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  • 29/02/2024

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00:00 - Bonjour Dr. Bert. - Bonjour.
00:02 - Pourquoi est-ce que ça fait du bien aux patients de l'hôpital de Cadiac de faire de la radio ?
00:07 - De partager leur quotidien, leur vie, leurs tourments, leurs difficultés, ce qui les a amenés à l'hôpital de Cadiac,
00:15 notamment à être soignés et à être empêchés dans leur vie quotidienne et leur vie citoyenne.
00:21 - Ça a des vertus thérapeutiques, on peut dire ça comme ça ?
00:25 - Je pense oui, pas directement sûrement, mais enfin ça permet de rompre l'isolement,
00:31 rompre les incapacités multiples générées par la maladie mentale, qui est une saloperie.
00:39 - On disait ça donne de la voix aux sans voix, c'est aussi donner de la visibilité à des gens qu'on rend souvent invisibles ?
00:46 - Oui, alors donner une certaine sorte de voix, la voix de la radio entre deux mères,
00:50 c'est une voix qui partage avec les gens, avec les locaux, avec les gens du quotidien,
00:58 parce que souvent la maladie mentale donne de la voix, mais pas dans le bon sens du terme,
01:02 c'est-à-dire qu'on en parle par sa potentielle agressivité, la violence, des tourments sociétaux
01:10 qui sont souvent rapportés à la maladie mentale et qui sont injustement rapportés à la maladie mentale le plus souvent.
01:17 - En lieu de contrôler préjugés là ?
01:18 - Bien sûr, bien sûr.
01:19 - Comment est née cette aventure Dr Bert ?
01:21 - Avec une collègue d'origine argentine qui s'appelle Edith Perez-Lacour,
01:25 qui travaillait dans notre équipe quand j'étais responsable d'un des pôles de psychiatrie adulte à Cadillac,
01:31 qui avait participé à l'expérience argentine de la coliphata, cette fameuse radio,
01:39 pendant des périodes troubles de l'Argentine d'ailleurs, avec un aspect militant qui n'est pas une masse à faire à cette époque là,
01:48 et qui a permis donc à tous ces patients hospitalisés au long cours, ou stabilisés,
01:54 de s'exprimer par différents médias, la radio, mais aussi la danse, la musique,
02:00 et nous nous étions dans une dynamique de psychothérapie institutionnelle à l'époque où je m'occupais du service,
02:07 où non seulement on soignait les gens avec des méthodes classiques, chimiothérapie, psychothérapie, etc.,
02:16 mais aussi une psychothérapie institutionnelle avec l'accès aux activités culturelles,
02:21 on avait un atelier d'expression théâtrale, on avait des ateliers picturaux,
02:26 une équipe d'infirmiers, d'animateurs qui s'occupaient de tout ça,
02:30 et dans cette équipe Edith Perez-Lacour a rencontré un animateur de radio entreteneurs,
02:36 Francis Virpint, qui était quelqu'un de formidable.
02:39 - Qu'on a entendu sur France Bleu Géronde ce matin, et donc qui a porté ce projet avec vous,
02:44 après ça fait dix ans que ça existe, quel regard vous portez sur cette initiative, sur son évolution ?
02:48 - D'une part je suis tout à fait content que ça continue à vivre, parce que c'est pas évident,
02:52 surtout dans l'évolution de la structure psychiatrique publique actuelle,
02:57 dont vous savez qu'elle est un petit peu malade, elle aussi,
03:00 donc voilà je suis tout à fait satisfait que ça puisse continuer,
03:03 que les ateliers continuent à perdurer au sein de l'hôpital,
03:06 mais aussi ça a un petit peu essémé autour de Radio Entre-deux-Mers,
03:09 avec des foyers d'accueil médicalisés, d'autres structures du médico-social,
03:13 qui jouxtent un peu la prise en charge de la maladie mentale,
03:17 et je pense que c'est tout à fait un bon signe, dans le marasme actuel de la psychiatrie publique,
03:24 que ce type d'activité puisse continuer à tenir,
03:27 surtout grâce à des personnes comme Francis, et puis les soignants qui continuent à s'occuper de la structure,
03:33 dans laquelle je ne suis plus bien sûr, étant donné mon grand âge.
03:36 - Vous le disiez tout à l'heure, c'est aussi sortir ces personnes d'une forme d'isolement que leur impose la maladie mentale,
03:41 on a demandé ce matin à nos auditeurs s'ils estimaient qu'il y avait encore des tabous,
03:45 c'était encore un tabou la maladie mentale aujourd'hui en France,
03:48 on va écouter la réponse de Christelle, une bordelaise.
03:52 - Quand on va voir un psy, on ne dit pas "on va voir un psy", on dit "je suis suivi, je vais voir quelqu'un".
03:56 On est dans une société en fait, où on a toujours peur d'être jugé,
03:59 on a peur d'être catalogué comme étant fou,
04:02 et donc on parle facilement de sa vie privée, de sa vie professionnelle,
04:05 mais jamais de la maladie qui peut nous empoisonner la vie.
04:08 - On en a encore là aujourd'hui Dr Berton ?
04:11 - Je pense, incontestablement oui.
04:14 D'abord parce que la maladie mentale reste une énigme pour beaucoup de personnes,
04:18 même si on a des avancées scientifiques.
04:20 - Elle fait peur aussi ?
04:21 - Elle fait peur, c'est à la fois trop proche de nous, c'est notre quotidien,
04:25 c'est une exacerbation de notre vie quotidienne à tous,
04:29 on a tous un petit coin de folie dans notre tête,
04:32 mais qui s'exprime plus largement lorsque la maladie est là,
04:35 les filtres habituels qu'on se construit au fil de notre existence n'ont pas joué leur rôle,
04:40 et ce qui fait qu'effectivement c'est à la fois trop proche de nous,
04:43 et effrayant, parce que ça nous ressemble, parce que c'est nous,
04:46 et parce qu'on est potentiellement capable de faire des actes invraisemblables et insupportables.
