Héroïsation des soignants : le coup de gueule de Baptiste Beaulieu

Brut

25/03/2025

Le coup de gueule du médecin Baptiste Beaulieu sur l'héroïsation des soignants et le démantèlement de l'hôpital public.

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00:00Je me sens comme la plupart de mes collègues soignants.

00:03Je me sens fatigué, je me sens en colère encore plus quand je vois mes collègues infirmiers,

00:07aides-soignantes, aides-soignants, infirmières, médecins qui vont au travail

00:11avec des sacs poubelles en guise de surbouffes,

00:13ou que j'entends qu'on réquisitionne des voiles d'hivernage pour leur fabriquer des surbouffes de fortune.

00:17On a beaucoup entendu ces derniers temps des mots comme

00:20« ils sont en première ligne », « ils montent au front », « c'est la guerre ».

00:23Et l'héroïsation du personnel soignant, c'est un narratif qui est commode

00:27pour dépolitiser nos revendications et nous enfermer dans une posture qui est intenable.

00:31Parce que, tout simplement, un héros, ça ne demande pas du personnel supplémentaire,

00:35ça ne demande pas d'aide, et ça ne demande pas non plus ce truc un peu sale qu'on appelle des sous.

00:39En temps de guerre, on donne des ordres. En temps de crise sanitaire, on donne des moyens.

00:44Pourquoi croyez-vous que le gouvernement a choisi le champ lexical de la guerre ?

00:47Tout simplement parce qu'il ne peut pas donner les moyens.

00:49En tant que médecin généraliste, ma vie en ce moment, elle consiste un petit peu à dire aux gens

00:53« Oui, vous présentez tous les symptômes du Covid. Non, pas de tests disponibles car on les rationne compte tenu de leur rareté.

00:59Oui, il vous faudrait porter des masques. Non, vous n'en trouverez pas en pharmacie car on est en pleine pénurie. »

01:05Et voilà. Donc c'est assez kafkaïen comme situation.

01:08Moi, ce que j'attends, c'est que le gouvernement gère cette crise sanitaire avec des données scientifiques rigoureuses, factuelles,

01:14avec l'observation de ce qui se passe dans d'autres pays et l'utilisation de ce qui fonctionne dans ces autres pays.

01:20On a besoin de tests, on a besoin de masques et de gants, de surblouses, de personnel supplémentaire.

01:25On a besoin de l'hôpital public.

01:27On n'a pas besoin de lui qui va visiter un hôpital militaire avec des bruits d'hélicoptère derrière et le drapeau français en arrière-plan.

01:32D'ailleurs, j'estime que les seules personnes qui sont habilitées à utiliser ce langage héroïque,

01:36ce sont mes confrères, consœurs, infirmiers, infirmières, aide-soignants,

01:39parfois âgés parce que vous savez, on peut être infirmier et avoir des comorbidités.

01:43On peut être infirmière, être en surpoids, être médecin, avoir des problèmes de cœur.

01:49Moi, je considère que ces collègues-là, ils ne sont pas dupes de ce qui se passe en ce moment,

01:54surtout les plus âgés d'entre eux, les plus fragiles.

01:59Je ne peux pas m'empêcher d'y voir une sorte de mécanisme de défense de la part du corps soignant

02:03qu'on envoie sans gants, sans masques, sans surblouses, sans tests,

02:07ou parfois avec des masques périmés depuis dix ans.

02:09Et vous savez, c'est plus facile de se dire...

02:13En fait, c'est plus facile de se faire une raison quand celle-ci, elle est épique.

02:16Alors qu'être juste un pion sacrifié sur l'autel de l'ultralibéralisme, ça ne fait pas sens du tout.

02:22Vaut mieux mourir en héroïne que mourir en rien du tout,

02:25en perte et profit d'un système qui a placé la valeur argent avant la valeur humaine.

02:30Un virus ne fait pas la guerre. Vous savez, un virus, il vit sa vie de virus.

02:33Ce qui déclare la guerre à l'humain, c'est le démantèlement de l'hôpital public.

02:37L'hôpital a perdu 5% de ses lits depuis 2013.

02:41Seuls les établissements publics, ils ont perdu pratiquement 13 600 lits.

02:45Alors, il ne faut pas oublier ça.

02:47Évidemment, ce serait bien aussi de ne pas oublier qu'il y a quelques semaines,

02:50le gouvernement d'Edouard Philippe et sa police réprimaient fermement les soignants

02:54qui manifestaient dans la rue pour demander une meilleure prise en charge de leurs patients et plus de moyens.

03:00Évidemment, ce n'est pas seulement la faute de ce gouvernement,

03:03parce qu'il y a aussi les gouvernements Jospin, Fillon, Raffaen, Hérault.

03:07Ils ont tous contribué comme ça au démantèlement de l'hôpital public.

03:09Alors, c'est étrange parce que maintenant, ça joue du Hans Zimmer chaque fois qu'on met une bouche blanche.

03:14L'héroïsation, c'est toujours un piège car c'est une dépolitisation en fait.

03:17Quand la crise sera passée, on ne veut pas des monuments morts, on ne veut pas des statues,

03:22on veut du personnel supplémentaire et de l'argent.

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