Jacques Lestringant : "Voilà votre intérêt"

  • il y a 13 ans
Jacques Lestringant, en 1946, l’année de l’abolition du travail forcé, a 26 ans. Protestant, frais émoulu de l’École coloniale, il prend à Yaoundé son premier poste d’administrateur colonial. « C’était le moment où l’on passait d’un système colonial à l’autre », se souvient Lestringant dans cet entretien de 2007. C’est l’époque, par exemple, où l’on demande aux administrateurs de « ne pas tutoyer les Africains ». Mais l’exadministrateur, d’une étonnante bonne foi, corrige immédiatement : « C’est un basculement de la colonisation… théorique ! Théorique ! » Car, explique-t-il, les anciennes pratiques, officiellement proscrites, perdurent. « J’ai connu l’ancien système, les prestations, le travail obligatoire, que j’ai pratiqués longtemps, jusqu’en 1959. Mais par ma seule autorité. En infraction avec les principes constitutionnels. » Qu’a-t-il donc pratiqué exactement ? « Eh bien, l’absence du respect de l’homme camerounais en tant qu’assimilé au citoyen français. » Ses explications éclairent bien l’ambiguïté de cette "nouvelle colonisation" portée par les jeunes administrateurs formés par Robert Delavignette, sortis de l’ENFOM ou de l’École des Ponts et Chaussées. Ces enfants de l’Exposition coloniale de 1931 se voient comme des « ingénieurs du social ». En théorie, la palabre doit remplacer le caporalisme de leurs aînés, la négociation doit primer la force brute des « vieux colons ». En pratique, c’est bien toujours la contrainte qui s’exerce quand la palabre ne suffit pas. « J’ai pensé que c’était en faveur de la population », poursuit Lestringant, en comparant son autorité à celle d’un chef coutumier, sans violence. « Je discutais : “Voilà, je vous propose de faire tel travail, c’est dans votre intérêt, voilà votre intérêt”. »

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