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  • 15/05/2025
Avec Jean-Christophe Rufin, écrivain et académicien, qui publie "Un été avec Alexandre Dumas" aux éditions Equateurs parallèles.


Retrouvez La culture dans tous ses états tous les jeudis avec Céline Alonzo et André Bercoff à partir de 13h.

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##LA_CULTURE_DANS_TOUS_SES_ETATS-2025-05-15##

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Transcription
00:00Cette sublime chanson d'Aïdé, interprétée en roumain André Berkoff, fait partie de
00:21la bande originale du film Le Comte de Monte Cristo avec Pierre Minet dans le rôle titre.
00:26Cette adaptation du roman d'Alexandre Dumas a battu bien des records en 2024 André, soit près de 10 millions d'entrées en France.
00:34Et oui, c'est un très beau film, je l'ai vu, c'est un très très beau film, il y en a eu des Comtes de Monte Cristo, Gérard Depardieu, en Amérique aussi,
00:43enfin on va en parler longuement avec Jean-Christophe Ruffin et vous Céline Alonso, de ce phénomène quand même d'Alexandre Dumas.
00:52Mais auparavant, je voudrais dire que je suis très content de recevoir Jean-Christophe Ruffin, je rappelle ce mot du surréaliste André Breton à propos de Claudel,
01:02il dit on ne peut pas être à la fois ambassadeur de France et poète, et bien si, on peut être ambassadeur de France et écrivain,
01:08et Jean-Christophe Ruffin le montre éloquement. Je rappelle quand même, avant de parler d'Alexandre Dumas,
01:14qu'Aurel Le Consul, on va en reparler aussi, en revenant d'Albanie, et vous avez créé Aurel Le Consul, d'ailleurs ce n'est pas par hasard,
01:23votre expérience humanitaire, diplomate et autre, et c'est, je vois, le sixième épisode de ces aventures, c'est pas mal.
01:31Aurel Le Consul, ça va devenir, je ne sais pas moi, j'allais dire Nicolas Le Jardinier ou non, ce qui est passionnant c'est que ça devient un auteur,
01:42parce que ça a été très lu, et vous allez en continuer j'imagine.
01:45Oui, au début c'était une plaisanterie, une détente, et puis les choses, ça a rencontré son public, et voilà, les gens se sont attachés à ce personnage, et moi aussi.
01:57Et bien formidable, et bien écoutez, en tout cas, nous allons parler vraiment longuement Céline, de cet extraordinaire aussi, avec Jean-Christophe Ruffin,
02:06cet Alexandre Dumas, qui a écrit, qui a été beaucoup plus prolifique qu'on ne pourrait le croire encore.
02:13Et oui, plus de trois centiles, des romans historiques, mais pas que, des pièces de théâtre et ses impressions de voyage,
02:18on va en parler dans un instant sur Sud Radio donc, avec Jean-Christophe Ruffin.
02:23Comment ce petit fils d'esclave, d'une esclave de Saint-Domingue, est-il devenu un écrivain majeur de la littérature française ?
02:31Et bien on en parle dans un instant sur Sud Radio.
02:35Sud Radio, la culture dans tous ses états, André Bercoff, Céline Alonso.
02:41Sublime musique du film, le conte de Monte-Cristo, André Bercoff, un chef-d'oeuvre d'Alexandre Dumas.
03:04Et pour parler, et bien, de cet immense écrivain, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui sur Sud Radio,
03:09l'académicien Jean-Christophe Ruffin.
03:12L'écrivain lui-même.
03:13Exactement, bonjour à vous Jean-Christophe.
03:16Bonjour Céline.
03:17Alors vous publiez aux éditions Équateur Parallèle, Un été avec Alexandre Dumas,
03:22livre dans lequel, et bien, vous racontez sa vie, son oeuvre.
03:26Que représente-t-il pour vous, qui êtes l'auteur aussi de romans d'aventure dans la veine de Dumas ?
03:33Moi il m'a un peu sauvé la vie, parce que j'avais commencé par faire un autre métier,
03:37je suis médecin de formation, mais je pense qu'au fond de moi, j'avais toujours eu envie d'écrire,
03:43mais le temps passant, je me disais, c'est pas possible.
03:46Et Dumas me montrait que c'était possible, parce que lui, il a commencé, non pas avec un autre métier,
03:52mais avec aucun métier, c'est-à-dire qu'il a commencé par ne rien faire,
03:55il a eu une enfance vraiment de sauvageon complet,
03:59et au fond, ça fait partie de ces gens qui ont commencé par vivre,
04:03qui ont accumulé de la vie, et quand ils se sont mis à écrire, ils ont mis la vie dedans, dans leur livre.
04:09Et je me suis dit, ben voilà, c'est ça qu'il faut faire, il faut vivre, il faut s'imprégner des choses,
04:13et un jour, peut-être, tu pourras écrire.
04:15Et oui, et effectivement, vous le rappelez dans votre livre, Georges Sand a dit de lui,
04:19Dumas, c'est la vie, et sa vie, c'est un véritable roman.
04:24Comment a-t-elle commencé, en 1802 ? Expliquez-nous surtout, qui étaient ses parents ?
04:30Alors, c'est un roman d'Alexandre Dumas, c'est-à-dire, c'est un roman avec des rebondissements,
04:36et a commencé par cette naissance bizarre, parce qu'en fait, il est le fils d'un couple déjà étrange,
04:42puisque son père était un général de la République, noir, enfin en tout cas bêtise,
04:48puisque sa propre mère, donc la grand-mère de Dumas, était une esclave de Saint-Domingue,
04:54et ce jeune homme, qui était un hussard de la Reine à l'époque, c'était avant la Révolution,
05:00en 1789, est arrivé à Villers-Cotterêts, avec quatre autres cavaliers, comme ça,
05:06et puis, les jeunes filles de la région sont venues en disant,
05:12il fallait les loger, puisqu'ils devaient rester quelques temps là, et la fille de l'aubergiste,
05:18qui était le notable de la région, qui tenait le plus grand hôtel de la région,
05:23a dit à son père, celui-là, on pourrait peut-être le prendre à la maison.
05:27Alors, il est entré à la maison, évidemment, ce qui devait arriver est arrivé,
05:31c'est-à-dire qu'un jour, ils ont dit au père, on est amoureux, voilà,
05:36et ce qui est curieux, c'est que dans ce 18e siècle d'esclavagistes, le père n'a rien dit,
05:40il trouvait ça très bien, fils d'un esclave, pourquoi pas, il lui a juste demandé d'être brigadier,
05:44il lui a dit quand même, là, t'es seconde pompe, là, ça va pas, brigadier,
05:49c'est-à-dire pas grand-chose, un peu, mais il a accepté le mariage, et ils se sont mariés,
05:55donc c'est cette mademoiselle Labouré, qui était fille d'un notable, a épousé ce garçon,
06:02qui lui, stimulé peut-être par ça, a fait une carrière, puis il y avait la Révolution,
06:06donc il est allé voir le chevalier de Saint-Georges, il a fait valoir donc son engagement,
06:12comme ça, dans ce qu'on appelait la Légion américaine, des volontaires américains,
06:17et il est devenu général, voilà, et voilà la naissance de Dumas,
06:23en tout cas, le tout début du mariage de ses parents.
