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00:00L'invité éco, Camille Revelle.
00:04Bonsoir Gabriel Zuckman.
00:05Bonsoir.
00:05Professeur à l'école normale supérieure, directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité.
00:10La taxe qui porte votre nom, que vous avez inspirée, la taxe Zuckman, est examinée demain au Sénat
00:14après avoir été adoptée à l'Assemblée en février.
00:17Pour résumer, c'est un impôt plancher de 2% sur le patrimoine des très grandes fortunes,
00:22c'est-à-dire celles et ceux dont le patrimoine dépasse 100 millions d'euros, environ 1800 foyers fiscaux.
00:28Le Sénat est à majorité de droite. Est-ce que vous croyez à une adoption ?
00:32À terme, oui, mais j'ai un petit peu peur qu'il se reproduise ce qui s'est passé il y a plus d'un siècle
00:36au moment du vote de l'impôt sur le revenu, où la Chambre des députés avait voté à l'issue d'années,
00:41même de décennies de débats parlementaires, l'impôt sur le revenu en 1909.
00:44Et le Sénat, majorité conservatrice, avait bloqué jusqu'en 1914, pendant 5 ans.
00:48Et je ne pense pas qu'on puisse se permettre de perdre 5 ans, compte tenu de nos problèmes de finances publiques,
00:53de l'urgence écologique, de nos besoins d'investissement dans les services publics.
00:56Il y a une énorme demande et une pression citoyenne pour que cet impôt soit adopté par le Sénat.
01:0180% des Français soutiennent, donc j'appelle les sénateurs à voter dès demain.
01:06Il y a beaucoup d'objections, vous le savez, on va les évoquer, y compris au sein du gouvernement,
01:10y compris dans le patronat. Avant qu'on en vienne là, pour vous, c'est une question de justice fiscale, cette taxe ?
01:15Effectivement, elle vient corriger un problème fondamental dans notre fiscalité,
01:20qui est que les très grandes fortunes payent moins d'impôts par rapport à leurs revenus
01:24que les catégories moyennes, les classes moyennes et les classes populaires.
01:28Dans l'ensemble, tout le monde paye beaucoup d'impôts en France, on a un taux de prémot obligatoire élevé.
01:32Les classes moyennes et les classes populaires payent 50% de leurs revenus en impôts,
01:35mais les milliardaires, 27% seulement, deux fois moins.
01:39Cette loi, elle ne vient simplement que mettre en conformité nos lois fiscales
01:44avec notre principe constitutionnel fondamental d'égalité devant l'impôt, qui aujourd'hui est violé.
01:49Vous disiez en février, la France est un paradis fiscal pour milliardaires, vous maintenez ?
01:53Un paradis fiscal pour milliardaires, tout à fait, parce que si toutes nos grandes fortunes
01:56partaient demain s'installer aux îles Caïmans, elles ne paieraient quasiment pas moins d'impôts
02:01et les recettes fiscales de la France baisseraient à peine, de l'ordre de 0,02 points de PIB.
02:07Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, nos milliardaires payent quasiment pas ou zéro impôt sur le revenu
02:13en structurant leur patrimoine avec des sociétés holding, etc.
02:17Et ce que vient faire ce dispositif, c'est simplement dire, on met un plancher.
02:21La beauté du taux plancher, c'est qu'il vient s'attaquer à toutes les formes d'optimisation fiscale,
02:26quelles qu'elles soient, donc c'est un dispositif anti-abus très puissant.
02:28On ne peut pas payer moins de 2% d'impôts, mais ceux qui payent déjà l'équivalent de 2% de leur patrimoine
02:33seraient exemptés par essence de cette taxe-là.
02:36Exactement, c'est un dispositif qui est extrêmement ciblé, non seulement sur les très grandes fortunes,
02:40de plus de 100 millions d'euros de patrimoine, mais sur ceux qui,
02:42parmi les ultra-riches, pratiquent l'optimisation fiscale et donc aujourd'hui,
02:46payent moins de 2% de leur patrimoine en impôts sur le revenu.
02:49Et combien elles rapporteraient, selon vos calculs, aux caisses de l'État ?
02:51De l'ordre de 20 milliards d'euros, ce qui, dans l'équation budgétaire actuelle,
02:55évidemment, est tout à fait significatif.
