Aujourd'hui, c'est à Moscou qu'on célébrait les commémorations des 80 ans de la victoire sur l'Allemagne nazie... Et une fois de plus, le président russe réécrit l'Histoire, en comparant la Seconde Guerre mondiale avec son attaque contre l'Ukraine. Guillaume Lagane, spécialiste des questions de défense et d'actualité internationale est l'invité de RTL soir au micro d'Yves Calvi et Albane Leprince. Regardez L'invité de Yves Calvi du 09 mai 2025.
00:06Vous êtes spécialiste des questions de défense et d'actualité internationale.
00:09Aujourd'hui, c'est à Moscou qu'on célèbre les commémorations des 80 ans de la victoire sur l'Allemagne nazie.
00:14Et une fois de plus, le président russe réécrit l'histoire en comparant la seconde guerre mondiale à son attaque contre l'Ukraine.
00:20Quelle est votre réaction ?
00:22C'est une... comme vous l'avez dit, c'est assez commun, c'est pas une surprise.
00:25On sait que depuis qu'il est arrivé au pouvoir, M. Poutine a créé une espèce de synthèse idéologique entre l'héritage du nationalisme russe du 19ème siècle, la Grande Russie, et l'héritage soviétique.
00:36Et dans ce cadre, vous avez ce parallèle qui est constamment fait entre son combat aujourd'hui et le combat que ses ancêtres ont mené contre le nazisme.
00:47Donc aujourd'hui, il a trouvé un pays nazi dirigé par un juif, mais le parallèle reste utilisé.
00:52On rappelle que pour les Russes, le 9 mai, sans doute la fête la plus importante du calendrier patriotique, il fait de la politique intérieure aussi au même moment ?
00:59En fait, on peut même considérer que la Russie est un pays qui fait une politique avant tout intérieure.
01:06C'est-à-dire que sa diplomatie, elle est déterminée par l'usage intérieur qui en est fait.
01:10Pourquoi ? On le sait, c'est un régime autoritaire.
01:13Un régime dans lequel il y a eu de la croissance économique, il y a eu un développement depuis une vingtaine d'années.
01:18Mais un régime dans lequel il y a aussi énormément de corruption, énormément d'inégalités.
01:23Et donc, ce nationalisme permet d'unifier les Russes, de leur créer finalement un dérivatif à des questions intérieures qui seraient peut-être gênantes pour M. Poutine.
01:31Guillaume Laganne, a-t-on oui ou non aujourd'hui une idée de ce que pensent les Russes ?
01:35Je veux dire, la population de cette guerre qui ne dit pas son nom, en tout cas en Russie.
01:39Deux idées, je pense que non, on n'a aucune idée parce qu'à partir du moment où vous êtes dans un régime autoritaire,
01:45votre autoprotection impose pour vous de ne pas trop prendre position, de rester dans le vague, de ne pas partager vos opinions politiques.
01:52Maintenant, si on essaie d'être objectif, on peut considérer qu'on a environ 20% des Russes qui soutiennent le parti pris ultra-nationaliste de M. Poutine,
02:02ou même de plus à droite que lui.
02:03On a 60% des Russes qui ne se mêlent pas de politique, qui achètent ce que dit le gouvernement, y compris sur le plan idéologique.
02:09Mais on n'est pas certain que ce soit une véritable conviction, c'est plutôt une manière d'être prudent.
02:14Et puis, vous avez probablement une vingtaine de pourcents de Russes qui sont plus ou moins dans l'opposition.
02:19Certains le disent, mais ils sont quand même assez minoritaires.
02:22Vladimir Poutine, comme d'habitude, martèle qu'il s'agit d'une opération militaire spéciale.
02:25En fait, que veux-tu le dire ? Quel est le message en interne pour son pays et puis vis-à-vis de nous, pays européens ?
02:32Les deux messages, c'est, d'une part, tout ce que je vous impose aujourd'hui,
02:37c'est-à-dire une semi-mobilisation, une économie de guerre, un discours constamment tourné vers la menace étrangère.
02:44Ce discours est justifié par l'opération militaire spéciale.
02:47Alors, il ne parle pas de guerre, pour ne pas effrayer peut-être les 60% de population dont je disais tout à l'heure qu'ils étaient un peu entre les deux.
02:54Mais, il veut maintenir cet effort, qui est un effort, il faut le reconnaître, c'est intéressant, c'est un effort qui est en fait mesuré.
03:00Par exemple, il n'a pas décrété la mobilisation générale qu'avait connue l'URSS pendant la Seconde Guerre mondiale.
03:06Vous n'avez pas aujourd'hui 20 millions de soldats soviétiques, vous en avez 2 millions.
03:10Donc, c'est une semi-mobilisation, mais qui permet de tourner la population vers ce sujet.
