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  • il y a 6 jours
Israël ne frappe pas uniquement les sites nucléaires ou sécuritaires. L'état hébreu s'en prend aussi aux raffineries iraniennes. Le gaz et le pétrole représentent des revenu essentiels pour le pays. Mais les hydrocarbures sont aussi un moyen de pression pour Téhéran. Et plus particulièrement, le blocage du détroit d’Ormuz. 20 % des flux mondiaux de pétrole transitent par là. Alexandre Kateb, économiste et fondateur du site de prospective Multipolarity AI est notre invité "Au Cœur de l'Info".

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00:00J'accueille Alexandre Kateb, bonsoir.
00:01Vous êtes économiste, vous êtes notamment l'auteur de Les économies arabes en mouvement.
00:07Je vous remercie beaucoup de nous apporter des éléments de compréhension ce soir.
00:10Que vous font craindre tout d'abord ces développements depuis trois jours ?
00:16Écoutez, là je crois qu'on est face à des événements qui échappent totalement au schéma auquel on est habitué,
00:26même dans le cadre des précédents conflits entre Israël et l'Iran.
00:35On passe à une autre dimension et effectivement il y a des craintes importantes
00:40quant aux répercussions géopolitiques, économiques et financières de ces événements.
00:47Concrètement c'est le pétrole qui a inquiété dans un premier temps.
00:49C'est ce qu'on a vu sur les marchés dès vendredi.
00:51Oui, le pétrole a inquiété. On a vu une hausse du prix du pétrole autour de 7 à 10%.
00:59Et les marchés ont eu un peu le temps pour digérer ces nouveaux développements.
01:07Mais comme il y a encore beaucoup d'incertitudes sur l'ampleur que va prendre cette guerre
01:12et ses conséquences ultimes, les primes de risque en effet sont en train de monter en flèche.
01:21Alors pour l'instant, les marchés pétroliers écartent le scénario du risque le plus catastrophique,
01:32celui d'une fermeture notamment du détroit d'Hormuz qui charrie plus de 30% en fait des exportations mondiales de pétrole.
01:45Et la fermeture de ce canal stratégique aurait des conséquences immenses évidemment pour l'économie mondiale.
01:55Mais c'est également un scénario qui aujourd'hui a une très faible probabilité au sens géopolitique
02:04car l'Iran n'a pas forcément intérêt à couper ce canal qui lui permet d'exporter sa propre production de pétrole.
02:13On comprend que ce serait une réaction ultime de la part de l'Iran.
02:16Mais déjà depuis hier, Israël frappe des raffineries.
02:19C'est une raffinerie de gaz me semble-t-il hier frappée par un drone israélien dans le sud du pays.
02:27Ce type de frappe pourrait avoir des conséquences directes sur l'Europe.
02:32C'est ça qu'il faut qu'on comprenne.
02:33Quand ça se produit en Iran, l'Europe peut être concernée.
02:36Alors déjà, l'objectif affiché de ces frappes est de déstabiliser l'économie iranienne.
02:48Et le pouvoir iranien...
02:50Qui a besoin essentiellement de ses revenus.
02:52Absolument.
02:53Là, il s'agit d'une production de gaz qui est essentiellement consommée en interne.
02:59L'Iran n'exporte pas de gaz.
03:02Il n'a pas les capacités de liquéfaction qui lui permettraient d'exporter ce gaz ou des gazoducs.
03:09Donc là, il s'agit essentiellement d'une consommation intérieure.
03:12Et l'objectif est essentiellement géostratégique et militaire.
03:16Maintenant, il faut savoir que ce gisement qui a été affecté, c'est le plus grand gisement gazier au monde.
03:25Et l'Iran le partage avec le Qatar, qui est lui un exportateur majeur de gaz.
03:32Et donc, s'il y avait des répercussions sur la capacité du Qatar à exporter son gaz à travers différentes actions que pourrait prendre l'Iran,
03:47pour peser aussi dans les négociations et pour arriver à une désescalade au niveau militaire,
03:55donc en engageant notamment les États-Unis et d'autres acteurs,
03:58eh bien là, effectivement, il pourrait y avoir un scénario beaucoup plus inquiétant sur le marché mondial du gaz.
04:05Maintenant, il faut savoir que l'Europe importe très peu de gaz du Moyen-Orient,
04:11ou importait très peu de gaz du Moyen-Orient, du moins jusqu'en 2022,
04:15puisque comme vous le savez, le fournisseur principal de gaz, puisque là, c'était la Russie.
