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  • 09/06/2023
Le 5 juin 1983, Yannick Noah remporte Roland-Garros. Sur la terre battue, il est toujours aujourd'hui le dernier vainqueur français de ce tournoi du Grand Chelem. Dans le podcast "Yannick Noah, entre vous et moi", il raconte au micro de Jacques Vendroux pour Europe 1 tout sur la préparation avant le tournoi, ses différentes victoires jusqu'à la finale. Et les mois qui ont suivi, entre sentiment d'accomplissement et doutes.
Production Podcast : Europe 1 Studio
Montage : Thomas Bourgeois-Muller.

Catégorie

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Sport
Transcription
00:00 J'ai grandi dans une culture d'arriver en demi-finale, c'est pas mal.
00:06 Je suis en 82. Je crois que j'ai perdu en quart de finale cette année-là.
00:11 On a perdu en finale de la Coupe Davis. C'est déjà pas mal.
00:24 L'année suivante, en 1983, Yannick Noah arrive à Paris avec un seul objectif, gagner Roland-Garros.
00:32 Il se prépare dans le plus grand secret avec son entraîneur Patrice Agelauer, à Melun, au Club de la Rochette.
00:39 Bienvenue dans le podcast Yannick Noah, entre vous et moi.
00:44 Entre vous et moi !
00:46 Un podcast européen, une saga exceptionnelle en 10 épisodes.
00:50 Salut à tous, nous sommes à Etoudi, dans le lieu dit Village Noah.
00:55 Épisode 6, Roland-Garros à la conquête du Graal.
01:01 Là où j'ai vraiment réalisé, où ça a tout résumé le sentiment que j'étais,
01:07 c'est qu'on joue en quart de finale contre la Tchécoslovaquie à Roland-Garros en 82.
01:12 Et la Tchécoslovaquie, c'est très fort. Il y a Thomas Schmid, Pavel Slozil en double,
01:17 Ivan Lendl, on joue à Roland-Garros.
01:20 C'était une des premières fois qu'on jouait un gros match au central de Coupe Davis.
01:24 On joue le vendredi, mais le jeudi, il y a la demi-finale de la Coupe du Monde.
01:31 Et on perd un match imperdable.
01:35 Imperdable !
01:39 Contre les Allemands, au Main3, on est plus forts qu'eux !
01:46 Ils nous font des trucs à la tête, je te blesse et machin, et on perd !
01:50 Et le lendemain, je ne te parle pas de perdre, on peut perdre.
01:54 Le lendemain, l'équipe qui est la Bible, on lit l'équipe tous les jours.
02:01 Le lendemain de la défaite, c'est marqué, formidable ou extraordinaire, un truc comme ça.
02:08 En gros, c'était extraordinaire.
02:11 Et là, ça a coupé un truc en moi par rapport à la vision de l'entourage du sport français.
02:20 Et moi, j'ai dit non, alors moi, je ne suis pas formidable si je perds en demi.
02:26 Et je vais lutter contre ces gens-là.
02:28 En 1983, je pensais que je pouvais gagner.
02:35 Je pensais que c'était possible.
02:37 Je pensais que je faisais partie des deux-trois qui pouvaient gagner.
02:40 En 1982, je fais partie des dix.
02:42 Avant, je ne t'en parle pas.
02:44 Mais là, je me dis que c'est possible.
02:46 Et moi, j'ai un mec à côté de moi qui s'appelle Patrice Agerweer.
02:51 Et on est dans une osmose tous les deux humaine qui m'entraîne depuis quelques années.
03:00 Et là, on se dit qu'on peut le faire.
03:05 On peut le faire, le truc.
03:07 On va essayer.
03:08 Mais on va essayer en se disant on essaye un truc, mais pour aller chercher le Graal.
03:14 Ce n'est pas un tournoi comme un autre.
03:18 On a tous fait des stages à Roland.
03:20 J'ai fait champion de France minime.
03:22 J'ai gagné mon premier titre en France, champion de France mid à Roland.
03:26 Je connais Grignard.
03:28 Grignard, tu ne connais pas Grignard ?
03:30 Grignard, le jardinier.
03:33 Je connais le jardinier de Roland, moi.
03:35 Je connais ses enfants.
03:36 Je connais Titi, moi, son fils.
03:38 Je connais Mabrouk, le couscous avec Mabrouk le vendredi quand on ne savait pas quoi bouffer.
03:43 Mais par-dessus tout ce côté affectif du lieu, le truc à chaque fois, on va nous voir les matchs et on paume.
03:52 On ne gagne jamais.
03:54 On n'a pas le truc dans la salle des trophées, dans les photos, dans les vestiaires, dans nos salles d'entraînement.
04:02 D'un des nôtres qui a le trophée de Roland.
