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L’historien et professeur au Collège de France raconte la fabrique d’un événement dans chacun des 15 nouveaux épisodes mis en ligne sur Arte.tv

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00:00Et votre invité média Céline Baïd-Arcourt est historien, professeur au Collège de France,
00:04producteur à France Culture et auteur d'une collection documentaire sur Arte.
00:09Quand l'histoire fait date, l'émission revient pour une nouvelle saison avec 15 numéros inédits.
00:13Bonjour Patrick Boucheron.
00:15Le 1er mai, le déluge, la bataille d'Astings, l'indépendance d'Haïti, le couronnement de Charlemagne
00:20vous racontait la fabrication d'un événement historique.
00:22Chaque épisode dure une vingtaine de minutes, c'est à la fois extrêmement rigoureux et très pédagogique.
00:26Qu'est-ce qui fait qu'un événement, qu'une date, entre véritablement dans l'histoire ?
00:31Parce qu'elle s'adresse à nous directement, parce qu'elle s'adresse à nous toutes et tous à l'endroit où on est.
00:39Vous vous souvenez peut-être, moi mes parents, ils m'ont toujours dit
00:42je me souviens parfaitement du moment où j'ai appris la mort de John Fitzgerald Kennedy.
00:49C'est ça un événement, quand ça vous rentre dans le corps littéralement et que ça vous plie vos âmes, la conscience.
00:54Alors ça c'est l'événement cinglant, celui dont on ne doute pas que c'est un événement.
01:00Mais il y a des événements qui s'insinuent de manière, je dirais, plus lente ou plus sournoise.
01:05Il y a des événements qui ne sont rien d'autre que l'ombre projetée de la mémoire.
01:10Et c'est toute cette grammaire, en fait, du changement qu'on tente de mettre en image, de donner à voir.
01:17J'évoquais l'épisode sur le déluge, c'est un sujet qui m'a surprise, car c'est un événement biblique.
01:22On est libre d'y croire ou pas, un historien ne travaille donc pas uniquement sur des faits avérés et incontestables ?
01:27Le mythe, ça fait partie évidemment du territoire de l'historien.
01:30Puis là, c'est un mythe magnifique parce qu'il est universel, il est biblique, vous l'avez dit.
01:34Mais avant, il y a des récits mésopotamiens.
01:37Et on voit d'ailleurs que toutes les civilisations chinoises, notamment, racontent des histoires de fin du monde pour nous dire, au fond, que la fin du monde a déjà eu lieu.
01:47Que, au fond, nous vivons un recommencement.
01:49C'est ça, le déluge.
01:50Au fond, Dieu a voulu châtier l'humanité.
01:53Elle est presque disparue, mais elle recommence.
01:57Et pourquoi ça nous intéresse aujourd'hui ?
01:59Parce que c'est un effondrement climatique.
02:01Et là, on voit que l'histoire, elle est perpétuellement réactivée.
02:06Enfin, en tout cas, la curiosité, mais aussi, également, la science, par l'éhantise du présent.
02:11Et donc, finalement, dans le déluge, il y a deux choses qui nous intéressent.
02:15Il y a la question de la vérité et du mensonge, vous l'avez dit, ça nous intéresse, journalistes, historiens.
02:20Et aussi, évidemment, qu'est-ce que nous sommes en train de devenir.
02:23Vous consacrez aussi un numéro au discours de l'empereur d'Ethiopie, Aylee Selassie, devant la Société des Nations en 1936, et l'ancêtre de l'ONU.
02:31Il dénonçait l'agression de son pays par l'Italie, par Mussolini.
02:33Là, automatiquement, on pense à ce qui se passe actuellement entre l'Ukraine et la Russie.
02:38Pourquoi vous ne faites pas le parallèle dans l'émission ?
02:41Parce qu'à ce moment-là, c'est une émission qu'on a, c'est un épisode qu'on a tourné il y a quelques années.
02:48Au fond, on n'en était pas encore tout à fait là de l'agression russe en Ukraine.
02:53Et puis, d'une certaine manière, ce pont que vous donnez à entendre à nos auditrices, aux auditeurs,
03:00nous, ce qui me semble intéressant, c'est au fond de n'en construire que la pile depuis la rive du temps passé.
03:07Et c'est à celui qui regarde et qui entend de faire les comparaisons nécessaires.
03:14Nous, on voulait raconter 1936.
03:16C'est l'année 1936, le discours d'Aylee Selassie à la SDN.
03:20On le décale un petit peu.
03:22Et évidemment, à ce moment-là, cet événement du passé, il se trouve, je dirais, fracassé par, justement, les affronts du présent.
03:32Alors, on pense à ce que c'est qu'une agression impérialiste, à ce que c'est qu'une agression coloniale et fasciste, en l'occurrence, puisque c'est Mussolini.
03:39Et ce qui est en jeu aussi, c'est la première fois que le négus d'Ethiopie, qui est un roi sacré, mais noir, et qui pose très haut la question du droit des Noirs,
03:54c'est un grand moment aussi d'éloquence parlementaire.
03:59Et puis, on a l'image et on a le son.
04:01Alors ça, évidemment, pour faire une émission de télé, c'est agréable.
04:05Vous dites que finalement, l'histoire se répète sans cesse, mais alors, les historiens peuvent presque prédire l'avenir.
04:11Vous pouvez voir, dès les premiers signaux, ce qui va se passer ensuite.
