00:00Après un avortement, clandestin ou pas, mais en tout cas, il faut un curtage, nettoyer, voilà, le ventre, notre ventre, notre utérus, je suppose, nettoyer.
00:11Et le chirurgien me dit, salope, qu'est-ce que t'as fait ?
00:15Je m'appelle Huguette Hérin, j'ai 86 ans, j'habite au Mans maintenant, et j'ai eu une vie, une longue expérience du monde de l'école.
00:27J'ai renseigné à Paris, puis après au Mans, et aussi une expérience d'élu au Mans et à la région des Pays de la Loire.
00:36Et enfin, ce dont je suis prête à vous parler, c'est de cette expérience terrible des avortements clandestins,
00:45puisque j'ai moi-même été impliquée et de manière délibérée, précisément en 1964,
00:54dans un avortement clandestin qui a été bouleversant et qui m'a montré combien les femmes de ce temps-là avaient subi des choses insupportables.
01:05Alors ma vie avant cet avortement est toute simple, c'est une vie à la campagne, l'enfance à la campagne.
01:11Ma mère est ouvrière agricole, elle ne peut pas m'élever, je suis née d'un père inconnu, et je dois passer 7 ans en nourrice.
01:21Et quand je viens avec ma mère, je découvre finalement une mère, une femme, qui vit des choses insensées, de difficultés, de violences,
01:31mais qui me considère plus comme une adulte que comme une enfant et qui m'explique beaucoup de choses de ce qui pourra m'arriver, de ce qui pourrait m'arriver dans la vie.
01:45Et je pense que c'est exceptionnel ce contact et cette force qu'elle a eue de me prémunir de danger.
01:55Je prends cette anecdote, ce n'est pas une anecdote simple.
01:59Elle me dit, j'ai 8 ans, quand tu vois un homme, tu cours.
02:04Et curieusement, elle n'a pas besoin de me donner plus d'explications, je comprends.
02:07Je fais des études, c'est plutôt rare chez les filles d'ouvriers agricoles.
02:13Je fais des études secondaires, je rencontre mon mari, moi j'ai 20 ans, 21 ans, lui il a un 19, et nous décidons, lui il a une bourse pour Paris.
02:23Moi je n'ai rien de spécial, mais j'ai décidé de faire des études supérieures aussi.
02:27Donc la gardienne ne me dit pas de problème, je te trouve quelqu'un qui est venu déjà dans cet hôtel.
02:35Je peux vous dire que j'étais plus qu'émue.
02:41Donc, comment dire ça, l'avortement se fait dans les toilettes du lycée.
02:49Mon mari m'emmène, il s'appelle Maurice, Maurice m'accompagne dans le métro.
02:55Il n'est pas d'accord que je n'aille pas aux urgences.
03:01Il me dit, non, ce n'est pas sérieux.
03:02Il a raison, mais je ne veux pas, je veux rentrer à la maison, je veux voir nos enfants, je veux rentrer.
03:10Je rentre en effet, mais je ne sais pas comment, le médecin, notre médecin, c'est une femme, elle est venue très vite.
03:17Elle m'ausculte, et ça c'est inoubliable.
03:20Elle me pose sa main sur mon ventre.
03:22Cette main posée d'une femme que je redoutais, je redoutais parce qu'elle voyait bien qu'on ne vivait pas une vie très conforme à ce qu'il aurait dû être.
03:32Enfin, au sens peut-être même politique, je n'en sais rien, je n'en sais rien.
03:35En tout cas, elle me disait, ce n'est pas sérieux, vous ne devriez pas faire ceci, cela.
