Émeutes au Royaume-Uni : vers une crise démocratique dans le pays ?

  • le mois dernier

Dans Europe midi, Thomas Schnell et ses invités débattent de dernières informations.
Retrouvez "Europe 1 13h" sur : http://www.europe1.fr/emissions/europe-1-midi3

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00:00Europe 1 13h. Vous écoutez Europe 1 13h jusqu'à 14h sur Europe 1. Il est 13h18 et c'est l'heure du débat Thomas Chenel avec vos invités
00:07Nathan Devers écrivain et Vincent Roy écrivain et journaliste. Bonjour à vous, merci d'avoir accepté l'invitation
00:13d'Europe 1. Encore une soirée de violence au Royaume-Uni.
00:16Pareil, Zemmud n'avait pas éclaté depuis des années. Cela fait maintenant quatre nuits consécutives
00:21depuis l'attaque au couteau à Southport qui a coûté la vie à trois fillettes la semaine dernière. Des groupes d'ultra droite
00:28s'en prennent aux forces de l'ordre et tentent de tirer parti de la situation. La tension ne retombe pas.
00:34Nathan Devers, quel regard est-ce que vous portez sur ces émeutes au Royaume-Uni ?
00:39On est sur un mot d'ordre trop c'est trop, enough is enough en anglais qui fait référence à la vague migratoire.
00:48On est loin tout de même de ce qui s'est passé à Southport ?
00:51Oui, on est dans un cas vraiment parfait au sens qui illustre totalement la dislocation de la démocratie.
01:00Initialement, nous avons un drame, un drame terrible, un individu qui commet des actes monstrueux,
01:06qui s'en prend à des tout petits enfants. On est dans la définition pure et parfaite du mal, du mal absolu, du mal métaphysique.
01:14Or, ce qui est très intéressant, c'est de voir comment ces groupuscules que vous avez mentionnées,
01:18au lieu de rester dans une indignation métaphysique, c'est-à-dire se dire comment est-il possible de faire des actions comme ça,
01:27au lieu aussi de réagir avec pudeur. Normalement, la réaction quand on est dans la démocratie,
01:33c'est-à-dire dans la culture de la démocratie, dans l'esprit de la démocratie,
01:36c'est aussi l'obligation pour tous les individus qui ont une parole publique de se comporter avec pudeur.
01:41Platon le dit très bien dans La République, dans le livre 8, il dit dès lors que dans la démocratie,
01:45l'élément de la pudeur disparaît et de la modération disparaît chez les dirigeants ou chez ceux qui ont une parole publique,
01:52et bien la démocratie se détruit, s'auto-décompose et devient une tyrannie.
01:56On est vraiment dans cela. Au lieu de réagir avec pudeur, ces gens-là sont allés chercher le petit élément
02:01qui leur faisait plaisir, qui allait dans le sens de leur idéologie, c'est-à-dire, si je ne me trompe pas,
02:05que ce criminel, son père était Rwandais, et à partir de là, ont mis en œuvre des émeutes racistes absolument hallucinantes,
02:14avec des attaques de mosquées, avec des attaques de centres qui hébergent des migrants, des demandeurs d'asile,
02:20avec des slogans absolument abominables, en essayant de déguiser cela en lutte politique,
02:27comme s'il y avait une revendication qui était légitime et dont on pouvait discuter normalement.
02:31Et ça, je pense que face à un phénomène de cette nature, il faut non seulement, comme le fait le Premier ministre,
02:35être extrêmement ferme, dire que ces comportements sont intolérables, et nous n'écoutons pas la colère qui est entendue,
02:41parce que ce n'est pas de la colère, et deuxièmement, analyser cela vraiment comme un moment où la démocratie est en passe
02:47de s'auto-détruire au non-soi-disant de la volonté populaire, ce qu'elle n'est même pas.
02:52C'est presque un cas d'école, ce qu'il se passe au Royaume-Uni en ce moment, en termes à la fois de rumeurs,
02:57d'amplification, de stigmatisation et de flambée xénophobe ?
03:02Sans doute pour part, mais je ne fais pas tout à fait la même analyse que Nathan,
03:07parce que, si vous voulez, ce qui vient de se passer à Southport est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
03:15Il y a déjà eu beaucoup de crimes comme ceux-là, d'affaires qui ne ressemblent pas à celle-ci,
03:23mais d'affaires, je pense, notamment à Leeds, il y a quelques mois.
03:27Il y a une colère qui, dans le pays, s'est constituée, s'est amalgamée.
03:35Et alors, là où je suis en revanche d'accord avec vous, c'est lorsque vous dites que cette colère-là a été noyautée par l'ultra-droite.
03:45Mais cette colère, elle germait dans le pays, si bien que ce que vous voyez aujourd'hui à Southport, c'est la face visible de l'iceberg.
