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  • 15/05/2023
Dans les années 90, les notes débarquent dans la société au sens large. Amazon propose en 1995 aux acheteurs de noter eux-mêmes les produits.

Puis à la fin des années 2000, les plates-formes “collaboratives” mettent quasi toutes en place des systèmes de notation par les utilisateurs, comme Blablacar en France dès 2008. Sur Google, on peut trouver des notes sur tout et n’importe quoi - même des choses assez cocasses. À côté de ça, on trouve aussi des hôpitaux, des médecins de ville ou des écoles.

Alors est-ce fiable ? Pourquoi c’est problématique les notes ? Faut-il arrêter de noter ?

Pour y répondre, on s'est entretenu avec Vincent Coquaz, journaliste et co-auteur de l'enquête "La nouvelle guerre des étoiles".

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Transcription
00:00 Quand on note un hôtel, il faut savoir que souvent, on note les salariés.
00:03 Quand on note la propreté de la chambre, ce qu'on ne sait pas,
00:05 c'est que potentiellement, c'est peut-être la personne qui a fait le ménage dans cet hôtel
00:09 qui va être pénalisée et peut-être qu'on ne lui a pas laissé le temps de faire le ménage correctement.
00:13 Vous l'avez forcément déjà fait au moins une fois dans votre vie,
00:16 voire très, très souvent.
00:19 I know what you did.
00:21 Je parle des notes, des chiffres, des étoiles qui ont envahi notre quotidien.
00:26 Et avouez, vous aussi, vous regardez les avis avant de réserver un hôtel
00:29 ou encore d'acheter votre aspirateur.
00:31 Sur Google, on peut trouver des notes sur tout et n'importe quoi,
00:34 et même des choses assez cocasses.
00:37 À côté de ça, on retrouve des médecins de ville, des écoles ou encore des hôpitaux.
00:41 Mais alors, est-ce fiable ?
00:42 Pourquoi est-ce que c'est problématique ?
00:44 Est-ce qu'on devrait tout simplement arrêter de noter ?
00:47 La question de la notation n'est pas nouvelle.
00:49 Dans leur livre "La nouvelle guerre des étoiles",
00:52 les journalistes Vincent Cocaze et Ismaël Alissat
00:55 rappellent qu'elle fait son apparition au XVIe siècle avec Ignace de Loyola
00:59 et la fondation des collèges jésuites.
01:01 Ils citent Pierre Merle qui les décrivait comme ça.
01:04 Une formation des élites fondée sur la compétition, la sélection,
01:08 une hiérarchie des honneurs, la vénération des premiers, l'exclusion des derniers.
01:12 Sympathique.
01:13 Dans les années 90, les notes débarquent dans la société au sens large.
01:17 Amazon propose en 1995 aux consommateurs de noter eux-mêmes les produits.
01:22 Puis à la fin des années 2000, quasiment toutes les plateformes dites collaboratives
01:26 mettent en plat des systèmes de notes par les utilisateurs,
01:29 comme c'est le cas de BlablaCart en 2008.
01:31 Et aujourd'hui, bah...
01:33 on regarde les avis Google pour des médecins ou des laboratoires.
01:38 Dans tout ce qu'on a étudié, c'est quasiment ce qui se fait de pire en termes de notation,
01:42 puisque Google ne vérifie pas ce que vous notez,
01:44 c'est-à-dire ne vérifie pas que vous êtes vraiment allé à l'endroit.
01:47 Et c'est tellement vrai que début 2023,
01:49 Poupette Kenza, considérée comme la française la plus suivie sur Snapchat,
01:53 a été accusée d'être à l'origine d'un harcèlement contre un restaurant
01:56 qui se trouve à New York,
01:58 où ses followers ont en effet publié de faux commentaires.
02:01 Mais bon, c'était pas le seul souci.
02:03 - Quand on voit un médecin qui a 4,2 sur 5
02:06 et un autre qui a 3,7 sur 5,
02:08 est-ce que la différence de note, elle s'explique par le fait que
02:11 il n'y a pas beaucoup de magazines dans la salle d'attente ?
02:13 Ou est-ce que ça a un lien avec la qualité des soins ?
02:15 Et donc en fait, c'est ça, c'est qu'on va trier les médecins
02:17 sur des critères un peu absurdes, on mélange des choux et des patates.
02:20 D'ailleurs, à ce propos, on peut lire cette phrase dans le livre.
02:22 - On est dans une dérive consumériste de l'action aux soins,
02:25 de l'accès à son médecin.
02:27 Aller chez le médecin, ce n'est pas comme aller au restaurant.
02:30 On peut se poser la question de la pertinence des notes,
02:32 surtout pour des services d'utilité publique,
02:34 comme la santé ou l'école.
02:36 Depuis 2016, le système IFAC donne de l'argent aux hôpitaux
02:39 les mieux notés en guise de récompense.
02:42 Mais est-ce vraiment une solution quand on sait que le personnel soignant
02:45 réclame depuis des années plus de moyens ?
02:47 Et pourtant, l'omniprésence de la notation aujourd'hui
02:49 passe plutôt inaperçue.
02:51 Mais sans qu'on sache véritablement ce que ça implique derrière,
02:54 que ce soit au niveau des conditions de travail
02:56 ou même de l'impact que ça peut avoir sur la rémunération.