04:20Ensuite, il y a eu une volonté de diversification qui allait essentiellement dans deux axes,
04:25c'est-à-dire les États-Unis, avec une croissance très forte des importations de GNL américains.
04:30Et le deuxième acteur qui était pressenti, c'était le Qatar.
04:34Et donc, tous les pays européens, dont la France, l'Italie, l'Allemagne,
04:39se sont pressés de signer des deals avec le Qatar.
04:41Donc, on voit que la prime géopolitique associée aujourd'hui à cette stratégie est en train de monter en flèche,
04:46et que ce n'est pas forcément soutenable non plus sur la durée.
04:50Les monarchies du Golfe, elles aussi, ne voulaient pas de ces développements.
04:53Est-ce qu'elles sont capables de compenser des interruptions d'exportation iraniennes ?
04:58Alors, aujourd'hui, le seul pays qui a véritablement les moyens de compenser un manque iranien,
05:062 millions de barils de pétrole qui seraient affectés, c'est l'Arabie saoudite.
05:13L'Arabie saoudite dispose de ses marges de manœuvre,
05:15et pourraient mettre sur le marché, théoriquement, ces 2 millions.
05:20Les Émirats pourraient en mettre 200, 300, je dirais, 1 000, mais beaucoup moins.
05:28Et d'autres acteurs, également, pourraient supplanter cette disparition des exportations iraniennes.
05:35Mais néanmoins, le marché serait dans une situation de tension,
05:39telle qu'une autre crise géopolitique conduirait, inévitablement, à une hausse très forte des prix,
05:47puisque là, on serait au niveau d'une tension, je dirais, maximale,
05:51sur les capacités de production, sans aucune réserve stratégique.
05:57C'est tout le nucléaire iranien, Alexandre Katab, qui était en train d'être détruit par les Israéliens.
06:03C'est leur volonté, même s'ils l'ont déclaré, Benjamin Teghayaou l'a déclaré dès vendredi.
06:07Il n'est pas possible d'annihiler totalement le processus d'enrichissement,
06:12enfin, le programme nucléaire iranien.
06:14On comprend que c'est, malgré tout, un retour en arrière considérable pour le régime iranien.
06:19Alors, pour l'instant, on n'a pas encore tous les éléments concernant les dommages effectifs
06:25qui ont été infligés, je dirais, sur les sites nucléaires et, de manière plus globale,
06:31sur la capacité d'enrichissement d'uranium de l'Iran
06:36et sur sa capacité à poursuivre cet enrichissement jusqu'à atteindre le stade de la production d'une bombe.
06:42On sait que le site de Natanz, par exemple, qui est un site très important, a été touché.
06:48Et donc, là, effectivement, c'est un délai qui a été, en quelque sorte, gagné par les Israéliens
06:59puisque, pour faire redémarrer ce site, il faudrait, sans doute, plusieurs semaines, à voir plusieurs mois.
07:04Il y a d'autres sites qui sont beaucoup moins faciles d'accès, des sites souterrains,
07:10comme celui de Ferdow, ou un nouveau site qui est en cours de construction, sous une montagne.
07:15Et ceux-là sont quasiment hors d'atteinte des Israéliens
07:20et même, selon les experts, des bombes, des bombes mégatonnes américaines
07:28qui ne pourraient pas atteindre ces sites qui sont parmi les plus secrets
07:32et qui, d'ailleurs, sont tellement secrets qu'ils n'ont pas été déclarés
07:36à l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique.
07:38Mais on en parle quand même ce soir sur ce plateau.
07:40Voilà. Donc, on voit, oui, parce qu'on les connaît et ils ont été signalés.
07:44Mais on sait que, en fait, l'Iran a la capacité, s'il voulait, de continuer son programme nucléaire
07:53et sans doute d'atteindre le stade, disons, de la production d'armes, de têtes nucléaires.
08:00Sauf si vraiment l'objectif de ces frappes et de cette guerre était de, finalement, provoquer un changement de régime,
08:10ce qui semble aussi être une option qui a souvent été avancée, notamment par Netanyahou,
08:17mais qui est une option beaucoup plus dangereuse, beaucoup plus risquée
08:21et qui est sans doute pas faisable sans l'aide et l'assistance et la participation active des États-Unis,
08:29ce que ces derniers ont refusé de faire jusqu'à présent.
08:32Pour l'instant, on entend la détermination absolue des autorités iraniennes.
08:36Il n'est pas question de discuter, de négocier.
08:39On est dans une escalade militaire.
08:41Malgré tout, ce qui est en train de se dérouler va forcément, le jour où il y aura à nouveau capacité de négocier,
08:49changer la donne dans ces négociations concernant le nucléaire iranien.
