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Passé-Présent évoque une page souvent occultée de notre histoire : celle des appelés du contingent pendant la guerre d’Algérie. Entre 1954 et 1962, plus d’un million et demi de jeunes Français ont été envoyés en Algérie. Plus de 15 000 y ont laissé leur vie. Des dizaines de milliers ont été blessés, ou marqués à jamais. Jean-Marie Glangeaud était l’un d’eux. Un jeune homme ordinaire, gardien à la Bibliothèque nationale, parachutiste de 21 ans, tué en 1958 près de Souk Ahras. À travers son destin, raconté par son neveu Gérard Blandin, dans le livre "Le Crépuscule d’un Brave – Dans les pas d’un appelé en Algérie", (Editions Pierre de Taillac), c’est l’expérience de toute une génération que l’on redécouvre.

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Éducation
Transcription
00:00Générique
00:21Bonjour à tous. Aujourd'hui, nous allons évoquer une page souvent occultée de notre histoire, celle des appelés du contingent pendant la guerre d'Algérie.
00:30Entre 1954 et 1962, plus d'un million et demi de jeunes français ont été envoyés en Algérie. Plus de 15 000 y ont laissé leur vie.
00:39Des dizaines de milliers ont été blessés ou marqués à jamais. Jean-Marie Glangeau était l'un d'eux, un jeune homme ordinaire, gardien à la Bibliothèque Nationale, parachutiste de 21 ans, tué en 1958 près de Souk Arras.
00:52À travers son destin, raconté dans le livre « Le crépuscule d'un brave » dans les pas d'un appelé en Algérie, paru aux éditions Pierre de Taillac, c'est l'expérience de toute une génération que l'on redécouvre.
01:02Et nous recevons aujourd'hui son neveu, l'auteur Gérard Blondin. Gérard Blondin, bonjour.
01:07Bonjour.
01:08Alors, vous n'êtes pas historien, vous n'êtes pas écrivain de métier, enfin pas pour l'instant, et si vous êtes journaliste, vous êtes plutôt un journaliste économique,
01:18puisque vous avez notamment dirigé la vie financière et le revenu. Mais c'est grâce à de nombreuses archives que vous avez retracé le parcours de cet oncle que vous n'avez pas connu,
01:29mais dont la mémoire vous a accompagné toute votre vie. Alors, d'où ma première question, qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
01:37Est-ce un devoir de mémoire, une quête familiale ou un besoin personnel ?
01:41C'est un peu tout ça. C'est-à-dire que mon oncle, effectivement, est décédé quelques mois avant ma naissance et il était appelé à devenir mon parrain.
01:51Donc, ma mère était enceinte et elle avait choisi son frère, son petit frère, pour être mon parrain. Et vous savez, dans les familles, il y a souvent des êtres un petit peu qui sortent du lot,
02:01des êtres solaires, et Jean-Marie était de ceux-là, puisque 66 ans après son décès, je dirais qu'il revient toujours dans les conversations familiales.
02:11Donc, c'était vraiment quelqu'un qui, je dirais, dégageait une énergie positive, qui était une belle personne, comme on dit, qui était d'une gentillesse extrême et qui, bon, a fait son devoir de soldat.
02:23Et au départ, ce livre, c'était plus pour faire plaisir à ma famille, à ma mère en particulier, pour, comment dire, pour lui rendre hommage.
02:33Et j'ai eu, comment dire, dans mes recherches, comment dire, la bonne surprise, en voyant mes tantes, qui sont âgées, mais qui ont une mémoire formidable et qui ont conservé toutes les archives,
02:46de m'apporter un carton entier où il y avait vraiment tout. Toute la correspondance pendant la guerre d'Algérie, parce qu'ils écrivaient beaucoup à l'époque, tous les documents militaires, toutes les photos, tous les témoignages.
02:59Et en fait, le livre a un peu changé de dimension à partir de là et est devenu le beau livre qu'on connaît maintenant.
03:05– Alors, le titre, c'est le « Crépuscule d'un brave » dans les pas d'un appelé en Algérie, donc dans les pas d'un appelé en Algérie, on comprend ce que ça veut dire.
03:13Le « Crépuscule d'un brave », pourquoi ce titre très évocateur ? C'est vous qui l'avez choisi ?
03:17– Oui, oui, je l'ai choisi. Au bout d'un certain temps, on va dire, ce n'est pas venu tout de suite.
03:23Et puis, à un moment, il y a eu un flash. Donc, « brave », je vais commencer par le complément de nom.
03:27« Brave », en fait, c'est celui qui est courageux au combat. Et comme on le verra, on ne peut pas le nier qu'il était courageux au combat puisqu'il était dans une unité de voltigeurs.
03:37C'est-à-dire, c'est ceux qui sont en première ligne au combat. Et le « Crépuscule », en fait, le « Crépuscule », c'est quand le soleil tombe sous l'horizon et donc dégage cette lumière particulière.
03:48Et en fait, plus on est en altitude, plus la lumière persiste. Et je dirais que ça correspondait bien à mon oncle puisque, comme je vous le disais, 66 ans après son décès, sa lumière est toujours là et on en parle toujours.
04:00Donc, le « Crépuscule d'un brave » me semblait une expression ad hoc.
04:05– C'est un beau titre. Alors, le livre s'ouvre sur un récit très détaillé des origines de Jean-Marie Glangeau, de ses parents, de leur métier.
04:14Alors, pourquoi un retour si approfondi aux sources de la famille ? Ça vous a pas vu indispensable ?
04:19– Alors oui, moi, je trouve que dans l'histoire, je trouve que l'histoire ne se résume pas au pendant.
04:24J'aime beaucoup l'avant, le pendant et l'après. Et pour moi, quand on fait offre de mémorialiste ou d'historien, c'est bien de couvrir tous ces champs-là.