03:14Et puis, bien sûr, il y a aussi un message vis-à-vis de nous.
03:16Et le message, il est simple, même pas mal.
03:18C'est-à-dire qu'aujourd'hui, je suis en capacité d'absorber l'Ukraine après 3 années de guerre.
03:23Poutine est du côté de la guerre, ceux qui ont cru le contraire en sont pour leur compte.
03:27Ses propos sont ceux d'Emmanuel Macron, aux côtés du Premier ministre polonais cet après-midi à Nancy.
03:32À part le constat, que veut dire le Président de la République française ?
03:36Je pense que M. Macron, aujourd'hui, il essaie de faire deux choses.
03:40D'une part, il essaie de convaincre le Président américain, Trump, qui reste toujours un peu dans l'ambiguïté,
03:45que celui qui ne veut pas faire la paix en Ukraine, ce n'est pas M. Zelensky, c'est M. Poutine.
03:50Et de ce point de vue-là, on peut quand même considérer que depuis son passage à Rome,
03:54je ne sais pas s'il y a eu un effet, M. Trump a quand même légèrement infléchi son discours
03:59et semble aujourd'hui aussi dur, même parfois plus dur avec la Russie qu'avec l'Ukraine.
04:04Et puis M. Macron, il a aussi un discours vis-à-vis des autres Européens,
04:07parce que je rappelle que la perspective de cette guerre en Ukraine, c'est qu'à terme,
04:10que ce soit les Etats-Unis qui se retirent et l'Europe qui remplace l'allié qu'est les Etats-Unis aux côtés de l'Ukraine.
04:17Et pour cela, il faut une mobilisation de toute nature, industrielle, militaire, économique.
04:22Aujourd'hui, on va signer un traité avec la Pologne sur ce sujet.
04:25Mais poursuivre cet effort, alors que les opinions publiques européennes,
04:29elles sont plutôt tournées vers leurs problèmes intérieurs
04:32et que nous avons de gros problèmes financiers, ça n'est pas évident.
04:34Alors tout cela se fait quand même dans un très étrange balai des relations russo-américaines.
04:38Est-ce qu'il y a, oui ou non, un rapprochement entre les deux pays ?
04:41Est-ce que c'est formel ? Est-ce que c'est de l'affichage ?
04:43Ou il y a une vraie dimension politique ?
04:45Poutine-Trump ?
04:46Alors, Poutine-Trump, il y a une volonté des Etats-Unis de renouer avec la Russie,
04:50malgré le problème ukrainien.
04:52On sait d'ailleurs qu'ils ont, par exemple, des discussions sur la reprise de leurs relations diplomatiques,
04:57qui pourraient reprendre,
05:00alors même que les Etats-Unis continueraient à fournir une aide militaire à Kiev.
05:03Il y a aussi un peu de coopération économique,
05:06mais à ce stade, il ne faut pas du tout l'exagérer,
05:08parce que, vous savez que le gros problème, ce sont les sanctions.
05:10Ces sanctions, elles sont américaines, mais elles sont aussi européennes.
05:13Il ne faut pas croire qu'on est complètement absent du sujet.
05:15On a, par exemple, nous, la clé de ces discussions, c'est le système SWIFT,
05:19qui permet, vous savez, de faire des virements, y compris pour nous,
05:22d'un compte bancaire à l'autre.
05:24Tant qu'on n'aura pas rétabli l'accès de la Russie à SWIFT,
05:27difficile pour les Américains de reprendre de vraies relations économiques avec la Russie.
05:30Quand le président Trump appelle à un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours en Ukraine,
05:33il peut être entendu ?
05:35Ça, il faut... C'est difficile de le dire.
05:38Moi, j'ai le sentiment que non,
05:39parce que, si on regarde les choses objectivement,
05:42la Russie, aujourd'hui, sur le terrain ukrainien,
05:45elle progresse sur le plan terrestre.
05:47Alors, elle n'a peut-être pas la domination aérienne complète,
05:49elle est un échec en mer Noire,
05:51mais sur le terrain, proprement dit,
05:52chaque jour, quasiment, vous avez un village ukrainien qui tombe.
05:55Donc, l'impression qu'ont beaucoup d'experts aujourd'hui,
05:58c'est que la Russie, elle est quand même en position de force sur le plan militaire.
06:02Et ça serait pour ça, finalement, qu'elle n'est pas pressée
06:03de répondre aux demandes de trêve venues des Etats-Unis.
06:07Le temps joue pour les Russes ?
06:10Alors, vous avez deux écoles là-dessus.
06:11Vous avez ceux qui disent que oui, le temps joue pour les Russes,
06:13parce qu'à la fin, quand vous avez un pays de 30 millions d'habitants
06:16contre un pays de 150 millions,
06:18c'est toujours le plus gros qui gagne.
