00:00On m'a déjà refusé un cours de dessin en disant, enfin le professeur disait qu'il ne pouvait pas donner cours de dessin avec quelqu'un qui dessinait avec son pied.
00:12Alors Sarah, vous êtes une jeune maman née sans bras. Pourtant ça ne vous empêche pas aujourd'hui d'avoir une vie normale. Vos pieds sont vos mains.
00:19Comme vous venez de le dire, je suis maman, je suis artiste peintre, je suis une femme et il se trouve que je suis née sans bras et que j'ai fait ma vie selon aussi les besoins de mon handicap.
00:34Vos pieds vous permettent de faire quoi ?
00:36À peu près tout ce que deux mains permettraient de faire. Donc c'est vrai que j'ai vraiment développé cette dextérité parce que je suis née comme ça et que très vite mon cerveau s'est connecté à ce qu'il pouvait, c'est-à-dire à mes pieds.
00:51Cette dextérité s'est développée et quand il fallait aller à l'école, mon pied c'était ma main quand on apprend à écrire, quand on apprend à utiliser ses mains.
01:02Vous savez écrire avec vos pieds ?
01:03Bien sûr, oui.
01:04Vous savez même cuisiner, faire la vaisselle, vous savez tout faire.
01:08Tout faire, oui, c'est ça.
01:09Vous avez une fille qui a 5 ans et demi, si je dis.
01:116 ans.
01:116 ans.
01:12Comment est-ce que vous faites au quotidien pour vous en occuper ? Là aujourd'hui, elle est un peu plus grande, mais quand elle était plus jeune ?
01:18Alors quand elle était, donc déjà quand elle est née, pour moi c'était sa sécurité avant tout.
01:24J'ai dû faire des deuils par rapport à certaines choses.
01:26Vers son bain, quand elle vient de naître, c'est un tout petit bout, on a beaucoup de mal.
01:31Déjà avec deux mains, c'est très fragile un bébé.
01:34Donc c'est sûr que j'ai mis des limites à certains gestes avec mon enfant pour sa sécurité à elle.
01:43Il y a d'autres choses qui étaient tout à fait possibles, comme l'habiller ou lui donner à manger, tout ça c'était possible.
01:51Donc je faisais vraiment la part des choses et je pensais avant tout à elle.
01:53Votre fille, est-ce qu'elle se rend compte aujourd'hui de votre différence ?
01:58À 6 ans, oui, et maintenant elle commence à se rendre compte. Au tout début, elle ne se rendait pas du tout compte.
02:02Quand elle était bébé, pour elle c'était normal.
02:06Elle pense à juste titre que dans le monde, il y a des gens qui ont des bras et puis il y a des gens qui n'ont pas de bras.
02:10Il y a des gens qui font les choses avec leurs pieds, il y a des gens qui font avec leurs mains.
02:14Tout comme il y a des gens grands, petits, de couleurs différentes.
02:18Et en fait, elle a très vite pour elle intégré le fait que maman n'a pas de bras.
02:23Est-ce qu'au quotidien, vous sentez le regard des gens qui peut parfois être assez pesant ?
02:27Alors, les réseaux sociaux ont énormément changé le regard des gens.
02:32Ça fait maintenant bientôt 5 ans que je suis sur les réseaux sociaux.
02:36Et j'ai remarqué qu'avec l'avènement des réseaux sociaux et notamment du scroll,
02:43en fait, le regard des gens aussi a été éduqué, entre guillemets,
02:47à regarder quelque chose et à vite passer à autre chose.
02:50Donc, le regard des gens, oui, il existe,
02:53mais le regard des gens est beaucoup moins insistant qu'il y a, par exemple, 10-15 ans.
02:58Maintenant, on a tout vu sur les réseaux sociaux.
03:00On a tout vu, on a tout entendu.
03:02Vous parlez justement des réseaux sociaux, vous êtes très active sur Instagram.
03:06Vous avez plus de 100 000 followers.
03:08Vous partagez votre quotidien.
03:10C'était un besoin pour vous de montrer que même si on est nés sans bras, on peut y arriver.