04:34Et donc, effectivement, j'ai parlé de la famille au départ parce que son père, donc mon grand-père, avait fait la guerre de 14.
04:40Il avait été mobilisé à l'âge de 20 ans, à peu près la même chose que pour l'Algérie, en 1912.
04:47Et bon, le conflit a éclaté et son service militaire a duré 7 ans.
04:52Il n'en est pas ressorti indemne puisqu'il a eu des balles dans les jambes et il avait reçu des gaz comme l'hypérite et ainsi de suite.
04:58Donc, il n'en est pas ressorti indemne. Mais c'était pour dire qu'en plus, il y avait beaucoup d'apparentement entre, par exemple,
05:04mon grand-père était dans la bataille des frontières, mon oncle était dans la bataille des frontières,
05:10mobilisés tous les deux au même âge. Et en fait, à cette époque, de génération en génération,
05:16on ne se posait pas de questions, on était mobilisés, on osait la guerre et voilà.
05:20D'ailleurs, cette histoire familiale est au début un peu dramatique parce qu'on perçoit vraiment une fracture dramatique
05:28parce que la mère de famille quitte le domicile conjugal et emmène tous ses enfants vers Paris.
05:37– Alors, est-ce qu'on peut dire ce traumatisme que vous allez nous raconter rapidement ?
05:40Est-ce qu'il a influencé la personnalité de Jean-Marie et de quelle manière ?
05:43– Je pense en partie parce que c'est vrai qu'il était très jeune, il avait que deux ans et donc toute la famille,
05:48parce que mon grand-père, comme certaines personnes qui avaient connu la seconde guerre,
05:53était parfois tourné un peu vers l'alcool, même beaucoup, et pouvait devenir violent.
05:59Et puis, à un moment, la situation était telle que toute la famille a décidé de partir à Paris.
06:05Ensuite, tout est revenu en bon ordre, mon grand-père a fait une cour assidue en disant que jamais plus,
06:12il aurait un mot plus haut que l'autre, et puis tout s'est bien passé.
06:16Mais je pense que oui, effectivement, ça a dû avoir des séquelles chez mon oncle.
06:21– Mais pour l'époque, c'est quand même une décision courageuse de la part de votre grand-mère.
06:24– C'est une décision courageuse, d'autant que c'est plutôt ma mère qui avait 17 ans qui a organisé tout ça.
06:31Ce n'est pas ma grand-mère, et d'ailleurs, toutes ses sœurs lui ont son gré depuis cette époque.
06:38– Et on en parlait encore beaucoup dans la famille ?
06:43– Non, c'est plutôt une histoire qu'on a mise un peu sous le tapis.
06:46– Quel genre de jeune homme était Jean-Marie ?
06:50Vous évoquez des influences esthétiques, physiques, culturelles.
06:54C'était un bon dessinateur, il aimait le dessin, il aimait le culturisme.
06:58C'est un garçon bien bâti, comme on dit.
07:00Qu'est-ce qu'on en sait de ses règles, de ses ambitions ?
07:03Quel métier voulait-il faire ? Est-ce qu'il a fait des études ?
07:05– Au début, il a suivi un parcours classique, collège, lycée.
07:09Effectivement, ce n'était pas un génie à l'école,
07:12mais on voit que dans chaque classe, le premier en dessin, c'était lui.
07:16Donc effectivement, il maniait la plume de manière assez extraordinaire.
07:20Il écrivait sur tout, sur le bois, sur le papier, tout ce qu'il trouvait, il dessinait tout le temps.
07:24Il y a quelques dessins qui sont mis en exergue dans le livre.
07:27Effectivement, on voit quand même qu'il avait une qualité de dessinateur assez…
07:30– Il avait un talent.
07:32– Dans ses désirs, c'est difficile de le dire,
07:35c'est vrai que c'était un garçon plein de vie,
07:37qui aimait beaucoup la camaraderie, qui aimait beaucoup l'humour,
07:41qui n'était pas franchement discipliné puisque quand il travaillait à Bibliothèque Nationale,
07:46les week-ends se terminaient souvent le mardi matin et les départs souvent le jeudi soir.
07:52Donc il y a des notes de service que j'ai retrouvées
07:54qui montraient qu'à priori, il n'était pas destiné à faire une carrière à la Bibliothèque Nationale.
08:01En fait, ce que j'ai vu dans ses écrits,
08:03c'est qu'il se destinait peut-être à être professeur d'éducation physique.
08:06Et donc effectivement, ça explique peut-être pourquoi il était très attiré par,
08:11non pas le culturisme comme on l'entend aujourd'hui où on gonfle les biceps,
08:15mais plutôt la culture physique qui était beaucoup plus noble à l'époque.
08:18– Mais bon, ça n'empêche pas de rentrer à la Bibliothèque Nationale
08:21où là il mène un travail administratif.
08:24– Alors oui et non, c'est-à-dire qu'il était gardien.
08:28Alors gardien, en fait, c'est un peu bizarre parce qu'il n'était pas du tout gardien,
08:31il était magasinier en fait, il était gardien des livres.
08:33– D'accord.
08:34– Et donc il apportait les livres, il les rangeait, il s'en occupait.
08:37Et donc à l'époque où il y avait les livres à la BN, c'était comme une usine,
08:42on montait, il y a des escaliers dans tous les sens,
08:44donc quelque part ça lui convenait bien.
08:46– Alors est-ce qu'on lui sait, parce que c'est un jeune homme de 20 ans,
08:50donc la guerre d'Algérie a commencé déjà il y a trois ans,
08:54est-ce qu'on lui sait un engagement politique ?
08:57Est-ce qu'il a déjà parlé de ça ?
08:59Qu'il était patriote, il était indifférent, qu'est-ce qu'il en était ?
