Les urgences et le SMUR de Vienne en crise. D'où vient le problème ?
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00:00 On parle avec notre invité, avec vous Laurent Gaglian.
00:02 Didier Leger, bonjour.
00:03 Bonjour.
00:04 Vous êtes médecin, vice-président du Conseil de l'Ordre des médecins de l'ISER, président
00:08 du syndicat des médecins de notre département.
00:11 On vous a fait venir pour nous éclairer sur la manière dont tout ça fonctionne et les
00:15 solutions peut-être qu'on peut trouver.
00:16 Avant ça, on va refaire un point.
00:19 Sur ce SMUR, deviennent le SMUR, ce sont ces ambulances qui viennent secourir quand il
00:22 y a un accident grave.
00:23 Ce sont ces véhicules blancs, plus souvent jaunes désormais aussi, qui interviennent.
00:27 On peut dire que sur ce secteur de Vienne, de l'hôpital Lucien Mucelle de Vienne, il
00:31 n'y a plus ce genre de secours.
00:33 Ça peut être dramatique.
00:35 Écoutez ce qu'on dit.
00:36 Véronique, elle est infirmière à l'hôpital Lucien Mucelle de Vienne et elle habite une
00:39 petite commune au sud de Vienne.
00:40 Il y a un an, il y avait une course de vélo dans notre commune.
00:44 Il y a un monsieur de 42 ans qui a fait un arrêt cardiaque.
00:47 Le SMUR n'aurait pas été là.
00:48 Il n'aurait jamais été récupéré.
00:49 On l'a récupéré.
00:50 Il est vivant aujourd'hui grâce au SMUR.
00:52 Donc sans le SMUR, il y a une perte de chance évidente pour certaines personnes.
00:56 - Didier Loger, elle noircit le tableau ?
00:59 - Non, elle ne noircit pas le tableau.
01:01 Clairement, aujourd'hui, chacun d'entre nous trouve cette table.
01:04 Si demain fait un malaise, on a le SMUR ou le SAMU qui débarquent souvent en moins de
01:07 dix minutes.
01:08 Et sur tout le territoire national, c'est une chance incroyable, que ce soit avec des
01:12 véhicules routiers ou des hélicoptères.
01:14 On bénéficie d'une assistance en cas de mise en danger qui est exceptionnelle en France.
01:19 Donc elle a raison.
01:20 Elle a fait raison.
01:21 - La crise au SMUR de l'hôpital Lucien Mucelle de Vienne, c'est la crise des urgences de
01:25 l'hôpital.
01:26 Dans son entier, il manque des médecins.
01:28 C'est pour ça que le SMUR ne peut plus bouger du côté de l'hôpital Lucien Mucelle de
01:33 Vienne.
01:34 Pourquoi est-ce qu'on ne trouve plus de médecins ?
01:36 - Alors, on ne manque pas que de médecins.
01:37 On manque de médecins, on manque d'infirmières et on manque de moyens dans un certain nombre
01:40 de domaines.
01:41 D'abord parce que les conditions de travail, les conditions de rémunération, on est en
01:45 retard de 40 ans.
01:46 Aujourd'hui, nos collègues hospitaliers vont gagner 3 000, 3 500 euros par mois.
01:50 Nos infirmières vont gagner 1 400 euros par mois, soit un peu moins que le SMIG.
01:54 Et aujourd'hui, on ne trouve plus de personnel et les conditions de travail en particulier
01:58 en nuit profonde, la nuit, sont telles que les médecins ou les infirmières démissionnent.
02:02 - Il y a eu des améliorations tout de même concernant les rémunérations, concernant
02:06 aussi peut-être les conditions de travail ?
02:08 - Les conditions de travail, non, elles sont catastrophiques.
02:10 On manque de moyens matériels, on manque de moyens humains et les conditions de travail
02:13 sont épuisantes.
02:14 Et les collègues qui font des nuits, que ce soit en libéral ou que ce soit à l'hôpital
02:17 public, en ont assez.
02:19 Alors la crise, elle est plus complexe que ce qu'on peut dire.
02:23 D'abord, c'est parce qu'il y a le papy boom qui vient d'arriver, c'est-à-dire qu'on
02:26 a quatre fois, cinq fois plus de patients à soigner avec les mêmes équipes et les
02:29 mêmes moyens.
02:30 Deuxièmement, on a 8 000 départs en retraite de médecins chaque année qui n'ont jamais
02:35 été anticipés.