04:06 Et nous, on se dit, on va le faire nous, ça.
04:09 Et quand on joue à Roland, on est porté par ce truc-là.
04:20 On va gagner, mais...
04:22 Parce qu'à la fin, qu'est-ce qui te porte ?
04:25 Bien sûr, tu es seul à la rochette.
04:27 Mais tu te dis, mais putain, si on gagne...
04:30 Mais ça va être le feu !
04:32 Mais ça va être...
04:34 Mais ils vont tous mourir de joie !
04:40 Et on peut faire ça.
04:42 Je vais être celui-là.
04:44 Je vais être celui-là.
04:45 Je rêve de ça.
04:47 On s'est donc fixé cet objectif.
04:50 Voilà, c'est trois mois.
04:54 Pendant trois mois, c'est tous les jours, il va y avoir une étape pour y arriver.
04:59 On a fait un mois et demi à Monte-Carlo.
05:02 J'ai merdé.
05:03 Je suis sorti la veille d'un match que je pensais facile.
05:06 J'ai voulu me faire une petite dernière sortie vite fait.
05:09 J'ai foiré, complet.
05:12 Bien dans ma gueule.
05:13 Là, je me suis bien pris un coup dans la gueule.
05:15 Je me suis pris un savon par Agel.
05:18 On est reparti.
05:19 Deux plus belles.
05:20 C'est-à-dire que la marche que j'ai ratée, celle d'après, je l'ai sauté trois par trois.
05:25 J'allais faire des matchs et j'allais courir 10 bornes après les matchs.
05:28 C'est-à-dire que là, non.
05:29 Alors là, je veux dire un truc, je mets tout.
05:32 Donc, on sait ce qu'on doit faire pour arriver à Roland à 100%.
05:39 Pas 95.
05:41 95, c'est final.
05:43 Ou demi.
05:44 Ou non, 95, je perds en quart.
05:46 Non, c'est 100%.
05:48 Au cours de la conférence de presse qui a suivi le tirage au sort,
05:54 un confrère américain lui a posé une question.
05:57 « Qu'est-ce qui vous fait peur chez Yannick Noah ? »
05:59 Réponse de McEnroe, sa nouvelle coiffure.
06:02 Les poignets Rasta, je les ai mis à la finale à Coups-Dévis.
06:04 Et la première fois que j'ai mis ça, c'était à Aix-en-Provence contre la Nouvelle-Zélande.
06:08 En demi-finale.
06:09 Ça faisait longtemps qu'on n'était pas arrivé en demi-finale.
06:11 La Nouvelle-Zélande sur Terre-Batouche, on allait les massacrer, c'était sûr.
06:15 Mais une semaine avant, ma soeur se marie avec Patrick Proisi.
06:19 Et donc, comme je suis témoin et que le mariage se passe chez moi,
06:25 je me dis, dans mon esprit de gamin de 22 ans,
06:28 « Ah, il est machin ! »
06:30 Je dis, « C'est la blague. »
06:31 Déjà, mettre un costard, pour moi, c'était un projet.
06:34 Donc, tant qu'à mettre un costard, je vais me déguiser.
06:36 Je vais rue Saint-Mort à Belleville,
06:38 et je vais me faire mettre des fausses Rasta, des dreads,
06:41 des trucs en laine, en fait.
06:43 Et je mets ça, je mets ma chaise, des fausses lunettes de vue,
06:46 et je me fais un espèce de look complètement farfelu,
06:49 où j'ai un costard, des lunettes et des dreadlocks.
06:52 Ils se marient le dimanche, sauf que moi, le lendemain matin,
06:55 je pars au rassemblement de l'équipe de France,
06:58 mais pour enlever le bordel, ça prend du temps, j'ai pas le temps.
07:01 Donc, j'arrive à l'aéroport comme ça,
07:04 et j'arrive à l'entraînement, j'ai toujours pas le temps,
07:06 mais je m'entraîne.
07:07 Et le lendemain, je vois, je sais plus, dans la Provence,
07:11 Yannick Noah s'est fait une coiffure.
07:15 Bon, alors, il connaissait pas, les dreadlocks,
07:17 ils ont appelé ça une coiffure Rasta.
07:19 Une coiffure Rasta, pour rappeler ses origines africaines.
07:24 J'ai dit, ah ben tiens, ça, j'aime bien le plan.
07:26 Ça, je trouve ça très marrant,
07:28 d'autant plus qu'à côté de l'hôtel où on était,
07:30 il y avait un espèce de Rasta-quere, et ils vendaient des poignets.
07:33 Et je dis, attends, je vais aller plus loin,
07:35 je vais me déguiser en Bob Marley pour la demi-finale.
07:39 Et c'est parti de là.
