Initialement condamnée à disparaître, France 4 connaît une renaissance inattendue avec son passage sur le canal 4 de la TNT. Michel Field, directeur culture de France Télévisions, revient sur cette résurrection portée par la crise sanitaire, le service public… et un tweet présidentiel. Il évoque aussi l’ADN de la chaîne, entre jeunesse et culture.
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00:00Philippe Labreau, votre invité média aujourd'hui, Céline Baidarkour et le directeur culture du groupe France Télévisions, Michel Field.
00:07Bonjour Michel Field.
00:07Bonjour à vous.
00:08On va évidemment parler de la disparition de Philippe Labreau. Est-ce que vous aviez travaillé ensemble ?
00:13On n'a jamais eu l'occasion de travailler ensemble. Il m'avait fait des propositions pour que je le rejoigne à RTL,
00:18mais j'avais préféré le concurrent direct qui était européen, mais ça ne nous avait pas empêché de bien nous entendre.
00:25C'est vrai que c'était une personnalité énorme et multiforme, on vient de l'entendre.
00:29On pourrait rajouter aussi qu'il était parolier de chansons, Hommage au Lissara de Johnny, c'est lui qui a écrit les paroles.
00:36Donc voilà, il y avait ce côté touche-à-tout, éclectique, sa profonde connaissance des Etats-Unis.
00:42Ça a beaucoup influé à la fois sur sa manière de faire des films.
00:47Il a fait 7 ou 8 films qui voulaient s'inspirer un peu de la nervosité du polar américain.
00:53Et puis dès qu'il y avait des nouvelles de l'Amérique, il fallait l'écouter parce qu'il connaissait ça.
00:57Il avait été biberonné.
00:58Donc ça fait partie, pour les gens de ma génération, des grands patrons de presse, façon Étienne Mougeotte.
01:05C'est-à-dire de gens qui avaient une culture encyclopédique qui s'intéressait à tout,
01:11qui avaient gardé une forme de curiosité enfantine sur tout.
01:15Tout ce qui bougeait, il fallait...
01:17Et puis il y avait ce côté un peu mondain qu'il avait.
01:21Il aimait beaucoup les honneurs.
01:22Il avait transformé des projections en avant-première de films dans la petite salle de projection de RTL en événements mondains incroyables.
01:32Il y avait une quarantaine de personnes qui pouvaient être invitées.
01:35Et alors quand on recevait le coup de téléphone en disant « Philippe vous invite à la projection », on avait l'impression d'être vraiment...
01:42Vraiment faire partie de l'élite, de l'élite.
01:45Et ça vous est arrivé ça Michel-Phil ?
01:46Ça m'est arrivé une ou deux fois, mais il y avait des habitués qui ont eu beaucoup, beaucoup plus d'invitations.
01:51Non mais voilà, c'était un peu à la manière dont Pierre Lazareff organisait ses grands dimanches dans sa propriété de la région parisienne,
01:59qui était vraiment...
02:00Voilà, c'est toute une façon de faire de grands patrons de médias qui signent un peu une époque évidemment révolue.
02:08C'est pas que c'était mieux avant, mais c'était comme ça avant.
02:10Il avait transposé les méthodes journalistiques des Etats-Unis en France.
02:15Ça c'est lui qui a importé une autre manière de faire du journalisme.
02:18Oui, il était très sensible à ça.
02:21Enfin, un peu les banalités du milieu, c'est les faits, les faits, les faits.
02:25C'est-à-dire qu'en France, on a toujours tendance, aussi bien d'ailleurs dans le journalisme que dans le cinéma,
02:31à faire du commentaire, à faire de la psychologie.
02:36Lui, il était influencé au cinéma, par le comportementalisme américain.
02:41C'est-à-dire qu'on voit d'abord des gens agir, et le fait de les voir agir permet de comprendre qui ils sont.
02:46Tandis que nous, on passe dix minutes à expliquer qui est qui avant de rentrer dans l'action.
02:51Et sur le journalisme, c'est un peu la même chose.
02:52On a quand même une maladie terrible du commentaire et de l'opinion.
02:56Et je vais vous dire qu'avec le déferlement des chaînes d'infos en ce moment, vous voyez où je veux en venir.
03:02Les faits, c'est d'abord la colonne vertébrale de notre métier.
03:06Le commentaire vient en seconde.
03:07Je vois très bien où vous voulez en venir.
03:09Mais justement, Philippe Labreau, il a continué de travailler dans le groupe Bolloré jusqu'à la fin.
03:12Oui, mais parce que c'était quelqu'un de très fidèle.
03:15Il avait noué une amitié avec Vincent Bolloré qui leur avait fait explorer la naissance de C8.
