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00:00Cette histoire s'écrit au pluriel.
00:23Derrière ce « nous », 50 ouvriers aux mémoires entremêlées.
00:2650 familles qui ont pris la parole pour dérouler l'histoire de la condition ouvrière de 1945 à nos jours.
00:35Ouvriers.
00:36Le mot est lancé avec fierté.
00:39Ouvriers.
00:40Pour celles et ceux qui ont eu 20 ans dans le creux des années 60, le mot se fait étendard.
00:46Au cœur de la Vème République gaulliste, il doit faire face à une nouvelle révolution industrielle.
00:52L'automatisation redessine la place de l'ouvrier.
00:54Ces années-là vantent le confort et le plein emploi.
00:58Mais les ouvriers de cette génération interrogent la société.
01:01Ne sont-ils que des machines à produire ?
01:05800 fois le même geste.
01:08C'était quoi, votre geste ?
01:09Moi, je devais souder.
01:11J'avais une grosse machine montée sur des potences, comme ça.
01:14Je devais faire trois soudures.
01:15Des points de soudure avec une machine.
01:17Puis un petit cordon de soudure à l'arc, comme ça.
01:19Et mettre du silicone pour mettre le toit.
01:25Donc je faisais ça.
01:27Ils faisaient de manière très rapide, très répétitive.
01:30Il y avait les bobines de fil.
01:32Il fallait prendre les bobines de fil.
01:34Il fallait faire les nœuds.
01:36Il fallait nettoyer les bobines sales.
01:38Il fallait les reposer.
01:38On sortait, elles étaient toutes pleines de coton.
01:40C'est ça, tu fais ça.
01:42Toutes les gens disent que tu passes tes pièces.
01:45Le nœud, enlever la bobine.
01:49Remettre le fuseau.
01:50Le nœud, enlever la bobine.
01:52Mettre le fuseau, le nœud.
01:54Et tout le temps, tout le temps la même chose.
01:56Ah ouais, ouais, ouais.
01:57Tout le temps le même moment.
01:59C'est ça.
01:59Tout le temps.
02:00Les mêmes gestes.
02:00Tout le temps, tout le temps, tout le temps, tout le temps.
02:03Pendant 8 heures.
02:04Mais bon, c'est atroce.
02:05Percer des trous toute la journée, quand vous avez fini 1000,
02:08ils vous en ramènent à l'an de même des 1000.
02:09C'est atroce.
02:11En fait, on donne à manger au robot.
02:13Vous lui mettez des pièces.
02:14Et lui, avec ses pinces de soudure,
02:17va assembler les pièces de façon à former
02:19toutes les parties du véhicule.
02:21Après, vous appuyez sur les boutons.
02:22La voiture repart.
02:23Ça a une petite...
02:23Pour recommencer.
02:25Après, c'était fini.
02:25Vous appuyez sur le bouton.
02:26La voiture repart.
02:39La voiture repart.
02:40La voiture repart.
02:57La voiture repart.
02:58...
03:28Tout le temps, tout le temps, tout le temps le même geste et puis c'est une amputation.
03:36Est-ce que depuis la nuit des temps, les hommes auraient imaginé de faire le même geste dans la tribu ou je ne sais pas.
03:45Ça apparaît complètement dans le village ou il y en a un qui va faire.
03:49Au bout d'un certain temps, quand le geste est tellement répétitif, on a besoin de s'évader un peu.
03:54Et ça peut être de chanter, ça peut être de se faire...
03:58Bon, moi je chantais des chants révolutionnaires sur ma bécane.
04:04Mais c'est aussi une manière de résister à une forme d'aliénation.
04:09C'est-à-dire, vous fermez et dire je pense à Saint-Trompé ou les balayas, peu importe, c'est un bel endroit.
04:18Et puis je m'envole pendant... Non, il faut que vous devez rester concentré.
04:22Il faut arriver à concilier un cerveau vide et des muscles, voilà.
04:27Et en fait, vous devez éviter de penser à autre chose.
04:30Sinon, vous allez vous appuyer sur votre propre sort.
04:33Enfin, moi je ressentais comme ça.
04:34Le niveau d'exigence ouvrière, tout simplement, s'élève.
04:57Et ce qui était considéré comme on le fait, c'est difficile, mais on n'a pas le choix.
05:03Dans les années 30 ou dans les années 50, c'est vécu à partir des années 60 comme c'est pas admissible de nous traiter comme ça.
05:11Et il faut trouver des solutions.
05:12Dans ces années 60 qui chantent le progrès, les ouvriers prennent conscience que leur travail est de plus en plus segmenté.
05:24Ils ne fabriquent plus une pièce ou un objet, ils exécutent un geste.
05:28En 1968, c'est au cœur des chaînes et des appareils de production que le malaise va éclater.
05:33Revendication salariale, bien sûr, mais aussi et surtout, remise en cause des cadences trop élevées, de l'organisation même du travail.
05:4368, comment ça commence chez vous ?
05:45En janvier.
05:47Nous, on a fait mal.
05:48On ne faisait jamais rien comme tout le monde.
05:52On demande 6% d'augmentation de salaire.
05:56On nous dit 2% en avril.
05:58Ça hurle.
05:59Et là, alors, ça s'est encore plus mal passé, puisqu'on a eu une nuit d'émeute.
06:03Il y a eu de nombreux blessés, dont 2 qui ont eu chacun un oeil crevé, par les grenades offensives.
06:09Parce que c'était pas seulement les grenades lacrymogènes, c'était aussi les grenades offensives qui tombaient à vos pieds, faisaient un petit trou dans le goudron, quand même.
06:17Il y avait des jeunes qui chargaient les CRS avec des pédagogues, des pédagogues indicateurs.
06:23Ah oui, c'était une violence inimaginable.
06:29On a fait, comme on le dit, un héros.
06:40Ceux qui ont fait le mouvement de 68, les étudiants se sont bien battus.
06:45Pas de problème.
06:46Enfin, ceux qui ont fait 68, c'est des millions de salariés en grève.
06:51Pour les salariés, comme un des mortels, ces gars-là qui font des hautes études, bon, ils se battent tout de suite.
07:02Ça leur coûte rien, ils perdent pas de salaire.
07:04Et puis, de plus, c'est ceux-là qui viendront nous en faire baver après, quand ils seront cadres.
07:10C'était ça, au départ.
07:12Les grèves de mai-juin 68 sont les grèves ouvrières les plus importantes du siècle.
07:24Il y a 7 millions, sans doute, de salariés en grève, plus qu'en 36.
