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Jacinda Ardern, ancienne première ministre de la Nouvelle Zélande est l'invitée de 7h50. Elle est l'autrice de “Un autre art du pouvoir” (Flammarion, juin 2025). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-19-juin-2025-4638696
Transcription
00:00Bonjour Jacinda Arden. Bonjour. Merci de le dire en français.
00:05Il y a deux images très fortes de vous qui ont fait de vous une star mondiale.
00:11Vous avec votre bébé dans les bras à l'ONU, vous la tête voilée en empathie
00:15avec les musulmans frappés par l'attentat de Christchurch.
00:19Pourtant ces deux photos, vous voulez casser la lecture trop simpliste qui en a été faite.
00:25On va commencer par la première.
00:26Pourquoi venir avec un bébé de trois mois à la tribune de l'ONU
00:30ne doit pas être forcément pris comme un message d'émancipation pour les femmes ?
00:36Pour moi, apporter ma fille, amener ma fille de quatre mois aux Nations Unies,
00:43c'était tout simplement une décision pragmatique.
00:45J'allais être, j'avais besoin qu'elle soit avec moi.
00:48Bien sûr, elle était avec moi dans le bâtiment des Nations Unies.
00:53Ce n'était pas mon intention au départ de faire un événement symbolique.
00:59Mon mari l'a amenée parce qu'elle s'était réveillée et que c'était le moment où en général elle avait faim.
01:05Et donc au final, cette image qui a circulé partout dans le monde,
01:10j'espère que les gens ne considèrent pas ça comme l'image d'une femme capable de tout faire à la fois.
01:15Je pense qu'ils comprennent que c'est au contraire un village qui soutient une mère et une leader.
01:19Et l'autre photo, le jour de l'attentat contre les mosquées de Christchurch,
01:26vous voilez, la tête voilée face à un imam, vous vous tenez les mains.
01:31Et vous écrivez dans votre livre, Jacinda Arden,
01:34pour moi, tous ces commentaires sont comme une inversion de la réalité.
01:39L'image d'une leçon de leadership et d'empathie, oui,
01:43mais cette leçon, c'est l'imam qui nous l'a donnée, ce n'est pas moi.
01:47Encore une fois, c'était un moment où je voulais me servir de ce livre, de ces mémoires,
01:57pour faire comprendre aux gens ce qui passe en coulisses.
02:00J'espère que ce livre n'est pas comme les autobiographies politiques habituelles,
02:05mais plutôt comme un récit personnel.
02:09Le 15 mars, lors de cet attentat terrible qui a fait tant de morts dans la communauté musulmane,
02:18oui, c'était moi qui devais diriger le deuil, prendre la tête de ce deuil,
02:22mais c'est vraiment la réaction du public néo-zélandais qui a guidé ma façon de faire,
02:27et en particulier des dirigeants de la communauté musulmane.
02:30Mais en fait, dans les deux cas, il n'y avait pas la volonté de fabriquer un symbole.
02:34Il n'y avait pas la volonté d'être dans un moment de communication politique ?
02:40En général, on a tendance à penser qu'en politique, et avec les politiciens,
02:48tout a été décidé en focus group, tout est basé sur les sondages,
02:52et tout est extrêmement délibéré.
02:54Alors que très souvent, dans les situations de crise,
02:57en réalité, on dirige avec son intuition.
02:59Et mon intuition dans ce moment atroce, c'était qu'il fallait être humaine d'abord,
03:05et dirigeante ensuite.
03:08Je ne pense pas que ce soit quelque chose de nouveau en réalité,
03:12mais je crois qu'aujourd'hui, nous avons beaucoup de dirigeants
03:18qui se présentent comme des hommes forts,
03:21alors qu'en réalité, je crois qu'il y a beaucoup d'attentes pour avoir davantage d'humanité.
03:24Et justement, la gentillesse, l'humanité, l'empathie,
03:27ce sont des mots, comment dire, extrêmement percutants sous votre plume.
03:32Ce ne sont pas simplement des valeurs qui vous portent,
03:35c'est votre colonne vertébrale en politique.
03:38On peut diriger, on peut gouverner, on peut commander,
03:40on peut présider autrement.
03:43Mais la question, pour qu'il n'y ait pas de malentendus,
03:46c'est qu'est-ce que l'empathie pour Javier Mille et sa tronçonneuse ?
03:52Qu'est-ce que l'empathie pour Donald Trump ?
03:54Qu'est-ce que l'empathie pour Vladimir Poutine ?
03:56Qu'est-ce que l'empathie pour Viktor Orban, pour Narendra Modi en Inde ?
