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  • 13/05/2025
Juliette Binoche, présidente du jury du 78ème Festival de Cannes, était l'invitée de France Inter mardi 13 mai, jour de l'ouverture du Festival.

Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Transcription
00:00Bonjour Juliette Binache et bienvenue sur France Inter.
00:03Alors comment on se prépare à être présidente du festival de Cannes ?
00:07Est-ce qu'on interroge d'anciens présidents pour leur demander conseil ?
00:11Alors j'ai interrogé personne en fait, mais je sais qu'Isabelle Imper a dit
00:17« Ah, elle peut m'appeler, je peux lui donner des conseils ».
00:20Donc j'ai essayé de la joindre, je n'ai pas laissé de message, elle ne m'a pas rappelé,
00:22donc je ne sais pas, j'y vais vraiment, mais...
00:25Comme ça, au final.
00:25C'est ce qu'a dit Kelle Blanchet tout à l'heure, qu'on a entendu dans le petit journal du festival,
00:32elle a dit « Juliette Binoche est une déesse, elle n'a besoin des conseils de personne ».
00:36Être présidente du jury à Cannes, c'est voir son nom le 24 mai prochain,
00:42définitivement associé au titre d'un film qui va entrer au Panthéon du cinéma.
00:50Est-ce que vous avez l'impression de travailler pour l'histoire du cinéma ?
00:54Non, moi je sens que je travaille pour le présent du cinéma.
00:58Pour le cinéma en train de se faire.
01:00Pour le présent, oui, parce qu'on est ce qu'on est dans son temps.
01:09Après, on réagit par rapport à son éducation, à ce qu'on a vécu, à son expérience.
01:15Donc c'est ici et maintenant.
01:16Donc c'est ici et maintenant, et peut-être qu'on s'est trompé, peu importe, c'est arbitraire,
01:20mais c'est souverain parce que c'est au-delà du temps, quelque part, on a décidé ça.
01:27Ce n'est pas contestable puisque c'est un ensemble, je n'ai qu'une voix, on est neuf.
01:31C'est vrai.
01:31Mais peut-être qu'on s'est trompé, c'est ce que vous dites.
01:35Cette association du film palmé avec le président du jury, c'est un peu dévié de sa réalité finalement.
01:46Parce que c'est vraiment neuf personnes qui...
01:49Mais si, oui, personne ne veut me faire plaisir, je ne dirais pas non, franchement.
01:55C'est une responsabilité.
01:56Il y a la peur de se tromper parce que chaque année, la critique mondiale se déchaîne.
02:00Est-ce que c'est une bonne palme d'or, une mauvaise palme d'or ?
02:02Est-ce que c'était le bon choix, pas le bon choix ?
02:04Chaque journal fait son propre palmarès, évidemment.
02:08Oui, c'est leur rôle aussi.
02:11Quand on est critique, on voit beaucoup de films, on a une idée du cinéma, tout ça.
02:14Mais c'est arbitraire de toutes les façons.
02:18C'est comme ça.
02:18La nature même des jurys.
02:20L'année dernière, vous étiez sur la scène du Festival de Cannes.
02:25Et vous avez remis une palme d'honneur à Meryl Streep.
02:29J'aurais bien remis la palme d'or à De Niro aussi.
02:33Mais bon.
02:35Alors, vous avez littéralement fondu en sanglots quand vous étiez face à Meryl Streep sur scène.
02:41Pourquoi ? Vous sauriez dire pourquoi ?
02:43Alors, à quel moment ça s'est passé ?
02:45C'est parce qu'elle a fait beaucoup pour les femmes.
02:47Et je crois que ça me touche beaucoup parce que c'était une actrice qui n'était pas dans les canons de l'époque quand elle a vraiment commencé.
02:55Et elle a changé vraiment la face de la vie des actrices où on n'a pas besoin de mesurer ça.
03:02Elle a changé vraiment d'avoir un visage qui correspond à une idée presque de la poupée Barbie aussi.
03:16Et d'ailleurs, elle vous répond que la première fois qu'elle est venue à Cannes, elle avait presque 40 ans.
03:20Elle avait déjà trois enfants et qu'elle pensait sincèrement que sa carrière était finie.
03:25Oui, oui.
03:26Et qu'à l'époque...
03:26Il y a plein de fois où on pense ça comme acteur ou actrice.
03:29Dans sa carrière ?
03:30Bien sûr.
03:31Puisqu'on fait son propre chemin.
03:33On ne sait jamais de quoi va être...
03:36Donc, ce n'est pas seulement une question d'âge ?
03:38Ah non ! Il peut y avoir...
03:40Alors, c'est vrai qu'on correspond à un âge, à souvent des histoires d'amour ou de mère ou de grand-mère, etc.
03:50Donc, son âge correspond à des types de rôles.
03:55Mais quand même, il y a forcément des arrêts sur image par moment parce que c'est comme ça.
04:00On les fait de...
04:01Parce que juste après, il y a eu la remise des Golden Globes.
04:04Quelques mois après, il y a eu la remise des Golden Globes.
04:07Et Demi Moore, qui a 62 ans, elle monte sur scène.
