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  • 22/05/2025
Il y a plus de 70 ans, étaient publiés les deux romans-chocs de science-fiction : 1984 et Le meilleur des mondes.

1984 de George Orwell et Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley ont nourri les pires cauchemars des possibles dérives de la démocratie avec deux versions du contrôle des masses : par la privation ou par l'abondance. Romans d’anticipation ? Cauchemars éveillés ?

A l'heure de leur retour en force en librairie, le film confronte ces deux visions en miroir de nos sociétés de plus en plus contrôlées.

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Diversão
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00:00...
00:27Imaginez un monde globalisé.
00:29Une planète sous étroite surveillance.
00:34Où les hommes sont programmés, formatés,
00:38conditionnés pour accepter leur servitude.
00:41Un monde de la désinformation,
00:44du mensonge généralisé, où deux et deux font cinq.
00:48Où la liberté n'est plus qu'une illusion.
00:52La réalité d'aujourd'hui est en passe de rejoindre la fiction d'hier.
00:56Il y a plus de 70 ans,
00:58deux écrivains ont été les premiers à lancer l'alerte.
01:01Deux Anglais visionnaires, Aldous Huxley et George Orwell.
01:05Auteurs des deux chefs-d'oeuvre du roman d'anticipation
01:08Le meilleur des mondes et 1984.
01:14Dans Le meilleur des mondes,
01:15Aldous Huxley décrit dans un Londres futuriste
01:18une civilisation des loisirs futiles et hédonistes
01:21gouvernée par les technosciences.
01:24De l'autre côté de la tamise,
01:25George Orwell imagine dans 1984
01:28des citoyens-travailleurs placés sous l'œil et la botte de Big Brother,
01:31privés de toute liberté.
01:35Et nous, à l'heure du triomphe des biotechnologies,
01:37des mass-médias et des réseaux sociaux,
01:40sur quelles rives risque-t-on d'échouer ?
01:42Orwell ou Huxley ?
01:53D'un côté, Aldous Huxley, le privilégié,
01:56l'intellectuel, le dandy.
01:59De l'autre, George Orwell, l'humaniste, le bagarreur,
02:02le révolutionnaire épris de nature et de solitude.
02:07Deux Anglais aux tempéraments opposés
02:09qui se sont côtoyés, appréciés, puis querellés.
02:14Huxley fut le professeur d'Orwell
02:16avant que les deux hommes ne se perdent de vue.
02:19Ce sont leurs romans qui les réuniront,
02:21mais ils ne parviendront jamais à se mettre d'accord
02:23sur leur noire vision du futur.
02:27Tout, dans leur mode de vie comme dans leurs livres,
02:30exprime leurs antagonismes,
02:32jusqu'au lieu où ils ont écrit.
02:34Orwell s'enfermera pendant deux ans entre quatre murs
02:37sur une île d'Ecosse, battue par la pluie et les vents.
02:41Huxley optera pour la douceur
02:42d'une station balnéaire de Méditerranée.
02:46En 1930, Aldous Huxley se retire à Sainte-Marie-sur-Mer,
02:49sur la côte d'Azur, loin de la Grande Dépression
02:52et de la montée des nationalismes qui ébranlent l'Europe.
02:57Nous sommes en train d'emménager dans une petite maison
03:00donnant sur la Méditerranée.
03:03S'il vous venait à l'idée de revoir à nouveau le Vieux Monde,
03:06rappelez-vous bien de notre adresse.
03:0830 minutes de Marseille, 10 de Toulon.
03:12Dans cet havre de paix, fréquenté par de nombreux intellectuels britanniques,
03:16Aldous Huxley, en compagnie de sa femme Maria Nys
03:19et de leur jeune garçon, Matthew, profite de la plage,
03:22écoute Beethoven et observe de près
03:24les comportements de l'intelligentsia européenne.
03:28À 36 ans, Huxley est un jeune écrivain en vogue,
03:31un critique social caustique et un mondain assumé,
03:34toujours tiré à quatre égards.
03:36Il est un écrivain qui a été écrivé
03:38Il y a cette anecdote très amusante de Virginia Woolf
03:41lors d'une traversée sur un ferry.
03:44Elle repère sur le bateau Huxley et sa femme,
03:46vêtue comme pour un shooting pour le magazine Vogue,
03:49et comme elle ne se sentait pas assez bien habillée pour les rencontrer,
03:53elle s'adapte à l'ambiance de la plage.
03:55Elle est une jeune femme,
03:57qui a l'air d'être à l'abri de la plage,
03:59mais qui a l'air d'être à l'abri de la plage.
04:01Elle a l'air d'être à l'abri de la plage,
04:04mais elle a l'air d'être à l'abri de la plage.
04:06Il était vraiment très à l'aise en société.
04:09Outre l'écriture, à laquelle il consacre ses journées,
04:12Huxley se passionne pour la science et les innovations technologiques,
04:16la radio, qui pénètre les foyers,
04:22mais aussi et surtout la médecine et la biologie.
04:25Il est un écrivain qui a été écrivé
04:27et qui est un écrivain qui est un écrivain qui est un écrivain
04:30qui est un écrivain qui est un écrivain qui est un écrivain
04:33qui est un écrivain qui est un écrivain qui est un écrivain
04:36qui est un écrivain qui est un écrivain qui est un écrivain
04:40et un écrivain qui est un écrivain qui est un écrivain qui est un écrivain.
04:44Il est très athlète.
04:49Son grand-père, Thomas Henry Huxley,
04:52est un éminent zoologiste et anatomiste,
04:55grand défenseur de Darwin.
04:57Son frère, Julian,
04:59est un biologiste et théoricien de l'eugénisme.
05:02Quant à son demie-frère, Andrew,
05:04Je pense que cela a conditionné.
05:08Ce qui est intéressant, c'est qu'il n'a quasiment jamais écrit dessus.
05:13Pourquoi n'en a-t-il pas plus dit sur cet héritage intellectuel ?
05:17Était-ce parce qu'il voulait être un homme moderne ?
05:22Après la première guerre mondiale, des intellectuels comme Huxley
05:25étaient tellement en colère contre la guerre qui avait tué tant de leurs amis
05:28qu'ils voulaient tourner le dos au passé et regarder vers le futur.
05:35Ce que Huxley voit se profiler à l'horizon ne le rassure guère.
05:39Dans le contexte bouillonnant de l'entre-deux-guerres,
05:42il s'interroge sur la place de l'individu dans un monde
05:45qui court vers la production et la consommation de masse.
05:48Il veut en faire le sujet de son prochain livre,
05:51un récit ironique et féroce à rebours de la plupart des romans de science-fiction de l'époque
05:56qui défendent l'idée que le progrès scientifique ferait le bonheur des hommes.
