Extraits de la performance théâtrale au Plessis Théâtre, à La Riche.
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00:00Le 7 juin 2015, communiqué de l'association Retirada 37, dont le but est de faire vivre
00:22les mémoires et les valeurs des républicains espagnols exilés, a décidé unanimement
00:29le jeudi 4 juin 2015 d'adhérer au comité de soutien du Plessis Théâtre Gabriel Monnet.
00:37L'association Retirada 37 a trouvé auprès de la compagnie soutien et coopération pour
00:44construire un événement artistique, mémoriel et convivial le 20 novembre 2015 afin de commémorer
00:51le 40e anniversaire de la fin du dictateur Franco et l'espoir pour de nombreux républicains
00:59espagnols exilés d'un retour à la démocratie. Retirada 37 compte parmi ses valeurs celles
01:07de l'éducation populaire, de la démocratie culturelle, de la promotion des découvertes
01:14artistiques, du partage de l'accueil qui sont également celles de la compagnie José Manuel
01:22Piano Lopez. Le conseil d'administration de Retirada 37 estime donc nécessaire que la
01:29ville de Tours reconsidère la baisse de subventions et maintienne au Plessis le
01:35projet de la compagnie. Dans ce site où elle a su unir ses valeurs, ses créations,
01:42ses multiples actions artistiques et l'âme de ce lieu qu'elle a d'ailleurs aidé à sauvegarder.
01:50Je me souviens de ma mère, une main accrochée au chariot, tout à mon bonheur, sérieux comme
01:59toujours, les yeux écartillés, un léger sourire aux lèvres, j'étais un enfant très sage,
02:05paraît-il. Je me souviens que sur le toit de la super salle du paradis brillait le grand
02:11de lèvres rouges. Le premier supermarché de ma vie ne pouvait être pour l'enfant que j'étais
02:22pétri de catholicisme et toujours marqué par les souvenirs encore vivaces des femmes avancurées
02:28que la super salle du paradis, joliment éclairée en cette fin de janvier par les vestiges des
02:36illuminations des fêtes de Noël. Je me souviens que dès les premiers jours de notre nouvelle vie,
02:43mon père, très sérieux, me prit à part, j'étais d'aîné du haut de mes huit ans,
02:50pour m'annoncer les absurdes règles de communication en vigueur dans ce paradis
02:58aubaine des grandes maisons blanches, aux vastes et propres avenues, aux petits jardins,
03:03à l'étrange gazon d'un mer profond qui m'était inconnu, peuplé d'habitants moins bruns que chez
03:10nous, parlant un dialecte qui m'était totalement étranger. Si quelqu'un m'adressait la parole
03:17dans la rue, je devais invariablement et uniquement lui répondre, je ne comprends pas.
03:26Pourquoi devais-je répondre aux gens qui pouvaient m'apostropher, je ne veux pas acheter
03:39du pain, je ne comprends pas. Et pendant quelque temps, je refusais ainsi d'acheter du pain à
03:51quiconque m'adressait la parole dans la rue. Compartidos, souvenirs partagés. 2015, 20 novembre,
04:08Franco a muerto. Raices, mis en voie de souvenirs des membres de la retirada 37. Pour chercher mon
04:19enfance, spectacle théâtral, compagnie José Manuel Cano Lopez. 2016, 29 avril, fragments de
04:27mémoire. Raices, mis en voie. Pour chercher mon enfance, spectacle théâtral. 10 juin. Compañeras,
04:39films de Jean Ortiz et Dominique Gauthier. Rencontre avec Jean Ortiz. Souvenirs 1. Je ne
04:51garde aucun souvenir des trains de ce long voyage qui dura quatre jours, du 28 au 31 janvier 1964,
05:09un accouchement mystérieux de plus de 96 heures, ma deuxième naissance. J'avais eu huit ans la veille
05:23du départ de Grenada. Je ne savais pas encore que quatre jours après, il me faudrait réapprendre à
05:31parler, à marcher autrement, à découvrir un monde radicalement nouveau. Pas d'image lointaine
05:41de train ni de compartiment, pas d'odeur enfouie dans la mémoire, pas de changement de garde,
05:49nulle trace de fatigue. Seules deux images floues en noir et blanc restent encore gravées en moi.