03:23Et d'ailleurs, à un moment, tout le monde prenait ça très à la légère et se demandait pourquoi Labreau allait chercher un entrepreneur qui n'avait rien à faire avec les médias.
03:33Un peu le même mépris de classe qu'il y avait eu sur Bouygues quand il avait été concurrent de la Gardère pour racheter TF1.
03:39Et l'histoire montre qu'il faut toujours prendre au sérieux des industriels et imaginatifs.
03:46En plus, quand ils s'accordent avec un grand homme de médias comme l'était Philippe Labreau.
03:52On a aussi appris la disparition ce matin de Nicole Croisini.
03:54Ça, c'est une grande interprète qui disparaît.
03:57Oui, moi, ça m'a fait de la peine.
03:59Avant de venir, j'étais plutôt sur le choc de l'annonce de Nicole Croisini.
04:04Bon, ce n'est pas beau de venir aujourd'hui.
04:06Ça fait très nécro.
04:07Mais Nicole Croisini, c'était une femme incroyable parce qu'on la connaît pour ses succès.
04:12Un homme, une femme, ses succès avec Pierre Barou et tout.
04:15Mais c'était une artiste incroyable.
04:18Elle était danseuse dans le ballet de la comédie française.
04:22Elle avait fait du mime avec le mime Marceau, Jacques Tati.
04:25Et puis, elle était férue de blues.
04:28Donc, c'est quelqu'un qui a introduit beaucoup de la musique américaine et de la musique brésilienne.
04:33Pierre Barou était un fou de musique brésilienne.
04:35C'était une artiste complète et sans doute un peu sous-estimée.
04:41Bon, heureusement, elle a eu deux, trois grands succès populaires.
04:44Mais c'était vraiment une artiste, pardon, à l'américaine, si on veut faire une passerelle un peu.
04:50Avec Philippe Labreau.
04:50Voilà, avec Philippe Labreau.
04:52On va quand même parler de France 4 parce que c'était l'invitation initiale.
04:55Vous savez, quand on est directeur de la culture, on préfère parler des artistes que de soi-même.
05:00Donc, c'est bien.
05:01Alors, France 4, c'est la journée, une chaîne jeunesse.
05:04Et le soir, et c'est là que vous êtes intéressants, Michel Fide, c'est de la culture avec Culture Box, des programmes culturels.
05:12Alors, France 4, elle bénéficie du départ de Canal Plus de la TNT qui libère ainsi le numéro 4 sur la télécommande.
05:18Ça, c'est inespéré pour une chaîne qui devait disparaître, qui a été sauvée par le Covid.
05:23Ah ben, il y a une saga absolument incroyable parce que France 4 devait disparaître.
05:27Puis arrive le Covid.
05:29L'intuition d'Elphine Hernon, c'est de nous demander à la fois à la jeunesse et à la culture,
05:34l'école à la maison pour les enfants, c'est indispensable en journée.
05:38Et, me dit-elle, garder le spectacle vivant, présent sur les antennes.
05:43Et donc, on a vraiment fait œuvre, je crois, de services publics dans les deux aspects de la chaîne.
05:50Ce qui fait que cette chaîne provisoire a été pérennisée d'un tweet du Président de la République qui nous a évidemment mis en joie.
05:58Après, on s'est baladé sur toute la numérotation parce qu'on a démarré sur le canal 19.
06:05Et puis après, on a atterri sur le canal 14.
06:09Et on retrouve, d'un certain point de vue, le canal historique, si j'ose dire, à la place de Canal Plus, le canal 4,
06:16puisque c'est France 4 qui...
06:18Et ça permet aussi le regroupement des chaînes du service public, qui est évidemment une très bonne nouvelle pour nous.
06:24Est-ce que le découpage, jeunesse la journée, Culture Box le soir, va se maintenir au-delà du 6 juin, du jour du changement de numérotation ?
06:31Ah oui, ça va vraiment être la physionomie de la chaîne.
06:34Le soir, on parle de l'idée que les enfants, a priori, dorment.
06:39Et donc, c'est plutôt place à la culture, place au spectacle vivant, mais aussi aux documentaires culturels, aux films d'art et d'essai.
06:47Et la journée, c'est l'enfance et la jeunesse.
06:51On est en train de réfléchir pour septembre à aménager un rendez-vous de fin de journée, peut-être en week-end,
06:58où justement, il y aurait une transition où les deux univers se rejoindraient.
07:02Il y a beaucoup d'artistes qui font des versions pour les enfants ou pour les jeunes de grands classiques.
07:08Mon premier lac des cycles, mon premier casse noisette en ballet, la flûte enchantée en français, version réduite.
07:14On les a déjà mises à l'antenne et ça a bien marché.