06:01En mai 1931, Huxley s'isole dans son bureau pendant 4 mois
06:05et imagine un monde où la science, sous couvert d'apporter confort et stabilité,
06:09devient un instrument de contrôle visant à conditionner et asservir l'humanité.
06:15Son livre se nourrit des débats eugénistes qui animent la communauté savante des années 30.
06:20Huxley est atterré par ceux qui voient dans les progrès de la génétique
06:24un moyen d'organiser la société et de justifier les inégalités.
06:27Et plus encore par certains scientifiques aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne
06:31qui stérilisent les handicapés et les personnes jugées socialement inaptes.
06:39Aldous Huxley vivait à une époque où les gens parlaient d'élevage sélectif,
06:44d'eugénisme, de la possibilité de conditionner les êtres humains
06:50en induisant chez eux des comportements.
06:53En leur parlant durant leur sommeil.
07:04Huxley a extrapolé ces histoires, ces technologies,
07:10en y ajoutant les drogues et les médicaments
07:14pour en faire une fable sur le contrôle ultime.
07:19Le monde est stable à présent.
07:21Les gens sont heureux.
07:23Ils obtiennent ce qu'ils veulent et ils ne veulent jamais ce qu'ils ne peuvent obtenir.
07:27Ils sont à l'aise, ils sont en sécurité, ils ne sont jamais malades.
07:32Ils n'ont pas peur de la mort.
07:37Ils sont conditionnés de telle sorte que pratiquement,
07:40ils n'ont pas peur de la mort.
07:42Ils sont conditionnés de telle sorte que pratiquement,
07:45ils ne peuvent s'empêcher de se conduire comme ils le doivent.
07:52Huxley nous prévient ainsi que nous pourrions aller vers une société
07:56qui nous contrôle tous par le plaisir et non par la souffrance.
08:03Et ce serait alors une civilisation de laquelle il serait bien plus difficile de s'échapper.
08:08Qui va se rebeller contre le plaisir ?
08:13Huxley se plaît dans son livre à inverser toutes les valeurs du puritanisme de l'ère victorienne.
08:18Mais sous cette apparente libération des mœurs,
08:20se dessine une société inégalitaire, divisée en castes.
08:25Au sommet de la pyramide se trouvent les individus Alpha
08:28et tout en bas, les Epsilon.
08:31Son héros, Bernard Huxley,
08:33est le seul à opposer une résistance à ce conformisme de masse.
08:36Une indépendance d'esprit qui s'explique par un accident lors de sa conception.
08:44Bernard Huxley, c'est un Alpha et même un Alpha Plus,
08:47donc c'est quelqu'un qui a des capacités cérébrales très importantes.
08:51Mais malencontreusement, au moment où on le conditionnait,
08:55le bruit court que l'on entend,
08:58mais malencontreusement, au moment où on le conditionnait,
09:01le bruit court que des gouttes d'alcool se seraient échappées dans son sang,
09:06et du coup, il est petit, catastrophe, il est morico,
09:11il n'est pas beau gosse.
09:13Et comme il n'est pas beau gosse, et bien il a beau être un Alpha Plus,
09:17ce n'est pas un mâle dominant.
09:19Et comme ce n'est pas un mâle dominant,
09:21il n'a pas accès à toutes les femelles qu'il enthousiasmerait,
09:24et ça crée chez lui une profonde frustration.
09:28Il se sentait un paria.
09:30Et se sentant un paria, il se conduisait comme tel.
09:33Chose qui à son tour accroissait le sentiment qu'il éprouvait
09:36d'être étranger et solitaire.
09:38Bernard Marx tente de séduire la belle Lénina.
09:42Il l'emmène dans une réserve naturelle, loin du meilleur des mondes.
09:46Au cours de leur escapade, le couple rencontre un individu
09:49qui a échappé à toute forme de conditionnement,
09:51John, dit le sauvage.
09:54Et donc il va ramener ce sauvage,
09:56le président d'ailleurs de l'Amérique,
09:58et les colonies ont ramené des sauvages à la cour d'Angleterre
10:01pour les faire voir.
10:02Donc il va ramener ce sauvage,
10:04et il va se faire un vaste succès médiatique
10:07et érotique du même coup.
10:12J'ai eu six femmes la semaine dernière,
10:14confia Bernard Marx.
10:16Une lundi, deux mardis,
10:18encore deux vendredis et une samedi.
10:21Et si j'en avais eu le temps ou le désir,
10:23il y en avait encore une douzaine au moins
10:25qui ne demandait pas mieux.
10:30Dans un magazine, Huxley avait dit
10:32ne pas être intéressé par le monde des plaisirs.
10:35Il trouvait cela ennuyeux.
10:37Mais je pense que c'est contredit
10:39par ce que nous savons de sa vie.
10:42Il vivait dans des relations parfois très compliquées
10:45avec sa femme Maria, qui était bisexuelle.
10:48Et elle lui trouvait souvent des maîtresses.
10:53Dire qu'à l'époque, dans l'Angleterre des années 1920,
10:55ce n'était pas conventionnel,
10:57c'est un euphémisme.
11:01À sa publication en 1932,
11:03Le meilleur des mondes est ovationné par la critique.
11:06Mais plusieurs pays, comme l'Irlande et l'Australie,
11:09y voient une incitation à la débauche
11:11et demandent même à ce qu'on brûle les livres.
11:13Une polémique qu'Aldous Huxley suit d'un œil amusé
11:16depuis sa propriété de la Côte d'Azur.
11:22Au même moment, de l'autre côté du Channel,
11:25un homme se bat pour survivre.
11:27Journaliste dans la Dèche,
11:29George Orwell explore les bas-fonds de Londres,
11:32partage le quotidien des vagabonds,
11:34écrit sur leurs conditions de vie.
11:37Mais il ne parvient pas à vivre de sa plume
11:39et enchaîne les petits boulots.
11:41Jusqu'à ce que la Seconde Guerre mondiale éclate.
11:45L'Europe bascule dans le chaos
11:47et désormais la majeure partie du continent
11:49vit sous dictature.
11:51En 1943, Orwell écrit « La ferme des animaux »,
11:55satire dans lequel il dénonce le stalinisme
11:58et les dérives de la Révolution bolchévique.
12:00George Orwell a 40 ans
12:02et pense déjà à son prochain roman.
12:05L'histoire d'un régime totalitaire,
12:07cauchemardesque et destructeur.
12:111984, au départ, devait s'appeler
12:13« The last man in Europe »,
12:15le dernier homme en Europe,
12:16donc ça voulait dire la destruction.
12:22C'était une trilogie au départ
12:24qui s'appelait « Les vivants et les morts »,
12:26donc il y avait un premier tome
12:27qui n'a jamais été écrit,
12:28« La ferme des animaux »
12:29constituait le deuxième volet
12:30et le troisième et dernier,
12:32c'était « Le dernier homme »,
12:34la fin, c'est la fin.
