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00:00Bienvenue au Cœur du Crime, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la Gendarmerie Nationale ?
00:19Je m'appelle Yann Kermadek, je suis commandant de gendarmerie.
00:25Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:41L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:50Seuls, les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:55Encore cette maudite clochette !
01:05Elisabeth ne le laissera donc jamais tranquille.
01:09Arnold Bourdon a vraiment de plus en plus de mal à supporter sa femme.
01:13C'est elle qui est malade, une atrophie musculaire progressive, mais c'est lui qui souffre le plus.
01:20C'est du moins comme ça qu'il sent les choses.
01:22Toute la journée de son fauteuil roulant ou de son lit, elle l'accable de récriminations et de plaintes de toutes sortes.
01:30Oh, maudite clochette !
01:32Il se précipite dans la cuisine et prépare un œuf à la coque pour sa chère et tendre épouse,
01:37en faisant surtout bien attention à ce qu'il reste très exactement deux minutes dans l'eau bouillante, pas une de plus.
01:44Trois domestiques dans la maison, mais c'est lui qui doit préparer tous les matins le petit déjeuner.
01:51Elisabeth y tient une petite humiliation supplémentaire, histoire de lui faire sentir qu'il est son mari, sans doute,
01:59mais qu'elle a tout pouvoir sur lui.
02:01Elle est très, très riche, et lui ne possède rien d'autre que sa prestance, sa distinction et une forme physique éblouissante qu'il passe son temps à entretenir.
02:16Quand il entre dans la chambre portant le plateau, Elisabeth est assise sur son lit.
02:21Elle lui jette un regard peu aimable.
02:23« Eh bien, on peut dire que tu as été long ce matin ! »
02:28Elisabeth n'a jamais été très jolie, mais alors là, maintenant, avec ses cheveux grisonnants et son teint jaunâtre,
02:35elle ressemble de plus en plus à une vieille femme.
02:38« Dire que quelqu'un comme moi, classé au tennis et tellement bien dans sa peau pour un homme de 48 ans,
02:46doit partager la vie de ce monstre tyrannique, » se dit Arnold.
02:51« Alors, qu'est-ce que tu fais avec ce plateau, empoté ? »
02:55« C'est pourtant pas très compliqué. Si cette femme que tu as engagée est aussi maladroite que toi, ça promet. »
03:03Arnold pose délicatement le plateau devant son épouse en remontant son oreiller.
03:11« Bon appétit, ma chérie. Tu as très bonne mine ce matin. Ce doit être ce nouveau traitement qui te convient. »
03:18« Non, je ne me sens pas bien du tout. Et puis, ce thé est déjà froid. »
03:23« Il est neuf heures. Son train arrive dans dix minutes. Il faut que j'aille à la gare. »
03:28« On dirait que tu es bien pressé, brusquement. »
03:31« Mais non, Elisabeth, cette demoiselle Gréco ne connaît pas la ville.
03:36Si tu préfères que je reste avec toi, nous enverrons Ralph avec la voiture. »
03:40« Non, non, vas-y donc, vas-y donc, que je vois vite sur qui nous allons tomber. »
03:45« Écoute, je suis convaincu qu'elle fera très bien l'affaire. L'agence l'a chaudement recommandée et elle a d'excellentes références. »
03:51« Je suis persuadé qu'elle va s'occuper de toi parfaitement. »
03:55« Cesse donc de bavasser et file. Tu la feras monter tout de suite pour que je puisse avoir un entretien avec elle. »
04:02« Pauvre fille. L'examen de passage risque d'être difficile pour elle. »
04:09« Comme toujours, le train a du retard. »
04:12Arnold attend au volant de sa petite voiture de sport, un cadeau de sa femme pour l'anniversaire de leur mariage.
04:19Enfin, ce maudit train finit par entrer en gare. Trois voyageurs descendent. Pas d'erreur possible. Deux hommes et une femme.
04:27Elle est mince et le chapeau incliné qu'elle porte dissimule en partie son visage.
04:36Les deux hommes l'aident à descendre ses valises.
04:39Arnold remarque tout de suite qu'elle a des jambes superbes.
04:43Une silhouette de mannequin.
04:47Il s'approche d'elle et lui tend la main.
