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Sonia Mabrouk : "Question de dignité"
Le JDD
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25/03/2024
Notre chroniqueuse a toujours été choquée par l'expression « mourir dans la dignité ». Y aurait-il une gradation qui irait du « assez digne » jusqu'au « pas digne du tout » ?
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00:00
La nouvelle a été annoncée avec un grand sourire.
00:02
Le gouvernement est favorable à l'accueil des animaux de compagnie dans les EHPAD.
00:07
Et la ministre en charge des personnes âgées d'ajouter,
00:10
le chat, le chien ou même le canari doivent être autorisés à accompagner les résidents.
00:15
C'est un nouveau droit, a-t-elle, ranchéri ?
00:19
Loin de moi l'idée de minimiser une telle nouvelle,
00:21
car je sais l'importance du lien tissé avec un animal.
00:25
Toutefois, je crains qu'une telle annonce
00:27
ne vienne surtout masquer la terrible solitude de nos aînés.
00:31
On se réjouit qu'ils puissent être désormais entourés
00:33
de l'affection de leurs amis à quatre pattes ou à plumes,
00:36
mais on ne s'indigne pas suffisamment du fait
00:38
qu'ils continuent à vivre l'amour de leurs proches en distanciel,
00:41
et ce, sans le prétexte du Covid.
00:45
Dans l'une de ces structures pour personnes âgées,
00:47
enfoncée dans son fauteuil, la main tremblante posée sur son chien,
00:51
j'imagine un très vieux monsieur réfléchissant à ce que fut sa vie
00:55
et au nouveau droit qui vient de lui être octroyé.
00:58
Le gouvernement a bien sûr raison de se prononcer
01:01
pour l'accueil des animaux de compagnie,
01:03
mais allons-nous aussi faire passer cela pour du progressisme
01:07
ou bien une forme de dignité retrouvée ?
01:09
Tiens, parlons-en justement de la dignité.
01:12
Mourir dans la dignité.
01:14
Cette phrase m'a toujours interpellée, pour ne pas dire choquée.
01:18
Que veut-elle dire en réalité ?
01:19
Et à l'inverse, qu'est-ce qu'une fin d'existence indigne ?
01:23
Bien sûr, la première idée qui nous vient à l'esprit
01:26
renvoie à l'état physique et psychologique dans lequel se trouve le malade.
01:29
La perte de dignité est alors associée à l'image dégradée
01:32
que vous renvoyez à votre entourage et plus largement à la société.
01:37
Mais alors où placer le curseur de la dignité ?
01:39
Y a-t-il une gradation qui est réduite assez digne jusqu'au pas digne du tout
01:45
et qui est apte à juger de ce qui est digne et de ce qui ne l'est pas ou bien ne l'est plus ?
01:50
Tout homme étant digne par nature, quelle que soit sa condition,
01:53
fut-elle terriblement avilissante ?
01:55
N'est-ce pas plutôt notre regard qui est frappé d'une profonde et d'une insolente indécence ?
02:01
La mort est une étape de la vie.
02:02
Nul ne peut décréter de son caractère indigne.
02:05
À dire vrai, tout est inconvenant dans cette rhétorique de la mort dans la dignité.
02:09
Dépendance et dignité vont de pair.
02:12
Alors je conçois parfaitement qu'il est plus facile de l'écrire que de le vivre dans sa chair.
02:17
Toutefois, une civilisation qui se respecte ne peut pas mettre à l'écart
02:21
ce qui est jugé ou perçu comme étant dégradé ou affaibli.
02:26
Fort heureusement, on entend de moins en moins cette rhétorique sur la dignité
02:30
dans le débat actuel autour de la fin de vie.
02:32
Dans ce domaine qui nécessite d'écarter toute facilité ou évidence,
02:36
je suis, comme beaucoup d'entre vous certainement,
02:39
tiraillée entre des raisons diverses et parfois à contraire.
02:43
Que faire quand s'exprime la demande insistante,
02:46
voire supplicatoire de la mort ?
02:48
Un projet de loi sur la fin de vie est à venir,
02:51
avec son lot de tribunes, de débats enflammés et de positions moralisatrices.
02:55
J'aurai l'occasion d'en parler dans une prochaine chronique,
02:58
mais il me semble important et urgent d'insister sur le grand débat occulté,
03:01
celui du très grand âge en relative bonne santé.
03:05
Si la fin de vie est au cœur d'une réflexion collective salutaire,
03:09
le grand vieillissement est quant à lui tout simplement effacé.
03:12
Quelle leçon a-t-on retenue du terrible épisode du Covid,
03:16
lorsque les ébattes ont été en partie transformées en mouroirs ?
03:19
Que dire d'une société qui veut encadrer la mort dans la dignité,
03:23
sans trop se soucier de la grande vieillesse ?