09:02– Alors je crois qu'il était patriote au sens où,
09:06dans toute sa famille, son père a fait la guerre
09:08et puis il avait deux beaux-frères qui étaient en guerre d'Indochine.
09:13Donc quelque part la guerre était vraiment présente, prégnante dans la famille.
09:18Mais non, il n'avait pas d'idée politique,
09:21il savait qu'à 20 ans, puisqu'à l'époque c'était la loi,
09:23dès qu'on avait… l'année de ses 20 ans,
09:26on devait faire son service militaire, on pouvait être mobilisé,
09:29donc il s'attendait à ça, mais il n'avait pas d'idée particulière.
09:33– Mais il s'attendait, il ne savait pas qu'il partait pour l'Allemagne ?
09:36– Non, non, non, il savait qu'il allait être mobilisé,
09:39donc il a été appelé sous les trois jours, je crois que c'était en septembre 1956,
09:45mais il ne savait pas qu'il allait partir en Algérie.
09:47Alors, il y avait des chances, évidemment, une grosse probabilité qu'il parte,
09:52mais il ne l'a su que vraiment à la fin de son instruction,
09:56en avril 1957, pardon, qu'il a su qu'il partait en Algérie.
10:03– Et l'engagement chez les paras,
10:05c'est lui qui décide d'aller chez les paras, non ?
10:07– Non, non, non, c'est pendant les trois jours,
10:11comme vous disiez, il était plutôt bien bâti, il était très sportif,
10:17et puis il ne se posait pas de questions,
10:18il avait, comme je vous disais tout à l'heure, une énergie positive,
10:21et donc il a été affecté au 9e régiment des chasseurs-parachutistes.
10:26– Oui, voilà, parce qu'il fait un parcours militaire,
10:28de Montauban à Pau, et ensuite au 9e régiment, au 9e RCP.
10:32Alors, qu'est-ce que ça nous, là on va élargir un peu le cadre,
10:35qu'est-ce que ça nous apprend de la formation des appelés à cette époque ?
10:40– Alors, c'était, pour avoir fait mon service militaire,
10:43et pour ce que je sais de l'entraînement de mon oncle,
10:46c'était très différent, c'était vraiment très dur, quoi.
10:49Donc, il y avait une formation d'abord militaire,
10:51en l'occurrence à Montauban, au quartier d'Houmerc,
10:54où visiblement c'était assez costaud,
10:57ce qui visiblement pesait le plus, c'était les piqûres,
11:01les vaccins, vous en avez quasiment toutes les semaines,
11:04je crois qu'il y en avait eu 6 ou 7,
11:05dont celle dans le dos qui faisait très mal,
11:08et puis ensuite il y a eu la formation de parachutistes à Pau,
11:11au camp d'Astra, qui je crois existe toujours.
11:13– Oui, c'est toujours l'école des troupes récoltées là-bas.
11:15– Et là aussi, c'est l'entraînement des paras, les roulés-boulés,
11:19on voit la tour d'entraînement qui fait une quinzaine de mètres,
11:22où il faut sauter, c'est quand même…
11:24Jean-Marie raconte dans sa correspondance
11:27qu'il y a quand même beaucoup de camarades esquintés,
11:30en sautant, qui ne suivent pas vraiment les préceptes des instructeurs,
11:34et voilà, au bout de cette instruction qui est quand même en accéléré,
11:38parce qu'on sent qu'évidemment il y a des besoins ailleurs,
11:43ça a duré quand même à peu près facilement trois mois,
11:48au service militaire ça a duré plutôt un mois,
11:50donc là c'était trois mois, mais à forte charge,
11:53avec des, comment dire, des crapahus qui duraient sur 40-60 km par jour,
11:58parfois avec le barda.
12:00– Donc il est breveté para, il sort même de caporal.
12:05– Oui, c'est ça.
12:06– Donc ça prouve quand même qu'il était plutôt bon.
12:10Donc ce n'est pas un choix non plus, il ne postule pas particulièrement.
12:13– Non, non, non, ce n'est pas un choix.
12:14– Il n'a pas de volonté de s'engager, lui il fait son service militaire.
12:16– Non, non, pas à l'époque, et on sent bien quand même
12:19qu'il a l'esprit de compétition, parce qu'il parle un peu avec fierté
12:23qu'il est arrivé premier de son stick,
12:25vous savez le stick c'est le groupe de 15
12:28qui monte dans un avion pour le saut en parachute,
12:31et donc il est arrivé premier, il a eu une décoration pour ça,
12:34enfin un insigne on va dire,
12:36et donc il est très fier de dire ça à sa chère mère.
12:39– Et le premier contact avec l'Algérie, qu'est-ce qu'on en sait ?
12:45– Il a appris début avril, à la fin de son instruction,
12:48qu'il partait en Algérie, on sentait dans son courrier
12:52que ce n'était pas une grosse surprise,
12:54parce qu'il avait déjà beaucoup de camarades
12:55qui étaient partis avant lui dans les semaines précédentes,
12:58et donc ils ont pris un vieux rafio
13:00qui s'appelait le gouverneur général Chanzy
13:02qui avait déjà beaucoup de décennies,
13:05de beaucoup de kilomètres derrière lui, beaucoup de miles,
13:08et donc ils partent, ils arrivent à Djidjili je crois,
13:14pour débarquer en Algérie,
13:17et c'est son premier souvenir de la terre algérienne.
13:21– Donc là il est au milieu de camarades appelés également,
13:23quelques engagés qui y encadrent.
13:25– Exactement.
13:26– Et dans la famille, est-ce qu'on sent,
13:28en l'échange de correspondance, une inquiétude ?
