00:00Cyril Dion, 40e lutte enchantée aujourd'hui, on vous écoute.
00:04Vous avez dû le lire ou le voir comme moi dans la presse, le 10 juin, un adolescent a poignardé une surveillante dans son collège.
00:11Dans une sorte de coïncidence macabre, ou peut-être pas, cet événement faisait écho au scénario d'une série, sortie peu de temps avant,
00:18dont le succès fulgurant avait traversé 80 pays, Adolescence, où le héros poignardait lui aussi une de ses camarades.
00:24Tous les médias n'ont parlé que de ça pendant deux jours, en se demandant fébrilement, mais comment un enfant peut-il en arriver à faire une chose pareille ?
00:31Le 12 juin, le psychiatre Serge Effès sonnait l'alarme sur le plateau de l'émission C'est ce soir.
00:37Pour lui, la capacité d'éprouver de l'empathie chez les adolescents serait en chute libre.
00:41Parmi les causes de cette situation, l'exposition de plus en plus précoce est prolongée aux écrans.
00:47L'empathie se développe au contact des autres, des regards, des conversations, des expériences communes, de la proximité des corps, des peaux,
00:53lorsque l'émotion circule entre deux personnes, ou entre une personne et un animal.
00:58Constamment, observer le monde par l'intermédiaire d'un écran ne permet pas au cerveau des jeunes enfants d'établir ces connexions,
01:05et peut créer un rapport de plus en plus distancié à la souffrance et à la mort.
01:09Chez les adolescents, donc combien de temps un ado regarde un écran en moyenne, Cyril ?
01:13Un adolescent de 15 ans, enfin c'est 15 ans et plus d'ailleurs, passerait désormais plus de 5 heures par jour devant son écran à regarder des vidéos.
01:21Donc ça c'est une étude commandée par l'ARCOM aux instituts médiamétrie et CSA qui le dit.
01:26Temps auquel on peut souvent ajouter les jeux vidéo, le temps d'écran pour travailler, donc disons au moins 6 heures,
01:32donc au moins un tiers du temps éveillé.
01:34C'est en moyenne une heure de plus chaque jour qu'il y a 10 ans, et cette exposition croissante a de multiples conséquences,
01:41comme l'a constaté la docteure en psychologie Jean M. Twinge.
01:44Et alors lesquelles par exemple ?
01:46Alors dès 2012, l'année où la proportion d'Américains qui possèdent un smartphone a dépassé les 50%,
01:51Twinge observe des changements comportementaux et émotionnels brutaux chez les adolescents.
01:57Elle croit d'abord à une erreur, mais ses tendances se confirment les années suivantes.
02:00La scientifique avoue ne jamais avoir rien vu de tel en 25 ans de travail sur les différences entre générations.
02:08Plus ses travaux se précisent et plus elle mesure à quel point cette nouvelle génération a été façonnée par l'émergence concomitante des smartphones et des réseaux sociaux.
02:16Alors certes, ces adolescents sont moins exposés aux accidents de voiture, consomment moins d'alcool,
02:20ont des relations sexuelles plus tardives, ça je sais pas si c'est bien,
02:23mais ils sont selon la chercheuse à la lisière de la pire crise en matière de santé mentale depuis des décennies.
02:30Une étude conduite par le Monitoring the Future Survey confirme cette tendance.
02:35En gros, depuis 1975, ils interrogent chaque année des lycéens sur des nombreux aspects de leur vie et sur leur sentiment de bonheur.
02:42Et les résultats sont édifiants, sans aucune exception.
02:46Tous les élèves qui passent plus de temps que la moyenne à pratiquer des activités impliquant un écran
02:51se sentent moins heureux que ceux qui passent plus de temps que la moyenne sans écran, et de loin.
02:56En réalité, plus un enfant passe de temps devant son écran, plus il a de chances de développer des symptômes dépressifs.
03:01Et on peut imaginer que c'est la même chose pour les adultes ?
03:04Absolument, ce qui n'arrange pas nos problèmes, loin de là.
03:06Évidemment, les écrans ne sont pas les seuls responsables de la violence, de l'intolérance, de la dépression.
03:11Ces phénomènes sont la résultante d'une myriade de facteurs, et existent depuis fort longtemps.
03:14Mais ces écrans creusent une tendance.
03:18Ils avalent notre temps, fragmentent notre attention, nous enferment dans des bulles de filtres.
03:23Ça, ce sont les algorithmes et les réseaux sociaux particulièrement.
03:25Ils nous rendent plus perméables à la manipulation.
03:28Ils nous distancient du réel.
03:30Et si en plus leur usage massif fait effectivement chuter notre faculté d'empathie,
03:35nous avons un très gros problème.
03:36Car comme je l'ai déjà évoqué ici, notre capacité à nous mobiliser pour sauver le climat,
03:41stopper l'éradication des insectes, des populations d'animaux vertébrés,
03:45mais aussi nous dresser pour venir en aide aux autres humains,
03:48dépend étroitement de notre faculté à faire grandir notre capacité à l'empathie.
03:52À la faire passer de notre cercle restreint, nos amis, nos familles ou nos animaux familiers,
03:58à l'ensemble des vivants.
03:59Comme le disait Jane Goodall dans le film Animal,
04:02on ne protège que ce que l'on aime et on n'aime que ce que l'on connaît.
04:06Donc lutter passe aujourd'hui par une nouvelle voie,
04:09le plus possible sortir des écrans, des réseaux sociaux,
04:12renouer avec l'expérience directe,
04:14tant dans la nature qu'avec les autres humains ou avec les animaux.
04:17C'est aussi un enjeu démocratique fondamental.
04:20Et ça, c'est ce dont je vous parlerai la semaine prochaine
04:22pour ma toute dernière lutte enchantée.
04:25Allez faire un stage chez GroinGroin par exemple.