12:35On a tout détruit.
12:461946, Londres n'est plus qu'un champ de ruines.
12:52George Orwell fuit la capitale
12:54et embarque sur un ferry.
12:56Direction l'île de Jura, en Écosse.
13:02Une terre pelée et austère,
13:04cernée par les rochers
13:05et peuplée de cerfs
13:06qui deviendra son refuge d'écriture.
13:09Un lieu insaisissable, écrit-il,
13:11où il va s'atteler à la rédaction
13:13de son grande œuvre.
13:15À mille lieues du confort
13:16ouaté d'Aldous Huxley,
13:18il emménage dans ce cottage isolé
13:20à Barnhill.
13:22Quatre murs,
13:23une machine à écrire,
13:24du tabac.
13:25Orwell n'a plus rien à perdre.
13:27Sa jeune épouse Eileen
13:29vient de mourir des suites d'un cancer.
13:32Il se retrouve veuf
13:33et père d'un jeune garçon adopté,
13:35Richard,
13:36trois ans.
13:38Richard Blair vit aujourd'hui
13:39à Long Islington,
13:40dans le centre de l'Angleterre.
13:43Quand on était dans la maison,
13:45vous pouviez entendre
13:46les tap-taps de la machine à écrire
13:48de mon père,
13:49dans sa chambre à l'étage.
13:52Chaque soir, sa jeune sœur Avril
13:54montait lui porter une tasse de thé.
13:58Et bien sûr,
13:59là où il se trouvait,
14:00il se trouvait avec son petit frère,
14:02son petit frère,
14:03son petit frère,
14:04son petit frère.
14:07Et il était là,
14:09dans sa chambre,
14:10avec un chauffage à huile
14:11qui faisait beaucoup de fumée.
14:13Les fenêtres fermées
14:15et il fumait comme un pompier.
14:17Il était vraiment
14:19un très gros fumeur.
14:25À 44 ans,
14:26Orwell souffre de la tuberculose.
14:28Il sait que son temps est compté.
14:32Alors il tape sur le clavier
14:34à longueur de journée
14:35et fume comme un sapeur
14:36jusqu'à encracher ses poumons.
14:42Il travaille dans son lit déjà
14:43parce que le médecin lui a dit
14:44vous ne bougez pas de votre lit,
14:46ça suffit les bêtises.
14:48Il tousse,
14:49il a des pneumonies à répétition,
14:50il crache du sang,
14:51enfin il est malade.
14:52Alors il n'avait pas trouvé
14:53de dactylo à Jura.
14:54Évidemment,
14:55loin de tout,
14:56il n'avait pas trouvé
14:57quelqu'un qui pouvait
14:58dactylographier son texte
14:59et c'était lui qui le faisait.
15:00Donc vous imaginez
15:01les énormes machines à écrire
15:02qui devaient peser 15 kilos
15:04et il avait ça dans son lit
15:05et il tapait à la machine,
15:06ça n'a pas dû arranger sa santé.
15:08Et je pense qu'il a travaillé
15:10dans un état,
15:11je pense qu'il travaillait tout le temps.
15:13Il était pressé de décrire ce texte,
15:15il avait toutes ses idées en tête
15:17et c'était une course contre la montre.
15:211984
15:22décrit un monde scindé en trois blocs
15:24qui se livre une guerre perpétuelle.
15:26La population est maintenue
15:27dans le dénuement
15:28sous l'œil menaçant de Big Brother,
15:30incarnation d'un pouvoir répressif,
15:32bureaucratique et omniscient.
15:36Dans ce décor post-apocalyptique,
15:38il y a un personnage qui s'appelle Winston
15:40qui a 39 ans,
15:41qui a un ulcère variqueux à une jambe,
15:44qui est un peu malingre,
15:45qui a un peu mal dans sa peau,
15:47quelque peu dépressif ou sub-dépressif
15:50et qui, depuis des années,
15:51est un monologue intéressant.
15:54C'est un inadéquat.
15:55Ainsi commence l'histoire.
16:24Les pièces insuffisamment chauffées,
16:26les rames de métro bondées,
16:28les maisons délabrées,
16:30le pain noir.
16:34Rien n'était bon marché et abondant,
16:36à part le jean synthétique.
16:40On avait toujours dans l'estomac et dans la peau
16:42une sorte de protestation.
16:46La sensation qu'on avait été dupé,
16:48dépossédé de quelque chose
16:49à quoi on avait droit.
16:54Personne n'a jamais mieux compris, je pense,
16:57le fonctionnement des systèmes totalitaires,
17:00pas seulement le fonctionnement,
17:02mais les principes philosophiques
17:04qu'il y a derrière,
17:06comme George Orwell.
17:15D'emblée, dès les premières pages,
17:17il nous met dans un univers qui est terrifiant.
17:20Les gens vivent dans des conditions misérables,
17:23ce télécran qui les surveille en permanence,
17:25et dans son ministère,
17:27les gens qui disparaissent subitement,
17:29le silence, personne,
17:31même le remarque qu'il a disparu.
17:33George Orwell nous fait prendre conscience
17:36de notre propre peur
17:38pour réagir comme un levier
17:40pour nous amener à nous révolter.
17:43Absolument.
17:45Quand on lit ce roman,
17:47il est écrit au scalpel.
17:49La première partie du roman,
17:51c'est la partie d'exposition,
17:53qui nous fait connaître cette société
17:55et la place que Winston y occupe,
17:57et particulièrement froide, glacée.
17:59La deuxième,
18:01qui est la rencontre avec Julia
18:03et la découverte du sexe et de l'amitié,
18:05et pourquoi pas de l'amour,
18:07celle-là a des moments lyriques.
18:09Dans l'ancien temps,
18:11un homme regardait le corps d'une fille,
18:13il le trouvait désirable,
18:15et l'affaire était faite.
18:17Mais aujourd'hui, plus d'amour pur,
18:20aucune émotion n'était pure,
18:22car elle était mêlée de peur et de haine.
18:24Leur embrassement avait été une bataille,
18:27leur jouissance, une victoire.
18:31C'était un coup porté au parti,
18:33c'était un acte politique.
18:38Orwell a pensé
18:40que l'amour
18:43est un moyen,
18:46offre une alternative
18:48à l'absurde,
18:50peut-être un moteur
18:52de révoltes et de révolutions très intéressantes.
18:54C'est comme ça,
18:56tout le roman de Jean Giraud est bâti sur ça.
18:58Un jour, la découverte de Julia,
19:00l'amour,
19:02et là, voilà la nouvelle fantasmagorie.
19:04L'amour vaut bien
19:06tous les sacrifices, Paris vaut bien une messe.
19:10Et l'amour l'amène
19:12dans la dissidence.
19:14L'amour est interdit
19:16dans la caste à laquelle il appartient.