07:41 Buffalo soldier, dreadlock Rasta,
07:48 Buffalo soldier, in the heart of America,
07:56 Stolen from Africa, brought to America.
08:05 Pour la première fois, je me suis dit, putain, j'ai un look.
08:08 J'ai un look, à moi en plus.
08:10 Et c'est parti de là, j'ai fait la demi-finale,
08:13 on a fait la finale, et j'ai gardé ça jusqu'à Roland,
08:16 où c'était devenu mon look.
08:18 To me it makes a lot of sense,
08:22 Half a dreadlock Rasta,
08:26 Was a Buffalo soldier.
08:29 Pour gagner un tournoi du Grand Chlem,
08:31 il faut gagner 7 matchs sur 15 jours, en 5-7.
08:38 Tu joues un jour sur deux.
08:39 Des fois, il pleut, et ça, c'est un peu emmerdant,
08:43 parce que pour peu que tu aies fait un long match,
08:45 tu peux jouer deux matchs de suite en 5-7.
08:48 Physiquement, c'est lourd.
08:51 L'idée, quand tu commences un tournoi du Grand Chlem,
08:53 avec l'ambition qu'on avait avec Patrice à ce moment-là,
08:56 à un jour du tournoi, on a vu le tirage au sort,
08:59 on va pas dire on va gagner les matchs facilement,
09:01 mais en tout cas, on reste concentré,
09:05 quelle que soit l'évolution du match,
09:08 pour essayer de jouer rapidement.
09:12 Le premier tour, je joue Ander Jarrys.
09:15 Ander Jarrys, bon joueur.
09:17 Plutôt bon joueur de double, mais un joueur qui peut être dangereux.
09:20 Je suis en forme, à ce moment-là,
09:23 il n'a pas forcément des très bons résultats.
09:25 Je joue sur le 1, l'époque, le cours qui a disparu depuis.
09:31 C'est devenu un jardin.
09:33 J'aimais bien jouer au jardin,
09:35 mais je ne jouais pas au jardin.
09:37 Le cours qui a disparu depuis, c'est devenu un jardin.
09:41 J'aimais bien le 1, moi, parce que le 1,
09:43 quand tu passais avenue Suzanne Lengley,
09:45 ils avaient mis tout autour du 1, le palmarès.
09:48 Et il se trouve que 83, c'était marqué "Chris Evert, Yannick Noah".
09:53 Donc quand je passais, de temps en temps,
09:55 pour aller voir Charvet ou aller au Parc des Princes,
09:57 j'aimais bien voir mon nom, tu sais, c'est bizarre.
10:01 Je pense que je ne suis pas passé une fois sans regarder si j'étais toujours là.
10:04 Tu ne vois pas qu'il y a un enfoiré qui m'ait effacé.
10:06 Non, non, j'étais toujours là.
10:08 C'était sur la rue, en fait.
10:10 Donc je joue Ander Jarid sur le cours,
10:12 et je gagne très facilement.
10:14 Un match facile.
10:16 Je joue bien, je suis en forme,
10:18 mais il fait un non-match.
10:20 Match facile.
10:22 Deuxième tour, je joue Victor Pecci.
10:30 Victor Pecci, là, c'est un match un peu particulier,
10:33 parce que Victor Pecci, n'oublie pas que là,
10:35 moi, j'ai un look de rockstar,
10:37 que j'ai fait Marity et Gilbert Carpentier
10:41 quelques mois avant,
10:43 où là, je suis en mode chanteur.
10:45 Donc là, ce truc-là me donne
10:48 une confiance en moi, un peu rockstar.
10:52 Et dans l'univers du tennis,
10:54 où ils sont tous un peu clean-cut,
10:56 des tenues blanches, parfaits, nickels,
11:00 j'aime bien avoir cette place du métissé,
11:04 rasta, queer, avec mon truc,
11:06 j'avais un bon look.
11:08 Le problème, c'est que Pecci,
11:10 c'était le playboy du moment.
11:12 Pecci, quand il arrive en finale de Roland-Garros,
11:17 je ne pense pas qu'il y a une meuf en France
11:20 qui n'a pas envie de se le pécho.
11:22 Et donc moi, je joue contre Pecci.
11:24 Donc moi, il prend un peu cet espace
11:27 quand on rentre sur le cours,
11:29 mais ce n'est pas le joueur qu'il était.
11:31 Je fais un bon match et je gagne,
11:33 je crois, en 3-7.
11:35 Le match d'après,
11:44 je joue contre Pat Dupré.
11:46 Pat Dupré débarque sur le cours,
11:48 un Américain, pas bon joueur,
11:51 mais un gars qui a plutôt un bon stratège.
11:55 Il ne jouait pas bien, mais il faisait mal jouer.
11:57 Et ça, pas raté.
