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Sonia Mabrouk : "Du courage en politique"
Le JDD
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02/04/2024
Notre chroniqueuse s'interroge sur le sens de l'engagement chez nos responsables politiques. Renoncer, est-ce faillir ?
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News
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Pâques est propice à la réflexion et à la méditation.
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Les fêtes religieuses nous prémunissent contre la tentation du contrôle absolu et de la toute-puissance.
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Elles invitent l'individu, croyant ou pas, à s'interroger sur la grandeur de la vocation humaine,
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et plus singulièrement, sur sa propre vocation.
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Ça vaut pour tous, y compris pour les responsables politiques.
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À quoi pensent nos dirigeants ou futurs dirigeants en cette période pascale ?
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C'est l'occasion pour eux de se questionner sur le sens de l'engagement.
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Persuadés d'avoir un destin, beaucoup se rêvent en monarque présidentiel à l'Élysée,
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mais combien savent vraiment étreindre la France pour la relever ?
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Dans une France ébranlée par les coups de boutoir des islamistes, menacée par l'ampleur de la dette,
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affaiblie par les revirements géopolitiques, minée par les divisions politiciennes,
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effacée par le transfert de souveraineté européen,
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les dirigeants sont-ils sûrs de leur capacité à freiner la chute de la nation ?
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Dans un tel contexte, la fonction de président de la République
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ne devrait pas être considérée comme le point culminant d'un parcours aussi brillant et fulgurant soit-il,
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mais plutôt comme un sacerdoce avec quantité de problèmes de fond,
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de lutte farouche et de grande solitude.
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Je regrette que la candidature à la fonction suprême soit devenue une sorte de passage obligé
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pour tout responsable en manque de notoriété.
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Certains se déclarent candidats estimant que la France a besoin d'eux,
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alors qu'ils ont surtout besoin d'une forte dose d'humilité.
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Savent-ils au moins à quoi il faudra renoncer pour espérer embrasser un tel destin ?
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"La gloire et le deuil éclatant du bonheur", a écrit Madame de Stael.
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Pour la France, les candidats devraient ou devront faire le deuil d'une part d'eux-mêmes,
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afin de consacrer la meilleure à ce qui les dépasse et qui n'a rien à voir
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avec une présidence normale et avec des petits bonheurs ordinaires.
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Mais avant d'arriver à cette étape, il faudra beaucoup réfléchir,
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hésiter, douter, lutter et souvent contre soi d'ailleurs.
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Il faut lire ou relire le traité du rebelle ou le recours au forêt d'Ernst Juncker
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pour comprendre combien une retraite, même de courte durée,
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peut élargir notre conception du monde, nous faire admettre l'insignifiance des choses
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et contribuer aussi à forger une volonté de faire.
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De Gaulle aimait se laisser happer par l'obscurité enveloppante des forêts gauloises
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comme celle des Duys, de Clairvaux ou encore de la Chapelle.
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Bismarck plongeait dans la même nostalgie contemplative et écrivait à ce sujet
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"Mes décisions les plus importantes, je les ai prises dans la solitude de la forêt".
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Alors combien de nos politiques contemporains s'imprègnent en profondeur de l'aprôté de tels décors
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avant d'étaler leurs ambitions présidentielles ?
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Pour accéder au trône, il faut avoir une furieuse volonté de faire une incursion remarquée dans l'histoire,
02:58
au risque d'ailleurs d'y laisser des plumes, d'y perdre sa santé et parfois sa famille.
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Certains de nos présidents l'ont durement éprouvé.
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On devrait donc être enclin à les comprendre.
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Mais au lieu de cela, on aura tendance à dénoncer leur prétendue refus d'obstacle.
03:15
Or il me semble qu'au renoncer à être candidat à la présidentielle,
03:18
c'est au fond la véritable marque de courage aujourd'hui.
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Pourquoi François Baroin a-t-il renoncé alors qu'il disposait, et dispose toujours, de nombreux atouts ?
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Sans doute, l'ancien président des maires de France a-t-il privilégié le bonheur de sa famille,
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et en particulier de ses enfants ?
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Est-ce vraiment si terrible ?
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Bien sûr, au-dessus de tout, il y a la France.
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Mais une chose est sûre, le bonheur n'est pas à l'Élysée.