19:18Et bien, il aime,
19:20et ainsi de suite.
19:22Et donc, du coup,
19:24il sort d'un univers,
19:26il rentre dans un univers qui vont s'opposer
19:28jusqu'à la mort.
19:30Je ne suis pas satisfait du livre,
19:32mais je n'en suis pas absolument mécontent.
19:34Je pense que l'idée est bonne,
19:36mais j'en aurais tiré un meilleur parti
19:38si je n'avais pas été malade.
19:401984
19:42est publié le 8 juin 1949.
19:44Malgré ses doutes,
19:46le roman s'impose immédiatement
19:48comme un chef-d'œuvre.
19:50Winston Churchill racontera
19:52l'avoir lu deux fois.
19:54Et Big Brother deviendra
19:56pour des millions de lecteurs
19:58la figure ultime du totalitarisme.
20:06État totalitaire
20:08broyant l'individu
20:10contre société de contrôle pourvoyeuse
20:12d'un bonheur et de plaisir superflu,
20:14tout semble a priori opposer
20:16les univers d'Aldous Huxley
20:18et de George Orwell.
20:20Et pourtant,
20:22un lieu à 40 km de Londres
20:24a réuni les deux hommes
20:26à la fin des années 1910.
20:28Une enclave hors du temps
20:30fabrique des élites de l'Empire britannique,
20:32le prestigieux collège d'Eton.
20:34Ils se rencontrent
20:36dans cette salle de classe
20:38en 1917.
20:40Huxley sur l'estrade,
20:42Orwell derrière un pupitre,
20:44le maître et l'élève.
20:46Aldous Huxley connaît par cœur
20:48ses murs et les graffitis
20:50qui ornent les tables.
20:52Il y a suivi sa scolarité
20:54comme tous les membres
20:56de la haute société britannique.
20:58Il y revient désormais
21:00comme professeur de français suppléant.
21:02Eton Eric Blair,
21:04le vrai nom de George Orwell,
21:06n'appartient pas à cette caste.
21:08A 14 ans,
21:10il obtient une bourse
21:12pour intégrer cette société d'héritier
21:14qui lui est totalement étrangère.
21:16Pour ce fils d'un petit fonctionnaire
21:18de l'administration des Indes
21:20en charge du commerce de l'opium,
21:22la découverte de cet univers
21:24constitue un choc.
21:26La plupart des garçons scolarisés à Eton
21:28venaient de familles très riches.
21:30Ils étaient ducs,
21:32comptes, etc.
21:34C'étaient des gens extrêmement riches
21:36qui dirigeaient le pays.
21:40Mon père disait toujours
21:42que sa famille était de la haute,
21:44moyenne, basse société.
21:46Pour expliquer cela,
21:48haute société car c'est ce à quoi
21:50ils aspiraient,
21:52classe moyenne car c'est de là
21:54dont ils venaient,
21:56et classe inférieure car
21:58ils n'avaient vraiment pas d'argent.
22:04Plutôt que de se fondre dans les traditions
22:06du collège, Orwell se passionne
22:08pour le roman noir.
22:10Il s'initie à la magie vaudou pour se venger
22:12d'un élève qui le harcèle.
22:14L'enfant sage
22:16se mue en adolescent rebelle.
22:18Seul le professeur Huxley
22:20capte son attention,
22:22bien malgré lui car l'enseignant
22:24traîne son spleen à Eton.
22:26Celui qui rêvait d'une vie de romancier
22:28a été contraint d'accepter ce poste
22:30quand son père lui a coupé les vivres.
22:32C'était un désastreux professeur
22:34qui n'avait aucune autorité,
22:36incapable de faire régner l'ordre,
22:38mais Huxley a mis l'amour de la langue
22:40et des mots dans les oreilles
22:42de ses jeunes élèves,
22:44et ça je pense que c'est un apport
22:46qui est resté.
22:48Au contact du professeur Huxley,
22:50le jeune Orwell découvre Zola,
22:52anatole France.
22:54Huxley et collaborent au journal de l'école.
22:56La littérature, l'écriture,
22:58deviennent pour l'adolescent récalcitrant
23:00un moyen de se faire une place dans le monde.
23:04Même s'il ne travaillait pas à Eton,
23:06il était capable
23:08de tenir une conversation intellectuelle
23:10avec n'importe qui
23:12car il était très cultivé.
23:16Il passait le plus clair de son temps à lire.
23:18Il a lu tout ce qui était à sa disposition.
23:20Et cette étincelle
23:22qui lui a donné envie d'écrire
23:24est certainement née à Eton.
23:30Aucun des deux ne se plaît à Eton.
23:32Orwell accumule les mauvais résultats
23:34et décide de ne pas poursuivre ses études.
23:36Après deux ans d'enseignement,
23:38Huxley démissionne de son poste.
23:40Il désire se consacrer
23:42pleinement à l'écriture,
23:44en finir avec ce qu'il appelle
23:46sa constipation poétique.
23:50L'art clos et oppressant d'Eton
23:52servira de source d'inspiration
23:54aux deux écrivains.
23:56Il façonnera leur vision du futur,
23:58celle d'un monde cloisonné,
24:00immuable, hiérarchisé
24:02en société de caste
24:04où nul n'échappe à sa condition.
24:10Dans son roman, Huxley imagine ainsi
24:12une usine à bébés.
24:14Ils sont produits d'un côté
24:16les alphas, l'élite physique, intellectuelle
24:18et de l'autre, les epsilon,
24:20masse ouvrière fabriquée à la chaîne
24:22suivant les techniques du clonage.
24:48C'est ça Huxley.
24:50Huxley, c'est de dire
24:52au lieu de vivre mal
24:54le déterminisme social
24:56qui est inhérent à nos sociétés,
24:58ce qui n'est pas totalement faux,
25:00on va biologiser l'éthos.
25:02C'est-à-dire, en gros,
25:04vous, vous vouliez être
25:06directrice de mode,
25:08vous, vous vouliez être
25:10boulanger, etc.
25:12Dès le début, ça sera réglé,
25:14cette histoire.
25:16Et donc, comme ça,
25:18on évitera que les uns et les autres
25:20aient des envies autres
25:22alors qu'ils ont un chemin clair
25:24et ils doivent s'y tenir.
25:30Donc ça, effectivement,
25:32ça peut être ressenti
25:34comme une dystopie délirante
25:36ou une utopie, puisque les gens
25:38n'auront même plus la possibilité
25:40de conscientiser leur servitude volontaire.
25:42Cette question d'une société
25:44prédéterminée selon des critères génétiques
25:46suscite de vifs débats au sein
25:48de la famille Huxley.
25:50Son frère, le biologiste Julian Huxley,
25:52est partisan d'un nouvel eugénisme
25:54qui viserait à améliorer l'être humain.