11:59 Il me fait mal jouer et je gagne un match en 3-7,
12:02 mais un match qui aurait pu vraiment mal tourner.
12:06 Mais ce qui m'énerve en plus,
12:08 c'est que moi, j'étais très content de ma tenue du coq sportif.
12:11 On peut faire de la pub.
12:13 Parce qu'elle était belle, cette tenue.
12:16 C'était tout blanc avec le haut jaune.
12:18 Ça pouvait être le haut rouge.
12:20 Et là, j'avais décidé de mettre le haut jaune.
12:22 Et Dupré met la même que moi.
12:24 Il met la même tenue que moi.
12:26 Et je veux le côté, c'est moi le plus beau.
12:28 Déjà, il m'a cassé le truc parce qu'il avait la même tenue.
12:31 Mais je gagne ce match difficile.
12:33 Après, je joue John Alexander.
12:35 Et là, je gagne facilement.
12:37 Il a un bon jeu.
12:38 Je ne sais pas comment il arrive jusqu'en huitième.
12:40 Il a dû faire des bons matchs.
12:42 Mais ce n'est pas un joueur de terre battue.
12:44 Il est assez lent.
12:46 Et je me régale.
12:48 Et donc, je passe la première semaine
12:50 où je n'ai pas perdu de 7.
12:52 Donc, ça, c'est bien.
12:53 Je suis frais.
12:54 Je ne suis pas puisé dans mes ressources physiques.
12:57 Et là, je fais mon premier gros test.
12:59 Je joue Lendl en quart.
13:01 C'est à la campagne dans l'Essonne,
13:03 près de Millie-la-Forêt,
13:04 en compagnie de quelques amis
13:06 et de sa jeune fiancée américaine
13:08 que Yannick Noah a préparé son quart de finale.
13:11 Il a beaucoup dormi
13:12 afin d'emmagasiner des forces et de se détendre.
13:15 À son programme, seulement deux heures d'entraînement en dilettante
13:18 avec son entraîneur Patrice Agellewer.
13:20 Lendl, on se connaît depuis qu'on a 14 ans.
13:23 Pour battre Yvan Lendl,
13:24 Yannick Noah doit faire le compte de ses qualités.
13:27 Ses qualités, c'est d'être aussi bien physiquement qu'en première semaine,
13:31 aussi serein et aussi confiant qu'en première semaine,
13:34 mais également mieux servir qu'il ne l'a fait en première semaine.
13:38 Il était numéro 1 en Europe, j'étais numéro 2.
13:40 Des fois, j'étais numéro 1, il était numéro 2.
13:42 C'était, voilà, Lendl à l'époque, 83, c'est le joueur.
13:47 Je devrais être comme Lendl
13:49 parce que lui, il est sérieux et moi, je suis un guignol.
13:52 Donc c'est la France, mais ça m'énerve.
13:55 Et à ce moment-là, c'est plutôt bien de m'énerver
13:58 parce que ce problème devient mon opportunité,
14:00 parce que ça me motive et j'aimais beaucoup jouer Lendl.
14:03 Pour cette raison, j'avais rien de particulier contre lui,
14:06 sauf qu'il y avait cette espèce de truc créé,
14:09 comme quoi lui, c'est le mec parfait et moi, je suis le guignol.
14:14 Enfin, pas le guignol des boîtes de nuit.
14:16 En boîte de nuit, j'étais largement au-dessus de lui, laisse tomber.
14:19 Il pécho rien du tout par rapport à moi.
14:22 Je peux dire un truc, j'avais rien à lui envoyer.
14:24 Donc il y avait un petit peu de ça, tu vois.
14:27 Je déconne, mais il y avait un peu de ça.
14:30 Et je joue et je gagne un 7, deux 7, 5-3 au troisième, balle de match.
14:36 Il joue des petits coups de bluff comme ça, ça passe.
14:45 Je perds le 7 après avoir eu des balles de match.
14:48 Et là, l'ambiance de mon stade, de mon pays.
14:53 Une tension, une crispation.
14:57 Alors déjà, moi, j'étais au bout de ma vie.
14:59 J'avais deux balles de demi-finale.
15:02 Je me retrouve au quatrième 7 et dans une ambiance pourrie.
15:08 Tu sais, nos équipes, quand elles commencent à moins bien jouer
15:12 et que le stade commence à ou les siffler, tu vois,
15:16 ou les huer même des fois, tu vois.
15:18 Bon, ça n'allait pas jusque-là, mais où alors ?
15:21 Où ?
15:23 Une ambiance comme ça.
15:26 Et heureusement, je gagne le premier jeu du quatrième 7 et j'y mets 6-0 au quatrième.
15:31 Là-dessus, je joue contre Vasselin, qui est mon pote de promotion.
