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Rendez-vous aujourd’hui avec un penseur qui veut prendre au sérieux les humeurs et les convulsions sociales… et qui aime provoquer. Michel Maffesoli est sociologue, professeur émérite à La Sorbonne et membre de l’Institut de France. Il vient de republier "Le rythme de la vie - Variations sur l’imaginaire postmoderne". Dénonçant le divorce entre société officielle et société réelle, Michel Maffesoli s’attaque aux classes dirigeantes contemporaines – publicitaires, journalistes, technocrates et politiques. Il perçoit un "redressement en cours", estimant que les valeurs modernes, du wokisme ou du droit de l’hommisme, sont parvenues à saturation dans l’espace public, espace qui est en phase de reconstruction.
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00:00Générique
00:00Aujourd'hui, je ne vais pas y aller par quatre chemins, mon message est clair.
00:07Il vous invite à faire un choix radical.
00:10Voulez-vous continuer à arroser cet état qui se gaffe de votre argent pour vous nuire tous les jours un peu plus ?
00:16Ou préférez-vous financer un projet qui vous ressemble avec des gens qui vous parlent des véritables enjeux qui vous concernent ?
00:22Voulez-vous continuer à vous saigner pour que les médias d'oligarques vous vendent la guerre et vous méprisent ?
00:27Ou préférez-vous accompagner un média qui décrypte les véritables enjeux économiques et géopolitiques,
00:34ceux qui ont des conséquences réelles sur vos vies ?
00:37Vous l'avez compris, la question est simple.
00:39Allez-vous longtemps financer vos bourreaux ?
00:42Ceux qui se moquent de vous, de votre sécurité, de votre santé, de vos vies ?
00:46Ceux qui censurent TV Liberté et font fermer nos comptes en banque pour nous empêcher de vous informer ?
00:50Maintenant, c'est le moment de choisir où va votre argent.
00:54Changez de système, aidez TVL.
00:57Rendez-vous aujourd'hui, ce soir, avec un penseur qui prend au sérieux, qui prend très au sérieux,
01:18les convictions sociales et les humeurs du temps.
01:21Michel Maffesoli, bonjour.
01:22Bonjour.
01:23Merci beaucoup de votre présence ici.
01:26Vous êtes donc sociologue, comme je viens de le dire, professeur émérite à la Sorbonne,
01:29membre de l'Institut de France, et vous venez de republier le rythme de la vie,
01:33variation sur l'imaginaire, post-moderne.
01:36Monsieur Maffesoli, vous aimez provoquer.
01:39Enfin, quand on vous lit, on a ce sentiment que l'on peut être provoqué,
01:42et c'est assez divertissant.
01:43Vous prenez la sinistrose à rebrousse-poil, à sa rebrousse-poil aussi la collapsologie dominante.
01:50Vous écrivez toutefois que les valeurs modernes, progressistes, sont parvenues à saturation.
01:57Alors, on parle de droit de l'hominisme aujourd'hui, de wokisme.
02:00Est-ce à dire que tout cela va disparaître ?
02:03Michel Maffesoli.
02:04– Oui, je le pense.
02:06J'ai essayé de le dire et de le démontrer.
02:10Vous avez dit, gardons ce mot, j'aime les étymologies, provocare, pardon, provocation.
02:16– Provocation, provoqué.
02:17– En latin, provocare, c'est appelé en avant.
02:20Voilà, donc, oui, oui, j'étais nommé jeune à l'époque à la Sorbonne, c'était en 81.
02:26J'avais la chaire importante de Durkheim, la chaire de sociologie générale,
02:32et en même temps, j'étais dans un milieu où les sociologues étaient des enfants rennuyeux.
02:36Ils le sont restés.
02:38– Ils le sont toujours ?
02:38– Oui.
02:40Quand on dit sociologue, on dit de gauche.
02:42Moi, j'ai été formé par un de mes maîtres, c'est Julien Freyne d'Astrasbourg,
02:45puisque j'ai fait mes études à Strasbourg pour partie,
02:48et Weberien, le savant et le politique.
02:51Je n'ai jamais été un politique, j'ai essayé d'être un savant,
02:54et j'ai pris au sérieux mon travail, donc provocare.
02:57Oui, en effet.
02:57La vieille idée de la Sorbonne, quand elle se fonde en 1258,
03:03c'était la disputation, la discussion, le débat.
03:06C'est ce que j'ai essayé de faire.