04:01La Nouvelle-Zélande n'est pas une nation isolée du concert du monde.
04:07Et est-ce que l'empathie a une place dans le monde d'aujourd'hui, en 2025 ?
04:12Je pense que non seulement l'empathie a une place dans le monde en 2025,
04:18mais on en a besoin plus que jamais.
04:21Il y a beaucoup de dirigeants dans le monde
04:25qui ont adopté un style très particulier.
04:30Mais tous opèrent dans un milieu où les gens souffrent énormément
04:35d'insécurité financière, de l'incertitude liée à l'environnement,
04:42des pandémies qui perturbent énormément les sociétés
04:45et des conséquences économiques de ces pandémies.
04:47Dans ces situations, les politiciens ont un choix à faire.
04:52Beaucoup préfèrent choisir la peur et la culpabilité.
04:57Comme armes, c'est un des outils les plus anciens de la politique.
05:01Mais je crois que ces armes-là ne proposent pas de solution aux électeurs.
05:06L'alternative, c'est de trouver ces solutions,
05:08ces solutions dont les gens ont besoin aujourd'hui.
05:11Et c'est pour ça que la politique empathique n'est pas une faiblesse.
05:17Ce n'est pas une façon de ne pas prendre des décisions.
05:21C'est au contraire une façon d'être lucide sur son rôle au service de l'État,
05:27au service des besoins de sa communauté.
05:29Et quelle place, surtout pour l'empathie, face à des opinions populaires
05:33largement influencées par les réseaux sociaux,
05:36dont les algorithmes sont programmés pour faire monter socialement du clash, du trash.
05:42C'est-à-dire tout le contraire de la rationalité et de la gentillesse.
05:46Je pense qu'en tout cas dans les démocraties libérales,
05:52un des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui,
05:54c'est qu'on met souvent le projecteur sur ceux qui justement font les gros titres,
06:02qui tiennent des discours incendiaires, qui arrivent à attiser la haine et la colère.
06:07C'est comme ça qu'on obtient une couverture médiatique.
06:10Mais en même temps, c'est exactement ce qui repousse les gens, qui leur répugnent.
06:15Donc on voit que les gens s'éloignent de la politique,
06:17sont de plus en plus frustrés justement par cette vie politique.
06:20Mais en réalité, ils sont frustrés par ceux qui se comportent de cette façon.
06:24Je crois que ce qu'il y a, c'est comment répondre à ces grands défis.
06:30C'était les réseaux sociaux qui devaient normalement être les vecteurs de la démocratie.
06:34Et nous avons vu que malheureusement, ils mettent en avant le pire de la politique.
06:39Mais il faut trouver des moyens de communiquer directement avec les gens,
06:42et on pourrait s'en servir pour ça à l'époque qui est la nôtre,
06:45plutôt que d'utiliser les réseaux sociaux pour justement mettre en lumière les divisions et les discours incendiaires.
06:50Et justement, par exemple, pendant l'épidémie de Covid, vous avez impeccablement géré votre pays.
06:56Vous avez obtenu des résultats records en termes de vaccination et de limitation de l'impact de la maladie.
07:03Mais lorsqu'un nouveau variant s'est répandu, vous avez dû affronter des critiques ultra-violentes.
07:09Et là, les réseaux sociaux ont joué un rôle énorme.
07:16C'est-à-dire vraiment, la vraie question, c'est...
07:19C'est-à-dire, j'entends tous vos arguments.
07:21Mais quelle prise peut avoir la réalité du bilan d'un dirigeant face à un imaginaire surexcité par les réseaux sociaux ?
07:33Je suis très claire sur la réalité que nous affrontons, parce que vous avez raison, c'est quelque chose qu'on a vécu.
07:45Ça a coïncidé aussi avec les campagnes de vaccination en Nouvelle-Zélande.
07:49Et je crois que le monde a montré justement, a fait l'expérience de cette lassitude face à une pandémie qui était très longue.
07:58Mais il y avait aussi des campagnes de désinformation extrêmement puissantes.
08:03En Nouvelle-Zélande, on consomme énormément aussi de désinformation russe pendant cette période-là.
08:07On a consommé énormément de ces contenus et d'autres contenus qui venaient aussi des États-Unis.
08:13Il ne faut pas être naïf sur l'impact de ces contenus et leur influence sur la démocratie.
08:18Mon point de vue, c'est qu'il faudrait traiter les plateformes de réseaux sociaux comme des éditeurs.
08:23Et on devrait avoir des normes sur les exigences qu'ils doivent avoir.