03:53La face cachée de l'iceberg, c'est précisément cette colère d'une population anglaise, blanche, non-urbaine, etc.,
04:03qui s'est, si vous voulez, cristallisée à ce moment-là.
04:08Mais cette colère, elle est beaucoup plus ancienne que cela.
04:13Et c'est pour ça que là, d'une certaine façon, elle éclate.
04:16Le drame, et vous avez raison de le signaler, c'est qu'elle est noyautée, elle est reprise à son compte par l'ultra-droite.
04:23Mais il n'y a pas, vous savez, dans les émeutes que vous voyez, dans les exactions que vous voyez,
04:27il y a certes l'extra-droite qui est minoritaire, mais vous avez beaucoup de gens qui sont des ouvriers,
04:33qui vivent souvent dans des conditions très difficiles.
04:36Il n'y a pas que l'extra-droite à la manœuvre.
04:38L'extra-droite, noyaute, récupère, si vous préférez, mais il n'y a pas qu'elle.
04:42Nathan Devers parlait de la fragilité des institutions.
04:46Pourtant, la justice britannique n'est pas connue pour sa souplesse.
04:50Les institutions politiques continuent, marchent bien.
04:53Il y a un manque de représentativité qui pousse ces gens à ne pas exprimer leur colère par un vote,
04:59des votes qui sont courants au Royaume-Uni.
05:02Mais par ces émeutes ?
05:04Mais c'est précisément tout le problème.
05:06La colère dont vous parlez, évidemment que c'est un sentiment dont il faut absolument tenir compte,
05:11parce que ce n'est pas seulement un sentiment, c'est une réalité.
05:14Quand, aussi bien au Royaume-Uni qu'en France, certaines personnes souffrent particulièrement,
05:19par exemple, de l'insécurité, évidemment que c'est un sujet.
05:22Moi, je ne suis pas un censeur.
05:23Je ne suis pas là pour dire qu'en démocratie, on n'a pas le droit de discuter de l'insécurité
05:26parce qu'un débat sur l'insécurité serait ontologiquement d'extrême-droite.
05:29Je ne dis pas ça.
05:30Une démocratie, un État, une société sans sécurité qui ne serait pas capable de garantir la sécurité,
05:36ce serait évidemment une société à minima défaillante.
05:39De la même manière, sur l'immigration, qu'il y ait non seulement le droit,
05:43mais la nécessité d'avoir un débat démocratique sur la question de l'immigration en France,
05:49en Europe, dans le monde, etc.
05:51Évidemment que ce sont des sujets majeurs de notre temps.
05:53Mais le sujet, à mon avis, n'est pas du tout là.
05:55Le sujet, il est... J'ai employé le mot d'élite.
05:58Parce que ce qu'il faut bien comprendre, c'est que ces manœuvres-là,
06:01soi-disant sont des manœuvres populistes.
06:03Soi-disant sont des manœuvres qui expriment le malheur du petit peuple blanc
06:07contre les méchantes élites mondialisées et déracinées.
06:10Mais ce qu'il faut voir, c'est que derrière, il y a toujours des élites.
06:12C'est-à-dire des gens, des militants politiques, des personnes qui surfent là-dessus.
06:16Et on voit quelque chose d'assez analogue en France.
06:18Quand on a vu certaines personnes, certains militants instrumentaliser la mort de Lola,
06:24instrumentaliser l'affaire Crépole, etc.
06:26Racheter des noms de domaines sur Internet,
06:28organiser des raids numériques,
06:30soi-disant pour rendre hommage,
06:31alors que la famille même des victimes demandait de ne pas récupérer leur mort, etc.
06:35Ça, c'est évidemment le même comportement.
06:37Et je pense que là-dessus, il faut être intraitable.
06:39Moi, j'en veux absolument pas aux gens qui sont en colère
06:43parce qu'il y a de l'insécurité dans leur quartier.
06:45Personne ne pourrait leur en vouloir.
06:46J'en veux pas aux individus qui estiment qu'il faut avoir un débat migratoire
06:49parce que je pense qu'il faut avoir des débats sur tout.
06:51J'en veux aux élites qui manipulent ces colères-là
06:54en ayant la haine, littéralement la haine, de la démocratie.
06:58Et alors comment on fait pour faire la part des choses ?
07:00Entre l'instrumentalisation politique de la colère,
07:02les ingérences étrangères, la manipulation des réseaux sociaux,
07:06comment on parvient à trouver la juste réponse à cette colère-là ?
07:11Ça dépend un peu, comme le disait Nathan,
07:13ça dépend un peu de l'élite politique.
07:16C'est à elle de calmer le jeu,
07:17c'est à elle de trouver les mots,
07:19c'est à elle d'expliquer.
07:21Le problème anglais aujourd'hui,
07:25vous savez, il y a le modèle anglais
07:27et il y a le modèle français.