02:36 On avait demandé à Jacques Barraud en 97 de reaugmenter le numéro de scolosus, il
02:39 a refusé.
02:40 Donc on est resté en manque de médecins chroniques.
02:43 Et puis la nouvelle génération de médecins et d'infirmières et de soignants ne veut
02:46 pas travailler cinq ans, 60 heures par semaine.
02:49 Ils veulent des conditions de vie normales.
02:50 Et je termine en disant que quand un médecin travaille la nuit, il est payé entre 3 euros
02:54 et 20 euros de l'heure.
02:55 Quand il est opérationnel, nos infirmières, elles gagnent un euro de plus.
02:58 Donc ce gouvernement est celui qui a fait le plus depuis 30 ans, mais il arrive trop
03:01 tard avec des conditions de travail et de rémunération qu'aucun d'entre nous n'accepterait.
03:06 Et c'est le début de la crise.
03:07 Il y a la crise de l'hôpital, il va y avoir la crise des pompiers, la crise de la sécurité
03:10 civile avec les gendarmes et la police qui souffrent aussi énormément.
03:13 Je reviens sur le numéro de scolosus, il a été revu tout de même.
03:16 Est-ce qu'on a l'espoir d'une solution à moyen terme ? Quand je dis à moyen terme,
03:20 c'est il faut 10 ans pour former un médecin.
03:21 La solution à moyen terme choisie par toutes les zones politiques depuis 20 ans, c'est
03:24 de recruter des médecins à diplôme extra à l'Union européenne.
03:26 Et c'est le projet de loi de M.
03:28 Valtou qui arrive au Sénat prochainement.
03:30 Et la solution, c'est de recruter des médecins qui viennent d'ailleurs, en mettant en difficulté
03:34 les services de santé émergents des autres pays et en faisant dire aux médecins, pour
03:37 terminer, la formation d'un médecin et d'un chirurgien, c'est 15 ans d'études.
03:41 Donc quand une décision prise est la réalité, il faut 15 ans.
03:44 On va revenir là-dessus et notamment les solutions possibles pour faire face à cette
03:48 crise des urgences et particulièrement du summent de viande.
03:50 Mais vous pouvez nous appeler, nous donner votre témoignage.
03:53 Est-ce que vous craignez tout simplement pour votre santé avec cette espèce de déliquescence,
03:57 on a l'impression, du système de santé publique ?
03:59 04 76 46 45 45, vous avez la parole ce matin.
04:03 Didier, vous l'avez dit, faire venir des médecins de l'étranger, extra à l'Union
04:07 européenne ou même intra-Union européenne, pour vous, ce n'est pas forcément une solution ?
04:11 Intra-Union européenne, ça ne fonctionne pas puisque la France est parmi les pays
04:14 qui rémunèrent le moins bien les médecins.
04:16 Donc ils ne viennent pas des autres pays européens.
04:18 Et quand ça fait venir des médecins du reste du monde, c'est dégueulasse.
04:21 Parce que d'abord, quand vous faites venir des médecins du reste du monde, ça veut
04:24 dire qu'ils quittent leur pays et que les populations de leur pays n'ont plus accès
04:26 à leurs médecins.
04:27 Donc on décapite les systèmes de santé.
04:29 Et deuxièmement, quand ils arrivent en France, ils ont parfois deux ans, trois ans, cinq
04:32 ans de formation en moins que la nôtre.
04:34 Et donc il faut les remettre à niveau.
04:36 Et il n'y a rien de prévu universitaire pour les former et les aider à se mettre
04:39 à niveau.
04:40 Et puis enfin, ça permet surtout de maintenir à l'hôpital public ou en libéral, mais
04:43 surtout à l'hôpital public, des conditions de rémunération et de travail qui sont indécentes.
04:46 Mais comme ce sont des médecins extra-unions européennes, ils viennent chercher chez nous
04:50 l'espoir d'une vie meilleure.
04:51 - Alors ça n'est pas forcément une solution à court terme.
04:54 Il faut du temps pour former des médecins.
04:55 Il faut beaucoup d'argent pour les payer mieux.
04:57 Là, dans l'immédiat, pour le SMURDV, qu'est-ce qu'on fait ? Il faut réquisitionner des médecins.
05:02 C'est ce que laissait entendre Thierry Kovacs, le maire de Vienne, ce matin sur notre antenne.
05:06 Des médecins d'autres hôpitaux, de cliniques privées, de villes ?