06:28– Et oui, et il a été effectivement le premier général noir de l'armée française,
06:33il a été compagnon de Bonaparte, mais pourquoi Napoléon l'a persécuté à une époque ?
06:40– En fait, c'était un républicain lui, profondément, c'était un esprit,
06:46vraiment dans cette veine révolutionnaire, dans cette veine humaniste,
06:50cette veine fraternelle, philanthrope, etc.,
06:53et donc il a commencé par faire les campagnes dans les armées du Rhin, etc.,
06:58en Italie, il a rencontré Bonaparte, Bonaparte l'a emmené en Égypte,
07:03tout ça, ça se passe bien, l'Égypte, c'est le sommet de cette espèce de folie,
07:07avec ces généraux de 30 ans qui mettaient des cocardes sur la tête de leurs chameaux,
07:14voilà, sauf qu'en Égypte, Bonaparte devient Napoléon, en tout cas on le sent,
07:20ce n'est pas encore vraiment l'Empire, mais…
07:22– C'est le côté, déjà, l'homme, le conductator.
07:25– Exactement, et ça Dumas dit, il n'en est pas question.
07:28– Oui, il se révolte.
07:29– Il se révolte, et à ce moment-là, Bonaparte le chasse, le renvoie en France,
07:33bon, puis alors, le retour en France se fait dans des conditions difficiles,
07:37il part avec un géologue, d'ailleurs, de l'Aumieux, qui donnera son nom au Dolomites,
07:41et tous les deux, ils font naufrage, ils font naufrage dans le royaume de Naples,
07:45qui avait été pris par les Français, puis repris ensuite par les Bourbons de Sicile,
07:51là, on le met en prison, le père, on le torture, il est subi des privations,
07:56c'est vrai que quand il revient en France,
07:58ce n'est plus que l'ombre de lui-même, il mourra 4 ans plus tard, voilà.
08:02– Et à quel âge avait Alexandre Dumas ?
08:04– 4 ans.
08:04– Il a 4 ans, effectivement.
08:06– Il revient, il a le temps de faire un enfant, c'est Alexandre,
08:09et 4 ans après, il meurt, voilà.
08:11– Et vous dites, effectivement, ce sera une grande souffrance pour Alexandre Dumas,
08:16mais cette absence n'est-elle pas été une chance pour lui ?
08:22Vous soulevez cette question, effectivement, dans votre livre, pour quelle raison ?
08:26– Alors, là, je pense ça, mais je pense que c'est un peu une interprétation personnelle,
08:32parce que moi-même, je n'ai pas été élevé par mon père,
08:35mes parents se sont séparés très jeunes,
08:37donc j'en ai beaucoup souffert au départ,
08:39et puis est arrivé un moment où je me suis dit, j'ai peut-être eu de la chance,
08:42parce que quand j'ai fini par rencontrer mon père, j'avais 18 ans,
08:44je lui ai dit, heureusement qu'il ne m'a pas élevé, il était très autoritaire,
08:48il m'aurait certainement privé de la liberté que j'ai eue.
08:50Et Dumas, c'est pareil, c'est-à-dire qu'en mourant très jeune,
08:53son père lui alléguait deux choses, des souvenirs, des souvenirs de l'Empire,
08:57des souvenirs de la Révolution, mais aussi la liberté,
09:01c'est-à-dire la possibilité de se construire lui-même en toute indépendance.
09:08Finalement, Dumas est le résultat de cette espèce d'alchimie bizarre,
09:11d'un père très présent dans son esprit, mais finalement absent de sa vie.
09:15– Eh oui, liberté effectivement, bon côté de son enfance, dites-vous,
09:19il ne s'est vu imposer ni grande école, ni surveillance,
09:23vous l'avez dit en début d'émission, vous le décrivez comme un enfant sauvage.
09:26– Complètement.
09:27– Qu'est-ce qui le passionnait alors, à ce enfant, adolescent ?
09:30– C'était un petit sauvageon de Villers-Cotterêts, c'était les bois,
09:33il allait chasser, il allait attraper du gibier dans les bois,
09:40il aimait les armes, il aimait les épées, d'ailleurs ça lui a servi,
09:43parce qu'après il a fait beaucoup de duels dans lesquels ça lui servait
09:46de savoir manier l'épée et le pistolet.
09:48– Oui c'est ça, c'était quelqu'un qui pratiquait.
09:49– Oui, il a appris la danse aussi, c'était un très bon danseur Dumas,
09:54on voit toujours son image, la photo de Nadar où il a déjà pris du poids,
10:00il était âgé, en fait il était grand, il était mince,
10:04il avait le teint assez foncé, il était mat, des yeux très bleus comme ça,
10:10et il dansait merveilleusement.
10:12Il a appris aussi d'autres choses bizarres, l'italien par exemple,
10:16il a appris la langue italienne un peu par hasard,
10:17parce qu'il avait un copain qui, ça lui a énormément servi,
10:20sa vie est habitée par l'Italie, donc il a appris, on peut dire tout,
10:25mais tout seul, tout seul.
10:27– Et le mauvais côté de sa jeunesse, surtout on peut dire que c'est la misère
10:31qu'il va connaître jusqu'à l'âge de 20 ans,
10:34qu'est-ce qui fait que sa maman n'a pas réussi à subvenir à leurs besoins ?
10:38– Elle a fait ce qu'elle a pu, la pauvre,
10:40mais Napoléon a poursuivi vraiment d'une espèce de vindicte cette famille,
10:46il en voulait au père, et même après la mort du père,
10:50il a refusé tous les secours que lui a demandé sa mère,
10:53et c'est le paradoxe, c'est que finalement c'est les Bourbons,
10:56quand ils vont revenir au pouvoir,
10:58donc c'est à partir de 1815, le retour de Louis XVIII, etc.,
11:02que sa mère va obtenir un bureau de tabac,
11:05un bureau de tabac c'était moyen de survivre.
11:06– Toujours à Villers-Cotterêts ?
11:08– À Villers-Cotterêts, voilà,
11:10et alors ils auraient dû finalement être reconnaissants aux Bourbons,
11:13mais au fond c'était très paradoxal,
11:16parce que sa mère et lui, qui avaient été très maltraités par Napoléon,
11:20qui les avait mis dans la misère, on peut dire,
11:23continuaient de l'admirer,
11:24et quand Napoléon est parti pour Waterloo,
11:27il est passé par Villers-Cotterêts,
11:29et Dumas est allé le voir, il est allé voir passer sa voiture,
11:34et comme il changeait de chevaux à cet endroit-là,
11:36il a vu l'empereur partir par cette portière ouverte.
11:40– Il ne lui a pas parlé bien sûr.
11:42– Il ne lui a pas parlé, mais il l'a vu,
11:43il le décrit au fond de ses coussins,
11:45comme ça, il part pour Waterloo,
11:48et il revient et il s'arrête de nouveau,
11:50et il y a la même scène,
11:52et entre temps, il a joué le monde et il a perdu.