13:30– Ah oui, immédiatement, déjà il y avait une première inquiétude
13:34quand sa mère a appris qu'il était dans les paras,
13:37donc elle a été un peu plus fidèle, je dirais,
13:40aux messes et à l'église Saint-Jacques-du-Haupas
13:43qui était rue Saint-Jacques où elle habitait,
13:46et puis on le voit dans les lettres,
13:47elle était quand même très très inquiète,
13:49parce qu'évidemment elle lisait la presse,
13:52et les événements étaient plutôt funestes à l'époque.
13:58– Donc il y a une large correspondance,
14:00vous avez retrouvé combien de lettres ?
14:02– Je crois que j'en ai répertorié pas loin de 800,
14:06donc je ne les ai pas toutes utilisées évidemment,
14:09mais il y avait toute la correspondance avec sa mère,
14:11donc c'était quasiment une lettre tous les jours,
14:14voire tous les deux jours,
14:15évidemment quand il était en opération il ne pouvait pas écrire,
14:18lettres à ses camarades d'enfance et de la Bibliothèque Nationale,
14:23lettres à son mentor,
14:24parce qu'il avait un peu un mentor qu'il avait pris sous son aile à l'ABN
14:27en voyant un petit peu son potentiel,
14:30et puis lettres évidemment à sa fratrie, à ses quatre sœurs.
14:35– Et donc il rentre tout de suite dans les combats,
14:39parce qu'il y a une première action héroïque à l'ouest de Tifrane,
14:44le 22 juillet 1957,
14:47et il est déjà cité à l'ordre du régiment,
14:49je vais lire la citation,
14:51c'est particulièrement distingué le 22 juillet 1957
14:54à l'ouest de Tifrane dans les Ores,
14:56en enlevant une position rebelle à la Grenade
14:58pour permettre à sa pièce de progresser.
15:01Alors c'est sa première action de combat,
15:05– Alors il y avait eu déjà des accrochages,
15:08c'était un peu le terme consacré en Algérie,
15:12on ne parlait pas de combat,
15:13ce n'était pas une guerre,
15:14c'était des opérations de matière de l'or,
15:15c'était des événements,
15:17et les accrochages c'était des combats.
15:20Donc il y en avait eu quand même quelques opérations avant,
15:23et effectivement il y a eu cette action.
15:25– Qu'est-ce qui s'est passé ce jour-là ?
15:26– Alors déjà ce qui est étonnant,
15:28c'est de voir qu'il est arrivé fin avril,
15:30et que là on est en juillet,
15:32c'est-à-dire trois mois après,
15:34il est déjà cité,
15:36comme ce n'était pas une guerre,
15:37il n'y avait pas la médaille militaire,
15:40donc c'était à l'époque la croix de la valeur militaire.
15:43Bon voilà, et donc sa mère d'ailleurs se disait
15:46c'est quand même un peu fort de café,
15:48parce que tu fais la guerre,
15:51tu fais des actions un peu héroïques,
15:53et voilà tu as la croix de la valeur militaire,
15:55qu'est-ce que c'est que ça ?
15:57Comme l'a dit le commandant,
16:00en fait il était voltigeur,
16:02donc c'était une unité de combat
16:03qui était en première ligne.
16:05Donc c'était quand même assez courageux,
16:07parce que vous essuyez évidemment les balles dans une guérilla,
16:11il y avait des embuscades,
16:12donc lui il était en première ligne,
16:13et puis pour défendre un peu tous ses camarades,
16:17il a attaqué une position effectivement à la grenade,
16:20il a permis aux pistoles et motres,
16:22enfin toutes les armes de progresser,
16:24et puis finalement de gagner le combat.
16:26– Et on sait comment il a vécu cet engagement plutôt physique,
16:32est-ce qu'il en parlait dans ses lettres,
16:33ou il fait preuve de retenue ?
16:34– Non, c'est plutôt avec du détachement, avec de l'humour,
16:38c'est toujours une petite décoration qui vient comme ça,
16:42donc c'est vraiment, enfin il ne se pose pas en héros,
16:44c'est vraiment, il prend beaucoup de détachement sur cette action.
16:50– Alors il décrit également la guerre dans les Ores,
16:54c'est l'usure physique que cela entraîne,
16:58et je vais reciter encore,
17:00alors cette fois-ci c'est un de ses camarades qui écrit,
17:03peut-être après sa mort,
17:06couchant côte à côte dans la neige ou dans la boue,
17:09crevant tous les deux de soif,
17:11le commando l'avait beaucoup transformé,
17:13il était devenu insouciant des balles.
17:16Alors qu'est-ce qu'on apprend sur la dureté des opérations dans les Ores,
17:20à travers la voix de ses camarades,
17:22est-ce qu'il avait changé à cette époque ?
17:24On parle aussi d'une perte de sensibilité progressive.
17:29– Alors en fait déjà les Ores,
17:30c'est une région qui est dans le nord-est de l'Algérie,
17:33c'est une région plutôt montagneuse,
17:35donc évidemment quand vous crapahutez dans les Ores,
17:38dans une région montagneuse, c'est quand même déjà très difficile.
17:41Il y a un mont, une montagne dans les Ores,
17:44qui culmine quand même à 2300 mètres,
17:46ça vous donne une petite idée,
17:47et la capitale des Ores où il a vraiment évolué,
17:50qui s'appelle Batna,
17:52et à peu près à 1000 mètres d'altitude,
17:54c'est l'altitude de Chamonix,
17:55donc ça donne une idée de crapahuter autour de Chamonix,
17:59c'est jusqu'à 2300 mètres.
18:01D'ailleurs il l'explique quand vous marchez pendant 30 km,
18:05que vous montez des montagnes en plein soleil,
18:07et que tout d'un coup vous arrêtez,
18:09plein de, comment dire, plein de transpiration,
18:12ils s'attrapaient tous à Rûmes,
18:14ils repartaient tous à l'infirmerie ensuite.
