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  • 03/06/2025
Au moment de son embauche, sans explications, son employeur avait demandé à Mohamed de changer de prénom. Après y avoir travaillé 20 ans, il a poursuivi son ancienne entreprise, qui vient d’être condamnée au civil pour discrimination.

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Transcription
00:00Aucun d'entre eux, sauf celui-là, n'a jamais été établi au nom de Mohamed, tous au nom d'Antoine.
00:06De ressortir tous ces diplômes, ces plaques de récompense, ces awards, comme on dit dans le jargon,
00:15je ne sais pas des bons souvenirs.
00:17Parce que jamais mon travail n'a été reconnu sous mon vrai nom.
00:23Jamais.
00:25Sous le nom que Intergraph m'avait imposé.
00:28L'entreprise dans laquelle Mohamed Amgar a travaillé pendant 20 ans vient d'être condamnée au civil pour discrimination fondée sur l'origine.
00:35Mohamed, à l'état civil, a dû s'appeler Antoine au travail dès son embauche fin 1996.
00:40Et là, la personne qui allait être mon futur responsable me demande de changer de prénom.
00:48Donc de ne plus m'appeler Mohamed.
00:51Il y avait à la fois de la colère et de la honte.
00:53J'étais coincé. Moi-même, en fait, j'avais décidé de quitter la société dans laquelle je travaillais jusqu'alors.
00:59À partir de janvier 1997 jusqu'en avril 2017, j'ai travaillé sous le nom d'Antoine.
01:05Je n'ai jamais eu d'explication.
01:06Je suppose, je suppose que lui, comme peut-être d'autres, peut-être qu'il pensait que s'appeler Mohamed et s'adresser à des clients en tant que commercial, donc les prospecter, les appeler, ne pouvait pas se faire sous le nom de Mohamed.
01:27Père de trois enfants, la quarantaine passée, Mohamed Amgar se résout alors à rester.
01:32Moi, l'explication, qu'est-ce que je peux vous donner comme explication ?
01:34Ils vont me dire, il y a des clients racistes, donc tu sais comment ça se passe.
01:39Supposition, je n'ai jamais eu aucun mot de leur part.
01:41Et qu'est-ce qui se passe ?
01:43Alors, je m'en vais.
01:44Je m'en vais.
01:45C'est insupportable, en fait, je ne peux pas.
01:47J'en ai marre, j'ai essayé, mais non, je n'y arrive pas.
01:49Je m'en vais, je me retrouve sur le marché du travail, avec le nom de Mohamed, 45 ans, j'étais mort.
02:00Commercial chargé de vendre des logiciels chez Intergraph France, qui appartient à un groupe américain, puis au groupe suédois Hexagonabé, Mohamed Amgar cumule alors les récompenses.
02:08Celui-là, il est pas mal aussi.
02:09À chaque fois qu'on faisait plus que le quota qui était demandé, Intergraph, en plus de récompenses, vous envoyez un diplôme avec une belle plaque
02:18que vous pouviez accrocher au mur de votre bureau.
02:21Alors là, 2003, 2006, 2004, 2002, il y avait un voyage qui était organisé en général, et vous aviez droit à une petite semaine de vacances
02:35dans des endroits comme les Caraïbes, en général.
02:39Tous les employés récompensés passaient sur une estrade, et on avait droit aux photos, on avait droit aux félicitations de l'ensemble
02:47de la direction d'Intergraph.
02:49J'étais récompensé sous le nom d'Antoine.
02:51Alors que, même à l'époque, et c'était pas uniquement mes collègues français, beaucoup d'entre eux savaient que je m'appelais Mohamed, dans d'autres pays.
02:59Donc en Europe, aux États-Unis, ils savaient que je m'appelais Mohamed.
03:02Mais bon, c'est cette comédie qui était faite chaque année de récompenses.
03:11Pendant une semaine, on se baladait avec le prénom Antoine sur la poitrine, sur le diplôme, sur la plaque.
03:19Je n'ai absolument pas revendiqué le prénom d'Antoine.
03:23Et j'ai mis au clair les choses avec la plupart de mes collègues, qui, pour certains, ont accepté de m'appeler Mohamed.
03:30Et puis pour d'autres, qui pendant 20 ans, parce que j'en ai fréquenté pendant 20 ans aussi, des collègues, ne m'ont jamais appelé autrement qu'Antoine.
03:37Donc tous les jours, ils m'appelaient Antoine.
03:39Les scènes lunaires, c'était quoi ? C'était par exemple, je retrouvais d'un 5 clients.