11:55– Alors effectivement, vous le racontez au cours des chapitres de votre livre,
12:00il a connu les privations très jeunes,
12:02les angoisses pécuniaires, les humiliations, résultats adultes,
12:06donc son premier but sera vraiment de gagner de l'argent
12:08et d'en dépenser encore plus, écrivez-vous,
12:11mais comment sa rencontre avec le théâtre se fera-t-elle ?
12:15– Oui, juste un mot sur la question de l'argent,
12:17c'est-à-dire que les gens qui ont été élevés dans des familles très prospères,
12:23prêchent volontiers l'art pour l'art,
12:26mais quand on a crevé ça à la fin quand on était gamin,
12:29on n'a pas de honte à se dire qu'on écrit pour gagner sa vie,
12:33Simonon disait ça, Dumas aussi disait ça,
12:36il ne faisait pas de mauvaise littérature pour autant.
12:39– Non mais c'est important, on doit rappeler ça.
12:42– Oui, il a une vraie soif d'argent toute sa vie.
12:43– Mais c'est la peur de manquer.
12:46– C'est la peur de manquer.
12:47Et avec quelque chose d'authentique aussi,
12:49c'est que quand il parle de la misère, ce n'est pas comme Victor Hugo,
12:52Victor Hugo il s'est intéressé à la misère,
12:54mais pour ça il a fallu qu'il aille la voir,
12:56parce que lui-même vivait dans un milieu très favorisé,
12:59du moins la misère il suffisait qu'il ouvre les yeux pour la voir,
13:02il l'avait autour de lui et il la vivait.
13:04Donc ça c'est très important,
13:06et en plus quand il a gagné de l'argent,
13:08Dieu sait qu'il en a gagné beaucoup,
13:10c'était comme s'il ne pouvait pas vraiment prendre sa place
13:13dans ce milieu de riche si vous voulez.
13:15Donc il l'a perdu, il l'a claqué, il l'a dépensé, toujours.
13:18Donc il a tout gagné, tout perdu, c'était l'histoire de sa vie.
13:21– Flambeur.
13:22– Complètement flambeur, mais c'est un flambeur,
13:24vous voyez, on en rigole du flambeur,
13:26mais c'est une figure tragique aussi,
13:28c'est quelqu'un qui ne veut pas trahir non plus sa condition d'origine,
13:34vous voyez comme ça, voilà.
13:36Alors le théâtre en fait, vous savez cette génération des 1830,
13:42des 1830 parce qu'ils sont arrivés à l'âge adulte à ce moment-là,
13:47cette génération elle est miraculeuse,
13:50c'est la génération de Hugo, de la Martine, de Vigny, de Georges Sanzarff,
13:54c'est extraordinaire.
13:57– Et romantique, sacrée génération.
14:00– Elle a une caractéristique cette génération,
14:02c'est qu'elle est arrivée trop tard,
14:04la grande épopée napoléonienne,
14:07le moment où la France régnait sur l'Europe,
14:09où vous aviez des marais chauds de 30 ans,
14:12des aventures extraordinaires,
14:14cette France-là était terminée,
14:16c'était les Bourbons qui étaient revenus,
14:18on s'emmerdait, sincèrement,
14:19les aristocrates ayaient repris leur place,
14:21leur château et leur truc,
14:23et dans cette France où il ne se passait rien,
14:26cette génération-là a essayé de s'accrocher à la fiction,
14:31à la création, et au théâtre en particulier,
14:34et au théâtre anglais,
14:36il y a un rôle très important,
14:38la première pièce qu'a vue l'humain,
14:40c'était une adaptation très mauvaise d'ailleurs d'Hamlet,
14:43par une troupe locale qui est venue dans son village,
14:46là il a été saisi, il s'est dit c'est formidable,
14:48voilà cette épopée, je rêve de vivre,
14:50je ne la trouverai pas dans la vie,
14:52je la trouverai sur les planches,
14:54et puis ensuite quand il est arrivé à Paris,
14:56donc à l'âge d'un peu plus de 20 ans,
14:59il y a eu une troupe de comédiens anglais
15:00qui est venue jouer Shakespeare à Paris,
15:03et ils ne parlaient pas anglais,
15:04donc il est allé voir ces comédiens,
15:08ils ne comprenaient pas le sens,
15:10un mot, et pourtant il était conquis,
15:12pourquoi ? Parce que Shakespeare sans les paroles,
15:14c'est encore plus Shakespeare,
15:16c'est les coups d'épée sur la scène,
15:18c'est les cris, c'est les passions, etc.,
15:21et là il s'est dit c'est ça la vie,
15:23c'est ça qu'il faut que je fasse.
15:24Alors comment il a réussi justement à conquérir Paris,
15:27parce qu'il arrive à Paris,
15:29il a effectivement, vous l'avez dit, 21 ans,
15:31on est en 1823,
15:32il n'a pas un sou, il ne connaît personne,
15:35qui va l'aider ?
15:36Alors il y a les anciens amis de son père
15:39qui ont participé à l'aventure républicaine
15:43et napoléonienne,
15:45ils ne s'en pressent pas pour aller l'aider
15:47parce que son père ayant été mieux,
15:51en disgrâce, etc.,
15:52il n'y en a qu'un qui va l'aider,
15:53c'est le général Foy,
15:55et le général Foy lui reçoit et dit
15:58bon, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
15:59Qu'est-ce que tu sais faire ?
16:01Et Dumas répond,
16:03parce qu'il n'était pas du tout menteur,
16:05il répond, rien, je ne sais rien faire.
16:08Je suis mauvais en maths,
16:09je suis mauvais en latin,
16:10le seul truc que je sais à peu près faire,
16:12c'est que j'ai une belle écriture,
16:14qui est pleine de délires.
16:16Pas je sais écrire ?
16:16Non, non, pas encore,
16:18c'est juste les blèves.
16:20Donc Foy lui trouve un emploi
16:23auprès du duc d'Orléans
16:24qui sera le futur Louis-Philippe,
16:26donc au palais royal,
16:27mais un emploi de,
16:29vraiment, comme je dis dans le livre,
16:31c'est la misère des villes
16:33après la misère des champs,
16:34c'est-à-dire qu'il est très peu payé,
16:36mais il est à Paris.
16:38Il est à Paris, il peut aller au théâtre,
16:40il a des copains,
16:42il commence à lire des livres,
16:44parce qu'il est complètement inculte,
16:46complètement inculte à ce moment-là.
16:48Et il se donne l'idée de réussir au théâtre.
16:51Alors pour ça, il attrape un sujet comme ça,
16:54et puis il commence à écrire une pièce.
16:56Ses premières pièces ne sont pas bonnes évidemment,
16:59et un jour il tombe sur un truc un peu mieux,
17:02il tombe sur l'histoire de la reine Christine de Suède
17:05avec son amant, le démon Aldesquie, etc.