07:29On est dans un moment où, quand on est étudiant et consommé en grève, on va voir les ouvriers.
07:33Parce que c'est eux la classe révolutionnaire.
07:36C'est eux qui incarnent la vérité du combat de classe.
07:41C'est le moment dans l'histoire du pays où le plus de rencontres entre classes sociales s'est opérée.
07:47La force des grèves ouvrières de 68, c'est que c'est aussi des grèves où on va contester l'organisation du travail.
07:54On va s'en prendre à la rationalisation du travail.
07:56On va vouloir inventer une autre manière de travailler.
07:59Je demanderai aux camarades s'ils sont d'accord pour la grève que nous menons actuellement.
08:03Et je vous demanderai aussi de la voter à malver.
08:06Est-ce que vous êtes d'accord de la grève que mène votre marie ?
08:09Pour nous porter le moment de main, parce que le vieux a été mal dur, on n'y arrive plus.
08:12On est 3 millions en maison, puis il n'y a pas moins d'idées d'arriver qu'au chevré.
08:15On est au bout de sa rouleau, puis je sais tout.
08:17Il faut que tout le monde s'y met, il n'y a pas d'avance.
08:19On n'y arrive plus.
08:20Mais on est en 3 millions, je n'y arrive pas à la butte.
08:22Il n'y a pas d'avance.
08:23Il est passionné, c'est l'écosé.
08:24J'ai 6 enfants, et je n'y arrive pas non plus à mon budget.
08:27Je me rappelle, on était sur le carreau de Soumon, pas loin d'ici, là, un kilomètre d'ici, là, d'où que je suis.
08:32Et puis, ben voilà, comme ça a été décidé, ben, on a empêché le patron de rentrer, hein.
08:38On était devant les grilles, disait qu'il était chez lui, mais on a dit qu'on est chez nous.
08:42Ça n'a pas eu tourné au vinaigre, hein, il y a quand même des morts, quoi qu'on dise.
08:48Même s'il n'y a pas eu beaucoup de bruit là autour, hein, il y a eu quand même beaucoup de malheur, hein.
08:55Moi, je vois encore des grenades offensives qui volaient un peu partout, hein, et qui a fait les victimes.
09:0868, c'est pas simplement la fête et le carnaval.
09:15Et c'est au mois de juin qu'on va avoir les conflits les plus durs, notamment dans la métallurgie,
09:21avec un patronat de combat qui refuse de céder.
09:24Avec l'appui du gouvernement Pompidou, on va avoir des interventions extrêmement brutales des forces de l'ordre
09:29qui vont aboutir à des affrontements d'une violence tout à fait impressionnante.
09:38On a négocié deux fois, c'est 12 ou 18 heures d'affilée.
09:53Moi, je me souviens, dans ces négociations, de temps en temps, j'allais me passer de l'eau froide
09:59pour reprendre les esprits, c'est crevant, hein.
10:04M. Blondeau, après 24 heures de discussion, des éléments d'accord sont intervenus
10:09entre la direction d'écharbonnage et les organisations syndicales des mineurs.
10:13Quels sont ces éléments d'accord ?
10:14Disons qu'on a fait un accorstat.
10:17Moi, j'ai jamais signé un tel succès revendicatif, jamais.
10:24L'augmentation proposée fera, à la fin de l'année 1968, 11,25%.
10:31Je crois qu'on avait eu 10% d'augmentation de salaire, attention, quand je me souviens,
10:35d'une amélioration d'un certain nombre de choses, réduction du temps de travail.
10:42Ça a été fini, les 48 heures, ça a été fini après 68.
10:46Ben, il lâchait.
10:48Il lâchait.
10:50Mais il savait plus où ils étaient.
10:51Les gens qui nous réprimaient avaient eu une trouille monstre.
10:57La discipline a explosé, quoi.
10:58Je veux dire, cet autoritarisme qu'avaient les chefs d'équipe, cette pression, tout a volé en éclats, quoi.
11:05Là, c'était... Il n'y a plus rien.
11:06Il n'y a plus rien de contrôle à l'abri de leur part, quoi.
11:09Le moindre...
11:10La moindre défaillance, la moindre merde, tout le monde débrayait.
11:15Ça repartait.
11:16Les gens se parlaient, il y avait une solidarité, vous comprenez.
11:19On parlait de la révolution, on ne parlait pas des élections, on ne parlait pas nationalisme.
11:24On disait intérêt national, c'est l'intérêt du capital.
11:28Moi, ce mot d'ordre, je l'ai hurlé, vous comprenez.
11:31Non, moi, je ne rentrerai pas, non, je ne rentrerai pas là-dedans.
11:35Je ne mettrai plus les pieds dans cette taux, là.
11:38Vous rentrez-y, vous allez voir quel bordel que c'est.
11:40On est dégueulats jusqu'à là, on est toutes noires, il faut le voir.
11:42Il y a sûrement les bonnes femmes qui sont dans les bureaux, elles s'en foutent, là.
11:46La faillite avec le patron, c'est tout ce qu'il y a à faire, de toute façon, alors.
11:48On ne va pas tout résoudre aujourd'hui.
11:50On pourra y arriver, l'imposer.
11:51De toute façon, c'est fini, maintenant, on ne pourra plus rien avoir.
11:53C'est pas vrai, pas avec le patron, avec tout le monde.
11:56Je disais ça, il y a trois semaines, il y a tous un jour.
11:58Je me répète, les gens de chez Vendeur, rentrez, reprends de votre travail tranquillement.
12:02C'est ça !
12:04Mais oui, les années 68, tout le bordel, les grèves, sous les pavés, la plage, détruisez-vous, bref, faites-en des réalités, ça te porte, ça.
12:16Et mai 68 ouvre la tête, quelque part.
12:24Maintenant, avec le recul, ce n'est pas si facile que ça à analyser, c'est vrai.
12:28Mais j'ai bien conscience que dans 68, on est dans un mouvement où on prend conscience des valeurs, de valeurs de la société.
12:35Quand on est face à l'injustice, on est jeune, enfin, quand j'étais jeune, c'est la révolte.
12:43Je suis un révolté à l'époque.
12:45C'était l'époque où le rêve a émergé, si tu veux.
12:49Je me suis rendu compte qu'il y avait autre chose.
12:51Ça voulait dire quand même une rupture avec la famille.
12:54Parce que, ah oui, moi je me suis cassé le témoin, j'ai pris mon baluchon, j'ai été travailler,
13:00je me suis mis en colocation avec des copains à Biancourt.