06:01Un immense entrepôt, roi, ces femmes de tous âges, ma mère, là juste devant moi, retire son
06:14chemisier, son soutien-gorge apparaît. Je ferme les yeux, j'ai honte, je ferme les yeux. Et le deuxième
06:29souvenir, une plage de galets, la mer roule tout près sans aucun bruit, les ombres se promènent,
06:39classe, aucun son, le silence glacé des photographies mortifères. Attente de départ pour Anseo,
06:53ces deux images bien réelles mais transfigurées par les années, la visite médicale obligatoire
07:02pour passer la frontière à Irun du côté espagnol, la plage d'Andaille avant de poursuivre le voyage
07:10en France. 28 janvier 1964, départ de Granada, Espagne. 31 janvier 1964, arrivée à Bourges, France.
07:23Mon premier souvenir de Bourges, ce sont des grandes murs blancs, des pièces immenses et
07:34lumineuses, des lits et des meubles tout neufs, un grand balcon surplombant une vaste prairie et
07:41surtout un sentiment étrange et inconnu à l'intérieur de l'appartement. Et pourtant il faisait très froid
07:50dehors. Pendant de longs mois je me rappelle avoir marché les pieds nus, ma mère aussi d'ailleurs,
07:58recherchant dans un bonheur indicible les endroits les plus chauds sur le sol en plastique. C'est un
08:07appartement situé au cinquième étage d'une HLM d'un quartier périphérique de Bourges, très éloigné
08:16du centre-ville et quartier nord. Le quartier flambant neuf de la chancellerie se dressait au
08:24milieu des champs, les immigrés et les pauvres à la campagne. Ça je n'en avais pas conscience à
08:32l'époque. Comme j'ignorais aussi que le vaste jardin, la grande prairie qui s'étalait au bas des
08:40cinq étages, était appelé terrain vague. Tout comme je ne pouvais soupçonner les dégâts qu'occasionnerait
08:48le chauffage au sol dans le coeur de ma mère quelques années plus tard. Elle avait 30 ans,
08:55mon père 38. Il vivait en France depuis deux ans, il avait enfin réussi à nous faire venir. Ma petite
09:05sœur avait six ans, ma toute petite sœur deux ans. Pour moi, à ce moment-là, le paradis n'était
09:14pas au ciel, il était là devant moi et nous habitions à 200 mètres de sa succursale. La succursale du
09:22paradis était incroyablement étendue, scintillante de mille petites ampoules, d'une propreté inespérée,
09:30joliment nue, des poulets très blancs, pas jaunes, blancs, blancs, blancs, blancs, et des lapins
09:42luisants à la chair d'un voreau s'alignaient par dizaines, étonnamment éclairés par des
09:48petits tubes néons. Des morceaux de viande de toutes espèces étaient sagement alignés là,
09:56attendant d'être gloutis. Des milliers de boîtes de haricots blancs, rouges, de pois chiches, haricots
10:04verts, lentilles, tomates, et des montagnes de légumes inconnus formés de véritables mûres de toutes
10:10les couleurs, des merveilles, des merveilles, des bouteilles et des bouteilles de lait attendait
10:18d'être bue. Une douce musique, directement descendue du ciel, accompagnée de cette balade
10:26paradisiaque, on s'y promenait avec un petit chariot à roulettes, où ma mère asseyait ma toute
10:32petite sœur, souriant, dans un petit fauteuil, et installait ma petite sœur, la plus grande, debout
10:44dans le chariot, toujours renfroignée. 25, ce furent aussi dix années d'échanges et de projets communs avec les équipes du Plessis.