02:57Le gouvernement nous dit qu'il faut trouver 40 milliards d'économies ou de nouvelles rentrées fiscales,
03:01donc c'est la moitié qu'on pourrait trouver sur les contribuables ultra-riches et sous-imposées.
03:06Ça ne va pas résoudre tous nos problèmes de finances publiques.
03:08Ce n'est pas suffisant, mais c'est nécessaire, parce que c'est impossible de demander
03:11des efforts aux autres catégories sociales avant qu'on ait réglé cette injustice fiscale fondamentale.
03:16Allez, on a entendu vos arguments, Gabriel Zucman.
03:18Passons aux objections.
03:19A commencer par Emmanuel Macron.
03:20Pour qui, cette taxe n'a de sens que si elle est mondiale.
03:23Sinon, dit-il, il va y avoir de l'exil fiscal.
03:25Vous, vous dites non et on peut mettre en place un bouclier anti-exil, c'est-à-dire ?
03:30L'exil fiscal, c'est un risque qu'il faut prendre au sérieux.
03:33Et la meilleure façon de le prendre au sérieux, c'est d'abord de se pencher sur les études existantes,
03:37qui toutes aboutissent à la même conclusion.
03:39L'exil fiscal, ce n'est pas zéro, mais il est très faible.
03:42On parle de taux de 2%.
03:43Si on parlait de 90%, on pourrait avoir ce débat.
03:45Mais à 2%, il n'y a aucune étude sérieuse qui dise que le risque soit très élevé.
03:49D'autant plus que dans la proposition de loi, il y a une innovation.
03:52Il y a ce bouclier anti-exil fiscal qui vient soumettre les éventuels exilés fiscaux
03:57à cet impôt planché de 2%, 5 ans après leur départ.
04:00C'est une innovation et ce serait de nature à réduire encore davantage le risque d'exil fiscal.
04:04Et quand vous parlez de patrimoine, on parle de quoi ?
04:07Parce qu'il y a quelque chose qui hérisse notamment le patronat,
04:10c'est si on inclut l'outil de travail.
04:12Pour vous, c'est dedans ?
04:13Le patrimoine, c'est la valeur de marché, de toutes vos propriétés, nettes de vos dettes.
04:17Vos propriétés, elles peuvent être immobilières, elles peuvent être financières.
04:20Pour les gros patrimoines, c'est surtout des actions de grandes entreprises.
04:24Ce que veulent faire les opposants à ce dispositif, ils veulent sortir les grosses détentions actionnariales.
04:29Ils veulent dire, on sort de la fortune de Bernard Arnault, les actions LVMH.
04:33On sort de la fortune de Vincent Bolloré, les actions du groupe Bolloré.
04:36Ça n'a aucun sens.
04:37Je vous apporte un autre contrairement, celui-ci du ministre des Finances, Éric Lombard,
04:41qui vous dit, attention, si vous devez payer 2% de votre patrimoine en impôts par an,
04:44vous devez vendre une partie de votre entreprise qui serait, à terme, rachetée par des fonds étrangers.
04:49Est-ce qu'il n'y a pas ce risque-là aussi ?
04:50Non, c'est doublement inexact. D'abord parce qu'en moyenne, le patrimoine des personnes concernées,
04:55il rapporte 5 à 6% par an. C'est le taux de rendement sur les très grandes fortunes
04:59qui correspond à la rentabilité des grandes entreprises en question, nettement supérieure à 2%.
05:04Donc les grandes fortunes, elles ont des revenus, quasiment toutes.
05:07Alors c'est vrai que parfois, et des revenus qui sont nettement supérieurs aux 2%.
05:11C'est vrai que parfois, il peut y avoir dans des cas rares, des problèmes de liquidité.
05:15C'est l'exemple célèbre des licornes, qui sont très valorisées par le marché boursier,
05:19mais qui ne font pas encore de profit. Dans ce cas-là, deux solutions.
05:22D'abord, permettre l'étalement des paiements.
05:24On fait ça pour l'impôt sur les successions au taux de 45% depuis très longtemps.
05:27Donc on pourrait le faire pour cet impôt au taux de 2%.