04:53 - France Bleu, Girond-Illet, 7h49, on fait la centième de l'émission Pas d'affolement,
04:57 nous voilà sur la radio REM, réalisée par des patients de cadiac,
05:00 on en parle avec le Dr Benoît Bert, Marie Roach.
05:02 - Vous évoquiez il y a quelques instants le marasme de la psychiatrie,
05:06 on dit souvent que c'est le parent pauvre du monde de la santé qui lui-même va assez mal en ce moment,
05:12 vous avez vu la prise en charge se dégrader,
05:15 ou en tout cas les conditions d'accueil des patients se dégrader, Dr Bert ?
05:18 - Oui, j'ai vu toute une histoire de la psychiatrie,
05:21 j'ai eu la chance d'arriver dans ce monde-là en 73,
05:24 à l'hôpital des cadiacs comme fonction interne,
05:26 et puis bon, là c'était un autre monde,
05:28 il y avait des salles communes, il y avait tout un tas de situations
05:32 que heureusement on ne voit plus actuellement,
05:34 et puis bon, petit à petit, il y a eu la possibilité de sortir des murs,
05:38 de mettre en œuvre la politique de sectorisation en psychiatrie
05:41 qui a fait que l'hôpital, l'asile, l'ancien asile, a un peu sorti des murs,
05:45 on a eu des consultations de ces centres médicaux psychologiques,
05:49 des alternatives à l'hospitalisation sous forme d'hôpital de jour,
05:52 d'hôpital de nuit, de CATTP,
05:54 bref, toute une activité ambulatoire qui faisait sortir des murs l'hôpital
05:59 et donc faire évoluer ce fameux tabou autour de la maladie mentale,
06:05 ce qui fait qu'il y a des voisins, des amis, de la famille qui étaient soignés,
06:09 donc au domicile on voyait des infirmiers,
06:12 des personnes prendre en charge la maladie mentale
06:15 qui devenait quelque chose de plus humain, de plus proche,
06:18 mais il n'en reste pas moins que ça reste inquiétant
06:21 qu'on ne connaît pas tout loin de là de la maladie mentale
06:24 et que l'évolution est quelquefois lente, difficile,
06:27 avec des stigmates au quotidien qui sont vraiment délétères.
06:30 - Et vous craignez une forme de retour en arrière avec ce manque de moyens aujourd'hui ?
06:34 - Oui, parce que forcer de constater que la diminution du nombre de lits
06:39 qui s'est accompagnée d'un manque de moyens humains,
06:42 alors que ce sont les moyens humains qui sont l'essentiel du travail en psychiatrie,
06:46 font qu'on n'a plus de possibilité d'enclencher des dispositifs de soins,
06:50 ce qui fait qu'on va au plus simple,
06:53 c'est-à-dire que lorsqu'une personne est agitée, angoissée,
06:57 voire un peu agressive ou violente,
07:00 ce qu'on fait immédiatement c'est qu'on l'isole, on la contient,
07:03 et systématiquement, enfin j'exagère un petit peu,
07:07 mais de façon trop systématique à mon goût,
07:10 on isole les gens, on les contient avant.
07:13 - On les contient, la contention c'est qu'on les attache pour dire les choses ?
07:17 - Oui, clairement, il y a des chambres d'isolement,
07:20 on les contient d'abord dans une chambre, et plus si affinités,
07:23 c'est-à-dire qu'on les contient aussi avec des liens, ça peut arriver,
07:26 et ça arrive malheureusement trop souvent,
07:29 d'ailleurs la personne en charge des lieux de privation de liberté
07:33 a montré du doigt les hôpitaux psychiatriques
07:35 comme étant des lieux où on avait trop recours,
07:38 et trop facilement recours à ce type de soins,
07:41 qui dans des situations de délits aigus
07:45 sont tout à fait légitimes, on ne peut pas occulter ça,
07:49 mais c'est un système trop systématique.
07:52 - Est-ce que ça veut dire, Dr Berthe, que les psychiatres qui ont pris votre relais,
07:55 notamment à l'hôpital de Cadiac,
07:56 ils pourraient aujourd'hui mener le genre d'initiative
07:58 qu'est cette émission de radio "Pas d'affolement, nous voilà" sur REM ?
08:02 - Dans l'absolu, c'est tout à fait possible,
08:04 ça dépend de l'accompagnement qu'ils ont de l'administration,
08:07 et là, le rapport de force entre guillemets
08:10 dans les institutions psychiatriques
08:13 est clairement en faveur de l'administration,
08:15 et encore d'une certaine administration, celle qui compte,
08:18 pas celle qui accompagne des projets,
08:20 ce n'est pas toute l'administration.
08:22 Mais ce serait possible,
08:24 et d'ailleurs certains jeunes collègues sont tout à fait dans cette dynamique-là,
08:27 et les activités culturelles perdurent à l'hôpital, c'est heureux,
08:31 la radio en est un exemple, mais il n'y a pas que ça,
08:34 il y a aussi Persona, des groupes comme ça de théâtre, de la danse,
08:38 enfin tout un tas de façons d'exprimer,
08:41 de sortir du quotidien et de marquer que la maladie mentale
08:44 impacte certes le quotidien,
08:46 mais n'aubère pas les capacités de chaque individu
08:49 qui est malheureusement soumis à la maladie,
08:52 qui encore une fois est une chose terrible.

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