13:14Le récoil de ma mère, elle m'a accroché au chariot, tout à mon bonheur, sérieux comme
13:42toujours, les yeux écartillés, un léger sourire aux lèvres, j'étais un enfant très sage, paraît-il. Je me
13:50souviens que sur le toit de la super salle du paradis, brillait le grand de lèvres rouges,
13:55Ma Roche, Ma Roche. Le premier supermarché de ma vie ne pouvait être, pour l'enfant que j'étais
14:05pépri de catholicisme, et toujours marqué par les souvenirs encore vivaces des femmes rendurées,
14:11que la super salle du paradis, joliment éclairée en cette fin de janvier par les vestiges des
14:19illuminations des fêtes de Noël. Je me souviens que dès les premiers jours de notre nouvelle vie,
14:26mon père, très sérieux, me prit à part, j'étais d'aîné, au lieu de mes huit ans, pour m'annoncer
14:36les absurdes règles de communication en vigueur dans ce paradis aubaine des grandes maisons blanches,
14:43aux vastes et propres avenues, aux petits jardins à l'étrange gazon d'un air profond qui m'était
14:49inconnu, peuplé d'habitants moins bruns que chez nous, parlant un dialecte qui m'était totalement
14:56étranger. Si quelqu'un m'adressait la parole dans la rue, je m'expliquais à mon père, je devais
15:04invariablement et uniquement lui répondre, je ne comprends pas, je ne comprends pas. Cette consigne me laissa
15:16sans voix. Pourquoi devais-je répondre aux gens qui pouvaient m'apostropher, je ne veux pas acheter
15:23de pain, je ne comprends pas, je ne comprends pas. Et pendant quelque temps, je refusais ainsi d'acheter
15:33du pain à quiconque m'adressait la parole dans la rue. Ce furent aussi dix années d'échanges et de
15:46projets communs avec les équipes du Plessis.
18:03Récolte d'une amitié entre
18:33familles, fruit de cette guerre pas tout à fait comme les autres. Notre association s'est construite
18:40pendant ces dix ans, sur ces périodes troublées, sur ces idéologies progressistes qui, au lieu de
18:48converger, ont divergé et ont permis ainsi la victoire du fascisme et sa dictature pendant 40
18:58ans, sur ces plaies toujours ouvertes, sur ces guerres fratricides vécues par nos parents, mais
19:05surtout avec la volonté de leurs enfants et d'amis de ces combattants antifascistes. Elles nous ont
19:10permis aussi de reconstruire des liens, non pas pour effacer les différences, mais pour les reconnaître
19:18et trouver si nécessaire des points de convergence pour combattre le fascisme, qui aujourd'hui
19:25réapparaît avec force dans le monde. Notre devise, faire vivre les mémoires et les valeurs des
19:32républicains espagnols exilés, la matrice de ce qui nous a construit, reste aujourd'hui le moteur
19:41qui nous permet d'exister en tant qu'association. Fidèle à cette devise, nous avons su faire de
19:48nos différences une richesse qui, au cours de ces dix années, a permis de construire également des
19:55amitiés, a priori improbables, mais bien réelles aujourd'hui. Eric Sionneau, président de la Retirada 37.