04:49« Bonjour, Arnold Bourdon. Je suppose que vous êtes Hélène Gréco. »
04:57Elle n'est pas maquillée. Heureusement, car un peu de rouge aux lèvres et de bleu aux paupières compromettraient définitivement ses chances d'être acceptée par Élisabeth Bourdon.
05:10Mais telle qu'elle est, elle n'en est pas moins ravissante.
05:15Et Arnold se demande comment va réagir son épouse.
05:20« J'espère que vous serez bien chez nous, mademoiselle. Ma femme a besoin pendant quelque temps d'une présence féminine, d'une personne qui puisse, mieux que moi, répondre à ses besoins.
05:32« On vous a déjà parlé de sa maladie ? »
05:36« Oui. Oui, monsieur, on m'a tout expliqué. Je suis infirmière, mais si j'ai bien compris, votre femme a surtout besoin de compagnie. »
05:44« Voilà, c'est ça, oui. Elle est tellement nerveuse et fragile. Mais je suis sûr que vous vous entendrez à merveille. Vous avez l'air si sensible. »
05:56Arnold se doute bien que sa femme va apprécier, à sa façon, la beauté rayonnante de mademoiselle Gréco.
06:05Mais c'est très exactement ce qui arrive.
06:08« Mais d'où l'as-tu sorti ? De la 42e rue ? »
06:12« Mais enfin, Élisabeth, c'est toi-même qui as choisi mademoiselle Gréco d'après les renseignements fournis par l'agence. Je la vois comme toi pour la première fois. »
06:21« Enfin, tu reconnais tout de même qu'elle est ravissante. »
06:23« Enfin, cette demoiselle ne manque pas de charme. Enfin, de là à dire qu'elle est ravissante. Elisabeth, j'espère que tu ne vas pas te faire des idées, voyons. »
06:33« Très bien. Elle va rester ici, Arnold. Nous allons la garder. Ce sera très amusant de vous observer tous les deux.
06:41Car je ne vous quitterai pas des yeux, tu peux m'en croire. Et s'il se passe la moindre chose... »
06:46« Enfin, ma chérie, qu'est-ce que tu vas imaginer ? Tu sais bien que tu es la seule femme qui compte pour moi. »
06:53« Oui, c'est pas la peine de te fatiguer. Je te connais, Arnold. Je te connais même si bien que j'entends d'ici ton petit cœur romantique palpiter des mois. »
07:02« Pardon, lui, annoncez qu'elle est engagée. Non, attends. Je vais le faire moi-même. »
07:08Elisabeth prend la clochette posée sur la table de chevet et l'agite violemment.
07:14« Belle entrée en matière pour cette pauvre fille, » se dit Arnold. « J'espère qu'elle ne va pas devenir le souffre-douleur de ce tyran. »
07:26La voilà qui arrive. Elle a enfin compris que cet appel s'adressait à elle. Elle frappe à la porte de la chambre et entre.
07:37« Vous m'avez appelé, Madame Bourdon ? »
07:39« Oui. Et désormais, ma chère, il faudra vous habituer à ce signal et mettre moins de temps pour venir. »
07:46« Je veux prendre l'air ce matin. J'aurai besoin de votre aide pour pousser mon fauteuil. »
07:53Quelques semaines après son arrivée, un soir, Mademoiselle Gréco descend dans la cuisine afin de boire un chocolat chaud.
08:02De vrai, elle n'arrive pas à trouver le sommeil. Elle a du mal à s'habituer à cette maison et à l'atmosphère étouffante qui y règne.
08:10Cette clochette qui ne cesse de retentir dans la maison, d'ailleurs souvent sans raison apparente, comme un avertissement.
08:17« Ce soir-là, Arnold ne parvient pas, lui non plus, à s'endormir. »
08:26Il l'a entendu et la rejoint dans la cuisine.
08:30« Voulez-vous un peu de chocolat chaud, Monsieur Bourdon ? »
08:34« Avec plaisir. »
08:37« Cette robe de chambre vous va à merveille, Hélène. »
08:40« Vous permettez que je vous appelle Hélène ? »
08:42« Ah, volontiers, Monsieur Bourdon. Enfin, Arnold. »
08:49Ils sont tout près l'un de l'autre.
08:53Arnold ne peut résister. Il la prend dans ses bras et l'embrasse.