03:08– Oh, clair.
03:08– Et c'est dans cette perspective, deuxième partie de votre remarque,
03:12oui, c'est qu'il me paraît qu'il y a, actuellement, nous vivons,
03:14c'est difficile à admettre en France,
03:17la saturation de ces grandes valeurs qui ont marqué la modernité,
03:22l'individualisme, la démocratie, le progressisme.
03:26– La rationalité.
03:27– En gros, le rationalisme, je ne dis pas la rationalité,
03:29je fais une petite nuance, permettez-moi.
03:31La rationalité, c'est notre capacité de faire usage de notre raison.
03:35Le rationalisme se fonde à partir du XVIIIe, la philosophie des Lumières,
03:38quand on va systématiser un paramètre.
03:42Dans la Renaissance, il y avait la raison, la rationalité,
03:44mais il y avait le ludique, l'onirique, le festif,
03:48Florence, la belle, c'était ça.
03:49À partir du XVIIIe, on ne va garder qu'un aspect,
03:53la raison et l'enfer, le rationalisme.
03:54C'est ce que je critique, voilà.
03:57– Et donc, vous pensez qu'un certain nombre de valeurs
04:01sont sur le déclin, alors qu'on a l'impression, aujourd'hui,
04:05qu'elles sont omniprésentes.
04:06– Non, oui, je pense qu'elles sont sur le déclin.
04:10Omniprésentes, c'est à voir.
04:12Vous avez employé ce mot tout à l'heure, intéressant et important, le wokisme.
04:17Pour moi, le wokisme, ça va me valoir des ennuis, pas dans ce livre.
04:21Dans un livre ultérieur que j'ai fait, sur mon apologie,
04:24je montre que le wokisme n'est que la fine pointe de la philosophie des Lumières.
04:29La philosophie des Lumières, c'était l'universalisme.
04:32Et là, actuellement, le wokisme, on va universaliser une particularité,
04:35la peau, le genre, le sexe, etc.
04:38Mais voilà, c'est à la fin de ces grandes valeurs modernes.
04:42Moi, je ne crache pas dans la soupe.
04:43Ces valeurs ont eu leur fonction, ça se donnait la modernité.
04:47Une époque, ça dure trois siècles.
04:50XVIIe, XVIIIe, XIXe, le XXe n'a fait que bouffer le capital.
04:53Il n'a rien inventé, si je puis dire.
04:55On est en train de rentrer dans la post-modernité,
04:58où, à bien des égards, d'autres valeurs sont en jeu.
05:01Mais…
05:01– Et c'est le mais qui est important.
05:02– Mais lesquelles, alors ?
05:03– Je vous les dirai.
05:04– Je vous ajoute une question.
05:05– Je vous les dirai.
05:05– Mais, avant de vous répondre sur cette question,
05:09c'est qu'on est actuellement dans un moment
05:12où il y a une distorsion importante
05:15entre la société officielle et la société officieuse.
05:18C'est mon dada aussi de dire ça.
05:19– Pourquoi société officieuse et pas, je ne sais pas, société réelle, par exemple ?
05:23– Ben oui, on peut dire ça, c'est le pays réel,
05:25qui fut celui de Maurras.
05:28Mais avant Maurras, c'était quand même d'autres auteurs
05:30qui ont bien montré la différence entre le pays légal et le pays réel.
05:34– Actuellement, alors, gardons cette idée,
05:36le pays légal, la société officielle,
05:40gauche et droite confondues, d'ailleurs, de ce point de vue,
05:43reste sur ces valeurs modernes que j'ai dites il y a un instant,
05:45individualisme, rationalisme, progressisme.
05:48Alors que le pays réel, il s'est trouvé que,
05:51j'ai eu beaucoup d'étudiants,
05:53je continue à voir ma rémonnage,
05:55des jeunes qui viennent me voir, par exemple.
05:57Et quand nous faisons les impositions ensemble,
06:00c'est-à-dire que l'on boit ensemble,
06:01eh bien, on tchate, ça papote.
06:04Chaque vendredi, j'ai un petit cénacle qui vient comme ça me voir.
06:08Et c'est là où je vois que cette société officieuse,
06:10peut-être le pays réel, ces jeunes générations,
06:13à l'encontre de ce long, on dit,
06:14ils sont sinistroses, tout fout le camp, ils n'ont plus de valeur.
06:16Non, il y a une vraie réalité, il y a un vrai vitalisme important.
