Ce mardi 22 juillet, David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'IRIS, spécialiste du Moyen-Orient, était l'invité de Caroline Loyer dans Le monde qui bouge - L'Interview, de l'émission Good Morning Business, présentée par Sandra Gandoin. Ils sont revenus sur l'évolution de la guerre opposant Israël et la Syrie, les calculs et les intérêts stratégiques de l'Etat hébreu derrière l'intervention militaire en faveur des Druzes, et la position de Washington par rapport à ces conflits. Retrouvez l'émission du lundi au vendredi et réécoutez la en podcast.
00:00Avec Caroline Loyer qui me rejoint sur ce plateau, nous recevons David Rigoulet-Rose, chercheur à l'IRIS, l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques, spécialiste du Moyen-Orient.
00:08Merci d'être en direct avec nous dans la matinale de l'économie. On va revenir sur la situation en Syrie, ces combats qui ont lieu à Sueda, dans le sud.
00:19Avant de revenir sur l'évolution de la situation, le cessez-le-feu de ce week-end, la position de Washington là-dedans,
00:25j'aimerais que vous nous rappeliez rapidement pourquoi ces communautés attirent l'attention en ce moment en Syrie.
00:34Le problème qui a été posé, c'est celui de la stabilité de la Syrie post-Bachar en réalité,
00:40et de la nouvelle gouvernance avec l'actuel président par intérim, Ahmed El-Chara,
00:45qui est supposé être lié historiquement par son ADN à certains groupes islamo-jihadistes anciennement.
00:52Et donc, il est obligé de composer avec des contraintes qui sont des défis énormes,
00:58notamment les pressions de certains de l'entourage, effectivement, de son entourage qui lui ont permis d'accéder au pouvoir.
01:06Et puis, la rhétorique, l'affichage sur l'attentivité nécessaire de la mosaïque ethno-confessionnelle syrienne, qui est très instable.
01:15Caroline ?
01:16Monsieur Rigoleroz, Israël, en frappant à Sueda, a dit officiellement vouloir soutenir ses frères de ruse.
01:24Il y a aussi des frappes depuis la chute de Bachar al-Assad en différents endroits de la Syrie,
01:29officiellement pour détruire les capacités militaires ou faire en sorte qu'elles ne se reconstituent pas.
01:34Donc, Israël dit que c'est pour assurer sa sécurité.
01:36Mais est-ce qu'il y a un objectif autre derrière ces frappes ?
01:40– Oui, alors en fait, il y a deux éléments qui s'ajustent.
01:45C'est-à-dire que le discours qui consiste à vouloir assurer la protection des ruses n'est pas un pur prétexte,
01:52même s'il peut être instrumentalisé pour un agenda par ailleurs,
01:56n'est pas un pur prétexte parce que c'est aussi un problème de politique intérieure israélienne.
02:01Il y a une pression importante des ruses qui constitue 150 000 citoyens israéliens
02:10qui servent dans l'armée, qui sont très fidèles à l'État hébreu,
02:13et donc ils interpellent effectivement le gouvernement pour assurer la protection
02:17de leurs co-religionnaires syriens, même si les mêmes co-religionnaires se méfient évidemment
02:22du soutien israélien pour ne pas être accusés de collusion avec Israël.
02:27Donc c'est extrêmement compliqué.
02:28Mais évidemment, derrière cette variable, il y a des calculs des intérêts stratégiques
02:32de la part d'Israël qui veulent assurer effectivement une démilétarisation du sud syrien
02:38à son profit, pour deux choses.
02:40À la fois pour empêcher la reconstitution d'un acte pro-iranien,
02:45il y a eu des interceptions d'ailleurs de coups d'armes iraniens,
02:49y compris par le gouvernement syrien,
02:51et puis pour empêcher aussi la présence d'islamo-djihadistes dans le sud syrien.
02:57Donc il y a de la part d'Israël évidemment des calculs stratégiques
03:01pour contrôler le sud syrien,
03:05et éventuellement aussi pour éviter que le gouvernement syrien soit trop fort
03:11par rapport à cette fameuse mondiaïque ethno-confessionnelle,
03:15puisqu'il y a des ministres qui prônent ouvertement des autonomies
03:18au sein même de la Syrie post-Bachar.
03:22Donald Trump dit avoir été pris de court par ses récentes frappes israéliennes en Syrie.
03:27Il en a parlé avec Benyamin Netanyahou.
03:30Quel est le poids de Washington ici dans ces affrontements ?
03:35Alors il est important parce qu'il y a eu une pression très forte
03:38qui a été faite par les Américains sur Netanyahou,
03:43en lui demandant d'arrêter les frappes,
03:45tout simplement parce qu'il y a une contradiction.
03:47Les intérêts israéliens et américains ne sont pas strictement alignés.
03:52C'est un euphémisme.
03:52Surtout que Donald Trump a levé les sanctions contre le nouveau gouvernement syrien
03:59après avoir rencontré le président Ahmed El-Chara.
04:03Et d'ailleurs le même président Ahmed El-Chara a remercié le rôle important joué par les États-Unis
04:08pour justement le cesser le feu et le soutien à la stabilité de la Syrie,
04:13ce qui entrerait en contradiction évidemment avec les modalités d'ingérence israéliennes.