20:05Mon père était originaire du port de Carreño, à l'extrême pointe de la Galice, où il n'y a que
20:28l'océan pour seul horizon. Il était marin, pêcheur de pouces-pieds. Au moment de la guerre civile,
20:36il avait déjà fondé une famille. À la fin de cette guerre, il ne participe pas à la Retirada,
20:44mais quitte l'Espagne du port d'Alicante, à bord d'une chaloupe, et se retrouve en camp de
20:52concentration en Afrique du Nord. Lorsqu'il désertera de la Légion étrangère pour s'engager
20:58dans la Noébée, il prendra le nom de Carreño López et le gardera jusqu'à sa mort, et me le
21:06transmettra ainsi qu'à ma soeur, ses deux nouveaux enfants. Ce choix, s'il est le signe certain de
21:14son attachement à sa région natale, il est aussi le rappel permanent de son exil, puisqu'il ne
21:21retournera jamais en Galice. Je suis née en France et n'ai pas connu la Retirada et toutes
21:28ses souffrances. Je peux néanmoins dire que je porte en moi l'exil de mon père. En 2010,
21:35lors de l'hommage qui lui a été vendu, j'ai pris conscience de l'étendue de la méconnaissance que
21:41j'avais de son histoire alors qu'il m'avait élevé. Car mon père, c'était aussi le silence,
21:48les non-dits, par souci de protection ou parce qu'indicible. Indicible, sa fuite de l'Espagne
21:57vaincue, son passage par les camps de concentration, ses combats dans la deuxième Nébée durant
22:04laquelle on perd ses compagnons. Indicible aussi le sentiment de trahison et l'impossible retour
22:12auprès de son épouse, de sa petite-fille et de son fils né après sa mobilisation et qu'il ne
22:20verra pour la première fois qu'à l'âge de dix ans. Comment recommencer alors une nouvelle vie
22:28en perdant son identité d'origine, en devenant un apatride ? Comment reconstruire une nouvelle
22:35famille et continuer à vivre sans culpabilité, sachant que les conséquences de ses propres
22:41choix ou engagements seront à supporter par tous ? Comment ne pas souffrir alors qu'on ne
22:47verra pas vieillir sa mère ni grandir ses enfants restés là-bas ? Voilà déjà de nombreuses années
22:55que tu n'es plus là, me laissant sans mémoire, avec mon ignorance coupable et toutes mes hypothèses,
23:04mais surtout avec cette lancinante question dorénavant sans réponse. Pourquoi papa ne m'as-tu
23:12rien dit ? J'aurais pu au moins t'affirmer que quel était le prix à payer pour toi et pour nous.
23:18En ce qui me concerne, je suis heureuse que tu aies choisi de combattre pour tes valeurs et pour
23:25la liberté. Magnus. Tous compartidos, souvenirs partagés. 2017, 22 juin. Federica Monseni,
23:46l'indomptable film de Jean-Michel Rodrigo. Rencontre avec Jean-Michel Rodrigo. 2018,
23:5318 décembre. Romanceros des ombres, ébauche. Spectacle théâtral, compagnie José Manuel
24:00Cano López. 2019, 8 février. Romanceros des ombres, création. Spectacle théâtral,
24:07compagnie José Manuel Cano López. Souvenir à Petri Sanabria García.
24:21Ma grand-mère savait lire et écrire. Elle allait même à la mairie défendre les droits des paysans.
24:31Peu avant le 18 juillet 36, elle a été assassinée. Elle se trouvait à une procession. Le curé marchait
24:44en premier et toute la procession derrière. Elle s'est jetée à lui en disant vous ne méritez pas
24:51de porter ces habits. Elle a eu du courage. Ce curé du village, il était du côté des oppresseurs.
25:00Il se trouve que mon oncle avait été blessé. Il appartenait au comité révolutionnaire et
25:08il était chargé d'aller chercher du blé aux grands propriétaires qui refusaient de payer les
25:14impôts. Et donc ma grand-mère se trouvait à son chevet. Il était à peu près guéri mais ils sont
25:26venus le chercher, la chercher à elle parce que le curé l'avait dénoncée. Et donc ils avaient
25:34envoyé un taxi pour elle et mon oncle. Et au retour au pueblo de Arenas de San Pedro, là,
25:44attendait un groupe d'hommes du village. On a d'abord tué mon oncle, son fils et ensuite elle.
25:56José Manuel Canoloper, moi aussi j'étais obligé de lever le bras devant le drapeau franquiste quand
26:15ce fut mon tour de rejoindre les bancs de l'école Ave Maria en 1962. Après le départ de mon père
26:25pour la France, moi aussi j'étais obligé de chanter « Cara al sol ». Ça m'en rappelle toujours.