13:06Et puis voilà, j'allais même plus les voir pratiquement, c'était dur.
13:09Après 68, quand il y a eu des ruptures dans les familles,
13:13on remettait, bon, par exemple, ma mère, elle était catho,
13:17bon, elle n'était pas une pratiquante.
13:21Moi, j'ai eu un rejet complet de la religion, de toutes ces histoires-là.
13:25Et donc, c'est aussi une rupture, aussi là-dessus.
13:30Le patronat réagit à 68.
13:36Il y a un tour de vis qui est fait.
13:38Même s'il y a un droit syndical qui est reconnu,
13:40dans la réalité, on s'en rend compte dès juin, dès juillet,
13:44il y a une masse de militants syndicaux qui sont licenciés,
13:46notamment dans les petites entreprises.
13:48Et la répression contre le syndicalisme, c'est une des grandes spécificités françaises.
13:53Notamment dans l'automobile, il y a le recours, effectivement,
13:58à des pseudo-syndicats qui se présentent comme des syndicats,
14:02mais qui sont, en fait, des groupes organisés au service de l'employeur
14:07et qui, surtout, intimident.
14:08Quand on est militant CGT, quand on veut être militant CGT à Simca,
14:13on s'expose à se faire casser la figure et à se faire licencier.
14:17Et ça, dans les années 70, au vu et au-dessus des pouvoirs publics
14:20qui ne font strictement rien.
14:27J'ai un copain qui, en 78, s'est tiré une balle dans la tronche,
14:30Marchaud, il s'appelait, il avait 28 ans.
14:32On l'avait mis comme délégué syndical,
14:37on l'avait mis à la frappe-caisse, qu'on appelle ça.
14:39Tu sais, la fameuse rangée de chiffres et de lettres
14:42que tu as sur la carte grise.
14:43Tu en as longs comme ça à te faire chier.
14:45Donc, tous les jours, tu dois taper 300 caisses.
14:49Tu imagines le nombre de numéros.
14:50Tu prends un outil avec un N ou avec un 3,
14:53poum, poum.
14:55Donc, il arrive deux ou trois erreurs, je veux dire, par jour.
14:57Ce qui est normal, d'ailleurs.
14:58Mais quand c'était pas lui, ça allait.
15:00Quand c'était lui, c'était un jour à pied,
15:01deux jours à pied, trois jours à pied,
15:03quatre jours à pied, cinq jours à pied.
15:05Donc, nous, on l'a nourri.
15:07On l'a nourri.
15:08On lui a tous donné du fric pour qu'il puisse tenir le coup.
15:10Et puis, en 78, il s'est débarrassé.
15:15Un coup de 22 dans la tronche, un terminé.
15:18Il s'est suicidé.
15:19Suite, il avait eu, je crois, 70 avertissements.
15:24Mais des avertissements qui laissent dépasser un badge syndical de sa veste,
15:30répond mal à son hiérarchique.
15:33Et à chaque fois, c'était avertissement,
15:35un jour, deux jours, trois jours de mise à pied.
15:37C'était un militant syndicaliste qui croyait à ses valeurs.
15:43Il a craqué.
15:44Il s'est suicidé.
15:44Moi, je rencontre le lendemain Chaneau,
15:46qui était chef d'hypersone en carrosserie
15:49pour aller à l'enterrement de Marchaud,
15:51parce qu'il n'habitait pas là.
15:52Il habitait en Goulême, à côté d'Angoulême.
15:53Il fallait l'enterrer.
15:54Il était tout seul ici.
15:55Il fallait qu'on l'accompagne là-bas.
15:57Il fallait s'occuper des procédures, etc.
15:59Prévenir ses parents qui étaient très âgés là-bas, etc.
16:02Donc, je demande si on peut collecter du pognon pour aller l'enterrer.
16:09Chaneau me répond directement devant témoin.
16:11Le prochain sur Mali, c'est toi.
16:14Comme ça ?
16:14Mais c'est comme ça que ça se passe.
16:15C'est pas...
16:16C'est comme ça.
16:23L'usine, toujours plus puissante,
16:26a été obligée de développer ses tentacules
16:28dans toutes les directions.
16:32Aujourd'hui, tous les villages environnants
16:34sont comme énervés
16:35par l'écart de la grande usine.
16:38Les cars Peugeot
16:39amènent les ouvriers des villages à l'usine,
16:42les ramènent de l'usine au village.
16:44Ainsi, l'usine,
16:46nerf de tout ce pays, pénètre partout,
16:48s'insinue partout,
16:50apportant la vie, le travail
16:52et une certaine prospérité.
16:58Sous-titrage Société Radio-Canada
17:03C'était 6h du matin.
17:29On faisait 3-8.
17:31Tu commences à 5h du matin,
17:32tu finis à 13h.
17:336h, 2h, 14h, 22h, 22h, 6h.
17:36Tu commences à 13h, tu finis à 21h.
17:386h, midi, 14h, 19h.
17:41Tu commences à 21h, tu finis à 5h.
17:43À 1h, l'après-midi, jusqu'à 10h le soir.
17:46Pour ce du matin, c'était 4h de mon corps,
17:47midi mon corps.
17:48Pour ce de l'après-midi, c'était midi mon corps,
17:508h de mon corps.
17:51Et pour ce de nuit, c'était 8h de mon corps,
17:538h de mon corps le matin.
17:54On travaillait le samedi matin.
17:57Ah ben oui, hein !
17:58Quand vous vous levez 6 jours de suite,
18:00à 3h du matin l'hiver,
18:02ben, c'est assez pénible.
18:05Vous avez d'autres noms marqués, vous mettez dans la pointeuse
18:34et vous pointez en bleu, donc prêt au travail avant 7h du matin.
18:38Une carte que l'on passe dedans et puis du coup ça mettait l'heure dessus et puis voilà.
18:43Manquer un quart d'heure, c'était déduit. Vous arrivez à 5h à quart, c'était déduit.
18:47Des fois on avait intérêt à se dépêcher de pointer et puis après on prenait le temps pour les déshabiller
18:51parce qu'à force de courir, ça n'avait marge.
18:54Et puis à la sonnerie, c'est la ruée vers la pointeuse,
18:58avec qui compris parfois c'est un copain qui pose, qui met 2-3 cartons pour les autres qui sont déjà un peu barrés.
19:09Moi je me suis aperçue, les gens changent très très vite dès qu'ils ne pas se maîtrisent.