05:10 - Alors, les solutions immédiates, la réquisition des médecins libéraux, comme le propose
05:14 le maire de Vienne, il fait le bain dans l'oeil.
05:15 C'est-à-dire qu'il n'est pas question que les médecins libéraux retournent à l'hôpital
05:18 public faire des gardes payés à 20 euros de l'heure.
05:20 Et ce n'est pas tellement la rémunération, c'est la fatigue.
05:23 C'est-à-dire que moi, j'ai 56 ans, on se retrouve à faire 10 nuits blanches d'affilée
05:26 quand il faut s'occuper de la sécurité des Français.
05:29 Et aujourd'hui, les médecins libéraux, qui sont déjà saturés, ne retourneront pas
05:32 faire du SMURDV.
05:33 Et enfin, le SMURDV, à la différence d'un certain nombre d'autres services, il faut
05:38 vraiment se spécialiser aux urgences.
05:39 Je n'imagine pas demain, des médecins libéraux qui n'ont plus fait d'urgence, de retourner
05:43 dans des ambulances, faire de l'arrêt cardiaque ou de la réanimation bébé.
05:46 - C'est une spécialité à part entière.
05:47 - C'est une spécialité à part entière.
05:48 Vous ne les trouverez pas du jour au lendemain.
05:50 Mais il fallait réfléchir avant.
05:51 Quand on a annoncé depuis les années 2000 qu'on allait vers une crise sanitaire en 2025,
05:56 personne n'a réagi.
05:57 Et aujourd'hui, on réagit avec rien du tout.
06:01 Il y a eu des moyens donnés par ce gouvernement.
06:04 Il y a eu le Ségur.
06:05 On n'a jamais augmenté autant les médecins que ce gouvernement.
06:07 Mais il arrive trop tard.
06:08 - Des réactions peut-être du côté de Facebook et des réseaux sociaux, Suzy Quepellet ?
06:13 - Tout à fait, Laurent.
06:14 Alors des deux camps, des deux côtés, on va dire.
06:17 D'abord du côté des patients.
06:18 On a Christian Augrand-Lens qui nous dit qu'il a été hospitalisé plusieurs fois, lui,
06:23 à l'hôpital de Grenoble et qu'effectivement, il s'est rendu compte que les moyens n'étaient
06:27 absolument pas à la hauteur.
06:29 Et puis on a Marie qui témoigne aussi ce matin sur la page Facebook de France Bleu Isère.
06:34 Elle, elle était infirmière libérale.
06:36 Elle parle des difficultés, notamment à l'hôpital de Bourgoin-Jalieu aux urgences.
06:41 Et elle dit que pour prendre sa retraite, elle a dû décaler son départ de neuf mois
06:46 avant de trouver une remplaçante ou un remplaçant sur sa zone.
06:50 - Alors des témoignages effectivement qui ne viennent pas que de Vienne.
06:52 Le SMUR de Bourgoin-Jalieu, les urgences de Bourgoin sont aussi en situation tendue.
06:56 Celles de Grenoble n'ont pas de gras.
06:57 On fait quoi ?
06:58 - Et un plan blanc dans l'Est de la France.
07:01 - Oui parce qu'il y a d'autres régions, d'autres SMUR en France ont été fermées aussi régulièrement.
07:05 - Oui et puis la région de Grand-Est, surtout avec des soignants qui vont travailler au
07:08 Luxembourg en Allemagne, ils sont mieux payés.
07:09 Eh bien, il va falloir trouver des dizaines de milliards pour remettre le système à
07:13 flot.
07:14 Nos infirmières aujourd'hui, on en perd 30 à 40% à la fin des études qui vont faire
07:18 autre chose.
07:19 Rendez compte que nos infirmières, elles gagnent 1400 euros par mois, c'est-à-dire le SMIG.
07:22 Et quand elles faisaient des nuits blanches la nuit, elles avaient un euro de plus de
07:25 majoration de nuit.
07:26 Donc pour construire une vie familiale, quand en plus vous retrouvez à faire 3 gardes,
07:30 4 gardes, 5 gardes par mois, c'est impossible.
07:32 Donc aujourd'hui, nos jeunes collègues, ils ne veulent pas mettre en danger leur vie
07:35 personnelle.
07:36 - Est-ce qu'il faut réorganiser le système aussi ? Je prends l'exemple, je crois que
07:40 c'est le Danemark qui a mis en place une sorte de 15 bis qui fait qu'on concentre les urgences
07:45 sur les urgences et puis qu'on détache vraiment les grosses urgences du reste.
