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00:00Humble employé au tripostal depuis plus de 20 ans, pour rien au monde il n'aurait abandonné ce travail qui était toute sa raison de vivre.
00:11Tous les jours en effet, il avait pris l'habitude de subtiliser une cinquantaine de lettres qu'il emportait chez lui,
00:17en rejetant systématiquement celles dont l'enveloppe révélait la lettre d'affaires ou la facture.
00:23Seules les lettres d'amour l'intéressaient.
00:24Dans son modeste meublé, il commençait par les ouvrir toutes à la vapeur.
00:31Et puis il y lisait, avec attention, pour ne garder que celles qui étaient amicales, touristiques ou analytiques.
00:38Bref, le tout venant.
00:39Celles-là, il les remettait dans leur enveloppe qu'il refermait avec une louable minutie.
00:44Mais il accordait sa soirée et une partie de la nuit aux quelques missives, rarement plus de 4 ou 5,
00:51écrite par des amoureux, repus ou éperdus, déçus ou mordus.
00:57Surtout si le ton montait jusqu'au convulsif.
01:00C'est à cet instant qu'il s'enlisait, dans sa passion personnelle, en incomparable virtuose de la contrefaçon épistolaire.
01:08Il réécrivait miticuleusement à la main les lettres sélectionnées,
01:12saccageant à plaisir leur texte original,
01:15transformant les déclarations obscènes en glaçales ruptures,
01:20les névreries sentimentales en dégueulies hors d'hurlier,
01:24les reproches agacées en demandes d'amour,
01:27et les tendres approches en giclées de fiel.
01:30Avec, pour seul point de mire, la perturbation psychique,
01:35le bouleversement dans la vie de ceux qui allaient recevoir,
01:38avec un jour de retard, une lettre attendue, métamorphosée en charge explosive.
01:44C'était là son seul plaisir, et même son seul vice.
01:51Et donc, mon deuxième texte maintenant, c'est « La mort des amants » de Charles Baudelaire.
01:55Nous aurons des lits, pleins d'odeurs légères,
02:06des divans, profonds comme des tombeaux,
02:10et d'étranges fleurs sur des étagères,
02:13éclosent pour nous sous des cieux plus beaux.
02:18Usant à l'envie leur chaleur dernière,
02:20nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux
02:23qui réfléchiront leur double lumière
02:26dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
02:30Un soir, fait de roses et de bleus mystiques,
02:34nous échangerons un éclair unique
02:36comme un long sanglot, tout chargé d'adieu.
02:41Et plus tard, un ange,
02:43en trouverant les portes,
02:44viendra ranimer, fidèle et joyeux,
02:47les miroirs ternis et les flammes mortes.