19:14Donc il y a un cursus qui fait qu'on leur donne tout un tas de règles à appliquer
19:19en cas de conflit entre ouvriers, en cas de conflit lui-même avec un ouvrier,
19:25l'attitude à tenir, comment on doit se comporter.
19:29Ah oui, le chef c'est, comment on dit, le maton un peu.
19:33Tu fais ça, tu fais ça, tu vas là, dépêche-toi, tapote sur le compteur,
19:38il n'a pas beaucoup avancé, il faudrait qu'il tourne un peu plus vite là ton compteur.
19:41Ma première ouvrière, ça veut dire que vous travaillez très bien
19:48et que vous pouvez former les autres gens et puis que vous devenez responsable.
19:53C'était tout un truc, être première ouvrière, ah t'es première ouvrière,
19:57ah c'était déjà un grade au-dessus de l'ouvrière,
20:00on va dire c'est l'étape au-dessus de l'ouvrière.
20:04Donc j'ai été première ouvrière et ensuite assez rapidement chef d'une section.
20:11Et là je faisais les contrôles et également je formais les gens, donc monitrices.
20:17Et vous savez combien j'ai eu d'augmentation pour faire ça ?
20:20Sous ma paye, 10 centimes.
20:24Nous on disait, dans la maîtrise, le chef d'équipe, le contre-maître,
20:29maintenant on dit des managers.
20:33On leur fait croire qu'ils sont autre chose que les petits chefs aillons dans le temps,
20:37et maintenant ils sont aussi chefs aillons, mais on les appelle managers.
20:40ça fait beaucoup mieux.
20:43Mais nous on avait peur du chef, on avait peur du tout,
20:46on parlait pas, on était là, on se mettait à notre poste,
20:50et puis c'était un petit peu, voilà.
20:52Les pare-brises de 404 étaient emballées dans des grandes caisses,
21:08donc c'était large quand même.
21:09Les caisses devaient faire 1m80,
21:10il y avait de la paille au fond avec des cartons,
21:12pour pas que les pare-brises cassent.
21:14Et on se mettait, quand la caisse était finie,
21:17donc il était 8h30 le matin, à 9h, on avait fini,
21:21on se foutait là-dedans, on piquait jusqu'à 11h,
21:23on se mettait un carton sur la tête,
21:25c'était vraiment drôle de truc.
21:27Bon, tout le monde le savait, mais notre boulot était fait,
21:29donc à l'époque, on ne demandait pas de bosser jusqu'à l'heure,
21:32on demandait, on avait une production à faire,
21:34on faisait la production, c'était fini.
21:35Ah, la perruque, le terme perruque.
21:55La perruque.
21:57J'en ai fait.
21:58La perruque, c'est le travail personnel pour soi,
22:01sur le temps de travail.
22:02Voilà, c'est pas beau, c'est pas beau,
22:05mais il y avait toujours moyen de s'arranger
22:06pour pas que le chef s'aperçoive de ça.
22:08Évidemment, on a des machines, on a un savoir-faire,
22:10on a de tous les métiers.
22:12C'est quoi la perruque ?
22:13La perruque, ça pouvait être réparer
22:16la poignée de porte de son appartement,
22:19ça pouvait avoir le goût pour faire des œuvres d'art.
22:23C'est des vrais chefs-d'œuvre.
22:24Moi, j'ai des copains qui ont des chefs-d'œuvre à la maison,
22:27dans tout matériau, en métal, en bois.
22:30Moi-même, j'en ai fait un peu.
22:31Le cas le plus manifeste, le souvenir que j'ai,
22:36c'est les copains maghrébins qui avaient des théières.
22:39Et la théière, le coup classique,
22:40c'est le couvercle qui se dessoudent.
22:43Donc, il fallait un coup de brasure.
22:44Ça, c'est de la perruque.
22:46Rebraser le couvercle de la théière,
22:48évidemment que c'est de la solidarité élémentaire.
22:53Et ça transforme aussi les rapports humains.
22:54Les hommes avaient les bleus, nous, on avait d'autres blouses.
23:16Parce que dans la porcelaine, c'était quand même salissant,
23:22mais c'était ce chaos lin plus le pétrole et tout.
23:26Les abysses en prenaient un sacré coup.
23:32Moi, j'ai toujours été, jusqu'au dernier jour,
23:34j'ai toujours travaillé avec ma blouse.
23:36Je disais, c'est une cache-misère, la blouse.
23:37C'était 8 heures la production, sans arrêt,
23:58et 20 minutes pour manger,
23:59entre 7 heures et 7 heures 20.
24:02C'est-à-dire qu'à l'usine, vous aviez 20 minutes pour manger.
24:05Donc vous n'avez pas vous installé
24:07avec la petite serviette autour du cou,
24:09la petite table, le verre et tout.
24:11Donc c'est ça, parce que c'était terminé.
24:13En fait, on mettait des bacs entre les machines
24:15et puis on mangeait avec la copine d'en face.
24:17Et puis, au bout d'un quart d'heure,
24:19il y avait le contre-maître qui passait et allait.
24:22Ou alors il appuie sur le bouton
24:24et il disait, allez, il faut aller travailler.
24:30On peut lire aussi les espaces de travail
24:33et les usines des années 60.
24:35Comme des espaces très contraints,
24:37par une hiérarchie très présente,
24:38par le travail à la chaîne,
24:39et en même temps, par une dynamique
24:42où les ouvriers essaient de se réapproprier
24:45des espaces de liberté.
24:47Ça peut être le moment du repas,
24:49ça peut être toutes les formes de jeux,
24:52parce que ça va...
24:53de jeux avec le travail à la chaîne,
24:56d'aller vite pendant 2 heures,
24:58comme ça vous récupérez 10 minutes de pause,
25:00de détournement d'un certain nombre d'objets
25:04ou de matières premières de l'usine
25:05pour en faire du bricolage.
25:07Je pense que le repas, la gamelle,
25:08s'apparente à toutes ces pratiques
25:10de grignotage d'espaces de liberté
25:13dans un espace très contraint.
25:16La gamelle, on a mis une gamelle.
25:33C'est vrai ?
25:33En ferraille, oui.
25:35Qu'est-ce qu'il y avait dans votre gamelle ?
25:38Ce que j'avais fait à manger le soir.
25:39Je fais un peu plus le soir,
25:41et je mettais le reste dans ma gamelle
25:45pour le lendemain.
25:46C'est bon, c'est préparé,
25:47toujours, quand même.
25:48Oui, c'est vrai.
