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  • 29/05/2025
Surfeur, aventurier mais aussi écrivain, Damien Castera publie “La liberté ne meurt jamais” chez Gallimard, récit de son expérience au coeur du conflit ukrainien. Il est ce matin l'invité de Marie Misset.

Retrouvez « Nouvelles têtes » présenté par Mathilde Serrell sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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Transcription
00:00Marie-Misset, votre nouvelle tête s'appelle Damien Castera.
00:03Il est allé plusieurs fois en Ukraine depuis 2022
00:06et il le raconte dans un livre « La liberté ne meurt jamais »
00:10qui vient de paraître chez Gallimard.
00:11Bonjour Damien Castera.
00:13Bonjour, merci pour l'invitation.
00:14Rien pour vous présenter, j'ai choisi ça.
00:21Ne me remerciez pas, vous l'aurez dans la tête toute la journée.
00:24Oui.
00:25C'est bon en même temps.
00:27Je ne sais pas.
00:27Un aventurier, ce serait sans doute la façon la plus évidente de vous décrire.
00:33Damien Castera, ancien surfeur pro, vous avez quitté la compétition assez tôt
00:37pour faire du free surf, une pratique beaucoup plus libre
00:40qui vous a permis de vous consacrer au voyage
00:43et à documenter ses voyages un peu partout dans le monde.
00:46Une fois, un ami vous a dit « Partir à l'aventure, c'est réaliser ses rêves d'enfant
00:49mais avec des moyens et c'est ce que vous avez fait. »
00:52Je vous ai vu dire qu'en Alaska, par exemple, vous avez construit des cabanes
00:55dans des forêts pleines d'ours.
00:56Vous avez cherché de l'or comme un orpailleur.
00:59Vous avez rencontré des indiens.
01:00Bref, tout ce dont vous rêviez enfant quand vous lisiez Jack London.
01:04Mais la guerre, Damien Castera, ce n'est pas un rêve d'enfant, la guerre.
01:08Et pourtant, c'est là que vous êtes parti deux semaines après l'invasion de l'Ukraine
01:11par la Russie en mars 2022.
01:13Vous voyez ça un petit peu comme une aventure aussi
01:14ou ce n'est vraiment pas le mot que vous emploieriez ?
01:17C'est évidemment une aventure humaine, très profonde, au sens même caissélien, on va dire.
01:24C'est la grande aventure humaine.
01:26Après, évidemment, je ne suis pas parti à l'aventure là-bas.
01:29Le livre et le documentaire que j'ai tourné en Ukraine n'étaient absolument pas prévus.
01:34Le début du voyage, c'était vraiment d'acheminer du matériel médical là-bas.
01:36Au tout début de la guerre, on avait beaucoup de dons de matériel médical
01:42qui commencent à s'accumuler dans les sous-sols des mairies, des pharmacies.
01:46Il y a très peu de gens pour le convoyer là-bas.
01:48Donc j'avais un fourgon et du temps libre et l'idée, c'était juste de...
01:513000 kilomètres en fourgon tout seul.
01:53Oui, on a le temps de réfléchir à ce qu'on fait.
01:56Il y a une dizaine d'années, vous et votre famille, vous avez traversé plusieurs drames.
02:00Vos fondations se sont un peu écroulées, on pourrait dire,
02:02à la bord de votre petit frère à Ushuaïa, en Argentine.
02:04C'est là que commence un petit peu votre cheminement qui vous amènera jusqu'en Ukraine.
02:09C'est quoi ce moteur ? Vous avez pu un peu l'analyser depuis pendant vos 3000 kilomètres,
02:13tout seul, dans un fourgon.
02:15J'ai eu pas mal de temps sur le retour.
02:18C'est très paradoxal de se dire que mes parents ont vécu un drame déjà terrible
02:22et de moi repartir là-bas sans... Je ne leur ai pas vraiment dit où j'allais.
02:26Je leur ai dit que je restais sur la frontière pour aider.
02:28Puis bon, de filer en aiguille, on aide, on aide de plus en plus loin.
02:31On rentre dans le pays.
02:32Puis j'ai commencé parce que je n'avais pas de fonction médicale, vraiment.
02:37Je n'ai pas de bagage là-dessus.
02:38Donc je me suis plutôt positionné en témoin.
02:41Et donc évidemment qu'on avance, on avance.
02:44Et oui, la perte de mon petit frère, c'est sûr que c'est un déracinement total.
02:49Et je pense que de s'inscrire dans les choses, c'est un peu l'aphorisme de Pessoa
02:53que je mets en exergue du livre au début.
02:55C'est agir, c'est connaître le repos.
02:56C'est vrai que les années qu'on suivait la mort de mon petit frère, j'ai eu vraiment
03:00beaucoup de mal à m'enraciner, à retrouver de la consistance dans l'existence.
03:06Donc de s'engager dans les choses permet d'avancer.
03:08Ça vous a permis de vous reposer un petit peu.
03:10Vous écrivez plusieurs fois dans ces récits de la guerre en Ukraine.
03:13D'ailleurs, vous en avez fait des récits pour le JDD pendant des mois.
03:16Que vous êtes là où l'histoire est en train de s'écrire.
03:18Il y a deux jours sur France Culture, le philosophe, poète, belge, néerlandais,
03:21Stéphane Ertmans, expliquait qu'on ne peut jamais comprendre l'époque qu'on vit sur le coup.
03:26On ne peut jamais comprendre l'événement.
03:28C'est exactement le caractère de l'événement qui fait quelque chose avec nous
03:31qu'on ne peut pas formuler encore.
03:34La sagesse vient toujours trop tard.
03:36C'est après coup qu'on peut expliquer.