06:20Vous en avez d'autres qui disent, attention,
06:21oui, aujourd'hui, les Russes ont la haute main sur le sujet,
06:24mais à l'horizon 2026, quelque part à l'été 2026,
06:28ils pourraient avoir des difficultés à remettre leur matériel d'équerre,
06:32recruter des soldats,
06:34avoir une économie toujours aussi dynamique.
06:36Donc, certains se disent,
06:37si on attend encore, si on joue le bras de fer avec la Russie,
06:40ce n'est pas nécessairement bon pour elles à terme.
06:43Le Parlement ukrainien a ratifié hier l'accord sur les minerais
06:45et l'exploitation de ces ressources par les Américains
06:48en échange d'une possible protection militaire.
06:50L'Amérique est en train de préempter le sous-sol ukrainien ?
06:54Alors, l'impression en général de cet accord,
06:56c'est qu'il est déséquilibré au profit des Etats-Unis.
06:58Ce qu'on peut dire, c'est que c'est dans le monde trumpien
07:02ce que l'Ukraine pouvait certainement obtenir de mieux.
07:04C'est-à-dire, l'impression pour le président américain
07:06qu'il a gagné quelque chose,
07:09ça va rassurer ses électeurs MAGA qui sont très isolationnistes.
07:12Est-ce que réellement il a gagné quelque chose ?
07:14Cet accord, c'est un accord pour le futur.
07:17Aujourd'hui, il n'y a pas d'exploitation minière en Ukraine
07:19au profit des Etats-Unis.
07:20En revanche, l'Ukraine, elle a besoin ici, maintenant,
07:23aujourd'hui, de l'aide militaire américaine.
07:25Donc, je pense que c'est pour ça que la RADA,
07:27c'est-à-dire le Parlement ukrainien,
07:28a voté en faveur de cet accord.
07:30On évoque une possible arrivée du président Macron
07:33demain en Ukraine.
07:33Alors, je ne vous demande pas si vous avez des informations là-dessus.
07:35Mais c'est sa place ?
07:38En quelques mots, s'il vous plaît.
07:40Aujourd'hui, l'Ukraine, visiter l'Ukraine,
07:42ça serait un signal politique très fort.
07:44On est en train de fêter non seulement la fête,
07:48la commémoration de la Seconde Guerre mondiale,
07:50mais aussi la déclaration Schumann de 1950, l'Europe,
07:54et exprimer la solidarité des pays européens,
07:57surtout quand on est le président d'un pays
07:59qui est un peu à la tête du continent,
08:01au moins sur le plan militaire,
08:02puisque nous sommes le seul pays de l'Union européenne
08:03avec la bombe nucléaire.
08:04Ça serait un signal fort de solidarité vis-à-vis de Kiev.
08:06Merci beaucoup, Guillaume Laganne,
08:08spécialiste des questions de défense
08:10et d'actualité internationale.
08:11Je rappelle le titre de votre manuel sorti mardi,
08:14« Questions internationales en fiches »
08:15paru aux éditions Ellipse.
08:17On va maintenant retrouver l'envoyé spécial d'Hertel à Moscou,
08:20Nicolas Burnan.
08:21Bonsoir Nicolas, merci beaucoup d'être avec nous.
08:23Bonsoir.
08:24Une grande messe patriotique
08:26où la propagande du Kremlin
08:27s'appuie sur les sacrifices soviétiques
08:29de la Seconde Guerre mondiale
08:30pour justifier l'assaut de l'Ukraine.
08:32Qu'est-ce que ça veut dire ?
08:34Eh bien, ça veut dire qu'à la fin du défilé militaire,
08:36comme un pèlerinage,
08:37des familles remontent les avenues
08:39tenant dans leurs mains
08:40les portraits des héros de la victoire
08:42contre l'Allemagne nazie.
08:44Vladimir brandit une photo
08:45de son grand-père noirci par le temps.
08:47Il s'appelle Fyodor Vassilievich Krivolapov.
08:51Il s'est battu dans un petit village près de Kursk.
08:53Il a été blessé aux jambes
08:54par 48 éclats d'un obus.
08:56Il a survécu
08:56et il a été décoré de l'ordre de l'étoile rouge.
08:59C'est un honneur pour notre famille.
09:02Son épouse Natalia a dit être là
09:05pour raviver le souvenir de ses descendants.
09:07Ce 9 mai, elle participe à cette marche
09:09avec ses deux filles.
09:11C'est important parce que je pense
09:13que la mémoire doit être préservée
09:14et transmise de génération en génération.
09:16Cela a été une guerre terrible.
09:18Dans chaque famille,
09:19des proches sont morts.
09:19Il est important de garder
09:21leurs souvenirs vivants,
09:22de les honorer
09:22pour ne pas oublier leurs exploits.
09:25En Russie, chaque famille a une histoire tragique