- 14/04/2025
Tous les fleuves européens sont pollués par les microplastiques. C’est le résultat d’une étude inédite menée par la fondation Tara Océan. Neuf cours d’eau ont été analysés, 40 scientifiques et 19 laboratoires ont été sollicités. Henri Bourgeois-Costa, directeur des affaires publiques de la fondation, et Jean-François Ghiglione, directeur scientifique de la mission, nous présentent leur travail.
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00:00Générique
00:00On parle de pollution au microplastique dans les fleuves européens avec Henri Bourgeois-Costa, bonjour.
00:12Bonjour.
00:12Bienvenue, vous êtes le directeur des affaires publiques de la fondation Tara Océan.
00:16On est également en duplex avec Jean-François Guiglione, bonjour.
00:19Vous êtes le directeur scientifique de cette mission Tara Microplastique,
00:24directeur de recherche CNRS au laboratoire d'océanographie microbienne.
00:29On va redire un mot, même si la fondation Tara Océan, on l'a reçue plusieurs fois ici,
00:33elle a été créée en 2003, elle est reconnue d'utilité publique.
00:37Votre mission, c'est quoi ? C'est de mieux connaître et de protéger l'océan, les deux ?
00:40Oui, c'est exactement ça.
00:42La fondation Tara Océan, c'est la première fondation consacrée à la recherche scientifique sur l'océan.
00:47Donc elle s'intéresse à tous les enjeux océaniques,
00:49qu'ils soient ceux du vivant, de la planète vivante évidemment,
00:52mais également tout ce qui vient l'affecter, le changement climatique,
00:55les grandes pollutions, dont évidemment malheureusement la pollution plastique.
00:57Et vous avez en permanence une mission quelque part, un bateau quelque part en quelque sorte ?
01:03Oui, c'est ça, exactement.
01:05Les missions se succèdent avec des thématiques qui viennent s'entrecroiser et se compléter.
01:10On a bouclé il y a quelques mois une grande mission sur les toxiques au sens général,
01:14parmi lesquelles on va trouver des toxiques déplastiques,
01:17qui nous permettent de mieux comprendre la circulation de ces toxiques de la terre vers la mer
01:22et leurs interactions avec le vivant et les conséquences sur l'océan.
01:25Alors on va parler de pollution au microplastique.
01:29C'est évidemment un fléau.
01:31Avec quels effets ?
01:32Alors ce sont des effets qui sont extrêmement complets et complexes.
01:36C'est une pollution qui est une pollution globale.
01:38Il faut bien avoir ça en tête.
01:40C'est la partie émergée de l'iceberg qu'on voit tous et qu'on connaît tous que sont ces macro-déchets,
01:46les gros déchets qu'on voit, les bouteilles d'eau, les sept plastiques, etc.
01:49En fait, il y a une partie qui est moins visible, voire invisible,
01:52qui sont ces petits plastiques et qui vont venir affecter la planète, notre santé donc, évidemment,
01:58puisque tout ce qui affecte la planète nous affecte nous, de façon directe ou indirecte.
02:02Alors ça peut être directement par le transfert de toxiques et M. Giglion en parlera bien mieux que moi tout à l'heure,
02:09ou par le transfert de bactéries qui peuvent être problématiques pour la santé.
02:13Mais également, ça va venir perturber toute la chaîne trophique, donc tout ce qui alimente le vivant.
02:19Donc ça va venir évidemment, à terme, impacter ce qu'on mange nous, ce qu'on respire nous,
02:23puisqu'il y en a également dans l'air, et ce qu'on boit puisqu'il y en a dans l'eau.
02:26– Et vous venez effectivement de publier les résultats de votre dernière mission, Jean-François Giglion,
02:30sur les microplastiques dans les fleuves européens.
02:33Peut-être un mot de la méthode pour commencer.
02:37Combien de fleuves analysés ? Combien d'échantillons prélevés ?
02:42Expliquez-nous comment vous avez voulu travailler.
02:45– C'était une expédition vraiment de grande envergure,
02:48qui a réuni plus de 40 scientifiques de 19 laboratoires différents avec des spécialités différentes.
02:53On avait des chimistes, des physiciens, des biologistes.
02:55Et l'objectif en fait c'était de comparer les fleuves européens entre eux.
02:59Donc on est allé travailler sur neuf des plus grands fleuves européens.
03:03La Tamise, l'Elbe, le Rhin, la Seine, la Loire, la Garonne, l'Ebre, le Rhône et le Tibre.
03:08Et on est parti de la mer, parce que la pollution plastique était connue essentiellement de la mer.