15:37 Christophe, c'est parti des espoirs du tennis à l'époque.
15:41 Il arrive en demi-finale dans un parcours incroyable.
15:43 Et c'est surtout qu'il m'ouvre le tableau parce qu'il bat Connors,
15:47 que je déteste de jouer.
15:48 Et là, je joue Christophe.
15:49 Et donc pour moi, jouer Christophe, c'était une embellie, quoi.
15:51 Franchement, c'était une embellie, d'autant qu'il avait fait un match compliqué.
15:56 Il joue en huitième de finale contre Luna.
15:59 Il fait un match en 5-7.
16:00 Il joue Guntard, il joue en 5-7.
16:01 Il joue Connors, il joue un match de malade.
16:04 Et entre les deux matchs, je le vois.
16:06 Dès que j'ouvre la télé, je le vois en train de faire des interviews chez lui,
16:09 sur le cours et tout.
16:10 Je dis, mais il va arriver, il va être vidé.
16:12 Moi, j'étais à la rochette, tranquille, en train de me charger d'énergie.
16:16 Donc, je joue contre lui.
16:17 Moi, je fais un très bon match.
16:19 Et lui, il fait un non-match.
16:21 Donc, le score n'a aucune importance parce que ça ne reflète pas du tout
16:25 le match qu'on aurait pu faire, quoi.
16:27 Mais bon, je suis en finale.
16:28 Et de toute façon, moi, dans l'état dans lequel je suis,
16:32 je ne perds pas contre un Français en demi à Roland.
16:36 Je n'ai pas fait tout ça pour perdre contre un Français.
16:39 Ce dimanche 5 juin 83, l'important pour Yannick Noah,
16:43 ce n'est pas de participer, mais bien de gagner.
16:47 Et toute la France est derrière lui.
16:49 50 millions de Noah, écrit le journal L'Équipe.
16:52 Quand je rentre sur le cours, je suis frais.
16:55 Frais comme un lardon, comme dirait mon pote Mika.
16:59 Et il fait beau, je suis à Roland.
17:02 Et là, je sais que tous les As sont alignés, quoi.
17:05 Je sens vraiment un truc.
17:07 Tout d'un coup, mon public, le public, la France
17:10 et même au-delà des gens qui aiment le tennis se disent
17:14 "il peut gagner".
17:16 Mais ce qui me plaît vraiment, c'est que là, j'ai le sentiment
17:21 que tous les gens vont regarder le match.
17:24 Toute la France va regarder le match.
17:26 Mais c'est surtout, ils vont tous regarder parce qu'ils pensent enfin
17:30 que je peux gagner, mais qu'on peut gagner.
17:33 C'est la première fois, on peut gagner.
17:37 Quand je rentre sur le terrain, Bemel il me fait "tu vas le faire, petit".
17:42 Parce qu'on y croit, tout le monde y croit vraiment.
17:44 "Ah là, là il y est, c'est bien".
17:46 Coubertin, il n'existe pas dans la photo.
17:50 Et ça, c'est puissant.
17:52 Ça, c'est puissant.
17:54 Un peu de silence, s'il vous plaît.
17:56 J'ai rêvé que j'avais perdu le match.
18:01 J'ai perdu le match, mais j'ai tout.
18:03 Il y a des moments où je suis monté à mauvaise escient.
18:06 Il y a des moments où j'aurais dû attaquer.
18:08 Il y a des moments où j'aurais dû prendre le match.
18:09 Et je perds.
18:11 Quand tu perds à ce niveau-là, alors il y a des gens qui rentrent chez eux
18:15 "Oh, il a perdu, oh mince, j'étais pour lui, oh merde, oh là là, il a perdu".
18:19 Mais quand tu perds, tu n'es pas loin de te dire
18:24 "je pourrais crever".
18:27 Tellement ça fait mal.
18:29 Il y a des matchs que tu perds, tu mets des semaines à dormir.
18:35 Tu mets des semaines à bouffer.
18:37 Tu ne peux plus même penser à l'entraînement.
18:40 Mais j'ai joué qu'une finale dans ma vie.
18:43 J'ai joué qu'une finale dans ma vie.
18:45 Et le samedi soir, je la perds dans mon rêve.
18:49 Et je peux te dire, quand je me suis réveillé, mon esprit,
18:52 parce que c'est le corps, c'est l'esprit qui gère tout le reste,
18:55 mon esprit, il était dans la tombe.
18:58 Et là, j'entends "toc toc toc", c'est papa qui frappe à la porte.
19:08 "Yann, tu es prêt, tu as bien dormi ?"
19:10 Et là, je ne sais pas ce qui s'est passé,
19:13 parce que pour moi, je suis le lundi, j'ai paumé.
19:16 Je connais le feeling quand tu as paumé.