25:50Il y en a qui se fait le fondre toute seule.
25:54Moi, mon casse-coute,
25:57le petit salé.
26:00Oui ?
26:00Le petit salé.
26:01Ah, j'adorais ça.
26:02La prétrine fraîche, là.
26:04Ah, j'adorais ça.
26:06Vous voyez, dans les rigoles,
26:06c'était en sable.
26:08Le sable était chaud,
26:09à un moment donné, il était bouillon.
26:10Alors, on avait des...
26:12Ce qu'on appelle
26:13des saucisses à cuire.
26:14Le renne, c'est des saucisses
26:15comme les Montbéliard.
26:17On mettait dans le sable chaud,
26:19puis on recouvrait avec du sable.
26:21Et ça cuisait dans son jus à l'étouffer.
26:23Mais alors ça, c'était...
26:25vraiment bon.
26:26Ambé à la nuquila.
26:27Ral networks à l'été.
26:40C'est parti.
27:10L'usine, c'est un lieu, malgré tout, de solidarité, de bonne ambiance, finalement.
27:16Mais c'est aussi un lieu de souffrance.
27:18C'est un lieu d'injustice.
27:20Moi, je me rappelle quand j'étais jeune, quand on me disait,
27:23« Attel, il va être à la retraite, il va être à la retraite, il va être à la retraite, il va être à la retraite, il va être à la retraite. »
27:27Donc c'est de la mesure qu'il avait 65 ans.
27:29Ça veut dire que pour moi, deux, trois ans après, il était mort.
27:32Et c'est ce qui se passait.
27:33C'est que les gens ne vivaient pas vieux.
27:35Tu es ouvrier, tu te tais, tu montras.
27:37Sauf que ce n'est pas vrai.
27:39Tu finiras ta carrière avec 100 balles de plus, le dos foutu, des tendinites,
27:43des maladies professionnelles qui ne sont même plus reconnues par la sécurité sociale
27:46parce que les patrons ne veulent plus payer.
27:49Et puis après, ben voilà, tu t'en vas, puis c'est tout.
27:51Puis avec le réforme, les retraites qu'ils n'arrêtent pas de nous faire,
27:53tu crèveras même au travail et tu diras « Merci, patron. »
27:56Il te payera un cercueil en carton.
27:58Il est gentil.
27:59Ça, c'est mon côté colère.
28:03Quand on vous donne un casque, des vêtements de sécurité, c'est pour votre sécurité.
28:07C'est parce que ça coûte cher si vous arrivez à un accident.
28:09Ce n'est pas forcément pour l'être humain qui est dedans.
28:11C'est vrai que quelque part, quand on peut y penser d'un agitement,
28:14non, non, mais attends, ça coûte énormément cher.
28:17Vous savez ce que la feuille jaune ?
28:19Dès que vous avez un accident de travail, il faut que vous fassiez une déclaration.
28:21Donc l'employeur, il vous fait une feuille de maladie spécifique, accident.
28:27Et dès qu'il fait cette feuille de maladie, il est taxé.
28:31Obligatoirement.
28:32Donc lui, il cherche à payer le moins possible.
28:36Donc il doit améliorer les conditions.
28:37En fait, c'est pour inciter l'employeur à vous équiper au niveau de sécurité.
28:41Vous me dites, la classe ouvrière, est-ce qu'elle existe ?
28:43Je vous invite à aller à une manifestation des victimes de l'amiante.
28:46Vous verrez la classe ouvrière.
28:48Le nombre d'ouvriers qui trimballent leurs bouteilles d'oxygène,
28:51qui ont les poumons foutus.
28:52C'était un gars qui travaillait dans une fosse,
29:20sous des machines et des travaux où moi j'aurais pu être.
29:24C'était des graisseurs qui graissaient les machines.
29:28Et la machine s'est remise en marche.
29:32Il a été décapité.
29:33C'est terrible.
29:34Il y a des témoignages de gens qui ont vu,
29:37de camarades qui ont vu ça.
29:39On est marqués à vie.
29:40Et donc ça a explosé.
29:41Et bon, on a fait les manœuvres.
29:42Et puis en faisant les manœuvres,
29:43oh putain, tu trouves...
29:45Tu vois, c'est pas un être humain.
29:49C'est quelque chose qui a été cramé à un arbre.
29:52Comme un arbre mort.
29:53C'est des cendres noires,
29:56comme du charbon de bois.
29:58Qui ont une forme humaine, comme tu regardes bien.
30:00C'est ce qui est grand- complimentary.
30:10C'est très gentil.
30:10Bien, ça va.
30:11Bien, ça va.
30:11Bien, ça va.
30:12C'est un peu.
30:13Bien, ça va.
30:13Bien.
30:14Bien, vous avez un peu.
30:14Bien, vous allez.
30:19Bien, bien, bien, oui.
30:20Bien, disons.
30:22Bien, bien, je veux que j'entrais.
30:23Estreades que j'ai emprisoné.
30:24Bien, je ne comprends pas.
30:26Bien, je veux que j'entraise.
30:27Bien, je veux que j'entraise.
30:28Je veux que j'entraise.
30:30...
30:51Selon les passions, selon ce qu'a fait le mec le week-end,
30:54on se raconte un peu nos histoires de week-end, un peu tout ça.
30:57Ça fait partie de la pose de l'usine, c'est ça, c'est souvent ça.
31:07Mais beaucoup de gonzesses quand même.
31:10On chantait et on sifflait.
31:14Alors on sifflait, on avait un monsieur qui était un peu comme un ténor,
31:20enfin qui chantait beaucoup au Mexico, des trucs comme ça,
31:24et après on reprenait derrière ou on chantait ou alors on sifflait.
31:29Moi je ne sais plus siffler, mais on sifflait en travaillant.
31:34Des filles qui roulent un peu les épaules, quoi.
31:39Il y a des petites caïdes.
31:41Il y avait des petites caïdes, alors bon...
31:43Ah, t'as vu celle-là qu'on nous amène là ? T'as vu ? Bah dis donc !
31:47On va pas se marrer avec ça, elle parle pas, elle dit rien !
31:52C'est mon intérêt de parler parce que...
32:10La mixité n'a posé aucun problème, vraiment, dans la formation aucun.
32:15Après, quand il a fallu aller à l'atelier, alors là, les suites et la mise en pratique de cette différence étaient plus difficiles.
32:25Le chef, c'était un homme, et puis il apprenait pas nos noms.
32:29Vous voyez, on était tous Miss, Miss, Miss cette mois-ci, Miss...