03:26
Les personnes très âgées qui ne souffrent pas de maladies graves
03:29
sont les grandes sacrifiées.
03:31
Si mourir est un droit, qu'en est-il alors de celui de vivre dans la dignité ?
03:35
Dans un Occident à l'individualisme triomphant,
03:38
on ne veut plus voir le grand âge.
03:40
On le cache, on le couvre pudiquement d'un voile,
03:43
pensant y échapper, alors que la médecine ne cesse de réaliser des progrès fulgurants,
03:47
dont il faut bien sûr s'en féliciter.
03:50
Le président de la République a utilisé le mot de "fraternité"
03:54
pour évoquer l'aide à mourir,
03:56
qui n'est en réalité que l'autre nom du suicide assisté et de l'euthanasie.
04:00
Mais que vaut cette fraternité lorsque le grand âge est masqué,
04:03
comme s'il était une tare ?
04:06
Autrefois, il n'y a pas si longtemps,
04:08
la prise en charge des "vieillards", comme on disait,
04:11
était cantonnée à la sphère privée.
04:13
Aujourd'hui, compte tenu de l'explosion du nombre des personnes très âgées,
04:17
le maintien à domicile est devenu l'exception et l'EHPAD la solution.
04:21
Une solution qui institutionnalise de fait la dépendance.
04:25
En effet, la définition même de l'établissement d'hébergement sous-entend
04:29
que la personne est sous la surveillance d'un personnel soignant
04:33
et qu'elle n'est donc plus autonome.
04:35
C'est à partir de ce moment que la confusion s'est installée
04:38
entre grand âge et dépendance.
04:41
Pourquoi sommes-nous incapables de mettre en place
04:43
une véritable culture de la gérontologie ?
04:46
Les experts reconnus dans ce domaine le dénoncent depuis des années.
04:50
Il y a bien entendu beaucoup de personnes très dévouées dans les EHPAD,
04:53
mais la logique de l'argent roi domine souvent.
04:56
Et d'ailleurs, Orpea pourra toujours changer de nom,
05:00
mais pas son logiciel de business à tout prix.
05:04
Comment peut-on avancer sur le débat concernant la fin de vie
05:07
sans avoir suffisamment pensé la finitude et la grande vieillesse ?
05:11
Il y a là quelque chose de particulièrement troublant,
05:13
comme si la mort primait sur la vie.
05:16
Requiem pour une civilisation dans laquelle
05:18
le cordon qui relie les générations est sans cesse rongé.
05:23
La guerre des âges est une guerre d'un autre âge,
05:25
il est vraiment temps d'y remédier.
05:27
Alors de l'autre côté de la Méditerranée,
05:29
c'est une autre conception du grand âge qui prévaut dans les sociétés maghrébines
05:33
et au-delà, dans les sociétés africaines.
05:35
Différents âges cohabitent sous un même toit, aussi petits soient-ils.
05:39
Cette situation est davantage le fruit d'un héritage culturel
05:43
qu'une question de moyens financiers.
05:45
Il ne s'agit aucunement ici, bien sûr, de donner des leçons
05:48
en soulignant une telle différence entre Occident et Orient.
05:51
D'autant que cet héritage du Sud se heurte désormais aux mêmes maux qu'en Europe,
05:55
à savoir à un nihilisme exacerbé et à un matérialisme échevelé.
05:59
Toutefois, persiste encore dans le Sud,
06:02
et c'est important de le souligner,
06:04
un esprit sacrificiel envers les aînés.
06:07
Cet esprit n'est d'ailleurs pas sans rappeler la logique
06:09
qui dominait dans les milieux ruraux, en France, au milieu des années 60.
06:13
Longtemps, chaque étape du vieillissement
06:16
était accompagnée par la solidarité familiale.
06:19
La culture villageoise ou paysanne a constitué d'ailleurs
06:22
un modèle d'entraide ou de continuité générationnelle.
06:25
Et c'est en partie encore le cas dans de nombreux villages français.
06:29
Que ce soit dans les sociétés rurales ou dans les banlieues,
06:32
avec les populations immigrées,
06:34
il y a une forme de honte à avouer que les parents ou grands-parents
06:38
ont été placés en maison de retraite.
06:40
L'épa de nation ne peut pas être l'horizon d'une société.
06:43
Alors bien sûr, chaque collectivité humaine a ses logiques.
06:47
Il faut le comprendre.
06:49
Chaque foyer a ses contraintes, et chaque individu a sa conscience.
06:53
Mais une chose est sûre, avant de penser à mourir dans la dignité,
06:56
pensons à faire vivre nos aînés dans la dignité.
06:59
C'est aussi à cela que se mesure l'humanisme d'une civilisation.
07:02
Là réside la véritable dignité.
07:05
(...)
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