18:16Donc déjà les conditions étaient très difficiles,
18:18et surtout ce qui était très difficile,
18:20c'était une guerre sous forme de guérilla,
18:22donc c'était jamais évidemment précisé,
18:25ça pouvait être le matin, le midi, le soir,
18:27les opérations pouvaient durer une journée comme elles pouvaient,
18:29il y en a une qui a duré 18 jours,
18:31donc c'était très difficile pour le moral et pour le physique.
18:34– Mais on sent que, est-ce que dans sa correspondance,
18:37on sent qu'il commence à changer,
18:39est-ce qu'il perd de la sensibilité comme je le disais ?
18:42– Alors pas au début, c'est vraiment dans ses derniers courriers,
18:45dans ses derniers courriers on sent qu'il est un petit peu là,
18:48de, comment dire, de cette opération,
18:50d'autant que pendant 8 mois il n'a eu aucune permission,
18:54il a eu une vraie fausse permission
18:56parce qu'il a été défilé au 14 juillet 1957
18:59devant le président René Coty, ça ne nous rajeunit pas,
19:04mais c'était une vraie fausse permission,
19:06ça a duré quelques jours,
19:07mais sinon pendant 8 mois il n'est pas revenu en France voir sa famille,
19:11donc tout ça était très dur,
19:13il n'a pas pu assister non plus au mariage de sa sœur
19:16qu'il aimait beaucoup, qui était très jeune,
19:18qui avait deux ans d'écart avec lui, ils étaient très proches,
19:21et donc tout ça évidemment minait le moral,
19:23et on sentait que vers la fin il avait perdu,
19:26alors qu'on ne va pas dire qu'il était gros,
19:28il avait perdu aussi quelques kilos,
19:30donc on sentait bien qu'il y avait une usure des corps,
19:32une usure du mental.
19:34– C'est la photo d'ailleurs que vous mettez en couverture du livre,
19:39effectivement quand on la compare aux photos du temps de ses classes,
19:44c'est sûr que ce n'est plus le même homme.
19:45– Ce n'est plus le même homme,
19:46on sent que c'est un combattant engagé, professionnel,
19:50et ce qui est terrible c'est que sur cette photo il a 21 ans,
19:53et quand on le voit avec les traits on a l'impression qu'il en a 30,
19:56et ça tous ceux qui ont été appelés en Algérie,
20:00en gros je ne dirais pas qu'ils ont pris 10 ans,
20:02mais tous ceux qui ont été au combat,
20:04vraiment sur le terrain pendant un an,
20:07ils ont vraiment pris beaucoup d'années à cette époque.
20:09– Oui donc c'est un quotidien sous tension d'ailleurs,
20:11il y a d'autres… on ne peut pas lire toutes les lettres,
20:14mais les lecteurs en prendrant connaissance,
20:17hier nous avons fait 25 kilomètres à pied,
20:20j'ai vu les fameux barbelés qu'ils ont installés,
20:23on doit rester dans les environs,
20:24donc ce sont des lettres qui sont également…
20:26est-ce que c'est riche, est-ce que c'est précis,
20:29et quel est le ton de ces lettres,
20:30ce n'est pas dénué d'humour non plus ?
20:33– Non ce n'est pas dénué d'humour,
20:35alors évidemment il pouvait y avoir sûrement une petite censure,
20:38voilà donc il n'y a jamais le mot mort, le mot tué,
20:42c'est plutôt des opérations, des accrochages,
20:45voilà, mais on sent bien quand même,
20:47ces lettres sont très riches,
20:48parce qu'il y a énormément de choses,
20:51il parle justement de la ligne Maurice à un moment donné,
20:54la ligne Maurice était une ligne de défense,
20:56parce qu'il y avait beaucoup…
20:57– C'est les fameux barbelés dont je viens de parler.
20:59– Les fameux barbelés sur 450 kilomètres
21:00entre la frontière algérienne et tunisienne,
21:05parce qu'il y avait beaucoup d'armes qui venaient de Tunisie,
21:07donc ils ont voulu couper ça,
21:08et donc ils ont mis un genre de ligne Maginot,
21:10c'était des barbelés électrifiés, des mines à effet de souffle au sol,
21:14donc ça il en parle,
21:15il parle des avions qui s'écrasent,
21:17qui vont récupérer les corps, c'est terrible,
21:19il parle aussi, après une opération qui s'est bien réussie,
21:23un camion qui s'est renversé dans la Ravin,
21:25qui a fait je ne sais combien de blessés,
21:28et un mort, alors c'est vraiment dommage,
21:31il parle aussi des lâchers de parachutes,
21:34où des fois on les balance n'importe où,
21:37et bon il y a 40 blessés dans les lâchers de parachutistes,
21:42donc c'est passionnant,
21:44parce que c'est vraiment le quotidien,
21:45c'est la vie au quotidien, l'intérieur,
21:49on a l'impression d'être sur place pendant qu'il en parle,
21:52et il ne cache rien.
21:54– Non, il ne cache rien,
21:55mais il ne fait pas quand même un petit effort de protection ?
21:58– Voilà, je pense qu'effectivement,
21:59comme sa mère est très très inquiète,
22:01bon je pense qu'il ne dit pas tout,
22:05mais il dit quand même l'essentiel,
22:08mais effectivement il ne dit pas tout pour la protéger.
22:10– Mais on ne sent pas sa peur, ses doutes ?
22:12– Non, parce que comme le disait son frère de combat,
22:15il était devenu un souci en débat,
22:18et il était vraiment en première ligne à chaque fois,
22:20voltigeur ce n'est quand même pas rien,
22:22surtout dans ce type de guerre,
22:24et non, on n'a jamais senti la peur,
22:27non, plus la lassitude de l'action.