06:19Alors, moi, je considère que…
06:21Alors, excusez-moi, je vais vous donner mes dadas théoriques.
06:24Je considère que ce n'est plus l'individualisme, mais le tribalisme.
06:27J'écris le livre, Le Temps des tribus, en 88,
06:30disons, l'idéal communautaire en gestation.
06:33Ce n'est plus simplement le rationalisme et l'importance de l'émotionnel,
06:36c'est-à-dire l'affect, les sentiments, les passions.
06:40Et ce n'est plus, à vrai dire, demain on rasera gratis,
06:43c'est la grande idée égalienne aux marxistes.
06:45Enfin, la marxisation, pour moi, influe actuellement beaucoup d'esprit.
06:48Mais c'est le retour de la tradition.
06:51– Grand T, T majuscule.
06:52– Avec un T majuscule, tradare, ce qui a été donné, on le transporte.
06:56Et je suis fasciné, je dois vous avouer,
06:58de voir que toute une série d'éléments de ces valeurs traditionnelles
07:02sont en train de revenir sur ces jeunes générations.
07:06Léon Blois disait, le prophète est celui qui se souvient de l'avenir.
07:11Et en effet, ce que vivent ces jeunes,
07:13sans se référer forcément à tel ou à tel,
07:15c'est tout simplement les trois éléments que je viens d'indiquer.
07:18Quand on regarde sur Internet, on voit que les mots qui arrivent,
07:22c'est partage, échange, générosité.
07:26Vous voyez, des mots un peu archaïques, à bien des égards.
07:28– Bien sûr, bien sûr.
07:28– Voilà, c'est ce que je dis.
07:29– Mais dans quel cadre ?
07:30Parce que c'est ce qu'on a envie de vous rétorquer quand on lit votre livre.
07:33Vous évoquez d'ailleurs les mêmes exemples,
07:36vous les décrivez à l'instant de manière très altière, j'ai envie de dire.
07:39Mais concrètement, aujourd'hui, le quotidien de ce tribalisme,
07:43ce sont les rêves parties, les salles de fitness, les réseaux sociaux.
07:46On a envie de vous dire, vous parlez de tradition avec un T majuscule,
07:50mais la réalité, elle est beaucoup plus prosaïque
07:52et peut-être un peu plus absurde, ridicule, superficielle que ce que vous en dites.
07:58– Non, pas absurde et superficielle.
08:00Moi, ce n'est pas mon genre, revu mon âge,
08:02mais j'ai été amené à aller dans ces rêve parties.
08:05Je vais faire des thèses à l'époque où ce n'était pas de mode.
08:08Je trouve qu'il y a là la dimension orgiaque,
08:10c'est-à-dire que dans ces moments où on isolait les gens
08:13dans cette pseudo-pandémie qui a eu lieu il y a quelques années,
08:17il fallait s'isoler, porter des masques, machin-chose, etc.
08:21Là, on voyait des jeunes qui se rassemblaient, qui se touchaient.
08:24Excusez-moi, voilà quelque chose qui n'est pas anecdotique.
08:26C'est pour moi un symbole du fait qu'on a envie d'être ensemble.
08:30La vieille idée heideggerienne qui est la mienne,
08:32sous Zahm & Zahm, être ensemble.
08:34– Mais pour vous, le ressort de cet être ensemble,
08:36c'est donc le pathos, la passion ?
08:39– C'est le pathos, oui.
08:41– Est-ce suffisant pour créer ce commun ?
08:44– Non, bien sûr, écoutez, cher ami, j'écris une quarantaine de livres.
08:49Un de mes livres s'appelle Éloge de la raison sensible.
08:53C'est-à-dire que je montre raison sensible.
08:56C'est-à-dire comment une conjonction de la raison et des sens,
08:59le pathos, les émotions.
09:01Permettez-moi de vous dire, je suis thomiste.
09:02Saint Thomas d'Aquin est mon essentiel maître.
09:05Mon premier texte en 66, c'était sur saint Thomas.
09:08– Ni les in intellectu, quonon fiut prius in sensu.
09:13Saint Thomas.
09:14Il n'y a rien dans l'intellect qui n'ait d'abord été dans les sens.
09:18Voilà cette conjonction, si vous voulez.
09:20C'est Aristote, c'est saint Thomas d'Aquin.
09:22C'est-à-dire, alors qu'à partir de Descartes,
09:24il y a eu cette dichotomisation du corps et de l'esprit,
09:28là, ces penseurs, pour ma part,
09:30j'essaie d'avoir une conception unitaire des deux.