19:18 Et là, je m'aperçois que putain, j'ai rêvé.
19:21 Alors il y a aussi, il y a un autre sentiment,
19:24 quand tu as vu la mort de près.
19:26 Quand tu as vu la mort de près, je peux dire la vie,
19:29 tu la vois différemment.
19:30 C'est un truc de fou.
19:31 La force que tu as quand tu as failli crever,
19:34 ce n'est pas la même chose.
19:36 Et là, j'avais cette...
19:40 Quand je me suis levé de mon lit, là,
19:42 je peux dire un truc, c'était comme si,
19:44 dix minutes plus tard, j'avais une deuxième chance d'aller rejouer le match.
19:49 Comment je me suis levé, comment je suis allé m'entraîner,
19:52 comment j'ai pris ma bagnole,
19:54 comment je me suis arrêté à Auvergneau,
19:57 m'arrêter au tabac pour me prendre une clope,
19:59 comment je suis allé à la Croix-Catelan faire mon échauffement,
20:03 comment je suis allé prendre mon plateau repas au Racing avec mes potes,
20:07 parce que j'ai bouffé avec mes potes avant la finale.
20:09 Je jouais quatre heures après,
20:10 j'ai bouffé un plateau repas au milieu des gens qui allaient tous à Roland.
20:14 J'étais serein, j'étais bien.
20:17 Mais ce qui m'hallucine,
20:20 ce qui m'hallucine, c'est putain, le môme de 23 ans,
20:22 la tronche que j'avais, quoi.
20:24 J'étais en mission.
20:26 Ça, je trouve ça extra.
20:27 Ce qui m'interpelle, c'est que c'est la même façon de marcher,
20:33 le même regard, le même truc que joue Akima quand il joue au basket.
20:37 C'est ouf, ce truc de « je vais chercher, j'y vais, mais rien ne va m'arrêter », quoi.
20:46 Et le match se joue, je regarde les points, tout ça,
20:49 moi, ce qui m'hallucine, c'est que j'étais dedans,
20:54 rien, rien, rien à ce moment-là, pendant ce match, pouvait me toucher.
20:59 C'est une espèce d'état de grâce, on va dire,
21:01 mais un état de grâce qui a été travaillé.
21:03 Ce n'est pas un coup de chance, d'un coup, j'étais bien.
21:05 Comme des fois, on dit « ah, ben tiens, j'ai un jour sans… ».
21:09 Ben oui, mais il y a des raisons.
21:11 Il y a des raisons.
21:12 Le jour où on dit « ah, ben tiens, j'ai eu un jour sans, on passe à autre chose »,
21:14 ben tu ne travailles pas, tu n'avances pas, tu ne progresses pas.
21:16 C'est important de paumer.
21:18 Et des fois, gagner, savoir aussi pourquoi, c'est important.
21:20 Et là, ça a été un moment où tout était en place.
21:24 Tous mes potes étaient là, toute ma famille était là.
21:27 J'étais à Roland où j'ai grandi.
21:29 Ils faisaient beau.
21:30 C'était important qu'ils fassent beau.
21:31 Pourquoi ? Parce que le cou est un peu plus rapide,
21:34 la terre battue plus rapide.
21:36 Mat', c'est un défenseur, je suis un attaquant.
21:38 Le coup rapide, c'est mieux pour l'attaquant.
21:40 Donc, il y avait tout en place.
21:42 Nous sommes dans le tie-break.
21:43 Yannick Noah mène 2-7-0, 6-3 dans le tie-break de la troisième manche.
21:47 Noah au service.
21:48 Mat', il cherche l'ace.
21:49 Oui, il sert au centre.
21:51 Il monte au filet.
21:52 Il a gagné !
21:53 Yannick, il a gagné !
21:54 Auquel moment ?
21:55 Yannick qui est à genoux au centre du cou.
21:57 Il y a 23 ans, Yannick Noah.
22:00 Il a eu 23 ans, Yannick Noah.
22:03 Il embrasse son père, Zachary.
22:05 Bien sûr que je suis surpris quand papa saute sur le cou.
22:10 Moi, mes parents, personne ne les connaissait.
22:14 Mes parents étaient complètement discrets.
22:16 Moi, dans mon aventure, mes parents m'encouragaient à la maison.
22:21 Comme on encourage la famille.
22:26 Mais mes parents n'étaient pas présents.
22:28 Mes parents n'intervenaient jamais auprès de mes entraîneurs.
22:32 Ils n'intervenaient jamais.
22:35 Mes parents étaient là.
22:36 Quand il y avait des tournois à Roland,
22:39 ils sont venus une fois à l'US Open, ils ne venaient nulle part.
22:42 Mes parents n'étaient pas présents.
22:44 Il y avait cette discrétion d'humilité.
22:48 Il faut le dire.