22:32– Alors un autre trait de la passionalité de Jean-Marie,
22:38qui est donné par un témoignage de camarade,
22:40qui écrit,
22:41« Jamais je ne l'ai vu maltraiter un prisonnier félaga,
22:44même quand celui-ci avait tué l'un des nôtres. »
22:46Alors c'est plutôt assez poignant,
22:48donc il semble rester digne et humain,
22:50même dans la violence qui n'est pas toujours facile.
22:53Alors est-ce que c'est un trait de sa personnalité
22:55ou est-ce que c'est un code d'honneur aussi chez les paras ?
22:58– Oui, c'est une phrase très forte que dit,
23:01et puis il y a eu d'autres témoignages qui ont dit la même chose.
23:04Déjà à la base,
23:05c'était vraiment ce qui ressort de son trait de caractère,
23:09c'était vraiment une personne d'une extraordinaire gentillesse.
23:12Depuis sa tendre enfance,
23:14jusqu'à la fin de sa guerre d'Algérie,
23:18ça a toujours été le cas.
23:19Et je pense aussi qu'il y avait un code d'honneur, tout à fait.
23:22Donc c'est vrai que la guerre d'Algérie,
23:24on en parle souvent,
23:25c'est souvent réduit à des atrocités.
23:27Et justement, parmi les appelés,
23:30il y en a qui avaient des codes d'honneur.
23:32Et ça, cette phrase est très poignante,
23:34comme vous l'avez dit, et très forte.
23:36Jamais je ne l'ai vu maltraiter un prisonnier félaga,
23:39même quand celui-ci avait tué l'un des nôtres.
23:42Donc c'est vraiment une phrase très forte,
23:44et qui, je crois, résume bien un petit peu ce qu'était mon oncle,
23:48et ce pourquoi il mérite un tel hommage.
23:52– Oui, alors hommage, effectivement.
23:54Donc nous allons arriver au 7 avril 1958,
23:58c'est son dernier combat, à Keff à la mare.
24:03Et là, c'est vous qui prenez la plume,
24:06parce que le livre est écrit, je dirais, à plusieurs mains.
24:08Il y a les lettres de Jean-Marie,
24:12il y a des lettres de réponse de sa famille,
24:15il y a ses témoignages de camarades, et puis vous.
24:18C'est assez émouvant, parce que vous vous adressez à lui en le tutoyant.
24:22Vous ne l'avez jamais connu, mais vous parlez de…
24:24– C'est un peu une lettre à mon nom.
24:25– Voilà, vous lui écrivez.
24:27Et vous écrivez, donc le terrain est abominable,
24:30une broussaille de 5 mètres de haut,
24:31et puis d'un seul coup, le contact est pris.
24:33Trois hommes sont fauchés par la première rafale,
24:37toi, mon cher oncle, donc il est tué quasiment sur le coup.
24:40– Quasiment sur le coup, il y a une balle qui est rentrée dans le menton.
24:45Donc en fait, c'est étonnant, parce que cette embuscade,
24:49en fait, je l'ai su évidemment par les documents de l'armée,
24:52qui la décrivent, je l'ai su par un camarade de combat
24:57qui était sur place et que mes sœurs ont interrogé.
24:59Donc il a écrit des lettres pour dire ce qui s'était passé.
25:02Je l'ai su également, comment dire, par l'association des amis
25:09et des anciens du 9e RCP, qui existe toujours
25:12et qui publie des cahiers très intéressants
25:14et qui sont revenus justement sur cet épisode.
25:18Voilà, donc il y avait énormément de sources qui m'ont permis d'écrire.
25:22Et en fait, toutes les sources allaient dans le même sens
25:24et décrivaient la même chose, la même scène.
25:26– Et donc, vous racontez, ça se passe comment cette embuscade mortelle ?
25:30C'est une embuscade ou c'est une opération de ratissage ?
25:32– En fait, au départ, c'est une opération plutôt de ratissage.
25:34– Donc ratissage, ça consiste en quoi ?
25:36– Ben c'est pour essayer de découvrir des caches d'armes.
25:39– On a des renseignements.
25:40– On a des renseignements, généralement, qui viennent parfois des Félagas eux-mêmes.
25:44Voilà, et donc ils sont mobilisés pour aller faire une telle opération
25:49et ils se retrouvent dans un endroit où en fait, c'est montagneux
25:52et donc, comment dire, les rebelles se retrouvent plutôt en position haute sur une montagne.
25:58Donc on ne les voit pas, d'autant que, comme c'est indiqué,
26:01il y a vraiment beaucoup de broussailles qui font 2 mètres de haut.
26:05Donc eux arrivent en première ligne et se font faucher par cette mitrailleuse allemande
26:10qui tire 1 200 coups à la minute, donc c'est absolument terrible.
26:14Voilà, et puis bon, comme c'est indiqué, il est rapidement vengé par son lieutenant.
26:20Au final, il y a eu quand même 60 tués parmi les rebelles,
26:23énormément d'armes et il y a eu donc mon oncle Jean-Marie
26:30et puis 3 de ses camarades qui ont été décimés à ce moment-là.
26:34– Donc il est tué sur le coup ?
26:36– Il est tué quasiment sur le coup.
26:37Il est rentré dans un coma mais ça n'a pas duré longtemps.
26:40– Alors, vous décrivez donc une guerre d'embuscade finalement
26:43où on meurt sans voir l'ennemi.
26:46Est-ce que c'est cela qui en faisait aussi une guerre si traumatisante
26:49pour les appelés, pour tous les combattants ?
26:52– Oui, en partie.
26:54Comme je vous disais, il n'y avait pas telle semaine ou tel jour.
26:58On pouvait partir à n'importe quel moment.
27:00On pouvait partir à Noël, on pouvait partir le soir
27:02et surtout on ne savait jamais si ça pouvait durer une journée,
27:05deux journées ou quasiment 15 jours.
27:09Ce qui était dur, c'était le relief.