07:28Ils sont deux modèles très différents
07:30puisque nous, nous avons la laïcité qui est censée nous protéger de tout
07:33et dont on se rend compte d'ailleurs que pour part,
07:35elle ne nous protège pas de grand-chose.
07:36Mais là, vous voyez bien que le multiculturalisme anglais,
07:41d'une certaine façon, a fait long feu.
07:43Et qu'il faut bien reconnaître que c'est un échec patant,
07:47aujourd'hui, du modèle anglais.
07:49C'est ça le problème.
07:51Et comme il y a échec patant du modèle anglais,
07:54il y a instrumentalisation par l'extra-droite.
07:57C'est ça qui se passe.
07:58Ou l'ultra-droite, vous l'appelez comme vous voulez.
08:00C'est ça qui se passe, c'est cette instrumentalisation.
08:03Alors, comment la réguler ?
08:04Et bien, c'est aux politiques qui...
08:06D'ailleurs, quand je dis les politiques,
08:08au tout début de l'affaire,
08:10je parle de l'exécutif britannique,
08:11il a été très flou,
08:12il a laissé en suspens un certain nombre de choses,
08:15ce qui fait que cette colère aussi,
08:17elle est due au flou du gouvernement britannique,
08:20dès les premières heures,
08:22qui n'ont pas posé les bons mots et les bons diagnostics.
08:26Oui, mais alors, Vincent, on va vous parler d'une colère qui vient de loin,
08:28on sait que ça fait plusieurs années désormais
08:31que ce sont les conservateurs qui sont au pouvoir au Royaume-Uni,
08:33qui, visiblement, en tout cas, n'ont pas su régler,
08:36à la fois le problème de la sécurité,
08:37le problème de l'immigration,
08:38qui ont provoqué cette colère-là.
08:40Est-ce que, pour l'instant, la réponse de Keir Starmer
08:42vous paraît être à la hauteur ?
08:43Je pense qu'elle est à la hauteur.
08:44Qui, lui, est travailliste, rappelons-le.
08:46Exactement, qui est Premier ministre,
08:47qui a d'ailleurs fait une campagne,
08:49quand il a été élu,
08:50qui était un peu différente de ce que prenait son parti jusqu'alors
08:53en matière d'immigration.
08:55Il a dit qu'il voulait être plus ferme sur l'immigration
08:57que la tradition travailliste,
08:59en tout cas, ces dernières années,
09:01qui a exclu les antisémites, etc.
09:03Donc, qui a fait quelques concessions, entre guillemets,
09:05envers la droite.
09:06Mais là, il est d'une fermeté absolue.
09:08Et il dit, je refuse de transiger
09:11sur la gravité de ce qui est en train de se passer.
09:13J'aimerais juste répondre à votre question précédente.
09:15Comment faire la part des choses, entre guillemets,
09:17les bonnes élites et les mauvaises élites sans manichéisme ?
09:19Je pense que c'est aussi une question d'éthos.
09:22Ceux qui flattent les bas instincts de leur électorat...
09:26Nigel Farage, le parti You Keep précédent...
09:30Exactement.
09:31Ceux qui flattent les bas instincts,
09:32la colère, le ressentiment,
09:34le racisme, quand il y en a,
09:36dans ces émeutes, c'est le moins qu'on puisse dire
09:38c'est qu'il y en a.
09:39Et au Royaume-Uni, on a vu,
09:41justement, je dirais encore une fois,
09:43magnifique, enfin magnifique c'est ironique,
09:45mais un cas d'école de ce genre de comportement,
09:47pendant le référendum sur le Brexit.
09:49Où nous avons eu toute une campagne
09:51qui était d'une déchéance intellectuelle absolue,
09:54avec des arguments qui étaient nuls,
09:56avec un débat public qui volait extrêmement bas,
09:58qui a flatté tous ces bas instincts-là.
10:00Et résultat aujourd'hui,
10:01toutes les études d'opinion le montrent,
10:02si le référendum sur le Brexit recommençait aujourd'hui,
10:05le résultat serait inverse.
10:07Parce que les Britanniques ont compris
10:09que c'était le prix à payer d'hémagogie sur ce plan.
10:12Il y a un auteur qui a très bien décrit ça,
10:14qui est un auteur bourgeois, et j'insiste là-dessus,
10:16qui est Zweig, dans Le Monde d'hier,
10:18où il décrit très très bien comment sa propre classe sociale,
10:20en tout cas une partie de sa propre classe sociale,
10:22accepte de renoncer, au moment de la montée en puissance
10:25de la barbarie en Europe,
10:27accepte de renoncer à cette éthos qui l'a constituée.
10:30Et qui mène au suicide de l'Europe,
10:32c'était il y a maintenant plus de 70 ans, effectivement.

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