04:14Je ne crois pas, malheureusement. Je ne crois pas.
04:16Voir venir le temps, c'est évidemment un rêve de lucidité.
04:20Mais je ne suis pas sûr que les historiennes et les historiens de profession aient un privilège d'intelligibilité sur le monde.
04:27En tout cas, ce qui est certain, c'est qu'à ouvrir largement et joyeusement le livre des événements passés,
04:35on peut voir, je parlais de grammaire, si on était au théâtre, on dirait un répertoire.
04:40Il y a différents rôles.
04:41Et c'est vrai qu'au fond, ça peut se répéter.
04:45Donc c'est pour ça que ce n'est pas inintéressant, effectivement.
04:47Et aussi de voir au large, je ne veux pas seulement d'être obsédé par, on vient de parler des années 30,
04:53par cette comparaison obligée entre les années 30 et aujourd'hui.
04:57Non, non, si on parle de Charlemagne, si on parle d'Asting, si on parle de Frankenstein même,
05:01voilà un autre mythe, mais qui est lié également à un changement climatique.
05:07Tout cela, au fond, nous permet de mieux comprendre l'aujourd'hui.
05:12Oui, connaître le passé aide à comprendre le présent.
05:14Mais est-ce encore plus indispensable aujourd'hui avec la désinformation, la manipulation des faits ?
05:19Et est-ce que vous, les historiens, vous avez plus de mal à vous faire entendre dans le flot de fake news ?
05:24Voilà pourquoi, effectivement, il faut trouver d'autres moyens de s'adresser à un public élargi.
05:31Et la radio et la télévision font partie de ces moyens dans le service public.
05:35Je tiens à le dire et le souligner.
05:39C'est un engagement que Arte prend de défendre une histoire qui est savante et populaire, en même temps.
05:47C'est très important.
05:48Elle est savante parce qu'elle raconte comment on fait.
05:51Elle ne prétend pas que l'histoire nous tombe dessus et qu'on est simplement inspiré pour la dire.
05:59Non, non, on la fabrique devant vous et c'est ça qui est émancipateur.
06:03Et du coup, moi, j'ai l'impression, si vous voulez, que les gens, ils s'intéressent davantage aux égyptologues qu'aux pharaons.
06:11Donc, quand on leur dit, voilà l'enquête, ce n'est que nous.
06:14On va vous expliquer comment ça marche.
06:17Eh bien, à la fois, c'est plus intéressant et ça informe aussi sur la manière dont on construit un événement, justement.
06:26Cette collection, quand l'histoire fait date, est-elle utilisée à l'école par les enseignants ?
06:29Beaucoup. C'est d'ailleurs ça, au fond, qui nous a engagés.
06:32Mais ce n'est pas seulement ça.
06:33À continuer, on en avait déjà fait 30.
06:35On pouvait estimer que ça faisait collection, ça faisait œuvre.
06:38On en a fait un DVD, enfin un coffret.
06:40On en a fait un livre.
06:41On a même fait un livre.
06:42Et puis, à un moment, on s'est dit, mais non, il faut continuer parce que, justement, c'est très utilisé dans les écoles, dans l'enseignement et pas seulement.
06:52Et on s'est dit, ben voilà.
06:53Et puis, en plus, vous savez, on aime bien faire ça.
06:57Voilà, il y a une équipe formidable, des films d'ici.
07:00Et puis, ce n'est pas désagréable de faire ce qu'on sait savoir faire.
07:04C'est-à-dire qu'on a des habitudes, on a des envies.
07:06Oui, il y a une grammaire, comme vous l'avez dit.
07:10Donc, on a envie de continuer.
07:11Si je vous dis 26 juillet 2024, c'est une date ?
07:14Je pense que c'en est une, oui.
07:16Franchement, honnêtement, je pense que c'en est une.
07:18C'est la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques.
07:19Et vous étiez un des auteurs de cette cérémonie.
07:22Un des co-auteurs, oui, avec Laila Slimani, Damien Gabriel, Képhanie Réau.
07:25Ça, c'est une grande date de l'histoire, désormais ?
07:27Non, ce n'est pas une grande date de l'histoire, mais incontestablement, il s'est passé quelque chose.
07:31Nous avons vu quelque chose.
07:32Et je me permets de dire que ce qu'on a vu, on ne l'a pas inventé, on ne l'a pas halluciné.
07:37C'est-à-dire que ce donnait à voir un moment qui est un moment de l'histoire de nos imaginaires politiques,
07:44de nos imaginaires sociaux, de la création, du rapport, justement, encore une fois, au service public, au théâtre public, etc.
07:51Et de tout cela, il faut faire quelque chose.
07:54Parce que vous savez ce que disait Pierre Labori, qui était un historien du contemporain ?
07:58Un événement, c'est ce qui advient de ce qui est advenu.
08:02Donc ça, c'est advenu le 26 juillet 2024, mais que ça devienne un événement pour nous,
08:09c'est à nous, collectivement, d'en décider en fonction de ce qu'on va en faire.
08:12C'était en tout cas magnifique et formidable, donc bravo et merci d'être venu Patrick Boucheron.
08:15Quand l'histoire fait date, 15 nouveaux épisodes disponibles sur arte.tv et à l'antenne en septembre.
08:21Merci beaucoup à tous les deux.
08:22Merci.

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