09:33C'est-à-dire, cette conjonction, coincidentia oppositum,
09:36la coïncidence des choses opposées, excusez-moi,
09:39donc qui fait que, d'une certaine manière, le corps et l'esprit.
09:42C'est ça les affects, c'est ça le pathos.
09:44C'est un pathos qui intervient et qui utilise, bien évidemment, la raison.
09:48Mais pas le rationalisme.
09:49– Ah, je comprends bien.
09:51– Non, mais quand je vous lis, quand je vous interroge,
09:53vous vous rappelez d'ailleurs que vous êtes enseignant depuis 50 ans,
09:57mais quand je vous lis et que je vous interroge,
09:58j'ai l'impression d'être, moi, le vieux con.
10:00Parce que vous voyez de la vitalité dans beaucoup de choses, dans l'air du temps,
10:03mais c'est moi qui ai l'impression de vouloir vous parler
10:07des saccages, de l'insécurité, etc.
10:11Et puis vous vous attaquez au politiquement correct,
10:13mais, comment dire, ne pas évoquer ce saccage ou ces problèmes contemporains,
10:19n'est-ce pas être politiquement correct ?
10:20– Non, non.
10:24Mes premiers livres, c'était, sous l'inspulsion de Julien Freyne,
10:29de mes maîtres à Strasbourg, c'était sur la violence.
10:32Et je montrais que l'animal humain est agressif, animal, nous sommes.
10:37Mais que tout l'art des sociétés équilibrées était de savoir
10:40comment je vais ritualiser cette violence, l'homéopathiser.
10:43Et mon petit dieu chéri, c'est Dionysos.
10:47Le mythe de Cadmos, le mythe de la ville de Thèbes, fondé par Cadmos,
10:51c'est de voir qu'il donne la vie aux technocrates du moment,
10:55Penthé, qui est son premier petit-fils.
10:57La ville meurt d'ennui, parce qu'elle a évacué
11:01toutes les dimensions d'effervescence, de plaisir.
11:05Et à ce moment-là, les femmes vont chercher Dionysos,
11:07qui est de l'autre côté de la mer Égée.
11:09Ils introduisent Dionysos dans la cité, c'est les Dionysies, les bacchanales.
11:13Qu'est-ce que c'est qu'elle est bacchanale ?
11:14Le sang coule à minima, la violence est maîtrisée, pentée et tuée.
11:18Et la ville retrouve son âme.
11:19Et je considère que toute société équilibrée,
11:22ce n'est pas le cas pour nous actuellement,
11:23ont été des sociétés qui ont su, vous avez dit saccage,
11:27qui ont su intégrer, ritualiser, homéopathiser
11:30cette violence structurelle.
11:32Carnaval, fête des fous.
11:35Moi je me souviens d'avoir débattu il y a quelques années
11:37avec une sotte ministre, je ne sais plus,
11:39c'est Olymne Royal, je crois,
11:40qui était ministre de quelque chose,
11:43qui avait fait une loi pour interdire les bizutages, par exemple.
11:48Et je disais que c'est dangereux.
11:49C'est-à-dire que le bizutage, c'est une manière de se purger.
11:52C'est la catharsis aristotélicienne.
11:53On sort le mal en nous.
11:55Vous avez compris, qui est connaturel à ce que nous sommes.
11:58Et que si on sait le sortir, qu'il y a équilibre.
12:01Voilà mon hypothèse.
12:01Je vous réponds, vous voyez, mon hypothèse.
12:03– Oui, bien sûr, je comprends bien.
12:03– C'est-à-dire que, bien sûr, qu'il peut y avoir des éléments que vous avez dit.
12:08– Mais vous parlez des rites.
12:09Et en effet, mais donc si je vous comprends bien,
12:12la violence dans la société contemporaine existe,
12:15elle n'est plus ritualisée.
12:16– En gros, c'est ça.
12:17Et que c'est parce qu'il y a eu cette asepsie,
12:19cette hygiénisation de l'existence,
12:21moi c'était ma tête d'état en 78,
12:23que vous allez avoir une violence immétrisée.
12:25Les jeunes qui se tuent actuellement,
12:27les bandes, les machins, les choses, les cas.
12:29Voilà une expression, je dirais, d'une société
12:32qui n'a pas su homéopathiser et ritualiser la violence.