26:33Et la chape de plomb de ces années-là qui s'abattit sur tous les républicains, les femmes, les hommes
26:51et les enfants aussi. Et la peur toujours présente et la faim qui vint à bout de nos dernières forces
27:02et qui obligea mon père à l'exil pour arriver à nourrir ses enfants. Mon père qui gava si longtemps
27:15le silence, refusant de parler de ses années noires jusqu'à cette nuit du septembre 1975 à
27:29Bourges, 30 années après son exil quand il réussit enfin à me parler. Pour qu'aujourd'hui je puisse
27:42dire à mon tour, dire que tout ça m'a changé parce que j'ai retrouvé mes racines. Moi qui suis
27:52née en France, je sais un peu mieux d'où je viens et ce qui s'est passé. Dire que je suis fière de
28:00mon grand-père Manuel Manolo. Fière de ce petit garçon seul dans ce terrible été de 1936. Fière
28:15aussi qu'il ait eu le courage de partir en exil. Fière de cette jeune femme de 30 ans, ma grand-mère
28:26Lico, abandonnant sa terre natale avec ses trois petits-enfants. Cette femme qui jamais ne put mettre
28:38un mot sur les douleurs de ses 30 premières années de vie. Fière du silence brisé et de notre mémoire
28:50partagée. Et continuer à dire toujours.
28:56Récord 3
29:02Détachez-la, ma fille est morte vierge. Portez-la dans sa chambre et habillez-la avec ses habits de
29:14jeune fille. Que personne ne sorte, elle est morte vierge. Demain, à l'aube, le glas sonnera deux
29:26fois. Je ne veux pas de pleurs. La mort, il faut la regarder en face. Silence, j'ai dit de se taire.
29:40Pleurez quand vous serez seuls. Nous nous noierons toutes dans un océan de deuil.
29:48La plus jeune des filles de Bernarda Alba est morte vierge. Vous m'avez entendu.
29:59Silence, j'ai dit silence. Silence.
30:06Un groupe de phalangistes commandé par le capitaine Chossa fouille la huelta. Le bruit s'est
30:19répandu que je cachais dans la maison familiale une radio clandestine avec laquelle j'étais en
30:27contact avec les Russes. Bien entendu, ils ne trouvent rien. Nous découvrons la violence et la
30:37peur est là, maintenant palpable. Comme la province de Grenade est coupée en deux, toute la famille me
30:46demande de m'enfuir dans la zone républicaine qui se trouve à quelques kilomètres de la huelta. Je
30:52refuse avec force. Le 9 août, un autre groupe de rebelles se présente avec la même violence. Cette
31:01fois, ils cherchent le frère du gardien de la huelta Gabriel Perea. Ils accusent d'avoir tué deux
31:08hommes de leur camp le premier jour du soulèvement dans le village d'Asquerosa. Mon père leur affirme
31:16que nous ne savons pas où il se trouve. Ils frappent Gabriel à coups de crosse et Isabelle, la mère de
31:25Gabriel aussi, la frappe à coups de crosse et elle tombe à genoux, blessée. Ils la traînent sur la
31:32terrasse devant la maison et ils la jettent dans l'escalier. Ils attachent Gabriel à un cerisier
31:38et l'un d'eux le fouette et nous sommes là tous impuissants, bouleversés. Mon père, Don Federico, ma mère, Dona Vicente,
31:48ma soeur Concha et moi aussi et je proteste avec force. Ils me jettent à terre, moi aussi. Ils me
31:56roulent de coups et ils m'insultent. C'est le petit pédé, le maricon, l'amiguito de Fernando
32:03Delorio, le ministro republicano, le maricon.
32:06Alors, départ cet après-midi du 9 août contre 3 à Follet, je téléphone à mon ami Louis,
32:17lui aussi poète mais phalangiste. Je lui raconte les violences subies et la peur qui me quitte plus.