03:15Et on est remonté vers la plus grande ville proche de l'estuaire, proche de l'embouchure.
03:20Et comme ça, on a fait exactement le même protocole sur tous les fleuves,
03:25ce qui nous a permis de comparer les fleuves entre eux.
03:27– Et alors, on arrive à un résultat que j'ai donné dans les titres,
03:31c'est que finalement des microplastiques vous en retrouvez partout.
03:33– Malheureusement, le constat est assez édifiant.
03:36Dans tous les prélèvements qu'on a réalisés, on a trouvé du plastique.
03:41Et on arrive à peu près à des concentrations de 3 microplastiques par mètre cube.
03:46Qu'est-ce que ça veut dire ?
03:47Par exemple, sur la Seine, on a 300 mètres cubes par seconde.
03:50Donc ça veut dire que si je mettais un filet qui vient récolter les microplastiques,
03:54chaque seconde, j'aurais à peu près 900 microplastiques qui seraient collectés à chaque seconde.
04:01Donc ça, ça montre en fait qu'on a une concentration qui est majeure,
04:05qu'on ne pensait pas qu'elle était aussi importante.
04:08Et on s'est rendu compte que cette concentration de microplastiques,
04:12donc les microplastiques, je rappelle, c'est tout ce qui est inférieur à 5 mm,
04:15il y a ceux qui sont visibles, dont je viens de donner les chiffres,
04:19et il y a ceux qui sont invisibles.
04:21Ceux-là, en fait, on a dû faire des développements méthodologiques particuliers
04:24pour les détecter parce qu'on ne peut pas les voir à l'œil nu.
04:27Et ceux-là, on s'est rendu compte qu'en masse,
04:28ils étaient encore plus importants que les grands microplastiques qu'on voyait jusqu'à présent.
04:33Donc ça, ça montre quelque part qu'on a une pollution qui était sous-estimée
04:37et qui est encore plus importante que ce qu'on imaginait.
04:40Je reviens vers vous, Henri Bourgeois-Costa,
04:42avec effectivement ces chiffres 40 scientifiques, 19 laboratoires impliqués.
04:46Ça veut dire que c'est une mission européenne.
04:48Dans chaque pays, il y a eu des laboratoires ou des scientifiques,
04:51des pays concernés qui participaient.
04:53Comment ça s'est passé ?
04:55Je vois que vous vous tournez vers Jean-François Guillot pour en répondre aussi.
04:59Oui, je pense qu'il répondrait bien plus pertinemment que moi à cette question-là.
05:02Mais globalement, oui, c'est un projet qui embarque beaucoup de scientifiques,
05:05de disciplines et de nationalités différentes.
05:08Avec quel objectif ?
05:10Alerter les pouvoirs publics, les obliger à bouger ?
05:13Oui, il y a plusieurs objectifs.
05:14Le premier, c'est évidemment un objectif purement scientifique,
05:17qui est de mieux connaître cette pollution,
05:19de mieux en cerner les contours.
05:21Et c'est comme ça qu'on peut développer des solutions pour lutter contre cette pollution-là.
05:25Et évidemment, derrière, c'est d'aller alerter les politiques
05:28et de faire passer un certain nombre de messages.
05:31Dans ces messages-là, il y a quand même quelque chose qui est très important
05:33qu'on peut tirer d'ores et déjà de ces publications.
05:36C'est que la vision qu'on avait majoritairement de cette pollution plastique,
05:41elle est largement dépassée.
05:42Autrement dit, les plastiques ne sont pas qu'une question de déchets.
05:45puisque ces plastiques-là, ces micro-plastiques-là,
05:48ils ne sont pas tous issus de la dégradation de déchets.
05:51Ils sont également issus de plastiques primaires,
05:53donc en gros des plastiques pré-production,
05:55avant qu'on les transforme en produits,
05:56de la fuite de ces plastiques-là dans l'environnement.
05:59Et également des plastiques d'usure, d'usage,
06:02quand on porte des vêtements synthétiques,
06:04quand on a des textiles synthétiques comme les moquettes,
06:07quand on utilise des pneus de voiture.
06:09Tout ça, avec la friction, ça génère des micro-particules de plastique
06:13qui finissent dans l'environnement.
06:13Et donc, on voit bien que ces problématiques-là,
06:15elles ne vont pas être solubles par une simple amélioration
06:18du traitement des déchets.
06:19C'est inhérent même à l'usage de ces matériaux-là
06:21et ça va renvoyer vers des solutions
06:23qui sont évidemment beaucoup plus globales,
06:25beaucoup plus complexes.
