00:00Bienvenue. Aujourd'hui, on plonge dans un sujet assez omniprésent, la dette publique.
00:07On s'appuie sur plusieurs choses. Une interview de Jacques Delarosière, vous savez, l'ancien gouverneur de la Banque de France.
00:13Oui, très intéressant.
00:14Des vidéos qui expliquent la création monétaire, la dette des pays en développement.
00:19Et puis, une analyse sur qui détient cette dette mondiale au final.
00:23Notre but, c'est d'essayer de décortiquer tout ça, comprendre pourquoi on dit que la dette française est hors contrôle,
00:30comment fonctionne le système monétaire derrière tout ça et à qui profite cet endettement massif.
00:37Tout à fait. Et on peut commencer par la France parce que le constat est, disons, alarmant.
00:41Une dette publique qui dépasse 113% du PIB, un déficit à 6%, c'est le double des seuils recommandés.
00:49Jacques Delarosière, lui, il ne mâche pas ses mots, il parle d'un endettement fou.
00:53Et il pointe quoi exactement ? Une envolée des dépenses publiques depuis 15 ans, c'est ça ?
00:59C'est ça. Une croissance folle, selon ses termes.
01:01Et sa critique principale, si j'ai bien compris, c'est pas tant qu'il manque d'argent, j'en faudrait augmenter les impôts ?
01:07Non, ça, il pense que c'est contre-productif pour la compétitivité.
01:10D'accord.
01:11Son point, c'est vraiment la nécessité de réduire les dépenses.
01:14Et là, il parle de cette religion des services votés. Qu'est-ce que c'est que ça ?
01:17L'idée, c'est qu'apparemment, 80% du budget est reconduit presque avec, sans discussion critique, sans réévaluer si des dépenses, parfois très anciennes, comme certaines niches fiscales, par exemple, sont toujours pertinentes.
01:32Ah oui, une sorte d'inertie budgétaire.
01:33Voilà. Il suggère que la Cour des comptes regarde ça de plus près, cette accumulation au fil du temps.
01:38Il donne un exemple assez parlant sur les fonctionnaires, non ? Comparé à l'Allemagne.
01:42Oui, c'est assez frappant. Il dit que la France aurait un million de fonctionnaires de plus que l'Allemagne.
01:49Un million ?
01:50Alors qu'on a 15 millions d'habitants en moins. Et ça, avec des définitions harmonisées par l'OCDE. Donc, la comparaison est censée tenir.
01:56D'accord. Et il propose quoi alors ? De réduire partout ?
01:59Pas exactement. Plutôt une réallocation. Moins de postes administratifs qu'il juge paralysateurs.
02:06Et plus de personnel sur le terrain, les soignants, les enseignants. Et mieux les payer aussi.
02:11D'accord. Donc, rationaliser les dépenses, c'est une partie de la réponse. Mais comment la dette se crée-t-elle, au-delà de ces choix budgétaires ?
02:18Oui, bonne question. Une autre source nous éclaire là-dessus, sur le rôle de la création monétaire.
02:24Il faut comprendre qu'avant, les États, ils pouvaient emprunter directement à leur banque centrale. C'était la fameuse planche à billets.
02:30Ah oui, ça, on en entend souvent parler. Mais ça, c'est terminé, hein ?
02:33Oui, dans l'Union européenne, c'est interdit. C'est l'article 123 du traité de Lisbonne.
02:37Donc, aujourd'hui, un État comme la France, il doit aller où ?
02:42Sur les marchés financiers.
02:44Exactement.
02:45Principalement auprès des banques commerciales privées.
02:47D'accord. Et ces banques, elles sortent l'argent d'où ?
02:49Eh bien, c'est là que ça devient fascinant. Elles créent de la monnaie quand elles accordent un crédit.
02:54C'est le système des réserves fractionnaires. En gros, elles prêtent beaucoup plus que ce qu'elles ont réellement en monnaie centrale.
03:00Elles créent de l'argent à partir de rien ? Ou presque ?
03:02C'est un peu ça, oui. Par le mécanisme du crédit. Du coup, la quasi-totalité de la monnaie en circulation aujourd'hui, elle vient de crédits bancaires.
03:11Et ces crédits, ils génèrent des intérêts.
03:14Et c'est là qu'on arrive à un point crucial, soulevé par une des sources.
03:18Les intérêts payés sur la dette deviennent eux-mêmes une cause majeure de l'augmentation de la dette. Une sorte de cercle vicieux.
03:23Tout à fait. Pour la France, les chiffres sont assez dingues. On parle d'environ 1 400 milliards d'euros d'intérêts payés depuis 1973.
03:311 400 milliards ?
03:33Et l'augmentation de la dette sur la même période, c'est à peu près 1 350 milliards. C'est quasiment la même somme.
03:40La dette s'auto-alimente. C'est vertigineux. Et ce mécanisme, il touche aussi les pays en développement, j'imagine.
03:46Absolument. Beaucoup de ces pays, même après des annulations de dette, on se souvient de l'initiative PPTE ?