04:11Elle a donc le Golden Globe pour ce film français, The Substance.
04:15Et elle dit, quand j'ai reçu ce scénario, je me suis dit que peut-être tout n'était pas fini pour moi.
04:21Donc, on sent l'angoisse effroyable de ces femmes mondialement connues, qui sont des icônes,
04:28qui sont des stars adulées sur toute la planète, d'être face à l'âge qu'elles ont et de se dire, c'est fini, c'est derrière moi.
04:35Oui, je pense que ça peut arriver à des hommes aussi.
04:38C'est vrai ?
04:39Ah, bien sûr.
04:39Sauf qu'eux n'en parlent jamais.
04:42On ne peut pas généraliser comme ça, quand même.
04:44Mais ça peut arriver aussi bien à des hommes qu'à des femmes.
04:47Mais c'est vrai qu'il y a peut-être moins de rôle aux États-Unis pour les femmes à cet âge.
04:54En France, je crois qu'on est mieux logés.
04:57Alors, votre première montée des marches, évidemment, depuis que vous êtes arrivée ici, on ne parle plus que de ça.
05:03C'était il y a 40 ans de pile, c'était en 1985, c'était pour Rendez-vous de Téchiné.
05:08Vous étiez une toute jeune comédienne.
05:10Et la toute jeune comédienne, quel était le sentiment qui dominait en elle à ce moment-là ?
05:17Je crois, le désir d'être aimée.
05:20Le désir d'être aimée ?
05:21D'être aimée, oui.
05:22Parce qu'on est plein d'incertitudes, de doutes.
05:25Et puis, à la fois, je ne savais pas vers quoi j'allais, en fait.
05:30J'ai découvert par surprise.
05:33Ça faisait peur ?
05:35Le premier festival de Cannes, quand on a 21 ans, ça faisait peur ?
05:38Non, je ne dirais pas ça, parce qu'on est...
05:41Je disais oui à ce qui se passait.
05:44Donc, je n'étais pas dans la peur, j'étais dans l'action.
05:47Dans la réponse présente, quand on me posait des questions, d'être là, d'essayer de répondre.
05:52Ou d'être là avec les photographes qui avaient envie de me prendre en photo.
05:57Donc, je suis née ici, quelque part.
05:59Et c'est les journalistes qui m'ont fait naître ici, par leur enthousiasme.
06:03Parce que ce film, qui a obtenu le prix de la mise en scène,
06:07c'est-à-dire qu'en fait, à ce moment-là, vous devenez...
06:08Alors, vous, vous avez le désir d'être aimée.
06:10Mais vous-même, vous devenez un objet du désir, en étant à Cannes.
06:14Un sujet du désir.
06:15Un sujet du désir.
06:16Et c'est quoi la différence ?
06:18Un sujet, c'est qu'on est sa propre personne.
06:20C'est qu'on est...
06:22On a le droit de dire oui, non.
06:24On n'est pas...
06:26Je crois que c'est mieux de cette expression-là.
06:30Mais j'ai jamais pensé que j'étais...
06:32Et à 21 ans, vous étiez un sujet ?
06:33Oui, bien sûr.
06:34Vous étiez tellement maître de vos...
06:37Maître, non.
06:38Qui est maître ?
06:39On n'est jamais maître.
06:40Et puis, on n'est pas là pour être maître, mais pour se donner.
06:45Donc, je me découvrais à travers les films.
06:49Je me suis découverte au fur et à mesure, à travers les demandes, à travers les dons de soi.
06:53On ne contrôle pas une image.
06:56Alors après, bon, pour des photos et tout ça.
06:58Mais il y a quand même l'idée de se révéler, d'expérimenter la vie à travers des personnages, des rencontres.
07:08Et Téchiné, vous avez demandé de vous inspirer de Marie-Lude Monroe, de la façon dont elle jouait, avec son image, avec sa voix.
07:15Voilà un immense sujet ou objet de désir, Marie-Lude Monroe.
07:21Non, c'était la voix dont il m'avait parlé.
07:23C'était la voix ?
07:23C'était juste la voix.
07:24C'était juste la voix ?
07:25C'était juste la voix.
07:27Et à l'époque, j'avais acheté, comme dirait Léo Scarax, une galette, une galette noire, un disque.
07:33Et j'avais écouté pour la première fois la voix de Marie-Lude, avant vraiment de la voir au cinéma.
07:39Et c'est vrai que c'était comme de la suavité, une délicatesse, une légèreté qui était très, très belle.
07:49Mais comme j'ai été choisie trois jours avant de démarrer le tournage, rendez-vous.
07:54Donc c'était une inspiration, mais rapide.
07:59Il y a eu cette année cette commission d'enquête parlementaire sur les violences commises dans le secteur de la culture.
08:05Erwann Balanant, qui est son rapporteur, va venir ici, au festival.
08:11Il va y avoir des rencontres, des tables rondes.
08:12Il va s'exprimer devant la presse étrangère.
08:15Vous qui avez beaucoup voyagé, qui présidait l'Académie européenne du cinéma,
08:20qui avez eu des expériences de cinéma dans le monde entier.