12:35Du coup, ces jeunes se tuent, entre eux.
12:37Par exemple, on voit bien de diverses manières.
12:40Alors, pour moi, nous sommes dans un moment comme ça,
12:43où parce qu'on a voulu hygiéniser la société,
12:46l'aseptiser, la pasteuriser,
12:48on pourrait multiplier à l'infini les expressions,
12:51cela va aboutir aux côtés, d'ailleurs on le dit,
12:52une violence perverse.
12:54En latin, pervia, ça prend des voies détournées.
12:57Si je ne sais pas la faire ressortir naturellement,
13:00je dis bien, et quand on regarde sur 2000 ans de temps,
13:03on voit des quantités, j'ai dit bacchanal,
13:05dionysique, carnaval, fête des fours,
13:06enfin machin chose, etc.
13:07Si on ne sait pas faire ça, ça devient pervers.
13:10Vous comprenez ce que je veux dire ?
13:11Et nous sommes dans un de ces moments où, en effet,
13:14malheureusement, il y a cette perversion dans l'air.
13:16Mais cette perversion, elle n'est pas simplement à rechercher,
13:19c'est chez les jeunes, elle est à rechercher,
13:20c'est chez ces technocrates qui imposent,
13:22encore maintenant, si vous voulez,
13:23une attitude d'hygiénisation de la vie sociale.
13:28– Est-ce que cela rentre dans votre plaidoyer
13:31pour une philosophie progressive et non plus progressiste ?
13:34C'est un volet de cette philosophie progressive
13:37que vous appelez de vos voeux ?
13:39– Bien sûr, vos voeux, non, excusez-moi,
13:41moi je ne suis pas un politique, je vous l'ai dit.
13:43– C'est dans votre programme politique ?
13:45– Je suis un pauvre rêveur.
13:46– Et donc, je dis des choses,
13:50moi j'étais invité par tous les présidents,
13:52beaucoup de députés, des choses comme ça,
13:54je leur dis, je leur dis que je ne suis pas politique,
13:57mes opinions ne concernent que moi si tant est que j'en ai.
14:00Par contre, je fais une analyse, voilà.
14:02Et ce que je peux dire dans mes analyses,
14:04pas forcément de mauveux,
14:05c'est retrouvons cet équilibre,
14:07retrouvons cette capacité, en quelque sorte,
14:10d'arriver à intégrer pour ne pas être submergé
14:12par l'agressivité qui est la nôtre.
14:15Je veux dire, quand on est ensemble,
14:18tu m'empêches de respirer, voilà, en quelque sorte.
14:21Vous voyez, c'est un élément structurel de l'animal humain.
14:24Et donc, tout l'art est d'arriver à trouver un moyen,
14:26en quelque sorte, d'éviter les perversions,
14:29à bien des écarts, ce qui n'est pas le cas actuellement,
14:31de mon point de vue.
14:32À même temps, excusez-moi, puisque vous l'avez dit au début,
14:35je suis attentif au fait que je ne suis pas pour la sinistrose
14:39et la collapsologie, et le propre des intellectuels,
14:43François Huillard en particulier, actuellement,
14:45non, je considère qu'il y a une vraie vitalité chez ces jeunes générations.
14:49Il se trouve que j'en rencontre souvent, ils viennent me voir,
14:52et je sens qu'il y a là une vraie vitalité
14:53qui ne se plie pas aux injonctions.
14:56– Alors, qu'est-ce qui vous impressionne,
14:58qu'est-ce qui vous plaît,
14:59qu'est-ce qui vous fascine parmi ces jeunes générations ?
15:03– Regardez ce qui se passe dans ce qu'est, à vrai dire,
15:06je vous prie de m'excuser,
15:07la vraie diffusion, les réseaux, les blogs, les forums de discussion, etc.
15:13Les mots qui apparaissent, c'est partage, échange, solidarité,
15:19c'est ces mots qui apparaissent, qui sont des mots que j'appelle archaïques,
15:22pas dans le sens dépassé, archais, ça veut dire fondamentaux,
15:25premiers, archais, angaï.
15:26Et donc, on voit apparaître ces mots-là,
15:29et voilà ce que j'entends d'eux,
15:31c'est-à-dire ces formes de générosité, d'entraide,
15:34et c'est ce que j'essaie de décrire, fondamentalement.