08:59« Oh, je vous aime, Arnold, depuis le premier jour. Moi aussi je vous aime, Hélène. »
09:05« Mais c'est sans espoir, n'est-ce pas ? »
09:08« Tout dépend de ce que vous jugez sans espoir, Hélène. »
09:12« Je veux parler du mariage, bien sûr. »
09:16« Comme vous le savez, ma chère Hélène, je suis mariée. »
09:19« Mais le divorce, Arnold, il suffit d'aller au tribunal. »
09:23« Oui, bien sûr. Et à l'hospice pour un digent ensuite. »
09:29« Autrement dit, Arnold, nous devons en rester là. »
09:35« Vous êtes vraiment terriblement vieux jeu, ma chérie. »
09:39« Si j'ai bien compris, c'est le mariage ou rien. »
09:42« Oui, Arnold, je veux avoir un mari, pas un amant. »
09:50« Connaissant votre mari, Elisabeth Bourdon, vous n'auriez pas dû tenter le diable. »
09:58« Hélène Gréco est une bonne infirmière, mais aussi une sacrée belle-fille. »
10:04« Et lui est encore assez bel homme pour son âge. »
10:09« Dans quelques instants, Elisabeth Bourdon. »
10:13« Dans quelques instants, l'irréparable risque de se produire. »
10:18Elisabeth Bourdon est gravement malade.
10:31Une atrophie musculaire progressive.
10:35Son mari, Arnold, est, lui, en revanche, en pleine forme.
10:40Mais elle est très riche alors que lui ne possède que son charme.
10:45Entre Hélène Gréco, la belle-infirmière, et Arnold Bourdon, c'est le coup de foudre.
10:52Il y a forcément quelqu'un de trop dans cette histoire.
10:59Hélène, connaissez-vous la pentatalymine ?
11:03Le remède que je donne chaque soir à votre femme ?
11:06Oui, c'est cela.
11:07Je sais que cet impuissant sédatif, comme elle se sent souvent très mal pendant la nuit, il lui aide un grand secours.
11:17Dites-moi, Hélène, réfléchissez bien, c'est important.
11:21Vous êtes au courant des doses auxquelles on l'administre et de tout ce qui s'ensuit.
11:26Bien sûr, Arnold, je connais mon métier, je sais que c'est un médicament dangereux et qu'une trop forte dose peut affecter le cerveau et même causer une hémorragie.
11:39Hélène, vous ne risquez jamais de vous tromper et de lui administrer une trop forte dose ?
11:46Bien sûr que non, Arnold.
11:47Oui, la chose serait facilement décelable, mais ne pourrait-elle pas passer inaperçue si elle était faite progressivement ?
11:59Disons, un centicube de plus par soir finirait par avoir le même effet, hein ?
12:07Oui, Arnold, mais vous ne pensez pas...
12:11Essayez simplement de me suivre, Hélène.
12:14Elle s'affaiblirait de jour en jour, n'est-ce pas ?
12:16Oui, Arnold, c'est cela, elle aurait...
12:19Des nausées, c'est un des symptômes.
12:23Un symptôme qui n'est pas forcément attribuable aux médicaments.
12:27Combien de temps pensez-vous qu'il faudrait pour qu'elle...
12:30Je ne sais pas, Arnold.
12:33Vous me faites peur.
12:35Répondez à ma question, Hélène.
12:37Combien de temps ?
12:39Deux mois, peut-être.
12:43Cela nous mènerait en juin, ma chérie.
12:46Je crois que vous allez trouver sous peu un mari.
12:54Le docteur Yves ne comprend vraiment pas.
12:57Depuis deux semaines, sa patiente a des nausées violentes et elle est extrêmement faible.
13:03Son état mental est très perturbé.
13:05Monsieur Bourdon, votre femme se fait de drôles d'idées à propos de cette mademoiselle Gréco.
13:13Quelle sorte d'idée, docteur ?
13:15Votre femme est très imaginative.
13:18Du fait de sa réclusion, elle est portée à imaginer toutes sortes de choses.
13:23Vous voyez ce que je veux dire.
13:25Elle m'inquiète beaucoup.
13:26Et si elle ne va pas mieux d'ici la fin de la semaine, je crois que nous devrons la mettre en observation à l'hôpital.
13:30Enfin, docteur, vous ne pouvez pas faire cela.
13:33Élisabeth n'acceptera jamais.
