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  • 22/05/2025
À travers une cinquantaine de témoignages anonymes de professionnels, la journaliste Nora Bouazzouni s'attaque dans son livre "Violences en cuisine, une omerta à la française" (Éditions Stock) à ce qu'elle appelle "le mythe de la gastronomie française". Horaires à rallonge, insultes et humiliations répétées, violences physiques et sexuelles... Ecoutez la réaction de Vittoria Nardone, cheffe pâtissière à Dalia group et présidente de Bondir.e.

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Transcription
00:00Yves Calvi et Agnès Bonfillon, RTL Soir.
00:04Il est 18h43, bonsoir Vittoria Nardonnay, vous êtes chef pâtissière et vous présidez l'association Bondir
00:09qui veut notamment faire évoluer le monde de la restauration en proposant de la prévention contre les violences dans les écoles de cuisine.
00:16Dans son livre, Violence en cuisine, une omerta à la française, Nora Boisouni, qui était sur RTL à la mi-journée,
00:22évoque une cinquantaine de témoignages sur des violences physiques et morales systémiques normalisées dans les cuisines de nos restaurants.
00:29Il y a une omerta sur ce sujet, selon vous ?
00:32Oui, ça c'est sûr. Je pense qu'avec les témoignages que Nora a récoltés, plus tous ces postes vacants, on en est à 200 000,
00:43ça prouve qu'il y a un vrai problème dans le milieu et qu'il faut en parler et qu'il faut le réformer, ce système de la restauration,
00:51pour essayer de faire respecter le droit du travail le plus possible.
00:54Comment expliquez-vous ce silence à une époque où on parle beaucoup, effectivement,
01:01et où on prend la parole justement pour dénoncer des actes comme cela ?
01:06Je pense qu'il y a un silence parce qu'il y a beaucoup de peur, de menace,
01:11de la part des personnes qui perpétuent ces violences.
01:14Quand on est dans une brigade et qu'on subit cette violence, on pense très vite que c'est la norme,
01:22puisque dès le début de notre formation, on nous l'apprend que ce milieu va être violent.
01:31Et je pense que pour l'avoir vécu, on a très peur de parler,
01:35parce qu'on a peur de se faire exclure, finalement, de l'équipe, du milieu, de manière générale,
01:42puisqu'on entend souvent cette phrase de « si tu parles ou si tu dis quelque chose,
01:47je vais un peu ruiner ta réputation auprès des autres ».
01:50Donc je pense que c'est la peur qui régit un peu tout ça.
01:53Nora Boisoni explique qu'elle a reçu des centaines de témoignages confortants
01:57de ces violences en cuisine.
01:59Visiblement, ça ne vous surprend pas ?
02:01Non, ça ne me surprend pas.
02:03Ça ne nous surprend pas, surtout, nous, dans l'association,
02:05parce qu'on va faire des interventions dans les écoles pour faire la prévention de ces violences.
02:12Et c'est systématique.
02:13À chaque fois, les élèves nous font des retours,
02:15même s'ils n'ont vécu que deux semaines de stage.
02:19Ils ont vécu des violences.
02:20Ils se sont pris des coups de torchon.
02:22Ils se sont fait agresser verbalement, sexuellement.
02:26Ils se sont fait harceler, et tout ça sur un court temps.
02:28Donc si ça commence dès l'école, c'est normal, on va dire.
02:33Que ça soit encore présent dans le milieu plus tard.
02:37Il y a une dimension parfois un peu militaire dans l'organisation en cuisine.
02:42Rien que les termes employés parlent d'eux-mêmes.
02:45Chef, brigade, coup de feu.
02:47Ça favorise ce climat, selon vous ?
02:50Je pense que, sans le favoriser, en tout cas, ça nous fait intégrer encore plus facilement.
02:57On voit encore en ce moment beaucoup de vidéos qui tournent un peu sur les réseaux,
03:02qui appellent les cuisiniers des soldats, comme si on allait à la guerre.
03:07Et en fait, je pense que ça, du coup, ça encense un peu ce mode de fonctionnement
03:12qui n'est vraiment pas très bon, enfin même pas bon du tout.
03:16Et donc, ces termes sont pour moi à proscrire, en effet.
03:19Ce qui marque aussi, c'est la résignation parfois des victimes
03:22qui, pour la plupart, ne pardonnez-moi, ne portent pas plainte.
03:26Ils préfèrent céder pour en finir plus rapidement,
03:29ou se convaincre que c'est le métier qui rentre et puis que c'est comme ça ?
03:32Comment vous l'analysez, vous ?
03:34Je pense qu'il y a une grande partie qui, comme vous dites, cède,
03:40et se dit que c'est la norme et que, vu que tout le monde le vit,
03:46on ne voit pas pourquoi ce serait différent pour nous, par exemple.
03:50Et aussi, il faut savoir que porter plainte, c'est quand même très compliqué en ce moment.
03:55Et de manière générale, que ce soit pour des violences sexistes ou pour d'autres,
03:59ça fait très peur de porter plainte contre, par exemple, un chef qui est connu,
04:03parce qu'il va falloir apporter des preuves et que, souvent, dans les cuisines,
04:09tout est caché, dans les chambres froides, ce qui se passe,
04:11personne ne sait ce qui se passe.
04:14Et voilà, c'est très compliqué de porter plainte.
04:18Dans un pays comme le nôtre, où la gastronomie est reine,
04:21on se dit que l'excellence rime avec exigence.
04:24Vous voyez ce que je veux dire ?
04:25Finalement, on n'est pas tellement choqué de l'exigence demandée aux cuisiniers.