02:58 - Je me fais livrer une machine à laver par l'entreprise Darty en l'occurrence,
03:04 et à la fin de la livraison, qui se passe très bien,
03:06 le livreur me demande de le noter sur 10.
03:10 Et donc je lui demande si je lui mets 8 ou 9, c'est bon pour vous, etc.
03:15 Et il me dit un peu embêté que non, si je lui mets 8 ou 9,
03:18 ce ne sont pas des bonnes notes pour lui,
03:19 et qu'il risque même de perdre une prime si je lui mets ces notes.
03:23 - Et ça, c'est un constat qui vaut pour bien des domaines et des entreprises.
03:26 - Quand on note un hôtel, il faut savoir qu'en fait, souvent, on note les salariés.
03:30 Quand on note la propreté de la chambre, ce qu'on ne sait pas,
03:32 c'est que potentiellement, c'est peut-être la personne qui a fait le ménage
03:35 dans cet hôtel qui va être pénalisée,
03:37 et peut-être qu'on ne lui a pas laissé le temps de faire le ménage correctement.
03:39 - Mais comment en sommes-nous arrivé là ?
03:42 - La tendance à tout noter qui connaît un peu son apogée aujourd'hui,
03:45 elle a ses origines au début des années 2000,
03:48 avec notamment un grand cabinet de conseil américain qui s'appelle Bain,
03:52 qui va mettre en place un outil qui s'appelle le NPS.
03:55 Ça s'appelle le Net Promoter Score, alors c'est un petit peu compliqué,
03:58 mais en gros, c'est cette question qu'on reçoit tous par texto ou par mail.
04:01 Est-ce que vous recommanderiez cette entreprise,
04:04 Darty, McDonald's, Carrefour, ce que vous voulez, à vos proches ?
04:09 - Et la promesse de son inventeur est assez simple,
04:12 déterminer la croissance d'une entreprise.
04:16 Sauf que...
04:17 - On s'est rendu compte que c'était un système qui était un peu absurde,
04:20 puisqu'en fait, ça ne permet absolument pas de déterminer la croissance de l'entreprise,
04:24 qu'il y a énormément de biais qui rentrent en compte, notamment le parrem.
04:27 À partir de 7 ou 8 sur 10, c'est considéré comme des mauvaises notes.
04:31 Alors que n'importe quel Français qui met 8 sur 10 a l'impression de mettre une très bonne note.
04:34 - Mais dès le milieu des années 2000, le NPS a été critiqué par de nombreux chercheurs.
04:39 - Souvent, quand c'est arrivé dans les boîtes, les salariés n'étaient pas forcément contre.
04:42 Ils avaient essayé d'être, de dire "moi je travaille bien, je vais être bien noté",
04:46 donc un système de notation où à la fin je peux avoir une prime, pourquoi pas ?
04:49 Et donc par exemple, on a beaucoup parlé des salariés de la FNAC qu'on voit dans notre documentaire,
04:53 qui eux disent "aujourd'hui c'est un outil de répression, c'est un outil de management",
04:56 mais c'est certainement pas un outil d'amélioration de la qualité.
04:59 - L'autre problème avec notre tendance à tout noter, c'est qu'elle s'applique aussi à nous.
05:04 Et non, je ne vous parle pas de votre note Uber.
05:06 Eh oui, bienvenue dans un monde où il est possible de se noter entre collègues,
05:11 comme ça a été le cas chez Alain Dau avec le système Zonar.
05:15 Mais il y a encore mieux.
05:16 - Je me suis rendu compte qu'en utilisant la plateforme Airbnb,
05:19 j'acceptais qu'une autre entreprise, qui s'appelle Sift, que personne ne connaît,
05:23 calcule un score de fiabilité sur moi.
05:26 Et donc j'ai demandé à Sift, puisque le doigt européen me le permet,
05:30 qu'il m'envoie toutes les données qu'il savait sur moi,
05:32 et donc il m'envoyait un long dossier où il savait que j'avais acheté un billet d'avion en 2014
05:36 pour aller à telle destination, que j'avais utilisé tel appareil pour acheter le billet, etc.
05:42 Et ça malgré la réglementation européenne pour la protection de nos données personnelles.
05:46 - Bon et du coup, on peut faire quoi, vous, nous, à notre échelle ?
05:49 - Il n'y a pas vraiment de solution individuelle à ce problème.
05:52 La solution, elle est forcément beaucoup plus collective.
05:54 Elle passe par le travail des chercheurs et des syndicats,
05:56 comme ça a été le cas en Allemagne avec le cas Alain Dau.
05:59 Et puis dans un deuxième temps, ce sera probablement le rôle du législateur,
06:02 c'est-à-dire de la loi, d'encadrer ces pratiques-là.
06:04 Est-ce qu'une entreprise a le droit de baser la rémunération de ses salariés
06:09 sur des notes qui sont obtenues sur des plateformes qu'on ne maîtrise pas du tout, etc.
06:13 Est-ce que l'Europe, à un moment donné, va s'en saisir un petit peu comme ce qu'elle a fait sur la RGPD ?
06:17 Est-ce qu'on va pouvoir encadrer les pratiques de notation ?
06:19 Qu'est-ce qu'on a le droit de noter ? Qu'est-ce qu'on n'a pas le droit de noter ?
06:21 Comment ? Qu'est-ce qu'on intègre dans la notation ?
06:23 Quelles sont les conséquences de la notation ? Etc.
06:25 [Musique]

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