15:38Et puisque nous parlons du rythme de la vie,
15:41comme je suis grécisant,
15:43je rappelle que le mot rythme vient du grec réo, rééine,
15:46c'est-à-dire un écoulement à partir d'un point fixe, la tradition.
15:51Et je considère, voyez-vous, ça peut paraître un peu paradoxal,
15:55qui a le retour de la tradition actuelle.
15:57Chez ces jeunes, les mots que je viens d'employer,
16:00partage, solidarité, c'est plus de l'économisme,
16:02c'est plus le matérialisme,
16:04c'est plus ce qui avait été dominant à bien des égards
16:07durant toute la modernité jusqu'à maintenant, soyons clairs.
16:10Mais qu'à côté de cette, je dis Péguy, la mangeaille,
16:15remplir le ventre, ces jeunes ont envie de remplir l'esprit.
16:18Ils cherchent, il y a une âme du monde.
16:19– On reproche quelques fois, tout simplement,
16:21si vous me permettez de parler vulgarement,
16:23d'être défoucu, de plaider pour la solidarité
16:26ou le partage, comme vous dites,
16:27mais en réalité, de plaider pour cela,
16:29pour des contrées lointaines et non pas pour le coin de la rue.
16:32– Non, non, oui, je sais que ça existe.
16:35Soyons clairs, les choses ne sont pas blancs et noirs.
16:38Vous savez que je considère qu'il y a un mélange,
16:39je comprends, c'est Durand, le régime nocturne,
16:43le régime diurne, nous sommes nocturnes et diurne.
16:45Non, bien sûr, il y a aussi, il y a ça, je le sais,
16:49nous avons fait des enquêtes dans mon centre à la Sorbonne
16:52sur justement, en allant sortant d'HEC, d'ESSEC,
16:55passer un an en Afrique pour des trucs, machin, chose, solidarité, etc.
16:59Bon, ça existe, c'est bien, je ne connais pas.
17:02Mais par contre, non, quand je dis solidarité,
17:04concreto modo, dans la vie quotidienne actuellement,
17:07les processus d'entraide très simples,
17:10encore une fois, qui se font dans ce que j'appelle, moi,
17:12à l'époque, je disais le temps des tribus, les tribalistes,
17:15mais je dis maintenant l'idéal communautaire en gestation,
17:18l'idéal communautaire en gestation.
17:20Et voilà, personne ne veut en prendre en compte en France,
17:24moi, je suis frappé de voir comment,
17:27compte tenu, encore une fois, de ces réseaux sociaux,
17:30il y a des vraies entraides dans la vie quotidienne.
17:34Nous n'avons pas ce mot en français,
17:35c'est l'école de Palo Alto, en Californie,
17:38qui parle de proxémie.
17:39En fond, l'environnement naturel, l'environnement social.
17:45Et que c'est à partir de ce que je vis avec d'autres,
17:48qu'il y a des nouvelles formes de solidarité
17:49qui sont en train de s'élaborer.
17:51Voilà, mon sentiment.
17:52– Oui, oui, vous revenez, vous critiquez très régulièrement
17:54les critiques du communautarisme,
17:56vous pensez que cette rengaine est surannée.
18:00– Oui, non, j'ai peur, il y a au moins trois mots qui me chagrinent.
18:07Communautarisme, c'est-à-dire qu'on ne sait pas voir
18:09qu'on n'est plus dans la République une et indivisible,
18:12la vieille idée franc-maçonne du XIXe,
18:14mais qu'il y a une res publica, une chose publique,
18:18une mosaïque, où ces communautés sont là.
18:21On est en train d'en faire l'apprentissage,
18:23c'est délicat, c'est dur, premier point.
18:25Alors donc, quand on dit communautarisme,
18:27je dis non, communauté, c'était la vieille idée thomiste,
18:31encore une fois, bien.
18:33Complotiste, si on n'est pas d'accord avec l'opinion officielle,
18:38on devient complotiste, c'est la liberté de penser, tout simplement.
18:41– Vous voyez du bon dans ce complotisme ?
18:43– Non, mais je n'aime pas le mot complotiste.
18:45– Le complotisme ?
18:46– Non, oui, je dis arrêtons de parler de complotisme,
18:49disons tout simplement le fait de penser par soi-même,
18:52et pas uniquement ce que, là je suis en train de lire un livre
18:56d'Alexandre Coiré, des années 30,
18:59il parle de l'ère du mensonge.
19:01Actuellement, c'est du mensonge qui est dominant
19:03dans le monde politique, le monde journalistique,
19:06le monde des experts de tout genre.