25:56Une idée à la fois répugnante
25:58et fascinante pour le romancier.
26:00Vous avez un couple
26:02absolument détonnant
26:04entre ces deux frères,
26:06l'un qui va penser
26:08la version rationnelle,
26:10totale,
26:12biologisante,
26:14eugénisante,
26:16entre guillemets, d'un côté,
26:18et puis l'autre qui va tenter
26:20par l'absurde,
26:22par la fiction utopique
26:24mais qui est presque dystopique,
26:26de venir contrer
26:28cette idée-là. Et donc vous avez deux frères
26:30qui, à l'intérieur même
26:32de leur nexus familial,
26:34de leur nœud familial,
26:36sont en train d'organiser
26:38la querelle future de l'humanité.
26:42Les États-Unis penchent
26:44aujourd'hui du côté des idées de Julian
26:46Huxley. Certains médecins ont même
26:48sauté le pas de l'eugénisme
26:50et proposent des bébés sur mesure.
26:54En Californie,
26:56au Fertility Institute de Los Angeles,
26:58le meilleur des mondes
27:00est devenu une réalité.
27:02Le Dr Steinberg fabrique
27:04des alphas sur commande.
27:08Nous avons actuellement 7000 embryons
27:10dans ces cuves et nous savons tout
27:12de chacun d'entre eux, de qui ils viennent,
27:14quand ils ont été produits
27:16et où ils iront.
27:22C'est dans ces cuves que le Dr Steinberg
27:24cultive les humains de demain.
27:30Ici, pour 20 000 dollars,
27:32des parents peuvent venir s'offrir
27:34la progéniture de leurs rêves.
27:40Ce que je suis en train de faire,
27:42c'est de la chirurgie sur un embryon humain.
27:44J'extrais quelques cellules pour analyser
27:46l'ADN et tout connaître de cet embryon.
27:50Jeffrey Steinberg aurait répertorié
27:52plus d'un millier de facteurs génétiques,
27:54déterminant non seulement la santé
27:56de l'enfant, mais aussi ses caractéristiques physiques.
27:58À partir de ces données,
28:00il dit pouvoir sélectionner un embryon
28:02qui répond au désir de ses clients.
28:04400 futurs parents font appel à lui
28:06chaque année.
28:08La première chose que les parents demandent,
28:10c'est une fille ou un garçon.
28:12La deuxième chose, c'est la couleur des yeux.
28:14La troisième, c'est la taille.
28:16Les gens grands veulent des enfants plus petits.
28:18Les plus petits, des enfants plus grands.
28:20Les gens veulent toujours ce qu'ils n'ont pas.
28:22On a des demandes assez folles
28:24sur la taille ou certaines caractéristiques
28:26pour devenir un bon joueur de football,
28:28une bonne danseuse,
28:30un bon chanteur,
28:32un bon athlète.
28:34Des demandes incroyables
28:36sur les différentes choses.
28:38Évidemment, on n'a pas encore toutes ces possibilités.
28:40Nous avons repensé notre technologie.
28:42Il y a encore plus matière à s'amuser.
28:44La conception d'êtres humains
28:46sur mesure représente aujourd'hui
28:48un marché colossal.
28:50En 2020, la filière devrait rapporter
28:52jusqu'à 20 milliards de dollars.
28:54De quoi craindre
28:56l'avènement d'une nouvelle société de castes ?
29:02Dans le futur,
29:04il y aura plusieurs genres d'êtres humains.
29:06Et certains seront supérieurs
29:08d'une manière ou d'une autre.
29:12Si les riches ont accès
29:14à ces technologies en premier,
29:16alors leurs enfants seront des dieux
29:18par rapport à nous autres.
29:22C'est ce que les rois
29:24dans les anciennes sociétés disaient.
29:26Ils disaient que leurs enfants
29:28étaient meilleurs.
29:30C'était un mensonge,
29:32mais cette fois, ce sera vrai.
29:36Après leur passage à Eton,
29:38les deux écrivains
29:40empruntent des chemins opposés.
29:42En 1927, pendant qu'Aldous Huxley
29:44coule des jours heureux en Italie,
29:46George Orwell revient de Birmanie
29:48où il a passé 5 ans dans les rangs
29:50de la police coloniale de l'Empire britannique.
29:54Quand il est rentré,
29:56il a dit à ses parents
29:58qu'il voulait devenir écrivain,
30:00mais qu'il n'était pas assez.
30:02Ils lui ont dit
30:04pourquoi a-tu abandonné
30:06un très bon travail de policier
30:08en Birmanie, bien payé,
30:10pour devenir un écrivain sans le sou ?
30:12En d'autres termes,
30:14tu entraînes la famille
30:16vers les tréfonds
30:18où tu sembles vouloir aller.
30:20C'est une des raisons
30:22pour lesquelles il a changé son nom.
30:24Eric Blair est devenu George Orwell
30:26pour protéger sa famille.
30:28Mais en même temps,
30:30il s'en accommode aussi
30:32parce que c'est son choix
30:34de vivre au plus près
30:36de ceux qui sont les victimes du système.
30:38Assez vite, il a développé cette idée
30:40que c'était du prolétariat
30:42que viendrait la solution
30:44et la révolution,
30:46et qu'il valait mieux
30:48être de ce côté-là.
30:52Les années 30.
30:54Une période charnière
30:56Si Huxley s'inquiète
30:58de la montée en puissance des extrêmes,
31:00il se tiendra toujours à l'écart
31:02de toute forme d'idéologie.
31:04George Orwell, lui,
31:06est un militant socialiste chevronné
31:08qui voit dans la révolution sociale espagnole
31:10un espoir de changement.
31:12En 1936,
31:14il part à Barcelone se battre
31:16contre les forces nationalistes de Franco.
31:18L'écrivain rejoint les rangs du POUM,
31:20le parti ouvrier d'unification marxiste,
31:22qu'il décrit comme une sorte
31:24d'écosme de la société sans classe.
31:30Et ça, ça le ravit,
31:32parce que lui qui pensait que c'était pas possible,
31:34que la société était irrémédiablement découpée
31:36en classes sociales infranchissables,
31:38là, tout le monde se mélange.
31:40Et il se dit, donc c'est possible.
31:42Et il y a un fol espoir, en fait,
31:44qui naît de ces journées.
31:46Donc il part d'abord sur le front d'Aragon.
31:48Ils sont bien contents de le récupérer
31:50parce que lui, au moins,
31:52il n'a jamais manié un fusil.
31:54Donc il devient instructeur, en fait,
31:56parce qu'il y a des tas de jeunes gens
31:58qui n'ont jamais manié une arme de leur vie.
32:00Et bon, on se bat sur le front d'Aragon.
32:02On colle pas des affiches.
32:04On tire des coups de fusil.
32:06Donc il devient instructeur.
32:08Et puis, Roel, il aimait bien se bagarrer.