27:11Ce qui était dur, c'est qu'évidemment, on pouvait prendre des balles à chaque moment.
27:15Voilà, et puis c'était quand même des appelés.
27:18Donc ils n'étaient pas, même s'ils avaient eu une formation,
27:21ce n'était pas leur métier de combattant.
27:24Donc tout ça était très dur.
27:26Et ce qui a fait que c'était une guerre vraiment très différente des autres.
27:30– D'ailleurs, vous employez un ton juste, public.
27:33Ils vous ont fait un héros, sans emphase un héros.
27:35Est-ce qu'on peut dire que c'est un héros ordinaire ?
27:38– Oui, moi je préfère plutôt le mot brave qu'héros.
27:42Voilà, mais oui, il y en a eu beaucoup puisque pendant la guerre d'Algérie,
27:47comme vous l'avez indiqué, il y a eu 1,5 million d'appelés
27:51durant les huit ans.
27:52Il y avait à peu près 400 à 450 000 appelés présents chaque année en Algérie.
27:57Donc c'est énorme.
27:58Et il y a eu, les chiffres ne correspondent pas,
28:03c'est entre 26 000 et 30 000 parce qu'il y a toujours des recherches.
28:06On retrouve toujours malheureusement des disparus.
28:09Donc il y a eu à peu près 26 000 tués parmi les appelés
28:12durant la guerre d'Algérie.
28:15– Et vous pensez que la France a su reconnaître ces jeunes appelés ?
28:21– Alors, je dirais pas au début, il a fallu un certain temps.
28:26D'ailleurs, l'expression « guerre d'Algérie »
28:30n'a été obtenue que plusieurs décennies ensuite.
28:34C'est un certain Jacques Chirac qui a décidé.
28:37Au début, c'étaient toujours les événements
28:39ou les opérations de maintien de l'ordre,
28:40ce qui était quand même un peu fort de café.
28:43Voilà, donc je dirais que non, pendant les décennies qui ont suivi, non.
28:48C'est clair que là, maintenant, en plus,
28:50les générations d'acteurs de cette guerre ont disparu.
28:55C'est un peu comme la Seconde Guerre mondiale.
28:58Personne ne voulait y revenir.
29:00Tout le monde avait plutôt la joie de la liberté,
29:02retrouver la libération et ainsi de suite.
29:04Et il a fallu passer plusieurs générations
29:07pour qu'on revienne sur ce moment avec un esprit critique et ouvert.
29:12Là, on est quand même, et c'est pour ça que ce livre est important,
29:15parce que les appelés sont un petit peu
29:19ceux qui sont occultés dans cette guerre.
29:20– Ce sont les oubliés.
29:21– Les oubliés, un peu les oubliés de cette guerre.
29:24Et d'ailleurs, ce qui est frappant, c'est de voir que...
29:27Moi, j'avais un ami beaucoup plus âgé que moi,
29:30un ami de 40 ans, on se disait tout,
29:32et je n'ai appris qu'à son décès qu'il avait fait la guerre d'Algérie,
29:35ce qui est quand même incroyable.
29:36Et donc, je sais que c'est quelque chose de symptomatique
29:40parmi les anciens d'Algérie,
29:41mais en gros, ils sont très taiseux sur cette période de leur vie.
29:45– Oui, ils n'en parlaient pas, oui.
29:47Je reviens rapidement à Jean-Marie Glanjot,
29:50donc il est tué le 7 avril.
29:53– Le 7 avril.
29:54– Et là, est-ce que pareil, c'était courant ?
29:58C'est que finalement, sa dépouille connaît quelques vicissitudes,
30:02parce qu'il est enterré d'abord à Soukarras, qui est à côté.
30:06– C'est ça.
30:07– C'est quoi ? C'est une petite ville ?
30:09– Oui, en fait, elle est connue pour être la ville,
30:12je crois, natale de Saint-Augustin.
30:14Et oui, c'est une ville où il y a eu une garnison,
30:17et donc, son corps est déposé dans un caveau à titre transitoire,
30:22et ensuite, il a fallu faire toute une demande,
30:24la famille a dû faire toute une demande pour le rapatriement du corps,
30:26ce n'était pas simple.
30:28Donc, en fait, il a fallu différentes autorisations
30:31du ministère des Armées, ainsi de suite,
30:33et donc, son corps n'a été rapatrié qu'au bout d'un mois et demi.
30:36– Et même, il est envoyé à Limoges.
30:37– Il est envoyé à Limoges.
30:39Voilà, c'est à 15 kilomètres de sa ville natale,
30:42et à ce moment-là, on ne peut seulement faire venir le corps
30:46directement au cimetière,
30:48on ne peut pas le faire venir dans la maison familiale,
30:50et ainsi de suite.
30:51Donc, il y a des procédures très strictes,
30:54et donc, c'est très dur pour la famille,
30:55parce qu'on sait qu'il est tué,
30:57il y a eu d'abord une cérémonie sans le corps,
30:59et donc, il n'y a pas de mise en bière,
31:01c'est très difficile pour les familles,
31:03c'est un peu la double peine.
31:04– Et là, c'est quoi ?
31:05Ce sont les lourdeurs administratives de l'armée ?
31:07– Oui, je crois, tout simplement.
31:09– C'est vrai que ça en rajoute une couche.
31:14Donc, on parlait tout à l'heure de la France
31:17qui aurait un peu oublié ses appelées,
31:18vous me parliez de cet ami qui n'a jamais parlé de sa guerre,
31:22est-ce qu'on peut parler de syndrome algérien,
31:24pour désigner les blessures psychiques de ces gens-là ?
31:30– Oui, je pense, alors…
31:34– Est-ce qu'on peut la sentir chez Jean-Marie ?
31:36– Oui, comme je vous disais,
31:39vraiment dans ces derniers courriers,
31:41on sentait qu'il y avait une lassitude extrême
31:45de par les caractéristiques singulières de cette guerre.