07:49 - Oui, il faut réorganiser ce qu'on a désorganisé.
07:52 Dans le département de l'Isère, il y avait 70 secteurs de garde au début des années
07:56 2000.
07:57 L'ARS, il a quasiment tous fermé.
07:59 Aujourd'hui, il y en a moins d'une trentaine.
08:00 Et quand on a fermé un système qu'on a mis 50 ans à construire, il faut le réorganiser
08:04 et le reconstruire.
08:05 Mais il faut mettre des moyens financiers.
08:06 Quand nous, un chirurgien, on va sonder un malade la nuit, on est payé 14 euros bruts,
08:10 soit 3 euros de pouvoir d'achat en plus.
08:12 Quand un gynéco fait une césarienne, c'est 380 euros bruts, soit 100 euros dans sa poche.
08:16 Quand on fait un cancer de testicule, c'est 90 euros, soit 30 euros dans nos poches.
08:20 Tous les tarifs sont indécents depuis des années.
08:22 Donc aujourd'hui, les gens sont partis.
08:24 On a proposé que les médecins libéraux qui partent en retraite aujourd'hui puissent
08:28 rester au travail.
08:29 Ils continuent à cotiser.
08:31 La retraite d'un médecin, aujourd'hui, c'est 67 ans, voire 69 ans.
08:35 Donc nos médecins sont fatigués, épuisés.
08:37 Il faut revoir le système.
08:38 Il faut pouvoir déléguer.
08:39 En particulier aux infirmières.
08:40 Encore faut-il payer correctement nos infirmières, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
08:43 - Didier Leger, on a une réaction au téléphone.
08:46 On a Frédéric qui nous appelle de Vienne.
08:48 Bonjour Frédéric.
08:49 - Bonjour, attendez, je vais juste couper du coup.
08:53 - S'il vous plaît.
08:54 Qu'est-ce que vous souhaitez nous dire et sur quel thème souhaitez-vous intervenir
09:00 plus particulièrement ?
09:01 - Je voulais apporter un témoignage sur la situation des médecins de l'hôpital de
09:04 Vienne.
09:05 Je crois que vous êtes avec quelqu'un du conseil de l'ordre.
09:07 - Tout à fait.
09:08 - On parle de la situation du SMUR.
09:09 Je crois que la situation à l'hôpital de Vienne s'est vraiment dégradée depuis un
09:12 an, notamment avec le problème des HCL, des hôpitaux civils de Lyon.
09:17 Et certaines suspensions contre des médecins qui ont été faites par la direction de l'hôpital
09:21 de Vienne, des suspensions qui n'ont pas été suivies par le conseil de l'ordre, se sont
09:26 passées en conseil de discipline aussi.
09:28 Dire qu'il y a aussi une responsabilité probablement de la direction de Vienne que
09:32 la situation nationale explique des choses, mais aussi une responsabilité locale.
09:36 - Vous voulez dire une particularité locale qui fait que ça a accentué la crise.
09:39 C'est ça que vous voulez dire Frédéric ?
09:41 C'est très pointu ce que vous êtes en train de nous dire.
09:44 L'organisation territoriale des soins, ce n'est pas forcément quelque chose que tous
09:48 les patients connaissent tout simplement.
09:49 Il y a des grandes régions, pour faire un peu plus simple, et des plus petites régions,
09:52 des plus petits secteurs hospitaliers à l'intérieur de ces grandes régions.
09:56 Le lien avec Lyon, Didier Logès, ça peut être une cause de problème, ça peut être
10:01 aussi une chance peut-être, la proximité lyonnaise pour Vienne ?
10:04 - C'est certain que la proximité des grands centres hospitaliers, que ce soit Grenoble,
10:09 Lyon, parfois Marseille, Paris, autres, ça peut aider à accéder à des plateaux techniques
10:12 de très grande qualité.
10:13 Mais il ne faut pas se leurrer, l'intégralité du système de santé français est en train
10:18 de craquer.
10:19 - On va rester là-dessus.
10:20 Merci Didier Logès d'être venu ce matin nous éclairer sur la situation hospitalière
10:25 et votre opinion, votre regard là-dessus.
10:27 On va remercier toutes celles et ceux qui sont intervenus sur l'antenne ce matin.
10:31 - Merci Frédéric, merci pour vos messages également.
10:33 Vous retrouvez cet entretien sur francebleu.fr
10:35 [Musique]