22:50 Et oui, quand papa a sauté sur le cou,
22:53 il est arrivé, il m'a sauté dessus,
23:00 et je me suis retrouvé avec papa dans mes bras.
23:03 Je suis heureux pour ce qui est arrivé à Yannick,
23:05 qui a consenti des sacrifices depuis un bon bout de temps.
23:09 Ça fait un an qu'il s'est mis dans la tête
23:12 qu'il fallait absolument qu'il progresse pour arriver à ce niveau-là.
23:15 Il a répondu à des gens qui croyaient le connaître
23:18 et qui disaient qu'il n'était pas ambitieux.
23:20 Tu ne sais pas ce moment, tu le partages ce moment,
23:23 mais ce moment appartient à tous les pères de famille
23:30 qui ont regardé le match à ce moment-là.
23:33 À toutes ces familles qui ont regardé.
23:34 Parce que les gens ne chialaient pas parce que j'ai gagné.
23:38 Bien sûr, tout le monde était pour moi.
23:43 J'ai beaucoup de gratitude par rapport à ça.
23:46 C'est incroyable de toucher ça une fois dans ta vie.
23:49 Mais ce moment a mis autre chose.
23:52 C'est-à-dire que les gens de ma génération,
23:56 de d'autres, ont pleuré dans leur télé.
23:59 Parce que les pères ont pleuré, les mères ont pleuré,
24:01 les gamins ont pleuré.
24:03 Ça a été une émotion qui était bien plus forte que gagner.
24:08 Je me mets par terre, je prends la coupe, je remercie les sponsors.
24:11 Non, non, non, rien de ça.
24:13 C'était juste un truc d'émotion pure.
24:15 Et cette victoire, elle a pas...
24:20 Je suis central, mais elle appartient à tout le monde.
24:23 Tous les gens ont vécu une émotion à ce moment-là.
24:26 Et des années après, des décennies après,
24:32 j'apprends des gens qui me disent dans la rue, inconnus,
24:36 qui me parlent de ce moment avec une véritable émotion.
24:39 C'est merveilleux.
24:42 C'est la première fois, bien évidemment,
24:44 que Yannick s'impose dans un tournoi de cette dimension.
24:46 Il a remporté aujourd'hui à Paris
24:48 le premier tournoi du Grand Chlem de l'année 1983.
24:52 Coup de chapeau.
24:54 Quand j'ai gagné, après, c'était compliqué
24:56 parce que j'avais plus de rêves.
24:58 J'avais plus de rêves.
24:59 Je continuais à jouer, j'étais un très bon joueur,
25:01 j'étais un des meilleurs du monde, mais j'avais plus de rêves.
25:03 J'avais plus le petit truc en plus.
25:05 Il aurait pu me manquer quelque chose en 1983.
25:13 Il aurait pu me manquer quelque chose.
25:17 Mais il n'a rien manqué, il y avait tout.
25:19 Il y avait tout.
25:21 Chez la maison, il y a l'émotion,
25:26 50 millions heureux.
25:28 Chez moi, il y avait tout.
25:31 Je vais rêver de quoi ? Un deuxième ?
25:33 Rêver, gagner ailleurs ?
25:36 Je n'en ai pas rêvé.
25:38 Je n'en ai pas rêvé.
25:39 Quand j'ai gagné,
25:41 j'ai eu la chance de me rendre à Paris.
25:43 J'ai eu la chance de me rendre à Paris.
25:45 Je n'en ai pas rêvé.
25:47 Quand je gagne, Roland, moi,
25:49 dans mon univers,
25:51 c'est une première pour tout le monde.
25:53 Je vois des journalistes,
25:55 "Maintenant, il faut confirmer."
25:57 "De d'où tu sors ce mot abruti ?"
25:59 "Confirmer quoi ?
26:01 Tu veux que je te donne le film ?
26:03 Je l'ai gagné, je l'ai gagné, mec."
26:05 Mais les mois qui viennent,
26:07 "Oui, mais il n'a fait que quarts de finale."
26:09 Le problème, c'est que ce qui m'est arrivé,
26:13 c'est que moi, je n'ai pas fondamentalement changé.
26:16 Mais c'est que tout le monde autour de moi a changé.
26:20 Ma boulangère,
26:22 le chauffeur de taxi,
26:23 tout le monde a changé.
26:25 Et je devais gérer quelque chose.
26:28 Moi, ce que je voulais, c'est gagner,
26:30 montrer qu'on pouvait gagner,
26:31 qu'un Français, qu'un Franco-Cameroonais
26:33 pouvait gagner.
26:35 C'était ça dont je rêvais.
26:36 Mais le lendemain,
26:38 je vais où maintenant ?