31:49Voilà, syndrome algérien,
31:52il commence à y avoir des études scientifiques sur le sujet,
31:55il y a eu des études aussi qui sont sorties,
31:57mais un petit peu généralistes,
31:58sur le fait que ça va être passionnant de le voir,
32:03maintenant c'est plus aux mains des historiens de faire ce travail,
32:08de voir si vraiment on peut classifier cet épisode
32:12de syndrome algérien pour les appelées.
32:15– Alors, est-ce que ce livre,
32:17enfin Jean-Marie Glangeau,
32:20son parcours est-il emblématique de tous ces appelées
32:24qui ont tenu la guerre d'Algérie ?
32:25– Alors, il n'est pas emblématique de tous les appelées,
32:26parce qu'évidemment il y avait des appelées…
32:28– Non, tous les appelées n'étaient pas en première ligne, bien sûr.
32:29Il y avait par exemple un de ses camarades qui lui était à Meulins,
32:33il se plaignait des difficultés de son engagement,
32:37enfin de sa mobilisation à Meulins,
32:39donc ça faisait hurler la mère de Jean-Marie.
32:42Non, non, c'est emblématique, on va dire,
32:45des appelées qui étaient dans un régiment d'élite.
32:47Oui, oui, je pense, parce que d'ailleurs dans son unité,
32:52je crois que la quasi-totalité de son unité a été décimée,
32:57comment dire, pendant la guerre des Frances.
32:59Ce qu'on appelait la guerre des frontières et la guerre de Soukarras,
33:02qui était une guerre terrible,
33:03justement pour en finir avec l'armée de libération nationale,
33:08qui était le bras armé du FLN,
33:11et donc je pense que oui, son parcours est symptomatique
33:14de ces mobilisés qui étaient en première ligne.
33:17– Est-ce qu'il savait pourquoi ils se battaient ?
33:19Parce qu'on a l'impression que dans les familles,
33:20il y a une forme de tabou également,
33:24c'est-à-dire une forme de tabou vis-à-vis de ces gens,
33:28ces jeunes gens qui ont combattu pour que l'Algérie reste française.
33:32Alors c'est vrai qu'ils ont perdu, non pas sur le terrain militairement,
33:35mais politiquement parlé.
33:37C'est une guerre aussi qui est en permanence dénigrée,
33:39où on crache sur l'armée française en permanence.
33:42Donc finalement, dans les familles, on n'en parle pas trop,
33:45voire même une certaine honte ?
33:47– Oui, pour partie.
33:49Alors c'est vrai qu'il y avait une singularité pour l'Algérie,
33:51c'est qu'elle était française depuis quand le conflit a démarré,
33:54depuis 130 ans.
33:55L'Algérie, c'était des départements français.
33:58– Et pour eux, ils ne se posaient pas de questions.
33:59– Ils ne se posaient pas de questions.
34:00Et donc surtout quand on leur disait que c'était des opérations
34:03de maintien de l'ordre, bon quelque part, voilà.
34:06Ensuite sur le terrain, c'était autre chose.
34:09Et c'est vrai que c'était très difficile,
34:11parce qu'il y a eu déjà l'indépendance en mars 1956
34:15du Maroc et de la Tunisie, donc quelque part,
34:17l'histoire était déjà un petit peu écrite.
34:20Et comme vous l'avez dit, c'est vrai que ce qui a été terrible,
34:23c'est que quelque part, l'armée a gagné la guerre.
34:26La bataille des frontières, la bataille de Soukharas,
34:28l'armée a gagné la guerre.
34:30Il n'y a pas de discussion.
34:31Et ensuite, c'est une décision politique
34:34qui a fait que l'Algérie est devenue française.
34:36Donc effectivement, il y a beaucoup de militaires
34:39qui l'ont très mal vécu.
34:40Et dans les familles, je ne dirais pas que c'est tabou,
34:42mais c'est vrai que ce n'est pas une guerre,
34:44comment dire, qu'on met en avant.
34:47Comme la première guerre ou la seconde guerre mondiale.
34:49– Et donc vous pensez que ce livre peut être une tentative
34:51de réconciliation.
34:54– Réconciliation, je m'entends avec cette guerre-là.
34:56– Oui, oui, oui, je pense que c'est un livre aussi
35:00qui, j'espère, pourra apaiser un certain nombre de personnes,
35:05pourra montrer la réalité de la guerre sur le terrain
35:08pour les appeler et quelque part, remettra à l'honneur
35:11aussi tous ces appelés qui n'ont rien demandé
35:13et qui ont fait leur devoir patriotique.
35:15– Donc c'est ce que vous voudriez que le lecteur retienne
35:17finalement de ce livre.
35:19Et qu'est-ce que vous voudriez qu'il retienne de Jean-Marie Glangeau ?
35:22– Que c'était une belle personne
35:24et qu'on peut faire la guerre, entre guillemets, proprement.
35:28Et lui l'a, je crois, beaucoup aisément démontré.
35:31– Écoutez, c'est ce que vous montrez dans ce livre,
35:34très beau livre, vraiment, un bel album, très émouvant,
35:39qui en même temps rend hommage à tous ces appelés
35:44qui sont passés sous les drapeaux entre 1954 et 1962.
35:49Donc c'est le crépuscule d'un brave dans les pas d'un appelé.
35:54En Algérie, c'est paru aux éditions Pierre de Taillac.
35:58Gérard Blondin, merci infiniment de votre témoignage.
36:01– Merci beaucoup.
36:02– C'était Passer présent, l'émission historique de TVL
36:05réalisée en partenariat avec la revue d'histoire européenne.
36:09Avant de nous quitter, vous n'oubliez pas bien sûr
36:11de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
36:13et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
36:16Merci et à bientôt.

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