04:31Oui, mais je pense que c'est un vrai problème,
04:34parce que, selon moi, et en tout cas, selon tous les bénévoles de Boundière,
04:39on n'apprend pas mieux sous la violence,
04:41on n'apprend pas mieux sous les coups.
04:43Et je pense qu'il y a vraiment quelque chose à réformer ici.
04:51Il faut apprendre à communiquer, à donner des clés pour faire avancer son équipe.
04:58Et c'est ce qu'on essaye de faire avec Boundière,
05:00parce qu'on essaie de créer des formations,
05:03et on a créé des formations,
05:06pour améliorer la communication entre les équipes,
05:09pour faire la prévention des risques psychosociaux.
05:10On est accompagnés de cabinets comme Egaé ou Foster the People,
05:18qui sont professionnels dans ce milieu.
05:22Et je pense que vraiment,
05:25l'excellence ne peut pas rimer avec la violence.
05:28Vous-même, Vitoria, vous avez été victime ou témoin de violences de ce type ?
05:34Oui.
05:34Moi, ça fait dix ans que je fais ce métier de pâtissière.
05:37J'ai été largement témoin de plein de choses dans les brigades,
05:42et j'ai même été victime de harcèlement moral,
05:45de sexuel et de menaces,
05:47de la part de mes chefs et de mes collègues, en fait.
05:52Et pourtant, vous êtes restée dans le métier ?
05:55Oui.
05:55Parce que vous ne vouliez pas baisser les bras ?
05:57Parce que je ne voulais pas baisser les bras.
05:59Et puis, à un moment où j'ai cru que j'allais laisser tomber,
06:02je me suis dit que ça n'allait pas être possible,
06:04et qu'il fallait que je change.
06:06Et donc, c'est pour ça que je me suis inscrite chez Blondir,
06:08et que j'ai adhéré à l'association,
06:09et que j'essaie de faire changer les choses comme je peux.
06:11Depuis une quinzaine d'années,
06:13les concours de cuisine à la télévision sont à la mode,
06:15dans des émissions comme Top Chef,
06:17ou encore Le Meilleur Pâtissier sur M6.
06:19Selon vous, elles n'ont pas permis d'améliorer les choses ?
06:24Ça peut avoir un effet positif,
06:28parce que beaucoup de nouveaux profils sont arrivés dans la restauration,
06:34c'est-à-dire des gens qui avaient déjà travaillé avant dans d'autres milieux,
06:38et qui arrivent dans la restauration,
06:39et qui ont un peu un regard neuf, en fait, sur ce qui se passe,
06:43et qui, eux, peuvent plus facilement faire changer les choses,
06:45parce qu'ils se rendent compte que ce qu'on vit en tant que cuisinier,
06:48pâtissier, serveur, etc., c'est pas normal.
06:51Et eux ont, je pense, un peu plus la parole libre,
06:54puisqu'ils sont adultes quand ils arrivent dans le milieu,
06:57et ont de l'expérience ailleurs.
06:58Après, c'est vrai que toutes les émissions comme Top Chef, etc.,
07:02ça se tarifie énormément les chefs,
07:04et ça les rend très sympathiques,
07:06alors que...
07:07Ah oui, moi je regarde tout le temps.
07:08Ils ne le sont pas.
07:10Oui, ben voilà, c'est ça.
07:13Après, est-ce qu'un chef a le temps d'être sympathique ?
07:16Vous voyez ce que je veux dire ?
07:17Sans parler des violences et des coups dont vous parliez,
07:20mais un chef, il est là pour dire...
07:22Un service, c'est speed, voilà.
07:23Voilà, c'est speed, il faut envoyer les plats,
07:25il faut y aller quand on n'a pas le temps de faire dans le sentiment.
07:29Oui, oui, mais sans faire dans le sentiment,
07:32on peut rester poli et manager, finalement,
07:35et ne pas avoir à crier ou à insulter ou à brûler
07:39pour qu'on avance plus vite.
07:41Je précise que...
07:41Je ne sais pas qu'ils le font tous, mais voilà.
07:43Avant de nous séparer un dernier commentaire,
07:46Nora Boisouni réclame une commission d'enquête parlementaire sur le sujet.
07:49C'est une bonne idée pour prendre conscience de l'ampleur de la situation
07:52et sans doute tenter au minimum de pondérer les choses,
07:55en tout cas qu'elles soient publiques.
07:57Oui, je pense que c'est une très bonne idée
07:58parce qu'en fait, ça va permettre aux consommateurs aussi
08:03et aux clients de se rendre compte de ce qui se passe
08:05dans les cuisines dans lesquelles ils vont.
08:07Et ça va aussi permettre de libérer encore plus la parole
08:10de toutes les victimes qui n'osent encore pas parler.
08:13Et pour ce faire, j'en profite,
08:15mais on a ouvert une ligne d'écoute chez Bondir.
08:18Donc, vous pouvez nous envoyer un message
08:20et on vous appellera
08:22et on favorise l'écoute par les pairs.
08:25Et donc, c'est toujours plus facile de parler à quelqu'un
08:27qui a vécu ce qu'on a nous aussi vécu.
08:30Merci Vittoriane Ardennet.
08:31Vous êtes chef pâtissière et présidente de l'association Bondir.
08:35Dans un instant, un peu de légèreté avec un homme qui rutile.
08:37Ce n'est pas compliqué, il est très en forme.
08:39Marc-Antoine Lebrun.
08:40RTL Soir
08:42Yves Calvi et Agnès Brouillard

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