03:42Puisque dans mon activité précédente, il y avait des clients qui étaient les mêmes que ceux que j'ai retrouvés ensuite chez Intergraph.
03:50Alors donc oui, pour eux, c'était la gêne, d'abord la surprise et puis la gêne.
03:56Ils ne comprenaient absolument pas la situation. Ils étaient révoltés pour certains d'entre eux.
04:00Mais 243 fiches de paye Intergraph portaient le nom d'Antoine.
04:08Alors de manière assez surprenante, ils ont laissé aussi Mohamed.
04:12Donc il y avait Mohamed, Antoine sur ma fiche de paye.
04:14Les cartes de visite étaient toutes Antoine.
04:16Les demandes de réservation d'hôtels, de voitures, de trains, d'avions, se faisaient toutes sur le nom d'Antoine.
04:23Jusqu'au jour où j'ai eu un problème, parce que bon, je me suis présenté avec un billet pour les Etats-Unis,
04:30avec le nom d'Antoine sur le billet, alors que mon passeport, mon passeport français, c'était Mohamed.
04:37Donc j'ai réussi à embarquer. On était encore avant 2001, mais le gars m'a dit, vous embarquez aujourd'hui, mais la prochaine fois, vous ne pourrez pas embarquer.
04:47Mon épouse était au courant, mes frères et sœurs étaient au courant, mais mon père et ma mère ne l'étaient pas.
04:56Voilà.
04:57Parce que c'était honteux.
04:59C'est honteux.
05:00Vous portez cette honte d'avoir dû accepter de changer le prénom que vous ont donné vos parents et celui que vous portez.
05:06Voilà, c'est votre identité.
05:08C'est comme ça.
05:08Je m'étais dit, un jour, un jour peut-être, ils devront répondre de ce qu'ils ont fait.
05:16Carte de visite, badge, badge d'accès, badge d'accès au salon, tous les éléments qui permettaient de nous identifier dans les salons ou à l'extérieur étaient toutes au nom d'Antoine Amgar.
05:30Si je garde tout ça, ce n'est pas pour me rappeler des bons souvenirs.
05:33Si je garde tout ça, je me suis dit, peut-être qu'un jour, ça me servira.
05:35En 2019, après avoir quitté son entreprise, Mohamed Amgar entame donc une procédure judiciaire.
05:40Maintenant, je suis à la retraite.
05:43Ça ne changera pas grand-chose pour moi maintenant.
05:46Mais malgré tout, il y a quand même une sorte de réparation symbolique, voire plus, qui doit être faite.
05:55Il est débouté dans un premier temps par les prud'hommes en 2022, mais il fait appel.
05:59Et la Cour d'appel vient de lui donner raison en condamnant son ancien employeur pour discrimination, harcèlement moral et violation de la vie privée.
06:06La Cour retient que l'employeur ne s'explique pas sur le fait ou les raisons de l'usage du prénom Antoine seul ou de façon adjointe dans certains documents internes à l'entreprise
06:15et n'établit pas que cette pratique procédera d'une demande de M. Amgar.
06:19Il fallait que je le fasse. Donc de l'avoir fait, ça pose un truc par rapport à la situation de gens comme moi aussi.
06:28Parce que ça va au-delà de mon propre cas. La blessure est toujours là.
06:33Oui, on va dire que ça apaise. C'est un pansement.
06:37Au total, en fait, entre les dommages à payer pour la LICRA et moi-même, on doit avosiner les 50 000 euros.
06:49Pour moi, c'est moins de 30 000 euros.
06:52Je pense que c'est absolument pas dissuasif.
06:54Voilà. En dehors de la, je veux dire, de la honte méritée par Intergraph d'avoir laissé ces faits prolongés pendant 20 ans,
07:06ces dommages sont faibles. C'est pas dissuasif. C'est absolument pas dissuasif.
07:11Pour une société comme celle-là, qui est une société milliardaire en chiffre d'affaires et en dizaines de milliers d'employés, c'est peu.
07:21C'est peu. C'est rien, en fait.
07:23Contacté Intergraph France n'a pas souhaité faire de commentaire.
07:27Hexagone, le groupe suédois auquel appartient Intergraph depuis 2010, nous a répondu par mail.
07:31Hexagone a pour principe de ne pas commenter les procédures judiciaires.
07:34Nous restons fermement engagés à favoriser un environnement inclusif et respectueux pour la totalité de nos effectifs,
07:40de plus de 24 000 personnes.

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