32:33Je déteste ce mot de Miss, je le déteste parce qu'un jour je lui ai dit,
32:37Monsieur, vous avez une voiture ? Il m'a dit oui.
32:40Vous connaissez sa marque ? Oui.
32:42Il m'a dit la marque de sa voiture. Et vous connaissez pas mon nom ?
32:45Non ? Il n'apprenait pas les noms des filles.
32:48Un jour, quand même, je me suis fait un peu bousculer dans l'allée, et donc là, j'ai commencé à dire stop, je suis ouvrière comme tout le monde, je viens travailler, j'ai droit au respect comme tout le monde, ça suffit.
33:05Voilà, donc il y avait des fois des petites choses, des petits accrochages.
33:10Dans mon atelier établi, j'avais des photos de lui, des photos de tu, d'une femme à poils comme tout le monde.
33:19Et quelque part, j'ai changé avec les années. Et c'est, je crois, je l'ai compris qu'après.
33:25À la fin, oui, c'est moi qui arrachais, qui demandais à des potes de retirer des photos qui étaient dégueulasses,
33:32parce que c'était de donner une image de la femme qui était pas juste.
33:37Et on s'engueulait. Prêt d'être pédé. Alors, c'est ça ton problème ?
33:42En tout cas, c'est pas normal que dans l'atelier, on affiche des photos dégradantes pour la femme.
33:48Parce que tu aperçois que ces chefs d'équipe, aussitôt qu'ils ont un peu de pouvoir, ces mecs qui étaient bien, deviennent des vrais cons avec des nanas.
33:55Le droit de cuissage, parce que ça, c'est une réalité aussi.
33:58Les petits chefs qui s'estimaient tout possible avec des jeunes ouvrières.
34:04Bon, ça, c'est une réalité. Il y a toujours des histoires dessus, mais qui sont avérées.
34:10Regardez ces femmes qui sortent de l'usine. Leur tâche quotidienne d'ouvrière est terminée.
34:16Elles doivent pourtant faire face à tout, tant sur le plan provisionnel que sur le plan du foyer.
34:21C'est obligatoire. On peut pas sortir de l'usine, rentrer à la maison sans rien faire. C'est impossible. Surtout en plus quand il y a les enfants.
34:35Ben, on mangeait, on allait se reposer quand même. Et après, on allait chercher les enfants à l'école, préparer à manger, soit le repassage, il y avait toujours quelque chose à faire.
34:56Et après, il vit le soir et puis ben voilà, on regardait un peu la télé encore. Parce qu'après, il faut savoir se lever à 4 heures.
35:03Quand il rentrait de l'usine et puis qu'il avait bu et puis qu'on sentait en lui une colère, une rage.
35:15Ouais, ça, je vous rappelle bien, bien sûr. Bien sûr, ça, c'était pas facile pour personne à ce moment-là.
35:23Quand les hommes revenaient, ça faisait mal à des fois. Ils étaient crevés, ils étaient irascibles, voire violents.
35:32Ils ne cousaient pas, c'était des oeufs, ils ne cousaient pas. Il y a des femmes qui n'ont jamais su ce que vivait leur mari à l'usine.
35:39Petit à petit, l'habitat de la France ouvrière se métamorphose.
35:50Une politique de construction de grands ensembles a été lancée dès les années 50.
35:54C'est une époque où accéder à un HLM, c'est faire un saut dans la modernité et le confort.
35:59C'est une époque où la convivialité se faufile entre les tours.
36:08On n'était que potes. On n'était pas le Turc, la Tunisienne, la Française. On était tous amis.
36:14Chacun parlait un peu de ce qu'il vivait dans sa famille.
36:17Dire, moi, chez moi, on fait comme ça, chez moi, on fait comme ça.
36:20Mais on n'avait pas ces sentiments un peu de différence entre les uns et les autres.
36:26On était vraiment tous amis, tous potes. On est du même milieu. On vivait les mêmes choses.
36:31Notre père partait en même temps à l'usine, il rentrait en même temps. C'était très, très soudé, en fait.
36:38Pour nous, dehors, la rue, c'était un grand terrain de jeu.
36:42Il y a plein d'aventures à vivre, en fait, entre les cages d'escalier, les caves, le tour des blocs. Il peut se passer plein de choses chouettes.
36:50Quand il faisait beau comme ça, on s'installait. Il y en a un qui avait reçu le jeu de Monopoly pour Noël ou le jeu des mille bornes.
36:56Il nous apprenait, on jouait tous ensemble. Il y avait une collectivisation des moyens ludiques. Je viens d'inventer le curse.
37:07Mais moi, je me rappelle que nos parents se mettaient à la fenêtre. Ils hurlaient, mais dans tout le quartier, on entendait.
37:13C'était « Nadia, tu rentres manger ». Et si Nadia n'avait pas entendu, tu disais « Nadia, je crois qu'il y a ta mère, là, qui réveille tout le quartier ».
37:19Donc, elle rentrait.
37:20Quand on savait que le père de Hattel ou Hattel travaillait de nuit ou du matin, enfin, il les tournait, on savait qu'il ne fallait pas aller jouer de ce côté-là, quand on jouait dehors.
37:28Ou dès que la mère sortait dehors et puis elle nous faisait comme ça, on savait qu'il fallait aller jouer de l'autre côté.
37:33On ne cherchait pas à comprendre. On n'était pas là, machin, jamais.
37:36Et donc, nos vies, y compris de gamins, nos jeux étaient rythmés par les postes de nos pères.
37:42C'était le poste de nos pères, quoi.
38:09Betoncourt avait une réputation très dure.
38:12À Belfort, ils nous appelaient les sauvages.
38:15Betoncourt, c'était un quartier de bagarreurs, c'était très dur comme quartier.
38:22Dans Potigny, il y avait plusieurs groupes. Il y avait le rond-point. Ma femme demeurait. Il y avait le rond-point, là.
38:31Et donc, il ne fallait pas aller au rond-point. Il y avait la bande du rond-point.
38:36Nous, c'était la bande du Suvez, il y avait la bande du Clos Michel. Il y avait des clans, hein. Il y avait des clans.
38:43Politiquement, à l'extrême-gauche, des formations radicales naissent et séduisent la jeunesse révoltée.
38:57De son côté, le Parti communiste n'est plus le premier parti de France, mais conserve son influence et ses bastions.
39:04Les socialistes, eux, se refondent autour de la figure de François Mitterrand.
