Amiral Bernard Rogel (Marine nationale): «Nous devons nous adapter aux nouveaux modèles stratégiques dans un monde en pleine restructuration»

Lopinion.fr

25/06/2024

Raphaël Legendre reçoit l’amiral Bernard Rogel, ancien chef d’état-major particulier du président de la République et ancien chef d’état-major de la marine nationale, en direct de la 15e édition de ParisMat à la Maison de la chimie

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00:00Bonjour, nous sommes au 15e Salon Paris-Maths et j'ai le plaisir d'accueillir l'amiral Bernard Rogel.

00:21Bonjour amiral.

00:22Bonjour.

00:23Une première question pour éclairer nos téléspectateurs.

00:25Le monde est-il tout simplement plus dangereux aujourd'hui qu'il y a 5 ou 10 ans ?

00:30Qu'il y a 5 ou 10 ans, certainement.

00:34Si vous me reposez la question dans une perspective un peu plus historique et un peu plus lointaine, je vous dirais non.

00:40Moi j'ai commencé ma carrière maritime dans le plein cœur de la guerre froide,

00:45qui était un affrontement bloc contre bloc et qui là était extrêmement dangereux.

00:51On vivait dans l'ombre d'une guerre, y compris de nucléaire d'ailleurs à l'époque.

00:55Ce monde est en pleine restructuration stratégique.

00:59Le paradigme stratégique qui avait dimensionné le monde à la fin de la guerre froide est définitivement arrivé à son terme.

01:09Et ça il faut bien le comprendre.

01:10Donc il faut qu'on s'adapte au nouveau modèle stratégique.

01:13Ce nouveau modèle stratégique est caractérisé par trois choses essentiellement.

01:18Il est caractérisé par un retour des stratégies de puissance qui se fait au détriment du dialogue et du multilatéralisme

01:26avec une organisation des Nations Unies qui aujourd'hui a du mal à tenir son rôle d'arbitre des contentieux internationaux.

01:40Ce retour des stratégies de puissance se traduit par les théâtres qu'on voit, y compris maritimes,

01:46mais aussi par le retour du fait nucléaire dans le langage stratégique.

01:52Il se traduit également par un réarmement mondial qui est important, en particulier sur le domaine naval.

02:00En plus de ça, en plus de ce retour des stratégies de puissance, vous avez une conflictualisation des espaces communs,

02:07c'est-à-dire la mer, l'espace exo-atmosphérique et l'espace cyber,

02:12qui ont été conçus au temps de la mondialisation heureuse pour être des flux de liberté.

02:18Liberté de circulation des biens et des données.

02:22Aujourd'hui, ils sont en train de se militariser.

02:25C'est vrai pour l'espace, on le voit tous les jours.

02:27C'est vrai pour le cyberespace, on en a des preuves aussi quotidiennes.

02:31Et puis c'est vrai pour la mer.

02:32Et puis le troisième point important, si vous permettez, c'est l'avènement des stratégies hybrides.

02:37C'est-à-dire des stratégies de déstabilisation qui se situent en dessous du seuil de conflictualité.

02:42Ça peut être par exemple l'explosion mystérieuse des gazoducs Nord Stream, il n'y a pas si longtemps.

02:47C'est hybride, on en a beaucoup parlé.

02:49On en a beaucoup parlé en France pour l'influence de nations étrangères.

02:52On en parle beaucoup au niveau de l'information.

02:54C'est plus que ça.

02:56Quelles sont leurs particularités aujourd'hui ?

02:58Vous avez raison.

02:59On s'intéresse beaucoup aux manipulations de l'information,

03:02ce qu'on appelle la guerre informationnelle et aux ingérences à les procédures démocratiques.

03:07Les médias s'y intéressent beaucoup.

03:09Mais le champ des stratégies hybrides est beaucoup plus large.

03:12Une stratégie hybride, c'est fait pour déstabiliser.

03:14On en a quelques exemples récents.

03:17Ça peut être par exemple les attaques non revendiquées de pétroliers dans le détroit d'Ormuz en 2019.

03:23Tout le monde savait qui était à l'origine de ça, mais personne n'a pu le prouver.

03:28Ça peut être les attaques d'infrastructures sous-marines,

03:31comme on en a eu un exemple là encore avec les gazoducs Nord Stream 2.

03:36Mais ça peut être aussi l'emploi par milliers de pêcheurs pour investir une zone,

03:41ce qu'on voit dans les mers de Chine.

03:44Ça peut être l'emploi de milices à la mer,

03:47à l'équivalent de ce qu'on a vu pour Wagner à terre.

03:52Et puis ça peut être aussi les attaques cyber qui peuvent être déstabilisatrices.

03:58Ne serait-ce que par exemple, si nous étions mal protégés,

04:02une attaque contre les ports à conteneurs qui pourrait fragiliser le commerce mondial.

04:06Pour terminer, une dernière question.

04:07Quelles sont les zones stratégiques à surveiller plus particulièrement que d'autres ?

04:13Quels sont les points chauds du globe aujourd'hui en termes géopolitique

04:18et notamment ce qui nous intéresse ici autour des routes maritimes ?

04:22Le nouveau paradigme stratégique, ça se traduit par une chose,

04:26c'est le renouveau stratégique de tous les théâtres maritimes.

04:29Je peux faire une liste à l'après-vers,

04:32mais ce qui est intéressant, c'est de voir que le conflit Russie-Ukraine

04:37a entraîné un renouveau stratégique de la mer Noire, de la Baltique et de l'Atlantique Nord.

04:43La Baltique, cela ne vous a pas échappé, va devenir un enjeu majeur

04:48avec des pays qui étaient neutres et qui sont désormais passés au sein de l'OTAN,

04:53la Finlande et la Suède.

04:55Il y a aussi la Méditerranée, parce que dans l'Est de la Méditerranée,

04:59il ne vous aura pas échappé qu'il y a d'importants gisements gaziers

05:02et que cette répartition de la richesse va sans doute apporter des tensions.

05:08C'est déjà le cas avec les prospections turques dans cette zone par le passé.

05:13Dans l'ordre de dangerosité, je mets souvent les mers de Chine en tête.

05:20L'Indo-Pacifique peut-être ?

05:22L'Indo-Pacifique dans son ensemble.

05:24Dans les mers de Chine, ce qui se passe actuellement,

05:27c'est la déconstruction du droit international.

05:30Chacun prend des gages avec la poldérisation des Spradlés et des Paracels.

05:35Or, toute atteinte au droit international dans les mers de Chine

05:38peut avoir un impact n'importe où ailleurs.

05:40Je vous rappelle qu'on a la deuxième zone maritime au monde.

05:43Et puis le sein indien.

05:45Il y a un pays qu'on oublie trop souvent qui est l'Inde,

05:48qui n'aime plus en devenir, qui est une puissance montante,

05:53qui fera partie d'un des États continents puissants à l'avenir.

05:57Le sein indien, c'est le concentré de tout en réalité.

06:00C'est la rencontre des plaques tectoniques stratégiques

06:04entre la puissance euro-atlantique,

06:08c'est-à-dire américaine et européenne,

06:11et les puissances ado-pacifiques.

06:13Et avec un acteur, encore une fois, qui est l'Inde,

06:16qui est là dans son précaré.

06:18Donc on a une espèce de pression de toutes ces zones

06:21tectoniques stratégiques dans le sein indien.

06:23Avec des points de passage extrêmement importants

06:27comme Bab-el-Mandeb, Hormuz et Malacca.

06:30Amiral Bernard Rogel, merci beaucoup.

06:32Merci à vous.

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