19:08– Vous n'aimez pas les journalistes, c'est vrai.
19:10Vous n'aimez pas les journalistes.
19:12Le publicitaire fait du concept, écrivez-vous,
19:14il en est de même pour le styliste, le journaliste aussi,
19:16les technocrates, les politiques aussi.
19:18– C'est les élites défasées.
19:20– Je ne parle pas des journalistes ici.
19:22– Je ne le demande pas vraiment.
19:23– Non, bien évidemment, je n'oserais pas le faire.
19:26Je ne le fais pas et je ne le pense pas.
19:28Mais non, ce qui est le journalisme officiel,
19:30sur un an, il reste sur des grandes valeurs désuètes
19:33et les séries n'en tirent l'arigot,
19:36ce que j'appelle des niagarados tiètes de bons sentiments.
19:39Il suffit d'écouter telle ou telle émission
19:42pour se rendre compte de cela.
19:43– Non, moi, Orwell, tenez, 1984, il parle des antiphrases.
19:51Au lieu de parler du ministère de la guerre,
19:52on dit ministère de l'amour.
19:54On peut déquiler ou de choses comme ça, antiphrases.
19:56Eh bien, c'est ce qui domine actuellement dans la presse.
19:59À même temps, voilà, moi je suis attentif au fait,
20:01vous avez compris, officiel, officieux.
20:04Ma thèse d'État mettait l'accent sur le fait
20:07qu'il y avait le pouvoir et la puissance.
20:09Pouvoir instituer, puissance instituante.
20:12Mon travail a été de rendre attentif à la puissance instituante,
20:16la puissance du peuple.
20:17C'est pour ça qu'il parle de populisme.
20:19Non, c'est le peuple, la sagesse populaire.
20:22Moi, je suis un fils du peuple et j'ai toujours gardé.
20:25Tout ce que j'ai écrit, c'est à partir de cet enracinement,
20:27ce que j'appelle l'enracinement dynamique.
20:29Et la puissance du peuple, la sagesse populaire, elle est réelle.
20:33Alors maintenant, on dit populisme, ces fameux démocrates
20:35qui sont très peu démophiles et même démophobes.
20:39Voilà, vous comprenez pourquoi moi je défends le peuple.
20:42Oui, bien sûr, je veux dire qu'il y a là une vraie sagesse.
20:45Alors, vous dites, vous écrivez qu'il y a un redressement en cours.
20:49Vous l'avez déjà exprimé depuis quelques instants.
20:52Je vais revenir sur la violence.
20:53Jusqu'où la violence, à votre avis, peut aller dans notre société contemporaine ?
20:57Ah, c'est un vaste problème.
20:59Ça, il faudrait un jour qu'on m'invite et qu'on en parle.
21:01Peu importe, je dis ça comme ça.
21:02Mais non, vous avez compris, mon essai sur la violence qui a été réédité,
21:07mon premier livre s'appelle La violence notalitaire.
21:10Voilà.
21:11C'est ce que je vous disais tout à l'heure, je n'ai pas d'autre chose à dire.
21:13C'est que structurellement, l'animal humain est un animal.
21:19Voilà.
21:20Et que l'autre l'empêche de respirer.
21:21Tu me pompes l'air.
21:23Voilà, si on prend des expressions.
21:24Et donc, tout l'art, qui est un art pas aisé, à bien des égards,
21:28c'est d'arriver, je dis bien, et ça a été une de mes thèses fondamentales de ma carrière,
21:33de voir comment, non, on ne déniait pas, mais on ritualisait.
21:38On arrivait à intégrer.
21:39Alors, nous sommes dans un moment, je ne sais pas trop que vous répondre,
21:43nous sommes dans un…
21:44– Dans un moment où, enfin, on a le sentiment que les changements d'époque
21:48se font rarement sans douleur, sans violence.
21:49– Bien sûr, de toute façon.
21:50– Et quand on vous lit, on a l'impression que c'est omniprésent
21:52et qu'on est à ce point-là.
21:55– Oui, mais en même temps, comment expliquer cela ?
21:58Il me paraît que ça va changer rapidement.
22:04Je m'inspire d'un auteur américain qu'on ne connaît pas en France
22:08qui s'appelle Sorokin, peu importe, c'est un russo-russe
22:11qui est parti en 1920 aux États-Unis et qui est un grand sociologue.
22:16Malheureusement, on ne le connaît pas en France.