03:38C'est après coup qu'on viennent les historiens pour nous expliquer ce qu'on a raté.
03:43Ça veut dire que le présent, c'est toujours quelque chose qu'on est en train de rater.
03:45Si on ne comprend pas l'histoire, si on ne la comprend qu'après coup,
03:48qu'est-ce qu'on comprend alors, Damien Castera, quand on est précisément là où l'histoire s'écrit ?
03:54Déjà, on est témoin.
03:55Donc on peut raconter un témoignage de première main, on va dire.
04:00On donne la parole à ceux qui ne l'ont pas, forcément.
04:02Et je pense qu'évidemment qu'il faut après du temps pour digérer l'expérience, les émotions.
04:09Mais c'est...
04:10Vous avez mis vos deux ans finalement à l'écrire ce livre.
04:12Oui, c'est vrai que les exigences éditoriales, on m'a proposé d'écrire un livre très vite en rentrant d'Ukraine.
04:18Je n'ai préféré pas le faire, même si c'était mon rêve absolu d'écrire un livre.
04:21Mais j'ai préféré repartir là-bas deux ans après, vraiment avoir une espèce d'objectivité, entre guillemets.
04:28Et puis de traiter ça sur le temps long.
04:30La littérature, on n'est pas dans le temps court.
04:32Il faut le temps de prendre du recul.
04:34Et encore une fois, de digérer les émotions en rentrant d'un voyage comme ça.
04:37Il faut prendre un peu le temps.
04:40Ce que vous avez eu envie de raconter, vous, c'est la place de l'art, de la littérature, de la poésie dans des guerres.
04:45Charline, est-ce que tu peux nous lire un tout petit extrait du livre de Damien Castéa ?
04:50Pour Eula, comme pour tant d'autres Ukrainiens, écrire, peindre, jouer d'un instrument,
04:56c'est s'autoriser la possibilité d'un dehors.
04:58C'est échapper au cloisonnement des caves et des abris antimissiles.
05:01C'est résister à la tentation d'abandonner, en opposant la beauté du geste à la noirceur des jours.
05:12Ça, c'est le violon de Eula, dont le son résonne à 10 km du front, en Ukraine.
05:18C'est un extrait de votre documentaire, La liberté ne meurt jamais, qui a été diffusé l'année dernière sur LCP.
05:23Est-ce que vous pouvez nous parler de Eula, qu'on voit jouer du violon dans une ruine d'immeubles ?
05:27Oui, durant ma traversée d'Ukraine, j'ai essayé de garder ce fil conducteur des artistes.
05:34Il faut des arts, mais il faut des arts aussi.
05:36C'est vraiment important de comprendre qu'ils se battent aussi pour la culture.
05:42Ça représente même l'âme du pays.
05:44C'est vrai que plus je progressais vers les lignes de front, moins il y avait d'artistes.
05:48J'avais cette image, je ne sais pas pourquoi, d'essayer de rencontrer vraiment une violoniste.
05:51Ou un violoniste.
05:53Peut-être à cause de Titanic.
05:54Je ne sais pas.
05:55Le mur de Berlin aussi, peut-être.
05:57Mais c'est vrai qu'il y avait quelque chose d'assez...
05:58Déjà dans la tonalité musicale, et puis évidemment, visuellement, c'était très fort.
06:02C'est la photo qui est en couverture du livre.
06:04Et Eula était une des dernières musiciennes professionnelles qui n'avait pas quitté les lignes de front.
06:09Et qui avait, avec trois autres musiciens du conservatoire,
06:12avait organisé des concerts dans le métro de Kharkiv pendant deux mois.
06:16Puisque les gens vivaient dans le métro pendant deux mois.
06:19Et je crois que le Washington Post avait nommé ça « Concert sous les bombes ».
06:22L'image est magnifique en tout cas.
06:24Ce que vous raconte votre récit, c'est aussi que la vie continue.
06:27Et il y a une phrase que vous citez de Eva.
06:29Eva, c'est une poétesse, une activiste, une journaliste ukrainienne,
06:32qu'on retrouve beaucoup dans votre récit.
06:34Elle a cette expression parce qu'elle continue à sourire tout le temps.
06:36Et elle dit que sourire, c'est prêter allégeance à la vie.
06:39J'ai l'impression que c'est un petit peu ça que vous avez essayé de faire.
06:42Prêter allégeance à la vie au milieu du chaos.
06:44Oui, c'est tout à fait ça.
06:45Il faut vraiment comprendre qu'à la guerre, tout est extrême.
06:50La mort rôde, mais la vie brille.
06:51Et en fait, je n'ai jamais vu autant de vie que dans ces moments aussi tragiques.
06:54Et c'est vraiment ce que j'ai voulu raconter.
06:56Parce que c'est sûr que dans les journaux télévisés,
06:58on fait la comptabilité du nombre de morts.
07:01Mais l'écrivain, il est là pour raconter la douleur.
07:03On parle moins des vivants, c'est ce que vous écrivez.
07:04Oui, pour parler des émotions.
07:07Et donc, on a cette vie qui résiste.
07:10Vivre normalement est devenu un acte de résistance.
07:13La liberté ne meurt jamais, c'est ce qu'on peut lire.
07:15C'est votre livre édité chez Gallimard.
07:17Merci beaucoup Damien Castera.
07:19Il y a un documentaire du même nom qui est visible sur la chaîne YouTube de LCP.
07:22Franchement, ça ne fait pas doublon.
07:23Au contraire, c'est assez génial de regarder.
07:26Après vous avoir lu, on met des visages sur des noms qui nous ont bouleversés.
07:29Merci Marie-Missé.
07:31Merci à tous les deux.

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