06:26Qui sont beaucoup plus systémiques, c'est ce que je comprends.
06:29Jean-François Guillion, ça veut dire que
06:31quand vous avez fait ces prélèvements,
06:34vous pouvez savoir d'où viennent ces micro-plastiques dont on parle.
06:38Est-ce qu'effectivement, ça vient,
06:40je replante vos exemples, du frottement d'un pneumatique
06:44ou de l'usure d'un vêtement
06:46ou alors même peut-être du plastique primaire,
06:50c'est-à-dire un plastique sorti d'usine en quelque sorte ?
06:53Alors, on a plusieurs réponses par rapport à ça.
06:57Effectivement, l'origine des micro-plastiques,
07:00la majorité, ça va être des gros plastiques
07:03qui vont se casser en morceaux.
07:04Et ça, on peut considérer que c'est le déchet de départ.
07:07Quand on a un déchet dans l'environnement,
07:09il va se casser en morceaux.
07:10Mais comme le disait Henri,
07:11c'est un peu la nouveauté de nos études,
07:14c'est de montrer que les plastiques,
07:15pendant tout l'usage du plastique,
07:19on va relarguer ces tout petits micro-plastiques
07:21qui sont invisibles à l'œil.
07:22Quand je suis en train de bouger simplement
07:24le bouchon d'une bouteille,
07:25je commence déjà à créer des petits micro-plastiques.
07:28Quand j'ai des vêtements que je tape dessus,
07:31les fibres des vêtements vont partir dans l'environnement.
07:34Et donc tout ça, en fait,
07:34ce n'est pas qu'une problématique déchet,
07:37comme le disait Henri.
07:38C'est ça qui change vraiment notre vision de la pollution.
07:41C'est que la pollution, elle est à tous les niveaux.
07:43Il y en a certains qu'on a réussi à identifier,
07:46notamment via une grosse action de science participative
07:50qui s'appelle Plastique à la Loupe,
07:51qui réunit plus de 12 000 élèves par an
07:54qui vont sur le terrain.
07:55Donc on a un vrai observatoire français des déchets.
07:58Et là, on s'est rendu compte que parmi ces micro-plastiques,
08:01on trouve des granulés plastiques industriels
08:03qu'on peut vraiment identifier.
08:04Et la concentration de ces granulés plastiques industriels
08:07nous a vraiment alarmés,
08:08parce qu'on a à peu près un quart de tous les micro-plastiques
08:11qui sont ces granulés plastiques industriels.
08:13D'où ils viennent, en fait, ça, cela, on sait pertinemment
08:16que ça vient de la fuite des usines qui produisent les plastiques,
08:20en fait.
08:21Et donc ça vient de la fuite, ça vient du transport,
08:23ça peut être du transport sur les routes,
08:25mais également du transport maritime.
08:26On a déjà vu des catastrophes, en fait,
08:28de ces granulés plastiques industriels
08:29qui se retrouvent malheureusement dans l'environnement.
08:31– Henri Bourgeois-Costa, ça veut dire que vous faites
08:34un certain nombre de préconisations aussi
08:36à la suite de cette étude ?
08:39– Oui, bien évidemment.
08:40Et ces préconisations, elles s'inscrivent dans le cadre
08:42aussi d'une réflexion internationale,
08:44puisqu'il y a une négociation actuellement
08:45sur un futur traité international sur les pollutions plastiques.
08:48Et évidemment, ces préconisations ont rejoint
08:51toute une série d'organismes dans cette préconisation majeure,
08:54et notamment de la coalition internationale scientifique,
08:57qui est qu'il n'y a pas de solution à cette problématique
09:00sans passer par la case réduction importante
09:02de la production et de la consommation.
09:04C'est vraiment le message fort.
09:06– Mais ça a pris une telle place dans nos villes, le plastique.
09:10Si ça marche aussi bien, c'est que ça répond
09:14à beaucoup de demandes et de problématiques.
09:17Donc par quoi on les remplace ?
09:18– Alors, on peut avoir une réflexion en deux temps.
09:22La première, c'est est-ce que tous ces plastiques
09:24nous sont vraiment indispensables,
09:26notamment si on met dans la balance les bénéfices
09:28qu'ils nous apportent, mais également les risques et les coûts.
09:31Risques sanitaires, risques environnementaux et coûts économiques,
09:34puisqu'aujourd'hui, plusieurs universités ont fait la démonstration
09:36que le fait de poursuivre ce modèle de consommation de plastique
09:40sera plus coûteux économiquement que la réduction.