32:10C'était un peu dans son tempérament.
32:14Et là, il est blessé.
32:16Il prend une balle dans la gorge.
32:18Ça, c'est complètement incroyable.
32:20Et aucun organe vital n'est touché.
32:22Il est juste blessé au larynx,
32:24ce qui va lui donner une extinction de voix
32:26qui va durer quelque temps.
32:28Et puis après, je pense qu'il va conserver
32:30dans sa voix un petit voile
32:32qui va lui rester toute sa vie.
32:38Trahi par Staline et le Parti communiste,
32:40qui ne veulent pas d'une révolution en Espagne,
32:42Roel et ses frères d'armes sont menacés.
32:46En juin 1937, l'écrivain anglais
32:48doit quitter à la hâte la Catalogne
32:50pour échapper à la prison.
32:58À son retour à Londres début juillet,
33:00son rêve d'une révolution fraternelle
33:02et libertaire s'effondre
33:04quand il découvre les informations mensongères
33:06diffusées par la presse communiste.
33:18La notion même de vérité objective
33:20est en train de disparaître de ce monde.
33:22À toute fin utile,
33:24le mensonge sera devenu vérité.
33:28Les injonctions qu'on trouve dans 1984,
33:30la guerre c'est la paix,
33:32la liberté c'est l'esclavage,
33:36l'ignorance c'est la force,
33:38l'amour c'est la haine,
33:40à travers ces inversions de sens,
33:42Roel rend bien compte
33:44de cette perversion
33:46des régimes totalitaires
33:48qui utilisent le langage
33:50en vidant les mots de leur substance
33:52et en la remplaçant
33:54par l'exact contraire.
34:16Cette manipulation du langage
34:18est commune aux deux romans,
34:20tout comme la falsification de l'histoire.
34:22S'inspirant du ministère
34:24de l'information du Royaume-Uni
34:26où travaillait son épouse,
34:28Roel invente dans 1984
34:30un ministère de la vérité
34:32qui s'occupe de tronquer l'information.
34:34Son héros,
34:36Winston Smith,
34:38est le premier homme
34:40à faire de la vérité
34:42la vérité.
34:44Son héros,
34:46Winston Smith, y travaille
34:48et a pour tâche de réécrire
34:50les faits historiques
34:52pour qu'ils correspondent
34:54à la ligne perpétuellement changeante
34:56du parti.
34:58Cela pénétrait votre crâne,
35:00frappait contre votre cerveau,
35:02vous effrayait jusqu'à vous faire
35:04renier vos croyances.
35:06Le parti vous disait de rejeter
35:08le témoignage de vos yeux
35:10et de vos oreilles.
35:12Le parti vous disait de rejeter
35:14le témoignage de vos yeux.
35:16Une idée reprise quasiment mot pour mot
35:18et parfaitement assumée
35:20par Donald Trump
35:22à Kansas City
35:24dans un discours
35:26face aux vétérans américains.
35:28Et rappelez-vous juste,
35:30ce que vous voyez
35:32et ce que vous lisez
35:34n'est pas la réalité.
35:36Ce qu'il dit
35:38dans ce discours incroyable,
35:40c'est « Je suis votre seul ami ».
35:42C'est tout droit sorti de 1984.
35:44Philippe McMahon
35:46est le directeur du Human Rights Center
35:48de Berkeley,
35:50la crème des universités californiennes.
35:52Chaque année,
35:54il forme plus de 100 étudiants
35:56à débusquer la vérité
35:58dans le flot ininterrompu
36:00d'informations contradictoires
36:02et mensongères
36:04qui se déversent aujourd'hui
36:06sur la planète.
36:08Huxley craignait ceux
36:10qui nous donneraient tellement d'informations
36:12que nous serions réduits à la passivité
36:14et à l'égoïsme.
36:16Dans un monde,
36:18vous avez des gens qui veulent éliminer les faits.
36:20Dans l'autre monde,
36:22un système qui dit que les faits ne comptent pas.
36:26On voit aujourd'hui
36:28ces deux mondes dans le discours des gens au pouvoir.
36:30Ils essaient de nous dire
36:32que les faits ne comptent pas
36:34en même temps qu'ils nous disent
36:36qu'il n'y a pas de faits.
36:40Le cours magistral terminé,
36:42Philippe McMahon passe aux travaux pratiques
36:44avec des élèves de première année,
36:46Monica, Harry et Nicky.
36:48Il leur montre comment les mécanismes
36:50de propagande les plus grossiers
36:52sont toujours d'actualité.
36:56Je vais vous montrer une vidéo.
36:58Ce n'est pas un fake.
37:00Il s'agit de sources de confiance.
37:06C'est le journalisme équilibré
37:08que produit CBS 4 News.
37:10Mais...
37:12Les fausses nouvelles sont devenues
37:14trop communes sur les réseaux sociaux.
37:22Sur des dizaines de chaînes de télévision
37:24locales de Sinclair Broadcast,
37:26géant des médias américains,
37:28des journalistes ont répété,
37:30durant plusieurs semaines,
37:32un monologue dicté par leur patron,
37:34Donald Trump.
37:36Un exercice de propagande
37:38vu par 38% des ménages américains.
37:48Bon, les amis,
37:50je vous demande, qu'en pensez-vous ?
37:52Nicky, Harry, Monica, dites-moi.
37:56Moi, je me demande pourquoi ça s'est produit
37:58sur des chaînes d'informations locales.
38:00Pourquoi est-ce qu'on leur a fait répéter ça là ?
38:02Parce que ces chaînes d'informations
38:04sont accessibles à chaque foyer
38:06et que tout le monde regarde les infos locales ?
38:10Politiquement parlant,
38:12la manipulation de l'information
38:14est plus importante que jamais
38:16pour garder le pouvoir.
38:18La tactique est de désorienter les gens,
38:20de leur faire refuser la vérité
38:22qu'ils voient pourtant de leurs propres yeux.
38:24Le rapport des politiques à la langue,
38:26aujourd'hui, il est...
38:28Alors, encore une fois,
38:30je m'en excuse déjà,
38:32mais il est assez désastreux.
38:34Qu'est-ce qui fait la démocratie ?
38:36Qu'est-ce qui fait l'État de droit ?
38:38C'est précisément un rapport préservé
38:40à la qualité de la parole.
38:42Pourquoi ? Parce que l'État de droit
38:44considère que le premier outil de régulation
38:46dans la démocratie, c'est la parole.
38:48C'est pas la violence.
38:50Et donc, la parole, pour qu'elle soit régulatrice,
38:52il faut qu'elle soit identifiée
38:54comme viable, comme honnête.
39:00Parce que sinon, vous dévitalisez
39:02le pouvoir performatif de la parole.
39:04Et donc, résultat,
39:06vous faites une parole qui, à un moment donné,
39:08est identifiée comme étant rien.