03:52Oui. Pays pauvres très endettés.
03:54Voilà. Eh bien, beaucoup se sont ré-endettés. Souvent parce qu'ils n'ont pas réussi à faire des réformes de fonds, à diversifier leur économie.
04:03Et leur dette a changé de nature aussi, non ?
04:05Oui. C'est un point important. Moins de prêts publics, disons, aidés, à taux bas, comme ceux du FMI ou de la Banque mondiale.
04:12Et beaucoup plus de prêts privés. Des assureurs, des fonds de pension, qui prêtent au taux du marché. Ça coûte beaucoup plus cher à rembourser.
04:19Ce qui les rend encore plus fragiles. La crise sanitaire a dû empirer les choses.
04:24Clairement. Ça a mené un moratoire temporaire sur le service de la dette pour les pays les plus pauvres.
04:28Mais j'ai lu que les créanciers privés étaient un peu réticents à participer.
04:31C'est exact. Et comme ils détiennent une part croissante de la dette, leur réticence limite pas mal l'impact de ce genre de moratoire.
04:38Alors, si presque tous les pays sont endettés, on parle de 100 trillions de dollars au total, c'est ça ?
04:43Oui. Un chiffre astronomique.
04:45À qui doit-on tout cet argent, finalement, si tout le monde doit de l'argent ?
04:49C'est la grande question. Et la réponse va un peu à l'encontre de l'idée reçue.
04:53Ce n'est qu'une petite partie qui est détenue par d'autres gouvernements.
04:56Aux États-Unis, c'est environ un huitième, un sixième au Royaume-Uni.
04:59Seulement ?
05:00Oui. L'énorme majorité, plus de 80%, elle est détenue par le secteur privé.
05:05Le secteur privé. D'accord. Mais qui ? Des fonds spéculatifs ? Des milliardaires cachés ?
05:10En fait, c'est plus institutionnel que ça. Ce sont surtout des fonds de pension et des compagnies d'assurance.
05:15Ah bon ? Pourquoi eux ?
05:16Parce qu'ils ont besoin de placements sûrs à long terme. La dette d'un État, c'est considéré comme très sûr.
05:23Ils achètent ces obligations d'État pour pouvoir garantir les retraites ou les polices d'assurance qu'ils devront payer dans 10, 20, 30 ans.
05:29Donc en fait, la dette publique, qu'on voit comme un problème, c'est aussi le socle sur lequel repose une bonne partie de l'industrie financière privée.
05:38Exactement. C'est le placement sans risque par excellence qui permet à tout ce système de fonctionner et de gérer d'énormes sommes d'argent.
05:44Et c'est là qu'on touche à la question des inégalités, je suppose.
05:47Oui, parce que cette richesse financière, elle est extrêmement concentrée.
05:50Une des analyses qu'on a vues suggère que les intérêts versés chaque année sur la dette mondiale, on parle de plus de 3 milliards de dollars.
05:573 trillions, c'est énorme !
06:00Eh bien, cet argent profite massivement aux 1% le plus riche de la planète. Ça creuse les inégalités.
06:07C'est un paradoxe incroyable. Ceux qui dénoncent le plus fort le fardeau de la dette pourraient bien être ceux qui en bénéficient le plus via les intérêts.
06:16C'est un peu la conclusion troublante de cette analyse, oui.
06:18Et alors, face à ça, quelles pistes sont évoquées ? On fait quoi ?
06:22Plusieurs idées sont mises sur la table. Agir sur les taux d'intérêt payés par les États, peut-être les réduire.
06:26Taxer différemment, plus lourdement, les revenus du capital, comme ses intérêts par rapport aux revenus du travail.
06:33Et puis, des idées plus radicales, envisager une reprise de contrôle public sur la dette.
06:38L'exemple du Japon est cité, où la Banque centrale rachète massivement la dette de l'État.
06:43D'accord. Donc, pour résumer, si on essaie de rassembler tout ça, on a une dette publique française jugée critique,
06:50alimentée par des dépenses qu'il faudrait peut-être revoir.
06:52Oui, la question des services votés, de l'efficacité de la dépense.
06:57Mais aussi par un système monétaire global, où les États empruntent avec intérêt au secteur privé.
07:02Un système qui auto-alimente la dette et qui, en plus, semble profiter largement aux détenteurs de capitaux, donc creuse les inégalités.
07:09Et fragilise les pays les plus pauvres, au passage.
07:11Tout à fait. Les solutions possibles vont de la gestion budgétaire plus stricte, à la française disons,
07:17à des réformes beaucoup plus profondes du système monétaire lui-même, du rôle des banques centrales, de la fiscalité du capital.
07:23Ce qui nous laisse avec une dernière question, peut-être pour nos auditeurs.
07:27Si ces dettes est à la fois le moteur un peu caché de notre système financier et en même temps une source de déséquilibre de plus en plus grande,
07:35comment on fait pour changer les règles, pour assurer la stabilité, sans continuer à creuser ces fractures sociales et économiques ?