17:08Bon, il a une histoire d'assassinat,
17:09et tout, ça lui plaît,
17:10mais il ne connaît rien, il a vu,
17:11ça fait trois lignes dans un livre qu'il a trouvé.
17:14Il écrit ça,
17:15et il écrit sa première pièce comme ça, voilà.
17:17Et là, petit à petit, il s'approche,
17:19il s'approche de ce que sera son théâtre.
17:22Et oui, et le 11 février 1829,
17:25sa vie va enfin basculer,
17:27ça fait donc six ans qu'il est à Paris,
17:29et il va triompher avec une pièce
17:31intitulée Henri III et sa cour.
17:34Quelle est la raison du succès de cette pièce ?
17:37Parce que vous dites qu'aujourd'hui,
17:38cette pièce n'aurait aucun succès, en quelque sorte.
17:41Non, mais il y a un peu tous les ingrédients,
17:44si vous voulez, de ce qui fera le succès du théâtre romantique,
17:46c'est-à-dire qu'il y a une espèce de brutalité quand même.
17:51Il y a cette référence à ce siècle,
17:53à ce 16e siècle,
17:57qui a toujours servi un peu d'ancrage pour cette génération,
18:00parce que c'est un siècle chevaleresque
18:03avec des grands destins comme ça et tout.
18:07C'est la figure du duc de Guise et de sa femme,
18:13avec ce personnage de l'amant du chef de Guise,
18:20le duc de Guise brutalisant sa femme sur la scène,
18:24c'est-à-dire qu'il lui prend les bras, il la serre,
18:28elle crie, vous me faites mal, lâchez-moi, etc.
18:31Tout ça, si vous voulez, nous, ça nous part un peu au ringard.
18:33Franchement, ce théâtre-là a vraiment beaucoup vieilli.
18:36Mais à l'époque, normalement, il se passait quelque chose.
18:40Et en plus, c'était pas mal écrit.
18:42Il a le génie du dialogue, ça c'est sûr, dès le début.
18:45Il sait, il rend des dialogues vraiment très vivants et très justes.
18:51Et ça fonctionne.
18:52Il découvre son don d'écrire parce qu'il n'y avait rien.
18:56Absolument, mais parce qu'il le branche sur la vie
18:59et non pas sur les bouquins.
19:01Il n'a pas un savoir académique,
19:03c'est pas un gars qui a commencé par se mettre dans les manuscrits.
19:08Non, il écrit et surtout les personnages parlent comme ils vivent,
19:12comme lui vit.
19:15Et en un soir, ça fonctionne.
19:17C'est-à-dire qu'il était totalement inconnu le lendemain.
19:20Tout Paris le connaît, le félicite.
19:24Même le duc d'Orléans, qui finalement se plaignait beaucoup
19:27parce qu'il foutait rien dans son bureau, trouve qu'il est formidable.
19:31Et le roi écrit à son parent, donc au duc d'Orléans,
19:39en disant, j'ai appris que chez vous, il y avait un jeune homme
19:44qui a écrit une pièce dans laquelle il nous met en scène,
19:47moi sous les traits d'Henri III et vous sur les traits du duc d'Orléans,
19:53du duc de Guise, je veux dire.
19:54Et alors le duc d'Orléans a cette réponse formidable,
19:56il dit, non mais sir, on vous a trompé pour plusieurs raisons.
20:02La première, madame la duchesse d'Orléans ne me fait pas cocu.
20:06Et la deuxième, je ne bats pas ma femme.
20:10Voilà, et la troisième, vous n'avez pas de sujet plus respectueux que moi.
20:14Ah oui, parce qu'il fallait se défendre là.
20:16Il fallait se défendre, mais comme évidemment,
20:19l'année suivante c'est la révolution de 1830,
20:21on peut douter de ce point-là.
20:23Et oui, alors le théâtre, effectivement, vous l'avez dit,
20:25lui a vraiment permis d'acquérir l'art du dialogue.
20:28Le voyage sera aussi fondateur pour Dumas.
20:33Qu'est-ce que ça va lui permettre d'acquérir comme maîtrise des descriptions,
20:38j'imagine, du portrait, des anecdotes ?
20:40C'est le voyage qui lui a permis tout ça ?
20:42Oui, alors le voyage pour lui, c'est ce à quoi il a recours quand ça ne va pas.
20:47C'est-à-dire, il y a eu des histoires, notamment autour d'adaptation
20:54d'une pièce qui s'appelait « La Tour de Dèle »,
20:57qui a eu un grand succès, mais qui n'avait pas écrite,
20:59et qui l'avait simplement reprise.
21:01L'auteur a voulu le provoquer en duel.
21:04Bon, ça n'allait pas, il y a eu des dettes,
21:08il y a eu des histoires de femmes qui ont assez mal tourné aussi, etc.
21:11Donc dans ces cas-là, qu'est-ce qu'il fait ?
21:13Et il fera ça toute sa vie ?
21:14Il part.
21:14Il s'en va, voilà.
21:15Il s'en va, c'est pas une mauvaise méthode d'ailleurs.
21:17Le salut dans la fuite, c'est pas mal.
21:19Exactement.
21:20Alors, au départ, la fuite, c'est pas non plus très exotique,
21:24puisque son premier voyage, c'est en Suisse.
21:26Mais enfin, il ne faut pas oublier qu'à l'époque...
21:28À l'époque, il n'allait pas au Kamchatka tout de suite.
21:30Il voyageait en malposte.
21:32D'ailleurs, il était très méfiant au départ.
21:34Dieu sait qu'il utilisera beaucoup les chemins de fer par la suite,
21:36mais au départ, il était très méfiant sur le chemin de fer.
21:38Il trouvait que le chemin de fer tuait le pittoresque,
21:42qu'on arrivait comme ça, on débarquait.
21:44Lui, ce qu'il aimait, c'était cette espèce de long voyage,
21:47une espèce de promiscuité,
21:49où on était dans un truc qui allait à 7 km heure,
21:51où de temps en temps, il y avait une roue qui s'explosait dans une ornière,
21:55on a changé les chevaux, enfin, ça, il aimait ça.
21:58Et il est parti en Suisse, son premier voyage était en Suisse.
22:00Et en effet, les anglais, les auteurs anglais,
22:05étaient passés mettre un petit peu à l'externe,
22:07tout ça dans le récit de voyage.
22:09C'était quelque chose qu'il pratiquait très bien.
22:11Et français, il le faisait assez peu.
22:14En tout cas, moins.
22:15À ce moment-là, il le frôle.
22:17Et lui, il trouve un ton.
22:19Parce qu'il n'est pas question, évidemment,
22:22qu'il parte là-bas sans gagner sa vie.
22:24Donc pour gagner sa vie, il fallait qu'il envoie du papier,
22:26avec des descriptions et des trucs.
22:29Et donc, il envoie des récits de voyage,
22:31et ces récits sont très vivants, très justes.
22:34Plusieurs journaux, je suppose.
22:36Oui, oui, oui, alors il n'était pas...
22:38Il n'était pas regardant là-dessus.
22:40Non, non, donc il y a du moment qu'il y avait des sous derrière.
22:43Voilà. Et il découvre ça un peu tout seul, quoi.