39:10Ça ou autre chose, c'est rien. Et donc, résultat,
39:12hop, on va directement vers
39:14ce qui va réguler la violence.
39:16La violence, l'hyper-sécurité,
39:18l'hyper-ordre, etc.
39:20Donc, préserver en démocratie
39:22le rapport qualitatif à la parole,
39:24c'est un enjeu politique.
39:30« Les divines,
39:32soiffez les victimes. »
39:38Aussi surprenant que cela puisse paraître,
39:40George Orwell a lui-même été un rouage
39:42de la machine à trafiquer l'histoire.
39:44En 1941,
39:46il est correspondant pour la BBC,
39:48en charge de la propagande vers l'Inde
39:50qu'il doit convaincre de participer à l'effort
39:52de guerre contre les nazis.
39:54Il s'exécutera sans sourciller durant deux ans,
39:56avant de démissionner.
40:00« J'ai l'impression que si je retourne
40:02à ma vie de journaliste et d'écrivain,
40:04je serai plus utile et que je ne le suis
40:06à présent. »
40:08Pendant la guerre,
40:10les trajectoires des deux écrivains se croisent
40:12à nouveau. George Orwell
40:14découvre le roman de son ancien professeur
40:16et s'empresse d'en rédiger une critique
40:18acerbe.
40:24« Le meilleur des mondes » de M. Aldous Huxley
40:26était une bonne caricature
40:28de l'utopie hédoniste.
40:30Le genre d'événement qui semblait possible
40:32et même imminent avant l'apparition d'Hitler,
40:34mais qui n'avait aucun rapport avec le futur
40:36tel qu'il se dessine.
40:38« Voilà qui est bien. »
40:44Ce vers quoi nous nous dirigeons
40:46en ce moment ressemble davantage à l'inquisition
40:48espagnole, ou probablement bien pire,
40:50grâce à la police secrète.
40:52Il y a très peu de chance d'y échapper
40:54à moins de pouvoir rétablir la croyance
40:56en la fraternité entre humains.
41:04Je comprends qu'Orwell,
41:06durant la seconde guerre mondiale vers 1940,
41:08se soit montré agacé
41:10vis-à-vis de la vision d'Huxley,
41:12qu'il trouvait un peu trop intelligente,
41:14trop complaisante avec la montée d'Hitler.
41:20Il considérait Huxley
41:22comme un intellectuel
41:24sans sa tour d'ivoire.
41:28Huxley ne prend pas la peine de répondre,
41:30ce qui n'empêchera pas Orwell
41:32de lui faire parvenir un exemplaire
41:34de son roman « 1984 ».
41:36Espère-t-il le convaincre
41:38du bien fondé de sa vision ?
41:40Aldous Huxley reçoit le livre
41:42de son ancien élève en Californie,
41:44où il vit depuis 1937.
41:46Cette fois, il adresse une lettre à Orwell.
41:48« D'ici la prochaine génération,
41:50je pense que les leaders mondiaux
41:52découvriront que le conditionnement
41:54des enfants et que l'hypnose
41:56sous-narcotique sont plus efficaces
41:58en tant qu'instrument de gouvernance
42:00que les matraques et les prisons.
42:04Et que la soif de pouvoir
42:06peut être tout aussi bien satisfaite
42:08en suggérant au peuple d'aimer sa servitude
42:10plutôt qu'en le frappant
42:12et en le flagellant pour qu'il obéisse. »
42:18En d'autres termes,
42:20je sens que le cauchemar de 1984
42:22est destiné à moduler le cauchemar
42:24d'un monde ressemblant plus
42:26à ce que j'ai imaginé
42:28dans « Le meilleur des mondes ».
42:38Jamais les deux auteurs
42:40ne parviendront à trouver un terrain d'entente.
42:42George Orwell aura juste le temps
42:44de lire la réponse d'Huxley
42:46à sa femme de 46 ans,
42:48moins d'un an après l'apparution de 1984.
42:52En janvier 1949,
42:54il a quitté l'île de Jura
42:56pour la dernière fois.
42:58J'étais avec lui dans la voiture.
43:00Il a été transféré
43:02à l'hôpital universitaire de Londres
43:04en octobre 1949,
43:06où il est resté jusqu'à sa mort
43:08en janvier 1950.
43:12Richard Blair était sur le point
43:14de fêter son sixième anniversaire
43:16au moment de la disparition de George Orwell
43:18le 21 janvier 1950.
43:24La même année, du haut de la terrasse
43:26de sa villa d'Hollywood,
43:28Aldous Huxley pose un regard ironique
43:30sur les aberrations de l'American way of life.
43:34Il a fait cette fameuse description
43:36dans une lettre
43:38quand il vivait en Californie.
43:40Il regardait depuis la fenêtre
43:42de sa maison,
43:44il a vu un jeune homme
43:46qui durant deux heures
43:48polissait sa voiture rouge.
43:50Et Huxley ne comprenait pas
43:52pourquoi perdre du temps
43:54à faire cela.
43:56Il n'était pas du tout
43:58un homme de la société de consommation.
44:02L'ancien professeur de français
44:04cherchera à s'extraire
44:06du consumérisme ambiant,
44:08à sa manière.
44:10J'ai pris une dose de mescaline
44:12pour expérimenter
44:14les effets de cette drogue
44:16sur l'esprit, sur la conscience.
44:18J'ai pris la mescaline
44:20une ou deux fois
44:22et l'acide lysergique
44:24deux ou trois fois
44:26avec plusieurs médecins
44:28et physiologistes.
44:30Et c'est une chose
44:32vraiment très extraordinaire
44:34parce qu'on fait l'exploration
44:36d'une terra incognita
44:38de l'esprit.
44:40On se rend compte
44:42qu'on porte avec lui
44:44une espèce de continent
44:46complètement inconnu
44:48dans son cerveau.
44:52On pénétrait
44:54dans une espèce
44:56de continent noir
44:58qui ne ressemble en rien
45:00au monde ordinaire.
45:02Dans son ouvrage
45:04Les portes de la perception,
45:06Huxley relate sa première expérience
45:08sous mescaline.
45:10Lui, l'aristocrate anglais,
45:12devient du même coup l'une des icônes
45:14de la beat generation
45:16et du mouvement hippie.
45:18Jim Morrison baptisera son groupe
45:20de rock The Doors
45:22en hommage au titre du livre.
45:3213 ans après la disparition
45:34de George Orwell, Aldous Huxley,
45:36auteur britannique, penseur visionnaire
45:38et gourou de la contre-culture,
45:40choisit de mourir sous LSD
45:42le 22 novembre 1963.
45:44Il sait qu'il ne gagnera pas
45:46contre le cancer de la gorge
45:48qui le ronge depuis 3 ans.