13:35Elle y sera bien obligée, monsieur Bourdon.
13:37Sinon, je ne réponds pas des conséquences.
13:41Tous les soirs, Arnold retrouve Hélène pour un chocolat chaud devenu rituel.
13:47Habituellement, c'est un moment de sérénité, presque de bonheur.
13:52Mais pas ce soir.
13:56Hélène.
13:57Hélène, si Élisabeth est examinée par les médecins de l'hôpital, ils décèleront l'excédent de sédatifs et comprendront qu'elle en absorbe une trop forte dose.
14:07Il y a deux choses que nous pouvons faire.
14:11Soit nous diminuons la dose, ou bien...
14:17J'y avais pensé aussi, Arnold.
14:21Il la sert contre lui.
14:23L'étreinte se prolonge et Arnold imagine, en embrassant la jeune femme, ce que sera la maison sans le bruit de cette maudite sonnette.
14:34Mais que se passe-t-il brusquement ?
14:37Le regard de sa compagne se fixe sur la porte de la cuisine.
14:41Il se retourne aussitôt.
14:43Élisabeth est là, en chemise de nuit, spectrale dans la pénombre avec un rictus qui lui déforme le visage.
14:50Je ne veux surtout pas vous déranger.
14:51Faites comme si je n'étais pas là.
14:54Mais Élisabeth, tu n'aurais pas dû descendre.
14:55Je n'arrivais pas à trouver ma sonnette.
14:57Ce satané docteur a dû l'égarer.
15:00Alors il a bien fallu que je descende.
15:01Mais je ne le regrette pas.
15:03Ça valait le déplacement.
15:07C'est un malentendu, Élisabeth.
15:08Il se trouve que Mademoiselle Gréco a eu un léger malaise et je...
15:12Oui.
15:13Malaise ou pas, elle devra se soigner toute seule désormais.
15:17Je veux qu'elle s'en aille.
15:18Je vous mets à la porte.
15:19Vous entendrez ?
15:20Si Arnold était mon domestique, je le renverrais aussi.
15:24Mais il se trouve être mon mari.
15:26J'insiste, Mademoiselle.
15:28Mon mari.
15:29Compris ?
15:31Dès demain matin, Raph vous conduira à la gare.
15:34Quant à toi, Arnold, tu téléphoneras à l'agence pour leur demander de nous envoyer quelqu'un pour remplacer cette femme.
15:42Le lendemain après-midi, Élisabeth Bourdon est rayonnante.
15:48Elle semble aller beaucoup mieux.
15:50J'ai trouvé la femme parfaite, Arnold.
15:53J'en suis très heureux, ma chérie.
15:56Les deux premières étaient impossibles, beaucoup trop jeunes.
15:58Je suis persuadé que tu trouveras celle que j'ai engagée tout à fait à ton goût.
16:04Très fascinante dans le genre femme épanouie.
16:08Elle est d'ailleurs déjà en train de s'affairer dans la cuisine.
16:12En effet, dans la cuisine, une grosse femme de petite taille prépare le plateau de médicaments.
16:21À l'entrée d'Arnold, elle tourne la tête.
16:23Elle a des cheveux blancs, un triple menton, des joues rouges et doit avoir dans les soixante-dix ans.
16:34Alors, surtout, il ne faut pas oublier le sédatif qu'Élisabeth prend à neuf heures.
16:39Non, bien sûr que non.
16:41Mais quelle pâleur ! Quelque chose qui ne va pas ?
16:43Le dosage, le dosage, c'est bien compris ?
16:46Mais oui, mais oui, juste un centicube de plus que la dose normale.
16:51Exactement.
16:52À présent, il ne devrait plus falloir longtemps pour l'achever.
16:56Dieu seul sait ce qui lui tient l'âme, si bien chevillée au corps.
17:00Arnold prend la vieille femme dans ses bras et l'embrasse, l'embrasse affectueusement.
17:10Elle lui sourit tendrement, tandis que, là-haut, la clochette se fait entendre.
17:17Oui, oui, c'est ça, c'est ça.
17:20On arrive, Élisabeth, chérie.
17:22On arrive, ne sois pas si impatiente.
17:25Oh, ma petite maman, quelle chance que toi aussi, tu sois infirmière.
17:55Au cœur du crime est disponible sur le site et l'appli Europe 1.
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