22:18sociologue de la culture.
22:20Et il montre Pityrim Sorokin.
22:22Et il montre comment, il emploie un mot très simple, saturation.
22:27Quelque chose fonctionne, un corps est là,
22:30et puis les diverses molécules qui composent ce corps,
22:32fatigue, usure, ne peuvent plus rincer ensemble,
22:35destruction de ce corps.
22:36Mais, en même temps, à partir de ces molécules,
22:39reconstruction d'un autre corps.
22:41C'est ce qui me paraît être en jeu actuellement.
22:43Décadence, on est en décadence, renaissance.
22:46Et donc, pour expliquer cela, il montre que c'est un lent moment de sédimentation.
22:53Le verre d'eau, que je sale ou que je sucre, je n'en souviens plus.
22:57Jusqu'au dernier grain, on ne voit pas que le verre d'eau est saturé.
23:00Et c'est le dernier grain qui fait qu'à un moment donné, le verre d'eau est saturé.
23:04C'est mon hypothèse.
23:05C'est mon hypothèse, hein.
23:06Vous comprenez ? Hypothèse, c'est-à-dire que, peut-être que je me trompe,
23:10mais il me paraît que la lente sédimentation qui a commencé à partir des années 60 du siècle précédent,
23:16voilà, arrive à fin maintenant.
23:18Et que ces jeunes générations vont jeter le dernier grain.
23:22– Dites-vous que nous allons vers des lendemains qui chantent, alors.
23:24– Je n'aime pas l'expression, mais en tout cas, quelque chose qui fera qu'il y ait une harmonie.
23:33Le propre d'une harmonie dans la vieille tradition grecque,
23:36dans la vieille culture grecque au latine qui est la nôtre,
23:38c'est qu'il y avait une conjonction des choses opposées.
23:41Moi, c'est mon hypothèse actuellement, vous voyez.
23:42Mais c'est une harmonie, alors que la pensée égliano-marxiste,
23:48qui domine chez les élites, quoi qu'ils ne connaissent pas Marx, malheureusement, etc.,
23:53ou égale bien, considère qu'il faut dépasser, arriver au lendemain qui chante.
23:57Tandis que la conjonction, je vous l'ai dit tout à l'heure,
24:01c'est une expression d'un philosophe du 15e, le cardinal Nicolas de Cuse,
24:07« Coincidentia oppositorum », la conjonction des choses opposées.
24:11Je vous donne une image.
24:13La voûte, je vais encore souvent voir ça à Notre-Dame,
24:16la voûte de la cathédrale gothique, c'est la tension des pierres les unes sur les autres,
24:20qui assure sur la longue durée la voûte.
24:22Voilà la coïncidence des choses opposées.
24:24Non pas le dépassement égliano-marxiste, on va dépasser,
24:27on va dépasser le mal, machin-chose, etc.,
24:30mais non, quelque chose qui fait qu'il y a une conjonction.
24:33Je vais vous donner le mot, je vous prie de m'excuser, vous l'enlèverez.
24:36Fervindung, taille de guerre, qui est le…
24:39Fervindung, difficile à traduire, c'est pas le dépassement marxiste,
24:44au fait bon.
24:45Fervindung, c'est reprise, distorsion, guérison.
24:50Mon idée de tribu, c'est ça.
24:53On reprend la vieille idée de tribu, distorsion, on la tord,
24:56c'est pas la tribu africaine, machin-chose, des jungles,
24:59mais c'est les tribus dans nos jungles de pierre, guérison du corps social.
25:02Je ne sais pas si je me suis bien compris, mais voilà ce qui est en jeu actuellement.
25:05On est dans un moment où on reprend la vieille idée de la tradition,
25:11on ne les applique pas à la lettre, distorsion, on les tord, en quelque sorte,
25:16et mon hypothèse, c'est ce qui va donner la guérison du corps social.
25:20Voilà ma grande idée.
25:21– Donc un moment de guérison du corps social.
25:24– Je le pense.
25:24– Eh bien écoutez, Michel Maffezoli, ce sera le mot de la fin.
25:27Monsieur le professeur, merci d'avoir encore une fois répondu présent à l'appel de TVL.
25:31Je rappelle que vous avez publié Le rythme de la vie,
25:34Variation sur l'imaginaire post-moderne, aux éditions Société Lectio.
25:38Merci encore.
25:39– Merci bien, Charles.
25:40– Sous-titrage ST' 501
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