir qui fait quoi.
05:17Mais c'est précisément là où le maillon, c'est le maillon faible.
05:21Et du coup, il faut effectivement, non, en fait, la leçon, c'est qu'il ne faut absolument pas laisser sur le terrain des policiers seuls.
05:31Il faut les encadrer, il faut les former, il faut mieux faire de la prévention sur le fait qu'il y a tellement d'argent là-dedans que la bascule est facile.
05:41Et là, ce sont de hauts responsables de l'OFASTE et de Marseille qui sont en garde à vue.
05:45Mais les responsables vont devoir rendre des comptes, non pas parce qu'ils ont mis les mains dans le cambouis eux-mêmes,
05:51mais parce qu'à un moment donné, ils ont probablement ou laissé faire, ou en tout cas pas vu, ou bien pas prévenu de la bonne façon.
05:58Tout ça, il faut le rappeler, attendez, sous le contrôle des juges.
06:00Il n'y a pas que des policiers qui vont avoir des soucis dans cette affaire, il y a aussi des magistrats.
06:05On va suivre cette affaire parce que cette enquête, elle n'est pas terminée, évidemment.
06:07Merci beaucoup Frédéric Ploquin, journaliste et auteur du...