08:30Un vieux briscard de la politique en Nouvelle-Zélande, un député travailliste réputé pour sa brutalité,
08:37vous a dit lorsque vous étiez une jeune élue,
08:39« Promets-moi de ne jamais chercher à t'endurcir ».
08:46Pourquoi vous a-t-il dit ça ?
08:48Je crois qu'il y a cette idée que pour survivre en politique, il faut avoir le cuir épais.
08:57Et c'est vrai, il faut une forme de résilience.
08:58Mais je crois que c'est différent de cette idée d'avoir le cuir épais.
09:03On a besoin que nos hommes politiques, nos femmes politiques, ressentent les choses.
09:08On a besoin qu'elles gardent leur empathie.
09:10C'est pour ça qu'ils sont là.
09:12Parce qu'ils sont mobilisés, touchés par la situation des gens.
09:17Sinon, ils perdent de vue ça.
09:18Et donc ce conseil, ne pas perdre l'empathie, c'est vraiment ça qui vous rend bon dans votre travail.
09:23Conseil que vous donnez à vos étudiants à Harvard, aujourd'hui,
09:26aux jeunes qui sentent une forme d'inspiration ?
09:30Mon conseil, c'est trier.
09:35Il faut rendre des comptes en tant que politique.
09:39Il faut écouter certaines critiques.
09:41Donc, utilisez des filtres.
09:42Assurez-vous que les critiques sont justifiées.
09:44Ne vous inquiétez pas des commentaires, par contre, qui parlent de votre look ou de ce que vous portez.
09:49Inquiétez-vous des commentaires qui interrogent votre capacité à faire ce qu'il faut pour la politique,
09:53pour lutter contre la pauvreté, etc.
09:55Ça, il faut s'en soucier.
09:57Et justement, comme vous enseignez aujourd'hui à Harvard, cette université américaine,
10:02qu'est-ce que vous sentez chez cette nouvelle génération ?
10:04Est-ce que vous êtes face à des jeunes qui ne croient qu'en les qualités,
10:11qu'en les pouvoirs de l'individu, ou qui ont encore confiance dans la politique, dans l'action collective ?
10:18Je pense qu'une des raisons pour lesquelles on voit émerger une génération qui se sent déconnectée de la politique,
10:27c'est parce que, justement, au contraire, ils sont en lien.
10:28C'est une génération qui grandit avec le réchauffement climatique,
10:32avec des inquiétudes très graves sur la guerre,
10:35en dehors de leur propre pays, mais aussi dedans.
10:39Ce sont des pays qui comprennent qu'une approche isolationniste ne peut pas résoudre les problèmes mondiaux.
10:46Donc je pense que c'est aussi pour ça qu'on voit une frustration devant la politique mondiale.
10:50Mais ce que je vois aussi, c'est de l'optimisme.
10:52Mon optimisme vient du fait que ces jeunes ne sont pas indifférents à ce qui se passe autour d'eux.
10:58Ils cherchent des moyens de changer les choses, malgré la vie politique à laquelle ils assistent.
11:02Vous avez choisi d'enseigner aux Etats-Unis.
11:08Harvard a été frappée par une interdiction de recevoir des étudiants étrangers.
11:15Alors, comment est-ce que vos étudiants ont vécu cette annonce ?
11:19Et vous, néo-zélandaise, est-ce que vous avez envie de poursuivre une carrière dans l'Amérique,
11:24qui est celle de Donald Trump ?
11:26Eh bien, moi je n'appartiens pas non plus à la faculté en réalité,
11:32donc je ne suis pas vraiment au cœur du problème.
11:35Je ne siège pas à l'université.
11:38Mais je crois qu'en tant qu'ancienne députée,
11:45les universités sont une institution qui m'est particulièrement chère.
11:48L'université, c'est votre conscience, c'est l'endroit où on critique la politique,
11:51où on critique la culture, où on critique l'histoire et où on questionne l'endroit où on est en tant que société.
11:57On doit être libre de pouvoir le faire, et manifestement, ce qui se passe aux Etats-Unis,
12:01c'est une autre forme de démocratie, mais en tout cas, c'est ça l'enjeu dans le débat qu'il y a actuellement
12:06entre le gouvernement et l'université.
12:08Vous avez aimé ça, le pouvoir ?
12:11J'ai toujours vu ça plutôt comme la responsabilité, davantage que comme le pouvoir.
12:20Ça veut dire que j'y ai trouvé beaucoup de plaisir, mais aussi beaucoup de difficultés.
12:26Et à aucun moment, ça ne vous manque ?
12:29Ce qui me manque, ce sont les gens.