22:45En se rendant compte qu'il aime ça.
22:48Parce que ces récits, ils sont comme lui,
22:50et ils font apparaître des choses
22:52que la plupart des auteurs sérieux ne faisaient pas.
22:56C'est-à-dire qu'ils parlent de ce qu'ils mangent, par exemple.
22:59Ils parlent de la façon dont les gens se couchent, par exemple.
23:03Comment les gens font leur lit.
23:05Alors c'est très pittoresque, parfois.
23:08Comment il est reçu.
23:11Les mœurs, les tout...
23:13Enfin, sa vie, quoi.
23:15Et ça lui sera très utile par la suite.
23:18Parce qu'au fond, le théâtre, c'est les dialogues.
23:21Et dans les impressions de voyage, c'est les portraits et les descriptions.
23:25Et oui, tout ce qui fera bientôt, effectivement, la matière de ses romans.
23:29Alors comment deviendra-t-il, effectivement, un très grand romancier ?
23:32Le maître absolu du feuilleton,
23:34on en parle dans un instant sur Sud Radio.
23:36Of Céline Alonso.
23:38Voici donc les diables que je dois gronder.
23:42On ne se fait pas justice soi-même.
23:46Qui est cet enfant ?
23:47D'Artagnan, Votre Majesté.
23:50Trois duels aux trois heures avec trois mousquetaires.
23:52Monsieur Atos a le droit de me tuer en premier,
23:54Monsieur Porto son second, et Aramis en dernier.
23:56Je le trouve bien arrogant, ce jeune homme.
23:58C'est ma seule richesse.
24:00Et je la mets toute entière au service de Sa Majesté.
24:02Les trois mousquetaires d'Alexandre Dumas,
24:04l'une des oeuvres les plus célèbres de tous les temps,
24:07Jean-Christophe Ruffin.
24:08Alors dans votre livre,
24:09Un été avec Alexandre Dumas,
24:11qui vient de paraître aux éditions des Équateur,
24:13Équateur parallèle,
24:14vous racontez que la création de ce roman
24:16a commencé par un vol en mai 1843.
24:19Quelle est cette anecdote ?
24:21Racontez-nous.
24:22Oui, Dumas était en voyage,
24:25il est passé par Marseille,
24:27et il est allé lui apprêter un livre,
24:31un livre de Courtis de Sandras,
24:33qui est un personnage assez curieux,
24:35qui vivait au XVIIIe siècle,
24:37et qui a écrit de fausses mémoires.
24:39C'est un personnage curieux,
24:41d'ailleurs imprudent,
24:43qui se retrouvait à la Bastille,
24:45il se retrouvait en Bastillais, etc.
24:47Il prenait un personnage historique,
24:49là en l'occurrence,
24:51d'Artagnan,
24:53qu'il avait rencontré,
24:55très indirectement,
24:57on ne sait même pas s'il l'avait rencontré,
24:59en tout cas au siège de Maastricht.
25:01Et il lui faisait des mémoires sur mesure,
25:05des trucs qui n'avaient absolument rien à voir.
25:07Complètement inventés.
25:09Et dans les mémoires de d'Artagnan,
25:11que Dumas emprunte,
25:13il y a tout le début du livre.
25:17Simplement,
25:19quand on compare les deux,
25:21Courtis de Sandras et Les Trois Mousquetaires,
25:23on voit comment Dumas
25:25avait ce génie
25:27de prendre les éléments,
25:29soit dans la réalité, soit dans des histoires
25:31qu'on lui racontait,
25:33et puis de les rendre plus puissantes.
25:35Par exemple, Les Mousquetaires,
25:37il y a d'Artagnan,
25:39qu'on voit arriver au début du livre,
25:41dans les deux livres d'ailleurs,
25:43sur un bidet, il arrive du Berne,
25:45et il rencontre trois frères.
25:47Dans Courtis de Sandras, il rencontre trois frères,
25:49Athos, Porthos, Aramis,
25:51je ne sais pas pourquoi ils s'appellent comme ça d'ailleurs.
25:53Et Dumas reprend ça et il dit
25:55mais ce ne sera pas des frères,
25:57mais des hommes, ce qui les rend beaucoup plus riches
25:59parce que finalement, ils ont des personnalités très différentes.
26:01Et là,
26:03il crée cette espèce de carré magique
26:05qui est probablement
26:07dans notre inconscient,
26:09c'est un peu du...
26:11Oui, dans notre subconscient,
26:13ce chiffre 4,
26:15c'est les quatre points cardinaux,
26:17c'est les quatre couleurs du jeu de cartes,
26:19c'est les quatre saisons,
26:21il y a quelque chose...
26:23En fait, c'est les quatre mousquetaires,
26:25et c'est quatre, ils sont quatre.
26:27C'est ça, parce que c'est l'éditeur, en fait,
26:29qui, quand il a reçu le manuscrit,
26:31a dit, on va appeler ça les trois mousquetaires.
26:33Et Dumas a répondu, c'est très bien parce qu'ils sont quatre.
26:35Et donc, il y a ces quatre.
26:37Et ces quatre, si vous voulez,
26:39ils représentent quatre pôles.
26:41D'Artagnan, c'est la ruse,
26:43c'est l'intelligence.
26:45Athos, c'est la noblesse, c'est la rigueur morale.
26:47Porthos, c'est la force.
26:49C'est un peu aussi la vanité.
26:51Comme son père.
26:53Et Aramis, c'est l'intriguant.
26:55C'est le curé.
26:57C'est le curé, un peu jésuite,
26:59mais en même temps très lassif,
27:01amoureux des femmes, etc.
27:03Et donc, il y a ces quatre pôles.
27:05Et avec ça, il fait
27:07quelque chose d'extraordinaire.
27:09Et avec ça, les quatre,
27:11plus ce que Steven Spielberg
27:13dit très important
27:15dans une construction romanesque,
27:17c'est le méchant.
27:19C'est le méchant.
27:21Romanesque, c'est le méchant.
27:23Spielberg disait, pour qu'un film fonctionne,
27:25il faut qu'il y ait un bon méchant.
27:27Et le bon méchant, dans
27:29Les Trois Mousquetaires, c'est Richelieu
27:31et toutes ses clones, c'est-à-dire
27:33Milady, etc.
27:35Et avec ça,
27:37vous avez ce qu'aujourd'hui
27:39les scénaristes de séries
27:41appellent une Bible.
27:43Et vous pouvez le décliner
27:45autant que vous voulez.
27:47L'inventeur de Netflix.
27:49L'anima.
27:51Exactement.
27:53Et il a inventé ce système
27:55qui, avant lui,
27:57probablement a pu être partiellement
27:59employé, mais lui, il le systématise.
28:01Parce que, comme Emile de Gérardin,
28:03qui était
28:05un homme de presse, de génie,
28:07qui avait introduit la publicité
28:09dans la presse et qui a ensuite
28:11inventé le feuilleton,
28:13il avait besoin de ça.
28:15D'une demi-page
28:17tous les jours.