32:29Je lui demande alors de venir m'accueillir chez lui pour me protéger. En effet, Louis et ses frères
32:36Antonio Miguel y José Rosa les comptent parmi les principaux phalangistes de la ville. Ils sont au
32:42cœur de la rébellion franquiste mais je sais que ce sont de bonnes personnes. Je le sais, j'en suis
32:49certain. Je me souviens que dès mon retour de Madrid, Concha, ma soeur, m'avait mise en garde. Federico ne
32:57parle jamais de politique. Les gens disent que tu es communiste. Je l'avais rassuré. Concha, por favor,
33:04conchita mia, trouve-lui tout ce que racontent les gens. J'appartiens seulement au parti des pauvres.
33:12Ce soir-là, toute ma famille me demande de partir pour me mettre à l'abri. Comme les gens de Grenade
33:24me croyaient communiste, ma famille était persuadée que j'allais être en sécurité chez mes amis
33:31phalangistes. Et c'est donc chez eux que je me suis réfugié au numéro 1 de la calle Angolo, à 300 mètres
33:43d'un gouvernement civil, où au même moment, le commandant Baldé organisait la répression. Souvenirs.
33:55Nous avons ouvert le tunnel sous le sable sans que les gens de la ville s'en aperçoivent, avec
34:04l'aide de plusieurs ouvriers et étudiants qui maintenant le nient, bien qu'ils aient encore les
34:12mains toutes écorchées. Une fois arrivés au tombeau, nous avons levé le rideau. Mais quel théâtre peut
34:20sortir d'un tombeau ? Tout le théâtre sort des humidités confinées. Tout le vrai théâtre dégage
34:29un profond relan de lune passée. Lorsque les costumes parlent, les personnes vivantes ne sont
34:36plus que des boutons d'os aux parois du calvaire. J'ai creusé le tunnel pour m'emparer des costumes
34:44et, à travers eux, montrer le profil d'une force occulte que le public était bien obligé de suivre,
34:52gagné par l'esprit et subjugué par l'action. Moi, je transforme sans effort un flacon d'encre en une
35:02main coupée et pleine de vieilles roses. Mais c'est un mensonge. C'est du théâtre. Si j'ai passé trois
35:12jours à me battre contre les racines et les coups de mer, c'est pour détruire le théâtre et démontrer
35:21que si Roméo et Juliette agonisent et meurent pour se réveiller tous souriants lorsque tombe le rideau,
35:28en revanche, mes personnages brûlent le rideau et meurent vraiment en présence des spectateurs.
35:36Les chevaux, la mer, l'armée des herbes y ont fait obstacle. Mais un jour, lorsque tous les théâtres
35:46auront flambé, on découvrira sur les sofas, derrière les miroirs et dans les coupes de carton
35:54doré, la réunion de nos morts, que le public y a enfermé. Il faut détruire le théâtre ou vivre
36:03dans le théâtre. Rien ne sert de siffler depuis les fenêtres. Et si les chiens génissent tendrement,
36:11il faut relever le rideau sans crier gare. J'ai connu un homme qui balayait son toit et nettoyait
36:22verrières et balustrades par pure galanterie envers le ciel. C'est possible, mais que peut-on
36:32attendre de gens qui inaugurent le théâtre sous le sable ? Si vous ouvriez cette porte,
36:39il s'empirait de mollox, de fous, de pluies, de feuilles monstrueuses et de radez-vous. Qui a
36:48jamais pensé qu'on pouvait briser toutes les portes d'un drame ? Le seul moyen de justifier le
36:53drame, c'est de briser toutes les portes, c'est de voir de ses propres yeux que la loi est un mur
37:01qui se dissout dans la plus petite goutte de sang. J'ai une horreur du moribond qui dessine sur ce
37:10mur une porte avec le doigt et s'endort tranquille. Le vrai drame est un cirque troué d'arcs où le
37:22vent et la lune et les créatures entrent et sortent sans avoir de lieu où se reposer. Vous
37:30marchez ici dans un théâtre où l'on a donné des drames authentiques et où l'on a livré un vrai
37:38combat qui a coûté la vie à tous les interprètes. Souvenirs d'eux. Les 65 se furent aussi dix années
37:50d'échanges et de projets communs avec les équipes du Plessis.
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