26:41 Aller t'entraîner pendant des mois
26:43 avec des gens qui te félicitent,
26:45 ce n'est pas facile.
26:47 Il faut être accompagné par quelqu'un
26:49 qui te donne les codes.
26:51 On n'avait pas les codes.
26:53 On découvrait tout ça.
26:55 Tout le monde découvrait ça.
26:57 "Oui, allez, on va bien jouer à l'US Open."
26:59 Oui, mais le truc,
27:01 en plus, je ne l'ai jamais retrouvé.
27:03 Je ne l'ai jamais retrouvé, ça.
27:06 [Musique]
27:17 J'ai essayé de trouver un sens à tout ça,
27:19 parce qu'à un moment,
27:20 une fois que j'avais à peu près tout,
27:22 voire plus que je rêvais,
27:24 je n'ai jamais rêvé d'un...
27:26 J'en ai rêvé, j'ai réussi à gagner,
27:28 à avoir la vie dont j'ai...
27:32 Je ne pouvais même pas rêver de plus.
27:34 Moi, je viens d'un petit village du Cameroun,
27:38 où je n'avais pas de quoi me payer ma première raquette.
27:41 On dit toujours, "N'oublie pas d'où tu viens."
27:44 Moi, je n'arrivais pas à oublier ça.
27:46 Donc, moi, j'ai toujours pris tout ça comme un cadeau.
27:50 Mais à un moment,
27:54 cette notoriété, pour moi,
27:56 c'était un truc complètement abstrait,
28:00 complètement superficiel,
28:04 et qui me gênait,
28:06 parce que je n'aimais pas du tout cette vie.
28:09 Ça n'avait pas de sens.
28:11 Quand hier soir, tu vois,
28:16 à 5 heures du mat,
28:18 parce que je marche toute la nuit, je ne dors pas,
28:21 je me retrouve sur un pont de l'Allemagne,
28:24 tu vois, regarder l'eau, je me dis,
28:26 je ne plonge pas, je me dis, il y a un problème.
28:28 Je me dis, il y a un problème, quelque part.
28:31 Et qu'on ne parle surtout pas de fric,
28:35 qu'on ne parle pas d'impôts, qu'on ne parle pas de conneries.
28:37 Surtout pas, parce que ça, ça me tue, ça.
28:40 Ça, ça me tue vraiment.
28:42 Dans ces trucs-là, je suis seul, tu vois.
28:44 Je suis tout seul.
28:46 Et le gamin de 23 ans, il s'est dit,
28:54 "En fait, le vrai truc que je veux maintenant, c'est une famille.
28:57 Je veux des gosses."
28:59 Le tennis, ben oui, mais c'est secondaire.
29:03 Et le tennis est devenu secondaire dans ma vie.
29:08 J'ai rencontré Cécilia, on est tombés amoureux,
29:10 on s'est mariés ici, 6 mois après.
29:13 Joachim est né 6 mois après.
29:15 Yelena est venue après.
29:17 Et là, j'avais tout ce qu'il fallait.
29:19 J'étais heureux.
29:20 Mais forcément, le guerrier intérieur sur le cours,
29:24 il était un peu plus soft, il était plus sensible.
29:27 Il était moins...
29:29 Je travaillais plus dans l'urgence.
29:31 J'étais plus du tout dans la survie.
29:34 Vous venez d'écouter Yannick Noah, Entre vous et moi.
29:38 Un témoignage exceptionnel recueilli par Jacques Vendroux
29:41 au Cameroun pour Europe 1.
29:43 Dans l'épisode suivant...
29:45 J'ai fait des tournées dans les MJC.
29:47 C'est pas venu tout de suite.
29:49 Parce qu'après Saga Africa, j'ai fait des trucs assez médiocres.
29:52 Mais on s'est éclaté.
29:54 Tourner dans le bus avec les potes,
29:56 faire des trucs assez médiocres.
29:58 Et puis, on s'est dit, "On va faire un truc assez médiocre."
30:01 Tourner dans le bus avec les potes,
30:04 aller de ville en ville, chanter dans des salles
30:07 où il y avait 10 personnes, dont un mec avec son chien,
30:10 qui aboyait pendant des chansons que je parlais de la vie et de la mort.
30:13 Des trucs extraordinaires, mais tout ça dans...
30:16 Et là, j'étais... ça me plaisait !
30:20 Yannick Noah, Entre vous et moi.
30:23 Production Europe 1 Studio, Sébastien Guyot.
30:28 Réalisation et direction artistique, Xavier Joli.
30:31 Pour découvrir la suite, vous pouvez vous abonner gratuitement
30:35 et glisser un maximum d'étoiles sur votre plateforme préférée.
30:39 Sous-titrage Société Radio-Canada
30:43 © Sous-titrage Société Radio-Canada
30:46 [SILENCE]

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