28:19Et l'écriture de Dumas, effectivement,
28:21correspond vraiment aux exigences du feuilleton
28:23à l'époque.
28:25Alors que Balzac, par exemple, n'y arrive pas.
28:27Balzac, on lui confie un truc, il n'y arrive pas.
28:29Parce que lui, il fait des descriptions très lentes,
28:31ça se construit...
28:33Lui, il fait 40 sur une chambre à coucher, ça va pas pour le feuilleton.
28:35Mais c'est vraiment
28:37l'originalité, effectivement, de cette construction
28:39qui a fait le succès
28:41et la longévité de cette oeuvre,
28:43Les Trois Mousquetaires.
28:45Il a adopté le même système
28:47et ça a donné
28:49parfois des oeuvres
28:51qui ont été beaucoup plus éphémères.
28:53Je pense que d'abord, c'est le premier.
28:55Et puis, il y a toujours
28:57cette...
28:59Dans n'importe quelle Bible,
29:01c'est comme pour les séries d'aujourd'hui,
29:03vous avez des Bibles, vous avez des bases
29:05de récits, si vous voulez, qui sont fécondes.
29:07On ne sait pas pourquoi,
29:09mais elles touchent quelque chose dans notre humanité
29:11qui est riche.
29:13Et ces quatre personnages
29:15qui, en effet,
29:17peuvent tisser entre eux
29:19ces liens de rivalité, de fraternité,
29:21de courage, etc.,
29:23ça fonctionne.
29:25Et c'est d'une simplicité telle
29:27que...
29:29Et la meilleure preuve, c'est que ça fonctionne encore aujourd'hui.
29:31Et ça continuera.
29:33Alors, à l'époque, effectivement, c'est vraiment un triomphe.
29:35Ce feuilleton des Mousquetaires,
29:37après, il va triompher avec
29:39la Reine Margot, les Frères Corses,
29:41une fille du Régent...
29:43Toute la presse, en fait,
29:45publie ces feuilletons.
29:47Comment le milieu littéraire
29:49a réagi à l'époque ? Il a été jalousier ?
29:51Du mal ?
29:53Je ne vous cacherais rien en vous disant que le milieu littéraire
29:55n'est jamais
29:57très tolérant pour le succès.
29:59Surtout, que ce soit
30:01hier ou aujourd'hui.
30:03C'est-à-dire que,
30:05dès que vous faites ce qu'on appelle
30:07aujourd'hui un best-seller,
30:09c'est évidemment tout de suite un peu suspect.
30:11D'autant plus que Dumas,
30:13il s'était rendu particulièrement suspect,
30:15parce qu'il faisait souvent recours
30:17à des collaborateurs.
30:19Donc, on l'a tout de suite accusé d'avoir fabriqué
30:21une sorte d'usine.
30:23On avait dit...
30:25Alors, il y a eu
30:27des attaques diverses et variées, jusqu'à ce que
30:29un type assez
30:31moche, qui s'appelait Mirkour,
30:33un personnage vraiment
30:35peu recommandable, écrive
30:37un pamphlet, carrément,
30:39sur Maison Dumas et compagnie, fabrique de romans,
30:41dans lequel... Alors, c'est un mélange.
30:43À la fois, il attaquait sur les collaborations,
30:45c'était aussi extrêmement
30:47offensant d'un point de vue
30:49personnel.
30:51C'est-à-dire qu'il le traitait de...
30:53Sur ses origines africaines, en particulier,
30:55il y avait des injures racistes,
30:57carrément. Il a été condamné, d'ailleurs,
30:59Mirkour. Mais,
31:01bon, disons que le milieu
31:03littéraire, c'est une chose.
31:05Comme ça ne peuvent,
31:07évidemment, toujours prêts
31:09à se pincer le nez,
31:11non pas épargner, mais
31:13ce qui a été le plus grave, je dirais, c'est le divorce
31:15avec les romantiques.
31:17Parce que Victor Hugo...
31:19Il est considéré comme un écrivain de seconde zone.
31:21Victor Hugo tenait
31:23son monde. Il avait son
31:25sénacle.
31:27Et quand il voyait un type comme ça,
31:29qui, déjà, après avoir eu
31:31des succès au théâtre,
31:33sans avoir vraiment d'éducation,
31:35qui arrivait de n'importe où,
31:37il ne faut pas oublier que,
31:39par exemple, dans son premier...
31:41Enfin, dans sa pièce Christine,
31:43quand il a publié, quand il a fait jouer
31:45Christine,
31:47les vers étaient tellement mauvais
31:49que Hugo et Vigny,
31:51pendant que
31:53Dumas fêtait la première
31:55de la pièce, se sont retirés
31:57dans une petite pièce derrière
31:59et ont réécrit la pièce,
32:01ont réécrit les vers le soir
32:03pour que le truc soit à peu près lisible.
32:05Donc, déjà, dès le départ,
32:07il fallait l'aider, ce garçon.
32:09Quand, en plus, ils ont vu qu'il commençait
32:11à partir dans
32:13quelque chose qui pouvait sentir
32:15un peu le soufre, parce que
32:17fabrique de romans,
32:19qu'est-ce que c'est que ce type, etc.,
32:21ils ont pris leur distance.
32:23Hugo était
32:25trop fier,
32:27pour attaquer lui-même, pour porter lui-même
32:29la guerre. Il a fait avancer
32:31certains un second couteau,
32:33mais quand même...
32:35Et ça a touché Dumas ?
32:37Non, pas tellement.
32:39Parce que, bon,
32:41je pense vraiment sincèrement
32:43qu'il n'était romantique
32:45que par malentendu.
32:47C'est-à-dire qu'il était romantique.
32:49Il a fait partie de l'école romantique parce que c'était sa sensibilité,
32:51mais il se fichait complètement
32:53de faire partie d'une école, si vous voulez.
32:55Donc, quand l'école l'a reçue,
32:57il est allé.
32:59D'autant plus que la devise de sa famille, c'était
33:01« J'aime qui m'aime ».
33:03Bon, ben, de vous, on vous prend.
33:05Et le jour où il n'en veut plus,
33:07c'est pas grave. De toute façon, il était
33:09beaucoup plus soucieux de son œuvre
33:11que de faire partie d'une école.
33:13Il n'en a jamais voulu.
33:15Et revenons justement à la question noire,
33:17celle de l'esclavage. Comment il l'a
33:19abordé dans sa vie et dans son œuvre,
33:21bien sûr ? Parce qu'il a subi
33:23de nombreuses critiques, quand même, tout au long de sa vie
33:25par rapport à ça.
33:27De sa part des ennemis, on parlait de Mirkour tout à l'heure,
33:29mais même de sa part de ses amis. Par exemple, Charles Naudier,
33:31qui a été presque son tuteur,
33:33on pourrait dire.
