00:01Il était une fois Kevin, il avait 14 ans, un adolescent ivoirien, fils unique, aimé, choyé, comme tant d'autres dans nos quartiers populaires.
00:15Il jouait simplement dans la cour de son immeuble à Yopougon, une scène anodine en apparence, une scène de vie.
00:23Et pourtant ce jour-là, la mort est entrée sans prévenir, pas la maladie, pas le hasard, un coup de matraque, un geste répété jusqu'à l'irréparable, un uniforme qui devait protéger et qui aurait frappé jusqu'à tuer.
00:43L'enquête suit son cours, la présomption d'innocence demeure.
00:47Et c'est toute la Côte d'Ivoire qui devrait se taire un instant et réfléchir.
00:59Au-delà du drame, c'est un miroir cruel.
01:02Ce n'est pas un fait divers, c'est le reflet d'une blessure plus vaste, l'impunité érigée en système.
01:09Nous subissons une culture de l'impunité, une culture où certains peuvent frapper, tuer, violer, voler, sans jamais répondre.
01:21Parce qu'ils sont bien placés, parce qu'ils sont du bon côté.
01:25La justice des vainqueurs sur un peuple martyrisé.
01:29Jokwe, Naibli, Anankwakute, le sang a coulé, sans justice.
01:37Des terres ont été volées, en toute impunité.
01:40Des scandales financiers en cascade, sans conséquence.
01:45Et toujours la même logique.
01:47Quand on est du bon camp, on passe entre les mailles du filet.
01:50Alors oui, la mère de Kévin pleure.
01:56Et tant d'autres mères ont pleuré avant elle.
01:59Souvent dans l'ombre.
02:01Souvent sans que personne ne vienne leur dire Yako.
02:05Mais cette fois, c'est une année électorale.
02:08Alors on vient.
02:10On vient, caméra allumée.
02:12On arrive sur une piste sans goudron, dans ce quartier modeste.
02:16Et on dit Yako.
02:16On dit Yako en ceinture Chanel et parfum de luxe.
02:21On dit Yako devant les caméras.
02:23On dit Yako, mais le cœur est ailleurs.
02:27La compassion s'affiche.
02:29Mais elle ne soigne pas.
02:31La douleur demeure.
02:34Et pendant que deux ministres défilent sur une piste sans goudron,
02:37et jouent la mise en scène du chagrin,
02:40la mère, elle, reste seule avec sa douleur.
02:44Demain, les voitures officielles s'éloigneront.
02:47Le quartier retombera dans son silence.
02:50Mais une question demeure.
02:53Combien d'enfants comme Kevin tomberont encore ?
02:56Ce n'est pas un fait divers.
02:59C'est un avertissement.
03:01Ce n'est pas une tragédie isolée.
03:03C'est un système qui craque.
03:05Nous voyons un État prompt à jeter les opposants en prison,
03:09mais qui est incapable de garantir la sécurité d'un enfant.
03:13Il est temps de demander pour qui il gouverne ?
03:18Dans l'intérêt de qui ?
03:19En fait, ils nous ont déjà répondu.
03:23Rappelez-vous, il y a quelques jours, un ancien Premier ministre suppliait pour un quatrième mandat.
03:28A cause de Dieu ?
03:36Vraiment ?
03:38En tout cas, pas pour le peuple.
03:39Pas dans l'intérêt du peuple.
03:42Alors oui, parce que ce drame est sous les projecteurs.
03:49La justice ira sans doute à son terme.
03:52Mais il y a combien de Kevin hors caméra ?
03:55Il y a combien de mères qui pleurent dans l'ombre ?
03:59Il était une fois Kevin, dans le pays qu'on dit émergent.
04:02Aujourd'hui, Kevin n'est plus.
04:05Et ceci n'est pas une histoire.
04:07C'est la réalité nulle, cruelle et douloureuse.
04:11Et pour changer tout ça, nul besoin de selfie, de compte Facebook, d'armée ou de mercenaires du net payés pour faire passer l'enfer pour un paradis.
04:20Il nous faudra commencer par dire la vérité, toute la vérité.
04:23Il nous faut la vérité, la vérité des faits.
04:26La vérité pour chaque victime.
04:28La vérité d'une justice qui ne choisit pas ses dossiers.
04:30Il nous faudra mettre fin à la propagande 2.0 du tout va bien, pour regarder la réalité en face et mettre fin au règne de l'impunité.
04:39Oui, il nous faut en finir avec l'impunité, par le courage politique, par des institutions qui protègent avant de punir, par le respect absolu de la vie.