46:02Mais les crises et les pleurs
46:04qui secouent ce jour-là l'Amérique
46:06ne sont pas pour lui.
46:10Il a eu l'intelligence,
46:12la sagesse,
46:14de mourir le seul jour
46:16où personne ne le remarquerait,
46:18où personne ne remarquerait
46:20qu'Aldous Huxley venait de mourir.
46:26Il a choisi le 22 novembre 1963,
46:28le jour où John Fitzgerald Kennedy
46:30a été tué.
46:32Donc si vous voulez vous échapper
46:34de la ville sans que personne
46:36ne le remarque,
46:38c'est comme ça qu'il faut le faire.
46:4270 ans plus tard,
46:44lequel de ces deux auteurs anglais
46:46avait-il le mieux anticipé notre monde ?
46:48Orwell ou Huxley ?
46:50Vivons-nous dans l'univers de 1984
46:52ou dans celui du meilleur des mondes ?
46:54A moins que ce ne soit une sorte
46:56d'hybride des deux.
46:58Un pays aujourd'hui se présente
47:00comme une parfaite synthèse
47:02des deux romans.
47:04Entre surveillance de masse
47:06et société high-tech,
47:08entre régime totalitaire
47:10et paradis consumériste,
47:12la Chine incarne le meilleur
47:14des mondes orwellien.
47:16Avec plus d'un milliard de citoyens
47:18cobayes à sa disposition,
47:20la Chine est en train de devenir
47:22un gigantesque laboratoire
47:24En Chine,
47:26il y a le crédit social.
47:28Vous avez un certain
47:30nombre de points,
47:32une note,
47:34et celle-ci grimpe
47:36si le gouvernement approuve
47:38ce que vous faites.
47:40Ou chute
47:42si, par exemple,
47:44vous communiquez avec des gens
47:46moins bien notés que vous.
47:48C'est un instrument
47:50très puissant pour vous forcer
47:52à obéir
47:54et à vous soumettre.
47:58Des points en plus sur votre carnet
48:00de notes citoyens pour l'achat
48:02de produits chinois,
48:04de bonnes performances au travail,
48:06ou la publication sur un réseau social
48:08d'un article vantant les mérites
48:10de l'économie nationale.
48:12Des points en moins en cas
48:14d'opinions politiques dissidentes,
48:16de recherches en ligne suspectes
48:18ou de passages piétons
48:20Évidemment,
48:22un mauvais bulletin donne lieu à des sanctions.
48:24Interdiction d'acheter un billet de train
48:26ou d'avion durant un an.
48:28Impossibilité d'obtenir un prêt,
48:30d'accéder à certains services sociaux
48:32ou encore de s'inscrire sur un site de rencontre.
48:34On va avoir un mélange
48:36Huxley-Orwell
48:38avec, effectivement,
48:40d'un côté une société
48:42de la carotte,
48:44une société de la jouissance,
48:46de la consommation, du bien noté,
48:48du bon élève,
48:50parce que c'est vrai que le crédit social,
48:52ça peut être déficitaire, mais ça peut être aussi
48:54excédentaire, donc ça vous donne accès
48:56à quantité de petits,
48:58mini-privilèges, et donc vous troquez
49:00votre immense liberté pour des tout petits
49:02privilèges,
49:04narcissiques ou matérialistes,
49:06enfin bon. Et puis de l'autre côté,
49:08le bâton, qui peut être
49:10effectivement plutôt orwellien,
49:12même si c'est un peu caricatural,
49:14en disant, voilà,
49:16si vous ne faites pas ça, vous êtes immédiatement
49:18mis au banc de la société.
49:20Et pour que rien n'échappe
49:22au régime, 400 millions
49:24de caméras à reconnaissance faciale sont en train
49:26d'être installées à travers tout le pays.
49:28Impossible désormais de se dérober
49:30à cet œil tout puissant plus de 7 minutes.
49:32Que vous soyez dans la rue,
49:34dans les transports ou chez vous,
49:36Big Brother is watching you.
49:40Le télé-écran captait
49:42tous les sons émis par Winston,
49:44au-dessus d'un chuchotement très bas.
49:46Il pouvait être vu
49:48aussi bien qu'entendu.
49:50Naturellement,
49:52il n'y avait pas de moyen de savoir si,
49:54à un moment donné, on était surveillé.
49:56Combien de fois
49:58et suivant quel plan
50:00la police de la pensée se branchait-elle
50:02sur une ligne individuelle quelconque ?
50:04Personne ne pouvait le savoir.
50:06Big Brother est
50:08obsolète dans sa version
50:10verticale,
50:12en revanche dans sa version
50:14atomisée, fragmentée,
50:16égalitaire du Little Brothers,
50:18partout, panoptique.
50:20Mais au sens d'une revisite
50:22du panoptique, il n'y a pas qu'un seul endroit,
50:24partout il y a des yeux,
50:26partout il y a des capteurs.
50:28C'est sans doute la manière
50:30de naturaliser la surveillance,
50:32de la rendre invisible,
50:34de la rendre « faussement égalitaire »,
50:36c'est-à-dire que tout le monde
50:38peut me nuire, mais de fait,
50:40on peut éventuellement nuire à tout le monde,
50:42et c'est bien évidemment, les réseaux sociaux,
50:44un magnifique outil d'ordre social,
50:46mais aussi pas simplement d'ordre en surplomb,
50:48mais d'ordre en horizontal,
50:50c'est-à-dire qu'on fait attention
50:52à nos comportements, on les met en scène.
51:06Il y avait une phrase
51:08qu'Huxley répétait
51:10au sujet de la société moderne,
51:12sur comment on nous faisait aimer
51:14notre condition d'esclave,
51:16comment nous avons l'impression
51:18que nous sommes aux manettes
51:20alors que nous faisons
51:22ce que l'on nous demande.
51:24Huxley pensait
51:26que nous nous autorisions trop
51:28à nous faire manipuler,
51:30à penser que nous étions libres
51:32alors que nous ne le sommes pas.
51:38Qu'est-ce que j'éprouverais
51:40si j'étais libre ?
51:42Si je n'étais pas asservi
51:44par mon conditionnement ?
51:48N'avez-vous pas le désir
51:50d'être libre, Lenina ?
51:54Je ne sais pas ce que vous voulez dire.
51:56Je le suis, libre.
52:00Libre de me payer du bon temps,
52:02le meilleur qui soit.
52:04Tout le monde est heureux à présent.
52:34Je ne suis pas libre.
52:36Je suis libre.
52:38Je suis libre.
52:40Je suis libre.
52:42Je suis libre.
52:44Je suis libre.
52:46Je suis libre.
52:48Je suis libre.
52:50Je suis libre.
52:52Je suis libre.
52:54Je suis libre.
52:56Je suis libre.
52:58Je suis libre.
53:00Je suis libre.
53:02Je suis libre.

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