33:35Charles Naudier, qu'il recevait à l'arsenal,
33:37rigolait parce que dès que
33:39Dumas a eu trois sous, dès qu'il a eu
33:41du succès au théâtre, il a commencé
33:43à s'acheter des gilets de couleur,
33:45des bracelets, des breloques
33:47de tous les sens, etc. Et Naudier lui disait
33:49« Vous, les Africains,
33:51vous ne pouvez pas vous empêcher de mettre
33:53des verroteries comme ça et tout. »
33:55Et bon,
33:57c'était quand même un peu, vous voyez,
33:59mais Dumas était habitué à ça,
34:01il a
34:03traité ça un peu par le fringue.
34:05Il n'est pas affecté, vraiment,
34:07par ça, enfin, par...
34:09En tout cas, il ne l'a jamais exprimé
34:11parce qu'il y a
34:13un certain nombre d'éléments objectifs,
34:15si vous voulez, qui montrent qu'il n'a jamais fait partie
34:17des associations
34:19abolitionnistes,
34:21qu'il n'a jamais mobilisé contre l'esclavage,
34:23qu'il est né en Algérie
34:25à la demande du gouvernement
34:27plutôt pour chanter les louanges
34:29de la colonisation, si vous voulez.
34:31Oui, ce n'était pas son problème, en fait.
34:33Alors, soit il a voulu, au fond,
34:35qu'on ne l'assigne pas
34:37à cette identité d'origine,
34:39en disant « Foutez-moi la paix, je suis qui je suis »,
34:41soit, peut-être,
34:43il a souhaité,
34:45ce qu'on le voit dans certains romans,
34:47comme Georges, notamment,
34:49il a défendu plus les Métis
34:51que les Noirs, c'est-à-dire qu'au fond,
34:53ce qui le scandalisait, c'était qu'on assimile un Métis
34:55à un Noir.
34:57Et les Noirs-Noirs, si j'ose dire,
34:59dans ces livres, sont assez maltraités.
35:01Caricaturales.
35:03Assez caricaturés. Alors que Georges,
35:05qui est le héros Métis de son livre éponyme,
35:07là, lui, est idéalisé.
35:09Oui. Jean-Christophe Ruffin,
35:11nous allons nous retrouver dans un instant
35:13sur Sud Radio, et on va parler
35:15d'Aurel, le consul,
35:17le personnage que vous avez créé en 2018,
35:19qui est très attachant,
35:21et dont le sixième épisode
35:23vient de paraître. A tout de suite.
35:25Sud Radio.
35:27Sud Radio, la culture
35:29dans tous ses états. André Bercoff,
35:31Céline Alonso.
35:47L'hymne national
35:49de l'Albanie, André Bercoff.
35:51C'est dans ce pays,
35:53pas comme les autres, qu'est nommé Aurel
35:55Timescu. Je ne sais pas si on le prononce comme ça
35:57exactement. Timescu, peut-être.
35:59Votre héros, Jean-Christophe
36:01Ruffin. Le sixième
36:03épisode des aventures de ce petit consul
36:05vient de paraître
36:07chez Calman Levy. Alors, cette série
36:09est dans la veine des romans
36:11d'Huma. Pourquoi
36:13vous l'avez créée, et qui vous a inspiré
36:15ce personnage ? Il est vraiment
36:17fascinant, ce petit diplomate. Il est
36:19calamiteux, mais en même temps, il est
36:21un redoutable enquêteur.
36:23Oui, ce qui est dans la veine de Huma, c'est
36:25la notion presque de feuilleton, c'est-à-dire
36:27que j'aime bien,
36:29ça faisait longtemps que j'avais
36:31envie d'avoir un personnage récurrent, comme ça,
36:33qui revienne
36:35au fil des épisodes, qui peuvent
36:37se lire indépendamment, d'ailleurs.
36:39C'est pas une suite, mais c'est
36:41le même personnage. En fait,
36:43quand je suis rentré d'une expérience
36:45diplomatique assez lourde,
36:47j'étais ambassadeur de France au Sénégal,
36:49en Gambie, pendant trois ans,
36:51j'avais plein d'histoires à raconter, parce que
36:53évidemment, j'étais dans un poste
36:55d'observation très privilégié, notamment
36:57sur les questions consulaires. Ça m'a toujours passionné,
36:59parce que le consul, il s'occupe de quoi ?
37:01Il s'occupe de nos concitoyens à l'étranger,
37:03qui se font
37:05piquer leur papier...
37:07Soit arrêtés, soit rapatriés...
37:09Voilà, assassinés aussi, il y a des choses
37:11dramatiques. Il y a des histoires d'amour
37:13tragiques aussi, qui se terminent très mal...
37:15Bref, donc j'avais envie de raconter tout ça.
37:17Enfin, pas forcément tout ça, mais certaines
37:19choses autour de ça. Mais évidemment,
37:21il y a ce secret
37:23qui est celui
37:25du devoir de réserve, on appelle ça,
37:27pour indifférent. Et donc,
37:29il fallait que je crée un peu
37:31un intermédiaire.
37:33J'ai pris, pour tout vous dire,
37:35j'ai pris parmi mes collaborateurs,
37:37quelqu'un qui était un peu
37:39comme ça, qui était un homme absolument délicieux,
37:41charmant et
37:43très bon en pianiste, mais
37:45on ne pouvait pas dire
37:47qu'il avait
37:49la fibre travailleuse.
37:51Mais quand il s'intéressait à quelque chose,
37:53en revanche, et c'est ça qui fait
37:55la richesse d'Aurel, c'est que
37:57s'il y a une injustice en particulier, ça il ne supporte pas.
37:59Alors évidemment, il peut se mobiliser.
38:01Voilà, il se mobilise.
38:03J'aime bien ces personnages qui ont l'air d'être
38:05des perdants, qui ont l'air
38:07d'être des gens, au fond,
38:09qui s'en foutent, mais pas du tout.
38:11Et qui, dans les conditions
38:13données, peuvent se révéler d'une
38:15intelligence et d'un courage extraordinaire.
38:17Alors, pourquoi l'Albanie ? Ce petit
38:19consul a beaucoup voyagé à Capulco,
38:21Conakry, Bakou,
38:23Maputo,
38:25et là, il est muté.
38:27C'est la première fois de sa carrière
38:29qu'il a une promotion. Il est muté
38:31en Albanie. Pourquoi avez-vous eu envie
38:33d'écrire sur les Balkans ?
38:35C'est toujours dans les pays dont je parle.
38:37Il se trouve que l'Albanie, j'y étais allé
38:39au moment de la
38:41chute du communisme, un petit peu après,
38:43au moment de la guerre civile qui a eu lieu dans ce pays,
38:45après l'écroulement du communisme
38:47et des pyramides
38:49capitalistes qui s'étaient greffées tout de suite après,
38:51avec
38:53les pyramides de Ponzi, où on promettait
38:55Monseigneur et Urgent, puis tout ça s'effondre
38:57et ça devient...
38:59Des misères, voilà. Moi j'étais allé
39:01à ce moment-là,
39:03et c'est un pays qui m'avait beaucoup intéressé
39:05parce qu'il avait d'abord traversé,
39:07à travers les siècles,
39:09une histoire extraordinaire,
39:11parce que c'est un pays où, on pourrait dire, tout le monde est passé.