07:17Et donc, on se dit, on pourrait avoir sans doute le week-end une sorte de casse familiale,
07:21où vers 18h, les familles seraient heureuses, les parents seraient heureux de montrer à leurs enfants
07:27que l'art, ce n'est pas forcément ennuyeux.
07:31Une meilleure visibilité avec ce canal 4, mais sans moyens supplémentaires.
07:35Il va falloir vous débrouiller.
07:36Est-ce que vous espérez tout de même attirer de nouvelles incarnations ?
07:39Je pense qu'il y a mécaniquement un effet d'audience plus grand.
07:44Après, il y aura plus de passages.
07:46Est-ce qu'on sera capable de garder les gens ?
07:48Ça, c'est à nous de voir.
07:50Là, le problème, on va réfléchir à la grille de septembre.
07:54Là, on a été...
07:55Vous avez été surpris par ce canal 4 ans.
07:57Oui, on a un peu été surpris.
07:58Donc, c'est vrai que là, pour l'instant, on s'est complètement concentré sur l'été des festivals.
08:04On va couvrir près de 80 festivals en France.
08:07Il y a peut-être une cinquantaine d'artistes qu'on va capter en concert,
08:11que ce soit sur l'INER ou le numérique.
08:13Ça, ça va être la marque d'identité du lancement de la chaîne.
08:16La chaîne, ça va être la chaîne des festivals.
08:18Et puis, en septembre, on vous présentera une grille.
08:20Mais, encore une fois, ce n'est pas tant les incarnations.
08:24Ce qui compte dans cette chaîne, c'est tout le travail que fait le secteur jeunesse de France Télé la journée.
08:32Est-ce qu'on va permettre aux artistes d'avoir comme vitrine le soir ?
08:36Les audiences, ça, c'est une vraie question, Michel Phil, parce que France 4 n'est pas mesurée.
08:40Alors, elle a été exceptionnellement lundi.
08:42Mais bon, il y avait du tennis et notamment le match de la Française, Loïse Boisson.
08:45Donc là, il y a eu un très bon score.
08:46Ce n'est pas représentatif.
08:48Est-ce que France 4 va être mesurée quotidiennement ?
08:49Oui, on va être mesurée quotidiennement.
08:52Et moi, je vais essayer de donner des cours aussi de lecture des audiences aux camarades journalistes des médias.
08:58Parce que, si vous voulez, quand on fait 250 000 téléspectateurs sur un opéra, il y a deux façons de titrer.
09:05Donc, soit on dit, mais c'est quand même formidable qu'un opéra réunisse, je ne sais pas combien, de Stades de France simultanément.
09:13Ce n'est souvent pas comme ça que c'est interprété.
09:15C'est, oh là là, le four d'audience, parce qu'on compare des carottes et des radis.
09:20Et que, évidemment, qu'on ne peut pas juger des audiences d'un spectacle vivant comme on le juge de jeu ou de série ou de fiction populaire.
09:29Donc voilà, on va apprendre à distinguer.
09:32On n'a pas d'objectif d'audience en tant que tel.
09:34On sait, en gros, intuitivement, au bout de 30 ans de métier, que quand on met un opéra en prime time, on fera peut-être moins qu'un jeu de nagui.
09:43Mais, c'est le service public.
09:45On n'a plus le temps, hélas, de parler de votre retour à l'antenne, Michel.
09:48Parce que Michel Field va revenir avec 100 filles, une émission de barbe aussi, quand même.
09:51Ce n'est pas non plus un événement mondial, mais ça me fait plaisir.
09:52Ce sera sur France 3.
09:55Et c'est la preuve que vous ne quittez pas France Télévisions, puisqu'il y a eu ces rumeurs-là.
09:58Non, non, on veut me mettre à la retraite prématurément.
10:01C'est gentil de la part de la consoeur qui a titré ça.
10:03Mais, j'annoncerai moi-même quand je pars, si ça ne la dérange pas.
10:07Et elle peut faire ma nécro aussi, parce qu'il arrivera un jour où je mourrai.
10:10Mais, ce n'est pas pressé non plus.
10:11Donc, voilà, l'émission de France 3, c'est sans filtre, sur les problèmes quotidiens des Français, un peu dans les territoires.
10:19Je fais, évidemment, avec toute l'infrastructure de France 3 Région.
10:23Et on sera à Montargis pour parler du narcotrafic au quotidien, et comment ça pourrit la vie des gens, et comment ça pourrit aussi la vie des jeunes qui le pratiquent.
10:33Ça, ce sera le 16 juin pour le premier numéro.
10:35Merci beaucoup d'être venu, Michel Filde.
10:36Directeur de la culture et du spectacle vivant de France Télévisions.
10:39Et on rappelle donc que la chaîne France 4 basculera vendredi sur le canal 4 de la TNT.
10:44Merci à tous les deux.
10:45Merci.