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Jacques Delors a souvent expliqué qu'il a réussi, de son point de vue,
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à relever de nombreux défis pour le pays,
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et à pleinement s'épanouir dans le cadre de différentes missions,
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sans avoir comme prétention de diriger la nation.
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Et aujourd'hui ?
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Qu'en est-il par exemple d'Édouard Philippe ?
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Dans le huis clos de sa conscience, hésite-t-il encore ?
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Et que pense l'ancien Premier ministre de la notion de renoncement ?
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"Je veux être candidat", a-t-il annoncé le 21 mars dernier à Nouméa,
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en référence à ses ambitions nationales ?
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Étrange formulation.
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Il a préféré parler de son désir de candidature,
04:20
posant un énième petit caillou blanc sur le chemin de son annonce à venir.
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En général, les fauves politiques ne prennent pas autant de précautions
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et sautent à pieds joints dans la mare électorale.
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Mais, Édouard Philippe est-il comme les autres ?
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Le passionné de boxe se révèle être un maître de l'esquive.
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Rien ne sert de se dévoiler trop tôt.
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Il sait que les dagues sortiront du fourreau au moment même
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où sa candidature sera définitivement actée.
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Le plus tard Philippe entrera sur le ring, le moins il prendra deux coups.
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Alors simple calcul tactique de sa part,
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ou bien question plus profonde de tempérament ?
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Bien sûr, le maire du Havre vit par et pour la politique depuis des années.
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Mais il sait aussi qu'il y a une vie en dehors.
05:04
Il a d'ailleurs quitté un temps la politique pour le privé,
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lorsque son mentor Alain Juppé fut condamné en 2004
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dans l'affaire dite "des emplois fictifs du RPR".
05:14
Plus que tout autre, il sait donc que la machine peut s'enrayer.
05:18
Lui arrive-t-il alors de penser à ce jour de décembre 94,
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lorsque malgré des sondages flatteurs,
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l'ex-président de la Commission européenne
05:27
a renoncé à la présidentielle lors de l'émission 7/7 ?
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Déçu, un certain nombre de Français lui ont reproché sa décision.
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Et jusqu'à la fin de sa vie,
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on l'interrogera encore et encore sur son renoncement.
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Pourtant, une atrophie d'envie ne devrait pas être appréhendée comme une tare.
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En Occident, le renoncement est perçu comme un recul,
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voire une défaite en race campagne.
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À l'inverse, d'autres cultures nous apprennent à voir les choses différemment.
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Laissez-moi vous conter une courte histoire
05:57
tirée du grand texte sacré hindou, le Bhagavata Gita.
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Une somme magnifique,
06:02
elle-même contenue dans une œuvre colossale, le Mahabhrata.
06:06
Ce grand livre sacré met en scène un terrible conflit
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entre deux tribus d'une même famille.
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Tandis que s'approche le moment fatidique des combats,
06:15
le grand guerrier, Arjuna,
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décide de consulter son cocher, qui n'est autre que le dieu Krishna.
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Arjuna lui expose son dilemme de la façon suivante.
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Son devoir de guerrier le pousse, bien sûr, à se battre,
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quitte à éliminer sa famille et donc tous ses cousins.
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Tandis que son sens de la famille, justement, le retient de commettre l'irréparable.
06:36
Face à pareille situation, Krishna lui enseigne les bienfaits d'une action
06:41
dont la récompense n'est pas immédiate.
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Renoncer pour privilégier une autre manière d'agir et de vivre.
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Eh bien, c'est l'une des leçons, et même des grandes leçons du Mahabhrata.
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Choisir une autre voie n'est donc pas une reculade.
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Mais sans doute, Édouard Philippe estime-t-il déjà
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que tout est réuni pour son accession à l'Élysée en 2027.
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Reste à ne pas commettre la même erreur que Juppé,
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qui a voulu devenir président sans avoir ni l'envie, ni la force de faire campagne.
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Finalement, il aura eu une défaite tranquille.
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Son fidèle lieutenant sait qu'il n'est pas possible de boxer en ne faisant qu'esquiver.
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Quand donnera-t-il alors son premier « hypercute » ?
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On le saura rapidement.
07:23
En attendant, méditons un peu en cette période sur le renoncement,
07:27
le courage et au fond, l'insignifiance des choses.
07:31
Joyeux Spaak à tous !
07:32
[Musique]
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