12:33Ce qui me manque, ce sont les Néo-Zélandais, la capacité que j'avais de changer des choses,
12:39mais le poids que j'avais sur les épaules ne me manque pas.
12:43Et à aucun moment, vous vous sentez, comment dire, appelée par une forme de devoir
12:48face à l'état du monde, à la montée des populismes, des extrêmes-droites ?
12:56Si, absolument, je m'en sens tout à fait à une responsabilité.
13:01Je pense que c'est ça qui m'a amenée à cette fonction au départ.
13:05Je n'avais jamais eu l'intention de devenir Première Ministre.
13:07J'ai répété que ce n'était pas une fonction qui m'intéressait et que je rechercherais.
13:14Ça a été quelque part un hasard qui m'a amenée à occuper cette fonction.
13:19Maintenant que je ne suis plus Première Ministre, je me sens toujours responsable.
13:22C'est en partie pour ça que j'ai écrit un livre et c'est en partie pour ça que je suis là,
13:26plutôt que posée sur mon canapé avec des tas de thé.
13:28Mais il n'est pas question d'y retourner.
13:29La politique en Nouvelle-Zélande ? Non.
13:35Mais je ne crois pas que ce soit la seule manière d'avoir un impact.
13:41Je crois aussi dans la politique du peuple.
13:49Je crois aussi dans la fonction publique.
13:52Je pense que les gens doivent continuer à espérer mieux.
13:55Donc en fait, vous avez une conception très pragmatique du pouvoir.
13:59C'est-à-dire que quelqu'un qui a le pouvoir, il est là pour faire des choses.
14:03Et une fois que les choses sont faites, on s'en va ?
14:06Oui.
14:09Je crois qu'effectivement, c'est une approche pragmatique.
14:12Mais c'est aussi une approche qui se concentre vraiment sur cette idée du service, du service public.
14:20J'ai eu la chance d'être là, je me suis sentie la responsabilité de prendre cette fonction.
14:26Mais dès qu'on identifie les caractéristiques du leadership qui vous parle, qui sont importantes,
14:32et que dès qu'on voit ces capacités diminuer, il faut partir.
14:36Et après des années en politique, mon énergie était en train de baisser.
14:40Il était temps d'y aller.
14:41Et qu'est-ce qui vous rend le plus fier dans ce que vous avez fait, puisque ce qu'on fait est ce qui compte pour vous ?
14:47C'est-à-dire que vous avez fait voter, par exemple, une loi extrêmement importante sur les armes à feu, après l'attentat de Christchurch ?
14:56Il y a beaucoup de choses dont je suis fière.
15:01Je suis fière de ce qu'on a fait sur le réchauffement climatique.
15:04Je suis fière de ce qu'on a fait contre la pauvreté des enfants.
15:07On a légalisé l'avortement.
15:10On a interdit les armes semi-automatiques du style militaire.
15:13On a également fait entrer l'histoire de Nouvelle-Zélande dans nos écoles.
15:19On a eu notre premier jour férié maori, autochtone.
15:24Mais je crois que j'avais sous-estimé à quel point il était important aussi de voir comment on fait les choses.
15:32Je suis fière aujourd'hui de voir des dirigeants qui se considèrent empathiques et qui pensent eux aussi qu'ils peuvent diriger les pays.
15:38J'ai une dernière question.
15:41Dans votre livre, il y a des moments très importants.
15:46Il y a le Covid, évidemment.
15:49Il y a l'attentat de Christchurch.
15:52Il y a la très grave éruption d'un volcan qui a fait des dizaines de morts et des dizaines de familles en deuil.
16:00Il y a un ancien président de la République en France qui s'appelle François Hollande et qui dit qu'être président de la République, c'est côtoyer ou c'est affronter la mort.
16:11Est-ce que vous diriez la même chose ?
16:15Je pense qu'en y allant, je n'avais pas anticipé cet aspect.
16:19Mais je savais que diriger, c'est quelque chose auquel souvent on ne peut pas réellement se préparer.
16:28Et les conséquences d'être en poste au moment où nous avons perdu des vies, c'est que j'emporte cette tristesse, ce deuil avec moi.
16:39Parfois on me pose des questions sur la manière justement dont je gère ce deuil.
16:44Je crois que c'est quelque chose sur lequel on ne tourne jamais la page et je ne pense pas qu'il faille le faire.
16:49Je crois que la tristesse, ça motive aussi pour changer le monde dans lequel on vit.
16:54Et donc je porte ce poids, mais c'est aussi quelque chose qui me motive.
16:58Merci beaucoup, Jacinda Arden.
17:00Merci beaucoup.

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