05:29Et deuxièmement, permettre aux personnes concernées de payer l'impôt en nature,
05:33c'est-à-dire avec des actions de leur entreprise, très peu,
05:36que l'État pourra ensuite revendre aux salariés des entreprises en question,
05:40ou s'il n'y a pas assez de preneurs, à d'autres investisseurs français,
05:43en mettant, et c'est ça la réponse au ministre,
05:45des interdictions à toute revente à des non-résidents.
05:47Allez, troisième question, ce qu'on vous dit aussi,
05:50c'est que ça pourrait être retoqué par le Conseil constitutionnel.
05:53Alors, c'est au Conseil constitutionnel de se prononcer, bien sûr,
05:57mais le Conseil constitutionnel, moi je dis la chose suivante.
06:00La France a depuis très longtemps un impôt sur le patrimoine
06:03qui est prélevé indépendamment de tout revenu,
06:06qui s'appelle la taxe foncière, qui existe littéralement depuis des siècles.
06:09La taxe foncière, vous devez la payer quel que soit votre revenu.
06:11Donc, si vous avez dix châteaux qui ne génèrent aucun revenu,
06:15que vous ne louez pas, donc vous ne faites rien,
06:17vous devez payer la taxe foncière sonnant et trébuchant.
06:19Alors ça, c'est constitutionnel, ça existe depuis des siècles.
06:22L'impôt planché sur les milliardaires, c'est simplement élargir cette logique,
06:27non pas seulement l'immobilier, mais l'ensemble du patrimoine au-delà de 100 millions.
06:30Je finis juste en se disant que l'idée qu'il y aurait un risque de confiscation
06:34pour un dispositif qui maintient un socle de 100 millions
06:38sur lequel on peut payer zéro impôt, il ne s'applique qu'au-delà de 100 millions,
06:42me semble délirante.
06:45Vous savez que Bercy travaille aussi sur ses propres dossiers.
06:47Il y a votre taxe Zuckman qui est inspiré par vous,
06:50mais cette année, il y a une contribution différentielle sur les hauts revenus.
06:52C'est pour cette année ça.
06:54Bercy travaille sur un dispositif anti-optimisation,
06:57on n'a pas encore les contours,
06:58mais est-ce que ça, ça vous paraît déjà aller dans le sens de ce que vous, vous cherchez ?
07:02Alors, les contours ont été esquissés par la ministre du Budget
07:06et ce qui ressort, c'est d'abord un taux de 0,5%,
07:10donc quatre fois plus faible que les 2%,
07:12donc qui maintiendrait une forte injustice fiscale,
07:15mais surtout ce serait 0,5% sur le patrimoine à l'exclusion des célèbres biens professionnels
07:20qui représentent à peu près 90% du patrimoine des fortunes concernées.
07:24Donc on divise la 7 par 10, on divise le taux par 4,
07:27donc en réalité ce serait 40 fois moins de recettes fiscales que les 20 milliards.
07:31Avec le taux plancher de 2%, c'est 20 milliards qu'on peut trouver dès demain avec le vote au Sénat,
07:36avec ce que propose le gouvernement, c'est 500 millions.
07:39Mais si je résume ce que vous me disiez en début d'interview,
07:41ok, ça passera peut-être pas demain,
07:43mais selon vous, elle est dans les 5 ans à venir,
07:46vous preniez 5 ans,
07:48de fait ça finira par être adopté ?
07:49Ah oui, parce qu'on a déjà fait beaucoup de progrès il y a encore quelques années,
07:52d'abord, beaucoup de personnes contestaient le constat de la régressivité du système fiscal,
07:56c'est plus le cas.
07:57Maintenant tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut un taux minimum,
07:59maintenant aussi la plupart des gens sont d'accord pour dire qu'il faut que le taux minimum soit exprimé,
08:03non pas en pourcent du revenu, mais en pourcent du patrimoine.
08:06Alors il reste quelques débats sur les taux sur l'assiette,
08:08mais on y est presque, on va y arriver.
08:10On verra déjà ce qui se passe demain.
08:12Merci beaucoup Gabriel Zuckmann, directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité,
08:16professeur à l'école normale supérieure.
08:17Vous êtes ce soir l'invité Éco de France Info.

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