04:18Donc on voit à quel point on est complètement dans ce qu'on appelle évidemment,
04:22un peu caricaturellement, mais de manière justifiée, de l'Orient compliqué.
04:27Il y a cette question qui se pose, c'est est-ce que les agissements de Benjamin Netanyahou en Syrie
04:32ne peuvent pas mettre à mal non seulement la stabilité, la transition,
04:36mais aussi plus largement les plans de Donald Trump au Moyen-Orient,
04:39à savoir notamment l'élargissement des accords d'Abraham ?
04:43Oui, c'est là où j'évoquais les contradictions,
04:44y compris d'ailleurs pour le Premier ministre israélien,
04:47puisque cette logique d'ingérence, on va dire très proactive,
04:51dans le sud syrien, entre en contradiction avec son aspiration
04:54au développement justement de la logique d'Abraham,
04:59puisqu'on a évoqué les possibilités de cet élargissement de cette dynamique
05:04à la Syrie et au Liban, en tout cas à minima,
05:07et évidemment dans la configuration actuelle, ça paraît extrêmement difficile.
05:11Donc les contradictions en fait jouent pour toutes les parties.
05:14Comment va s'en sortir la Syrie ?
05:16Je sais qu'on n'a pas de boule de cristal là-dedans,
05:18mais on parlait de stabilité tout à l'heure,
05:20on est loin d'une stabilité,
05:21c'est un pays qui sort d'années entières de guerre,
05:24la situation humanitaire est très compliquée,
05:27dans le sud notamment en ce moment,
05:30sur quoi ça peut déboucher ?
05:32Quel est l'agenda finalement du pouvoir aujourd'hui
05:35pour les mois qui viennent ?
05:37Il est le gouvernement très affaibli.
05:40D'ailleurs on dit que le président Ménéchara aurait échappé
05:44à deux tentatives d'assassinat, dont l'une en début juin.
05:48Donc on voit bien que, tout simplement parce que certains
05:51de ses anciens, on va dire, proches,
05:55l'accuseraient d'avoir trahi la cause islamiste, sinon dualiste.
06:00Donc la situation est très difficile pour lui,
06:03il a un défi à relever, et il est en situation de fébrise,
06:05surtout avec les événements qui viennent de se passer,
06:07notamment par rapport aux frappes israeliennes.
06:10Et puis sur le plan général, il y a une déclaration
06:13qui a été un peu passée sur tous les radars,
06:15il y a un mi-mai dernier, de Marco Rubio,
06:19le secrétaire justement américain,
06:22devant la commission des affaires étrangères du Sénat,
06:24où il évoquait le fait que, d'ici quelques semaines,
06:26la filerie était susceptible de se retrouver
06:28dans une situation de guerre civile à grande échelle.
06:32Et les derniers événements, évidemment,
06:34iraient dans le sens de ce pronostic plutôt pessimiste.
06:39Caroline ?
06:40Justement, vous venez de parler de Marco Rubio,
06:42le secrétaire d'État américain,
06:43qui a exigé, il y a quelques jours,
06:45du gouvernement syrien,
06:46qu'il empêche l'arrivée de djihadistes violents dans le Sud.
06:49Est-ce que les autorités de transition
06:50ont le pouvoir d'empêcher le retour des djihadistes ?
06:54Est-ce qu'elles en ont les moyens ?
06:55C'est un deal implicite entre Donald Trump et Ahmed El-Chara,
07:01quand ils se sont rencontrés à Riyad,
07:03sous les auspices de Mohamed Bin Salman,
07:05le prince héritier saoudien.
07:07C'était la levée…
07:09Alors, il y avait une levée complète des sanctions,
07:12mais implicitement, effectivement,
07:14sinon explicitement, en tout cas pas publiquement,
07:15mais manifestement, c'était un enjeu central.
07:18L'objectif, c'était que la nouvelle gouvernance
07:22fasse en sorte d'éviter toute réapparition,
07:25toute résurgence de l'État islamique, de Daesh,
07:28justement parce que les Américains pouvaient pouvoir se retirer
07:30au site d'Astéry.
07:31Il faut rappeler qu'ils ont plusieurs centaines d'hommes
07:32qui sont toujours de son place.
07:34Et donc, on voit à quel point le défi est colossal
07:36pour le président Ahmed El-Chara.
07:39J'ai évoqué ces détentatives d'Assadina.
07:41Il est effectivement pris dans le jeu
07:45des rivalités, des ingérences extérieures
07:48et de l'instabilité interne,
07:50puisqu'il y a une résurgence de l'État islamique,
07:53notamment dans la Baniya,
07:54c'est-à-dire la zone désertique,
07:56mais qui va jusque dans les villes aujourd'hui.
07:59Et la tentative d'Assassinat aurait eu lieu à Véra,
08:01dans le sud, justement,
08:02où ils devaient faire un déplacement.
08:04Donc, on voit bien,
08:05cette tentative aurait été déjouée
08:08grâce à la lettre des services secrets turcs.
08:10Donc, on voit à quel point tous les acteurs,
08:11en fait, sont présents sur le terrain
08:14et ont des agendas qui, évidemment,
08:16ne sont pas concordants.
08:17Merci beaucoup, David Rigoulet-Rose.
08:18On y voit un peu plus clair.
08:19Chercheur à l'IRIS, spécialiste du Moyen-Orient,