03:15Moi, à la base, ce qui me passionnait, c'était la peinture.
03:19Et donc, je peignais naïvement parce que j'aimais partager ça.
03:23Et très vite, on m'a posé des questions.
03:26Ah, mais si tu sais peindre, est-ce que tu sais cuisiner ?
03:29Est-ce que tu sais t'habiller ?
03:30Est-ce que, mais comment tu fais ça ? Comment tu fais ci ?
03:32Et je me suis dit, plutôt que de répondre à des questions verbalement,
03:36plutôt y répondre avec des vidéos.
03:39Et ça a brisé, quelque part, certains tabous ?
03:40Complètement.
03:41Oui, complètement.
03:42Je crois que ça a dédramatisé une situation aussi.
03:45La situation de handicap, qui n'est pas une situation dramatique.
03:49Ce n'est pas grave d'être handicapé.
03:51C'est juste une manière différente d'être.
03:55Et je pense que c'est ça aussi que je vis et que je montre,
04:01parce que c'est comme ça vraiment que je le vis.
04:04C'est qu'on cuisine avec deux mains, on peut aussi cuisiner avec son pied.
04:09On peut voyager, on peut être maman, on peut être artiste, on peut être plein de choses.
04:13Il n'y a rien qui vous arrête aujourd'hui dans votre vie quotidienne ?
04:16Si, bien sûr.
04:16Et ça, je pense que c'est justement un piège dans lequel il ne faut pas tomber.
04:20Il faut connaître ses limites.
04:21Et moi, je les connais très bien.
04:22Alors, moi, les mains, elles sont physiques, donc elles sont flagrantes.
04:26Mais bien sûr que j'ai des limites.
04:29Je sais qu'il y a des choses que je ne sais pas faire.
04:32Alors, le fait que vous soyez née sans bras, c'est lié à quoi ?
04:35Il se trouve juste que l'embryon que j'étais dans le ventre de ma mère
04:39n'a pas développé ses membres supérieurs.
04:42Et j'ai envie de dire, moi, le fait de ne pas connaître la raison
04:45de mon handicap a fait que je me suis construite
04:49en n'ayant pas de coupable, entre guillemets.
04:52Et donc, je me suis construite comme quelqu'un qui n'était pas une victime.
04:55Ça ne vous a pas empêché non plus de faire des études ?
04:57Non, tout à fait.
04:58J'ai eu une scolarité dite normale.
05:01J'ai eu un master en traduction.
05:04Et puis, j'ai travaillé en tant que traductrice.
05:07Et ensuite, j'ai eu d'autres portes qui se sont ouvertes,
05:10notamment dans le monde de l'art.
05:12Sarah, est-ce que ça vous est déjà arrivé d'avoir des mésaventures,
05:15par exemple, d'arriver au restaurant
05:16et que l'on vous voit en train de manger avec vos pieds
05:18et de vous faire mettre dehors ?
05:20Non, jamais.
05:22Mais par contre, j'ai déjà vécu une discrimination
05:25dans un atelier de dessin.
05:28On m'a déjà refusé un cours de dessin en disant...
05:30Enfin, le professeur disait qu'il ne pouvait pas donner cours de dessin
05:35avec quelqu'un qui dessinait avec son pied,
05:37comme s'il fallait m'apprendre à dessiner avec le pied.
05:40Il n'avait pas compris qu'en fait, il faut juste m'apprendre à dessiner.
05:45Au travers de vos vidéos, le but, ce n'est pas d'attirer
05:47ou d'attirer une certaine pitié ?
05:49Non, pas du tout.
05:51Après, encore une fois, moi, je ne suis pas la police des émotions.
05:55Les émotions des gens, s'il y a des gens qui ont de la pitié,
05:58ça, ce n'est pas mon affaire.
06:00Je ne suis pas là pour dire aux gens
06:01que tu dois ressentir tel sentiment lorsque tu me vois.
06:05Si les gens me voient avec de la pitié, ce n'est pas mon affaire.
06:08Je ne suis pas là pour dire aux gens qui ont de la pitié,