09:43Ça, c'est vraiment un élément très très important.
09:45On n'arrivera pas à nettoyer l'environnement.
09:47Ça, c'est aussi quelque chose qu'il faut retenir.
09:49L'étude, elle montre très clairement
09:50qu'on peut avoir jusqu'à 1000 fois la masse de la pollution plastique
09:55qui est sous forme de microplastique.
09:56Et ceux-là, on ne peut pas les récupérer ?
09:58Ceux-là, ce n'est pas récupérable.
09:59On parle quand même de plastiques qui font entre 1,5 mm
10:02et 0,025 mm.
10:04Donc, à moins de passer la nature complètement au peigne fin
10:07et de tout retirer en même temps que les plastiques,
10:09ce n'est évidemment pas envisageable.
10:11Et donc, ces solutions, pour revenir à votre question,
10:14c'est évidemment des solutions systémiques.
10:16Ça passe par réduire ce qui ne nous est pas indispensable
10:18et dans ce qui est indispensable,
10:19de réfléchir à quelles sont les autres manières de faire
10:22qui nous permettent de nous passer de ces plastiques-là.
10:26Ça peut être des questions de matériaux,
10:28mais pas forcément.
10:29Ça peut être aussi des questions organisationnelles,
10:30de changement de société.
10:32Aujourd'hui, on est très marqués par les plastiques
10:34et je vous rejoins tout à fait là-dessus.
10:36Mais il faut quand même avoir en tête
10:37que ce n'est que 60 ans dans l'histoire de l'humanité
10:39et que ce n'est qu'en gros un petit tiers de l'humanité
10:43qui consomme de façon très, très importante les plastiques.
10:45Donc, il n'y a pas de côté inéluctable
10:48dans cette consommation des matériaux.
10:50Ça ne veut pas dire qu'il faut les éliminer complètement.
10:51Ce n'est pas du tout mon propos.
10:53Mais ça veut dire qu'on a des marges de réduction
10:54qui sont très, très importantes.
10:56Jean-François Giglian, vous parlez dans votre étude
10:59d'un effet supplémentaire d'éponge à polluant.
11:03Alors, de quoi on parle ?
11:04De quoi s'agit-il ?
11:06Alors, il faut que je vous fasse un tout petit cours
11:08de qu'est-ce que c'est qu'un plastique.
11:09Un plastique, vous connaissez tous les polystyrène,
11:12polyéthylène, polypropylène.
11:13Ça, c'est le polymère.
11:15Mais en fait, on a un cortège de molécules chimiques
11:17qui sont ajoutées au plastique.
11:19Donc, c'est des plastifiants, des stabilisants,
11:21des retardateurs de flammes, des colorants
11:22qui vont donner la caractéristique du plastique.
11:25Et on sait qu'on a 16 000 molécules chimiques
11:27qui sont ajoutées de cette manière-là
11:29pour donner les caractéristiques chimiques du plastique
11:33et ses propriétés physiques.
11:36Et on sait malheureusement, en fait,
11:37que parmi ces 16 000 molécules chimiques,
11:39on en a à peu près un quart qui sont toxiques
11:41pour les organismes.
11:42Donc, ça, en fait, en plus de demander
11:45la réduction des plastiques primaires,
11:47on demande aussi une transparence
11:49des produits chimiques qui sont ajoutés
11:50dans ces plastiques parce que c'est de là
11:51que vient la toxicité des plastiques.
11:54Effectivement.
11:54Merci beaucoup.
11:56On parle de notre santé,
11:57de la santé de nos enfants, tout simplement.
11:59On parle d'un nouveau concept
12:00qui a émergé depuis quelques années,
12:02qui est aujourd'hui largement reconnu scientifiquement,
12:05qui est le concept de santé globale.
12:06C'est-à-dire qu'on ne peut plus aujourd'hui,
12:08de façon très claire,
12:09dissocier la santé humaine de la santé animale,
12:12de la santé des écosystèmes,
12:13de la santé environnementale.
12:14Et donc, les plastiques affectent tout ça,
12:17directement notre santé, pour certains,
12:19dans nos usages,
12:20mais d'autres, de façon plus indirecte,
12:21plus pernicieuse,
12:22en contaminant l'environnement.
12:23Et donc, c'est devenu aujourd'hui
12:25un sujet de santé globale.
12:27Merci beaucoup à tous les deux
12:29et à bientôt sur Bsmart4Change.
12:30On passe tout de suite à notre rubrique
12:32consacrée aux startups éco-responsables.
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