39:09L'arrivée de Georges Marchais qui salue M. Jules Meuc, ancien ministre socialiste.
39:18En 1972, le rassemblement des trois forces majeures de la gauche institutionnelle tente de canaliser cette jeunesse
39:25et de donner un nouveau souffle à l'opposition au pouvoir pompidolien.
39:29L'union de la gauche, c'est un espoir pour beaucoup et, en même temps, un frein pour d'autres.
39:37Parce que lorsque des grèves pouvaient démarrer, c'est 74, 78, il y a tendance, de la part des dirigeants politiques, à dire
39:52c'est pas la révolution, c'est pas ça qui va changer le monde, hein. C'est les élections.
39:58Votez bien, votez pour nous, il y a une solution, c'est le programme commun.
40:02Et dans les mots d'ordre, dans la rue, les gens gueulaient une seule solution de le programme commun.
40:08Alors que, quelques années avant, les jeunes et une partie des ouvriers gueulaient une seule solution de la révolution.
40:15La question nous concerne tous. 1974 sera-t-elle une année de crise ?
40:21Et dans l'affirmative, combien de temps peut-elle durer ? Et en quoi affectera-t-elle notre vie ?
40:25Entre 73 et 74, la crise énergétique ne fait en fait qu'accélérer un processus qui a démarré depuis le début des années 70,
40:35de ralentissement des gains de productivité, de début de montée du chômage.
40:39C'est quelque chose de très dramatisé, de très présent, surtout les accords de télévision.
40:46C'est vraiment une crise qui a lieu et qui est mise en scène en même temps qu'elle a lieu.
40:5074, Renaud arrête l'embauche. Le bureau d'embauche est fermé.
41:03À partir du moment où on n'embauche plus, c'est-à-dire que l'effectif va diminuer.
41:07Il y aura des gens qui sont au chômage ou des jeunes qui sortent des écoles qui ne pourront pas t'embaucher.
41:13Donc, il faut que la bagarre, elle est sûre sur l'emploi. Mais évidemment, elle est dure, elle est dure.
41:22Mesdames et Messieurs, bonsoir. C'est un seuil, un seuil psychologique.
41:26La barre du 1 300 000 demandeurs d'emploi vient d'être franchie au mois d'octobre.
41:31Monsieur, je travaille depuis l'âge de 15 ans. C'est la première fois que je me trouve au chômage.
41:34Je vous garantis que ça fait mal. Franchement, ça fait mal.
41:38Qu'est-ce qu'il va te mettre ? Moi, je suis tourné en 13 heures.
41:41Progressivement, une conscience de crise va s'installer.
41:44Le nombre de chômeurs, lui, va augmenter de 400 074 jusqu'à 2 millions 80.
41:49Donc, en 7 ans, il y a 1 500 000 chômeurs de plus. En gros, c'est le septennat de Giscard d'Estaing.
41:53...
42:04...
42:10...
42:13...
42:22On dit qu'il n'y a pas de boulot.
42:28On fait des machines pour supprimer les boulots.
42:33Tout y est fait pour qu'on supprime.
42:35On en fait à l'exploit.
42:37Alors, on supprime 50 boulots, puis on a des machines.
42:40Puis après, le machine se coûte.
42:41Une meuleuse, une énorme meuleuse,
42:44qui supprimait, je crois, une vingtaine de personnes.
42:48Un travail extrêmement fatigant.
42:53Parce que les gens, quand on était meuleur,
42:56j'ai vu des gens, ils ont meulé peut-être des dizaines d'années.
43:02Des dizaines d'années.
43:03Et puis, oui, au moins des dizaines d'années.
43:06Faire que ça.
43:07Meuler, meuler, meuler, meuler, meuler.
43:11Alors que la machine, elle a rendu service.
43:15La pénibilité, c'est très important.
43:18Dans cette France en crise qui connaît son premier chômage,
43:29dans ces usines qui éprouvent alors l'automatisation débridée,
43:33une expérience menée par des ouvriers va tenir le pays en haleine.
43:38C'est bien la première fois qu'un conflit social évolue de cette façon.
43:42Aux usines Lippe de Besançon, le personnel,
43:45qui est opposé depuis deux mois à la direction,
43:47a décidé de reprendre le travail à son compte.
43:50Pour les ouvriers, il s'agit de s'attribuer un salaire de survie
43:53en fabriquant et en vendant les montres à un prix inférieur
43:57à celui pratiqué habituellement.
43:58En juin 1973, ils séquestrent les deux directeurs,
44:03ils occupent l'entreprise, ils décident de cacher un stock de montres déjà réalisé
44:08et de relancer la production à partir des machines.
44:11C'est-à-dire qu'ils commettent quatre illégalités à ce moment-là
44:16au nom d'une défense de l'emploi.
44:19C'est le célèbre mot d'ordre qu'on fabrique, on vend, on se paie.
44:24Le problème qui était posé, c'était comment régler ce problème de salaire,
44:34comment tenir le coup.
44:35On le savait, on avait suivi les mineurs,
44:38on avait suivi toute une série de grèves.
44:40On savait que le problème du fric, c'était quelque chose de terrible.
44:44C'est d'ailleurs là-dessus qui compte.
44:46Quand on n'a plus de fric,
44:48comment peut-on continuer de penser à la lutte ?
44:50On a, ah merde, il y a encore le loyer,
44:52et puis là, qu'est-ce que je vais faire ?
44:54Puis comment je vais me débrouiller pour ça ?
44:56Donc bien sûr, on l'avait sur le bord des lèvres,
44:58cette histoire de fabriquer et de vendre,
45:00mais on n'osait pas.
45:02Pourquoi ? Parce qu'on n'est que des ouvriers.
45:04On n'a qu'une connaissance partielle.
45:06Encore douze personnes à la sous-commission courrier.
45:12Picard, allons.
45:14Dans votre condition d'ouvrier, c'est important,
45:17parce que vous verrez qu'à travers la lutte que nous menons,
45:20c'est autre chose que une histoire de salaire,
45:22c'est une histoire d'homme.
45:24Donc tout le monde au travail...
45:25La commission accueille à relever des individuels
45:30et des groupes de 96 pays.
45:33Il y a venu une délégation de cheminots japonais.
45:36On a travaillé avec eux un certain temps.
45:38Il y a venu des Indiens, avec leurs plumes, des réserves.
45:41On va savoir aussi comment ça se passe.
45:43Non, c'est des trucs...
45:45Nous, on a été un peu suffoqués.