08:22Vous diriez que dans ce chemin de remise en question, de prise de conscience, de libération de la parole,
08:31le cinéma français se place où par rapport aux autres pays ?
08:38Vous diriez qu'il est en avance, vous diriez qu'il est en retard ?
08:43Alors, par rapport aux autres pays, c'est vrai que le mouvement MeToo en France a vraiment pris avec un décalage par rapport aux Etats-Unis.
08:49Mais à la fois, quand la vague a commencé, elle a vraiment commencé.
08:58Donc, moi, je ne pourrais pas comparer parce que je n'ai pas un recul suffisant pour analyser une situation pareille.
09:04Mais en tout cas, ce que je peux dire, c'est que le fait qu'il y ait certaines personnes qui ont commencé à parler,
09:13eh bien, ça a aidé quand même à débrider une parole dans notre métier.
09:21Mais ce qui est triste quand même, c'est que quand une femme est en danger de mort
09:27ou a un souci au sein de sa famille et va voir des policiers,
09:36on la remet, elle, en question, la façon de s'habiller, la façon où on ne la croit pas forcément,
09:41où il n'y a pas de suite par rapport à ce qui se passe.
09:43Il y a eu des féminicides à cause de ça.
09:45Donc, je veux dire que ce n'est pas encore rentré dans les mœurs pour que les choses changent dans le fond.
09:50Et c'est pour ça que les lois doivent changer.
09:53Oui, il y a vraiment un changement à opérer au niveau de la conscience, au niveau de l'art.
09:59Et c'est pour ça que vous avez voulu témoigner.
10:01C'est pour ça que vous avez accepté de témoigner devant cette commission.
10:03Vous avez témoigné à huis clos.
10:04Pourquoi vous avez témoigné à huis clos ?
10:06Puisque vous avez donné beaucoup, vous avez beaucoup parlé.
10:08J'ai beaucoup parlé.
10:09C'est pour ça que je me dis, je pense que là, je n'ai pas besoin encore de m'exposer.
10:14Et puis, on était plusieurs actrices ensemble.
10:16Donc, j'ai parlé des mêmes choses que j'ai parlé en presse.
10:23Mais bon, il faudrait beaucoup de temps pour vraiment parler de ce qui se passe.
10:26Parce qu'il y a eu dix mille détails.
10:28Mais à la fois, ils ne peuvent pas avoir les dix mille détails de tout le monde.
10:31Vous voyez ce que je veux dire ?
10:32Parce qu'on a beaucoup parlé du silence des hommes dans ce mouvement MeToo.
10:37Oui, et trop silencieux.
10:39Des hommes ?
10:40Ah ben oui.
10:41Ah ben oui.
10:41Et pourtant, il y a aussi, et ça, on en parle moins, énormément de femmes qui ne parlent pas.
10:46Énormément d'actrices qui ne parlent pas.
10:48Énormément de grandes actrices qui ne parlent pas.
10:51Comment vous expliquez ce silence ?
10:53Peut-être qu'il y a trop de douleur aussi.
10:55Il n'y a aussi pas l'envie de s'exposer à ce niveau-là.
10:57Parce que ça rentre dans une intimité qui n'est pas facile aussi à révéler.
11:01Non.
11:01Il faut...
11:04C'est-à-dire qu'on parle des choses quand c'est plus fort que soi.
11:08Pour moi, c'est ça, en fait.
11:09C'est plus important de dire ce qui s'est passé, plus que de protéger quelque chose que j'aurais à cacher.
11:18Vous voyez ce que je veux dire ?
11:19Mais à la fois, on est tous différents, toutes différentes.
11:21Et il faut aussi respecter la différence.
11:25Alors, il y a les femmes qui ont des blessures intimes, comme vous dites, à cacher ou à protéger.
11:30Et puis, au fond, parce que les deux, les rapporteurs et la présidente de cette commission ont utilisé le mot de grande famille pour parler du cinéma.
11:39Et on sait bien que dans beaucoup de familles qui ne sont pas les familles du cinéma, qui sont nos familles, il y a beaucoup de femmes qui ne parlent pas.
11:45Parce qu'au fond, elles protègent un système.
11:48Donc, parfois, elles ont été elles-mêmes victimes.
11:50Et elles perpétuent un système.
11:52Oui, c'est sûr.
11:52Et vous avez la sensation qu'il y a beaucoup d'actrices qui se sont inscrites dans un système, qu'au fond, elles ont prolongé.
11:59Et aussi, il y a des générations différentes.
12:02Et quand on est éduqué avec une omerta, on ne parle pas des choses intimes.
12:08Aussi, il y a tout ça derrière.
12:12Pour se défaire d'une éducation, on commence à cogiter contre ci, contre ça.
12:17Bon, tant pis.
12:18Moi, je ferai des prières pour que les démons qui me sont affligés puissent sortir.
12:27Merci, Juliette Vinoche.
12:29Merci.
12:29Et bon festival de Cannes.
12:31Merci.
12:31Merci.
12:31Merci.
12:31Merci.

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