08:53Oui. En fait, ce qui est en jeu, là, pour l'Iran, et pour le régime iranien, comme on l'entend,
09:01c'est la survie même de ce régime et de ce système théocratique qui a été mis en place
09:09et qui prime sur le système politique et sur les responsables politiques,
09:15donc autour de l'aïtola Ali Khamenei, qui est très vieux aujourd'hui.
09:20Et qui est engagé aujourd'hui dans un processus de transition.
09:25Alors certains disent que ce serait son fils qui serait pressenti pour reprendre le flambeau.
09:31Donc, de facto, transformant ce pouvoir théocratique en un pouvoir dynastique
09:35et instaurant une sorte de nouvelle dynastie en Iran.
09:39Mais là-dessus, il y a encore beaucoup d'incertitudes.
09:41Il y a beaucoup de factions en Iran.
09:43Le système est très complexe, le système politique, en réalité, sous la surface.
09:48Et aujourd'hui, l'Iran pourrait être tenté de gagner du temps,
09:54justement pour préserver la capacité de survie du régime et assurer cette transition et cette succession.
10:01Et donc, d'aller vers une désescalade, y compris en reprenant les négociations avec les Etats-Unis.
10:08L'Iran pouvait difficilement se permettre cette guerre.
10:12Le pays avait besoin de respirer, de ne plus avoir à supporter les sanctions économiques.
10:18Et c'est donc tout l'inverse qui se met en place.
10:20On imagine aujourd'hui un effondrement, peut-être pas politique ou théocratique,
10:25mais en tous les cas, un effondrement de la société iranienne,
10:28qui va être la première à payer le prix de cette guerre.
10:30L'effondrement, c'est un scénario que beaucoup d'analystes occidentaux ou israéliens
10:36ont théorisé depuis des années, voire des décennies, mais qui ne s'est jamais produit.
10:43En réalité, ce qu'on a constaté, c'est que des régimes qui sont acculés,
10:47des pays qui sont acculés, y compris sous un régime de sanctions très dur,
10:51développent des capacités et des mécanismes de contournement de ces sanctions
10:55et de développement de circuits économiques et financiers parallèles.
10:59Ce qu'a fait l'Iran, ce qu'a fait la Russie, ce qu'a fait la Corée du Nord, par exemple.
11:04Et donc, cette théorie d'un changement de régime par la pression maximale économique,
11:10c'est une théorie qui reste à l'heure actuelle,
11:15puisqu'il n'y a jamais eu vraiment dans l'histoire, ou très peu en tout cas, de cas où ça s'est produit.
11:21Par exemple, en Irak, c'était une invasion militaire de l'Irak par les États-Unis.
11:25C'est ça qui a provoqué le changement de régime.
11:29Ce qui s'est passé en Syrie aussi.
11:30Voilà, en Syrie, en Libye, c'était les frappes de l'OTAN.
11:33Donc, en fait, cette forme de guerre économique et d'arme économique
11:38n'est pas forcément quelque chose qui, aujourd'hui, est très efficace.
11:44La population, évidemment, souffre, la population iranienne, souffre de cette situation.
11:48Mais il y a aussi un phénomène de ralliement au drapeau,
11:53dans ces situations d'adhésion au régime, dans des situations de crise extrême,
11:58parce que c'est un pays qui ne veut pas se voir imposer de l'extérieur
12:03sa politique et son régime politique.
12:06Et notamment, les Iraniens ont encore en mémoire le coup d'État
12:10contre le Premier ministre Mossadegh dans les années 1950.
12:14Ce sera ma dernière question, Alexandre Katteb.
12:16Qui pourrait tirer bénéfice de cette instabilité ?
12:19Peut-être la Russie ?
12:21On la voit se placer dans le cœur du dispositif de médiation, éventuellement.
12:24La Russie, oui, d'une certaine manière,
12:29elle retrouve son statut de puissance mondiale grâce à cela,
12:36parce qu'elle se positionne en effet comme médiateur
12:38et également comme recours sur les marchés énergétiques et pétroliers.
12:42Donc l'idée de nouvelles sanctions contre le pétrole russe
12:46semble s'éloigner à mesure que cette crise au Moyen-Orient se développe.
12:50Je remercie beaucoup, Alexandre Katteb, d'avoir répondu à nos questions,
12:54nous avoir apporté ces éléments de compréhension
12:55face à ces développements qui, effectivement, nous prennent de cours
12:58et sont peut-être parfois difficiles à appréhender.
13:00Merci à vous.

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