45:47Le problème actuellement, il est de savoir si on a la volonté de repartir
45:53avec le potentiel humain ici,
45:56ou si on veut, c'est vrai,
45:58si on veut repartir avec le seul intérêt économique,
46:02le seul intérêt du profit.
46:03Il est là le problème.
46:04C'était vraiment pour répondre à une situation.
46:07C'est ce que j'ai expliqué je ne sais pas combien de fois.
46:09On ne voulait pas faire plaisir aux gauchistes, enfin...
46:11Au début, on se bagarrait pour nous, pour notre boîte.
46:15Puis maintenant, on a le sentiment que si on laissait tomber,
46:18premièrement, on l'aurait dans le baba, déjà.
46:21On serait battus pour six mois, pour rien.
46:23On trahirait 160 copains qu'on laisserait tomber.
46:26Et puis on décevrait des milliers de personnes
46:28qui nous ont soutenus de toutes les façons.
46:30Ils ont tout fait ce qu'ils pouvaient pour nous.
46:32Et nous, comme des couillons, on laisserait tomber maintenant.
46:34Alors moi, quand j'entends parler de ça, ben...
46:37Cette pratique suscite une immense popularité dans tout le pays
46:46parce qu'on veut acheter des montres LIP pour soutenir cette grève.
46:49Cette grève particulière, parce que c'est une grève où on travaille.
46:52La lutte des LIP, c'est une des plus belles histoires
46:55du mouvement ouvrier au 2e, 20e siècle.
46:57Dans ce qu'elle a ouvert comme perspective,
46:59dans ce qu'elle a révélé aux salariés eux-mêmes,
47:00dans ce qu'elle les a transformés.
47:03Et sa popularité est à la mesure de cette épopée.
47:12C'était un geste de solidarité que d'acheter une montre LIP.
47:15Moi, j'en ai encore une.
47:16Ils remettent en cause la société telle qu'elle fonctionne.
47:20Et ça, c'était extraordinaire. C'est une sacrée image.
47:23On trouvait ça formidable que les mecs continuent à vendre leurs trucs, etc.
47:26Même les copains les plus stals trouvaient ça formidable.
47:29On a regardé ça assez curieusement, parce que ce n'était pas dans notre philosophie.
47:37L'autogestion n'était pas dans notre philosophie.
47:40On voyait ça, un encadrement, etc.
47:44On a regardé ça assez surpris.
47:48Bon, et puis comme toute expérience, on regardait.
47:51Moi, je ne croyais pas au succès de LIP.
47:55Je ne croyais pas que c'était possible.
47:59Alors que je n'avais pas raison, à l'époque.
48:04Je crois qu'ils ont ouvert la voie à ce qui se fait aujourd'hui,
48:08où il y a quand même pas mal de bonnes choses qui se font,
48:11des coopératives ouvrières.
48:13Bon, c'est vrai que la période se prête mieux
48:16que ce qu'elle ne se prêtait à l'époque avec LIP.
48:21Mais les ouvriers de LIP avaient raison.
48:245, 4, 3, 2, 1.
48:29François Mitterrand est élu président de la République.
48:3110 mai 81, Tonton est élu.
48:37Le lendemain, c'est les bouteilles de Ricard dans les ateliers.
48:41Ça a été, comment dirais-je, un espoir,
48:45mais quelque chose que vous ne pouvez pas vous imaginer.
48:47Oui, on y croit.
48:49On y croit, bien sûr qu'on y croit.
48:50La première fois que la gauche arrive au pouvoir
48:52avec cette volonté de changer le monde aussi,
48:57de dire, enfin, maintenant, on va avoir une société un peu plus solidaire,
49:01un peu plus équitable, etc.
49:03C'était quelque chose, un appel,
49:08un monde nouveau qui s'ouvrait.
49:13L'arrivée de Mitterrand, là, oui, il y a un espoir.
49:19J'en ai encore les poils qui me...
49:22C'était le grand jour, je ne sais pas, c'était le grand soir.
49:25C'était le grand jour.
49:26Je veux dire, enfin, c'était Noël.
49:31Fondamentalement, la classe ouvrière est contente en 1981, massivement.
49:35Elle a voté à 70% pour Mitterrand.
49:37À Sochour, le 11 mai au matin, ils se sont mis au travail avec un peu de retard
49:41et que les premières voitures qu'ils ont produites étaient uniformément rouges.
49:45Donc, il y a ce sentiment que le peuple de gauche a gagné.
49:55Et les premières mesures sont les premières grandes mesures sociales,
49:58depuis 68, depuis surtout 36, en fait.
50:02Ils y vont convaincus, ils nationalisent, ils font des réformes très, très importantes.
50:07On ne peut pas enlever ça à François Mitterrand, on ne peut pas enlever ça à ce qui est la gauche de l'époque.
50:10À ce moment-là, le Parti Socialiste est proche de la classe ouvrière
50:14ou défend une logique d'industrialisation.
50:16Un nouveau Front populaire qui doit s'ouvrir.
50:19Et donc, de nouvelles conquêtes qui doivent commencer.
50:22On est dans cet espoir-là.
50:25Cette victoire est d'abord celle des forces de la jeunesse,
50:31des forces du travail,
50:34forces de création,
50:37forces du renouveau
50:38qui se sont rassemblées
50:41dans un grand élan national.
50:44Eh bien oui, oui, j'y ai cru.
50:48On a eu quand même la cinquième semaine.
50:50Il y a la retraite à 60 ans.
50:51Et Mitterrand a fait qu'on avait toute la chimie,
50:55les engrais et tout ça,
50:56on a été nationalisés.
50:58Et ça nous a sauvés.
50:59Il y a les droits syndicaux,
51:01l'organisation dans les entreprises.
51:03Donc, voilà, c'est très concret.
51:06Et en fait, il va s'ouvrir une nouvelle petite période,
51:09c'est de faire croire aux travailleurs
51:10que c'est leur gouvernement.
51:13Et en fait, leurs revendications,
51:15on va les mettre sous le tapis.
51:16Des gens, on savait que les socialistes,
51:17ça allait dire qu'on n'allait pas être trop bien.
51:19Mais bon, on le savait.
51:20On leur avait dit,
51:21au champ de foire de ce corps même,
51:23C'est vrai ?
51:24Oui, moi, je leur avais dit.
51:26Pour l'instant, on fait la fête,
51:27mais dans deux ans, on se tape dessus.
51:29Parce qu'on vous connaît.
51:31Pour la trahison, vous êtes les premiers.
51:32Ça ne change pas.
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