39:13Vous avez vu les Romains,
39:15vous avez vu les Ottomans, vous avez vu ce
39:17communisme incroyable qui s'était fâché
39:19avec la terre entière et qui vivait
39:21dans un complexe obsidiennal total,
39:23avec des bunkers partout,
39:25c'était la folie.
39:27Et puis je trouve que j'ai un ami là-bas
39:29que j'ai d'ailleurs
39:31mis en scène dans les livres,
39:33qui s'appelle Julien Roche, qui vit là-bas
39:35depuis 35 ans, qui est un Français.
39:37Et grâce à lui,
39:39j'ai pu vraiment un petit peu entrer dans...
39:41Explorer un peu tout ça.
39:43Dans le pays.
39:45J'essaye, Aurel, de le sortir
39:47toujours de sa zone de confort.
39:49Mais vous avez visité tous les pays dans lesquels Aurel
39:51a sévi.
39:53Et ce qui est très intéressant, effectivement,
39:55dans cette série, c'est qu'avec Aurel, on plonge
39:57dans l'histoire, effectivement, géopolitique
39:59de tous ces pays. Malheureusement,
40:01on arrive bientôt en fin d'émission.
40:03Jean-Christophe Ruffin, j'aimerais absolument
40:05que l'on parle de votre ami Boalem Sansal,
40:07qui, il faut le rappeler, il est emprisonné
40:09en Algérie depuis bientôt 6 mois.
40:11Vous faites partie de son comité
40:13de soutien. À ce jour,
40:15quelles sont les dernières nouvelles dont vous disposez
40:17de lui ? Écoutez, moi j'en ai pas
40:19de plus, probablement, que
40:21vous. On en a peu, hein, on en a très peu
40:23parce qu'il n'a pas de visite,
40:25on n'a pas de communication directe avec lui.
40:27Même son avocat n'a pas pu...
40:29Non, son avocat n'a pas accès.
40:31Il est traité, si vous voulez, comme
40:33s'il était exclusivement algérien.
40:35C'est-à-dire que la dimension française,
40:37puisqu'il est quand même binational,
40:39est totalement niée dans ses droits.
40:41Ses droits aux visites consulaires,
40:43ses droits à la défense,
40:45sont niés. Alors,
40:47il y a là quelque chose qui, évidemment, est terrible
40:49et puis s'ajoute,
40:51et je vous remercie pour ça, d'évoquer
40:53son nom
40:55et sa présence parmi nous,
40:57c'est l'oubli, c'est ça qui est le menace
40:59aujourd'hui. C'est le
41:01principal danger
41:03puisqu'il y a eu une mobilisation au départ
41:05et finalement, vous savez comment ça se passe,
41:07normalement, on passe à autre chose.
41:09En plus, la relation franco-algérienne
41:11est très complexe, c'est un vrai...
41:13L'ami noir, lui, le malheureux,
41:15il est pris au milieu de tout ça
41:17et là, il y a encore des expulsions
41:19de diplomates ou de fonctionnaires qui sont prévus.
41:21C'est...
41:23C'est quelque chose de terrible, donc il ne faut vraiment pas l'oublier.
41:25Il faut continuer à évoquer ça.
41:27André Bercoff, le 11 avril dernier,
41:29Emmanuel Macron s'est dit
41:31confiant dans sa libération à venir.
41:33Vous, qu'en pensez-vous ?
41:35Êtes-vous confiant ou pas ?
41:37Écoutez, franchement, on n'a pas
41:39les éléments... On a été confiant et on pensait
41:41beaucoup de choses et on a vu dans les relations
41:43franco-algériennes notamment que
41:45il est important
41:47de ne pas avoir confiance mais de
41:49suivre les faits. Mais moi, je pensais à quelque
41:51chose. Vous avez été de ceux,
41:53Jean-Christophe Rupin, qui souhaitait que
41:55Boilems Ansal
41:57soit à l'académie française.
41:59D'ailleurs, parce qu'il le mérite et parce que c'est un très bon
42:01écrivain et donc vous avez eu cette démarche.
42:03Et je pensais à quelque chose, justement.
42:05Et j'avais envie
42:07de le dire avec vous. Pourquoi ?
42:09Et ce serait honnêtement un geste politique
42:11et culturel fort.
42:13Pourquoi vous ne le convainquez pas ?
42:15Je pense que vos
42:17co-académiciens,
42:19ceux qui portent uniforme,
42:21délirent
42:23Boilems Ansal. Je crois
42:25qu'il y a un siège. Je pense qu'il y a
42:27le siège Macron. On a tous les sièges qu'il faut.
42:29Voilà. Est-ce que ce n'est pas faisable ?
42:31Parce que vous imaginez, honnêtement, symboliquement,
42:33ce serait très fort. Mais je l'ai proposé
42:35très tôt.
42:37Je l'ai proposé au bout d'une
42:39vingtaine de jours, je crois, de détention.
42:41Nous avons eu une séance
42:43très longue et très intense
42:45de débats.
42:47Moi, j'ai proposé qu'il soit immédiatement
42:49élu. J'avais fait
42:51une déclaration assez construite
42:53pour expliquer tout ça.
42:55C'est formidable, c'est bien.
42:57J'ai été suivi par un certain nombre de confrères.
42:59Je pense à la fille qui a cru, par exemple.
43:01Mais
43:03vous connaissez les institutions
43:05et en plus, l'académie
43:07aujourd'hui n'est peut-être
43:09pas celle de Joseph Kessel
43:11ou de Maurice Druon, si vous voulez.
43:13C'est-à-dire que
43:15il y a beaucoup de prudence,
43:17beaucoup de...
43:19– Vous pensez que le débat peut être lancé ?
43:21– J'aimerais. Je crains qu'il ne puisse
43:23pas l'être dans le sein de l'académie.
43:25Mais peut-être qu'on peut trouver d'autres solutions.
43:27Arnaud Benedetti
43:29avait proposé qu'il soit nommé
43:31ministre de la francophonie
43:33ou ambassadeur, d'ailleurs.
43:35– Oui, parce qu'il y aurait un geste au moins symbolique
43:37qui ferait qu'il ne soit pas oublié.
43:39– Pour montrer le prix qu'il a pour la France.
43:41– Voilà, absolument.
43:43– Ils peuvent ignorer son attachement,
43:45l'attachement de la France pour lui.
43:47Il ne peut pas être traité comme ça,
43:49simplement
43:51par perte et profit,
43:53le fait qu'il soit binational.
43:55– Merci Jean-Christophe Ruppert.
43:57– Merci Jean-Christophe. Je précise que demain,
43:59une manifestation aura lieu devant
44:01l'ambassade de l'Algérie à Paris
44:03en soutien à Boilem-Sensal.
44:05Je rappelle donc que
44:07votre livre « Un été avec Alexandre Dumas »
44:09est paru aux éditions Équateur Parallèle
44:11et que « Les aventures d'Aurèle Le Consul,
44:13le revenant d'Albanie »
44:15est publié chez Calman-Lévy.
44:17– En attendant le prochain. – Exactement.
44:19Tout de suite, Brigitte Laé sur Sud Radio.

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