- 09/05/2025
De 1930 à 2012, plus de 2000 enfants ont grandi dans des pensionnats catholiques. Ils y ont été éloignés de leur famille et coupés de leur culture, soumis à une évangélisation et une assimilation forcée. En finançant avec l'argent public la formation des jeunes "primitifs" dans des pensionnats initiés et tenus par des congrégations religieuses, les représentants de la République et de l'Eglise se sont-ils rendus coupables de "génocide culturel" ? C'est la question que soulèvent aujourd'hui des juristes et d'anciens pensionnaires.
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00:00Musique
00:30Depuis les années 30 en Guyane française, près de 2000 enfants, autochtones amérindiens et noirs marrons,
00:40descendants d'esclaves ayant fui les plantations, ont été éloignés de leur village, séparés de leur famille et placés dans des internats catholiques appelés hommes indiens.
00:51On se sent vraiment arrachés de la famille.
00:55C'est des souvenirs qu'on ne peut effacer malheureusement, qui sont encore présents.
00:59C'est comme un cauchemar qu'on ne peut pas effacer.
01:02Avec la bénédiction des représentants de la République, ces enfants ont été soumis à une stricte éducation religieuse pour être transformés en bon petit français aux valeurs chrétiennes.
01:14Le home c'était une seule mission, c'est de connaître la première page jusqu'à la dernière page de la Bible.
01:20On vous transforme comme messager de Jésus, de Dieu.
01:22Vous êtes là au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, etc.
01:25Cette histoire des pensionnats catholiques de Guyane, traumatisante parfois, douloureuse souvent, est longtemps restée dissimulée dans l'intimité des familles.
01:36Aborder les homes, c'est dur.
01:38Aborder l'esclavage, c'est dur.
01:40Aborder l'histoire coloniale, c'est dur, oui.
01:42Mais il faut essayer de prendre la distance nécessaire pour essayer d'expliquer les choses.
01:50En septembre 2022, une enquête historique a mis en lumière cette sainte trinité coloniale.
01:56Endoctrinement, évangélisation et assimilation forcée des populations marronnes et amérindiennes de Guyane.
02:02Une pratique initiée par l'église catholique à l'époque coloniale, reprise à son compte et développée sans aucun scrupule pendant près d'un siècle par l'État français.
02:10C'est quand même l'histoire de la Guyane.
02:14Il faut que ça soit inscrit dans l'histoire de la Guyane.
02:17Il faut que les enfants, les élèves sachent que ça a existé.
02:22Aujourd'hui, des associations autochtones dénoncent cette pratique des homes comme un crime colonial
02:28et réclament la mise en place d'une commission vérité et réconciliation.
02:33Ce processus pourrait permettre de faire entendre les traumatismes dont certains s'estiment victimes
02:37et de réparer ce que beaucoup d'anciens pensionnaires vivent comme une blessure.
02:51Cayenne, 1935.
02:53La France célèbre cette année-là le tricentenaire de ses possessions antillaises, la Martinique et la Guadeloupe.
03:01Une fastieuse opération de propagande coloniale qui passe aussi par la Guyane,
03:05seule colonie continentale en Amérique du Sud dont leur attachement à la France remonte aussi au XVIIe siècle.
03:11Dans la Guyane des années 30, vivent alors aux côtés des colons européens
03:19les créoles, descendants d'esclaves affranchis en 1848,
03:23les noirs marrons, filles et fils d'esclaves ayant fui les plantations pour fonder des sociétés libres en forêt,
03:28et les amérindiens, les premiers habitants du continent sud-américain.
03:33C'est à cette époque que les missionnaires catholiques arrivent en Guyane.
03:40Le breton Pierre Gourtais, un vieux routier de la Congrégation des Spiritains,
03:44vient d'y être nommé vicaire apostolique.
03:47Le pape Pie XI lui a donné pour mission d'évangéliser cette vieille colonie française,
03:53d'en faire une terre pleinement chrétienne.
03:56À ses côtés, une poignée de missionnaires spiritains, animés d'une foi à toute épreuve.
04:02Pour eux, comme pour la majorité des Français,
04:06la Guyane, c'est à la fois un enfer vert et un eldorado.
04:11La fortune ou la mort.
04:14Et puis il y a le bagne,
04:16qui a fait de cette vieille colonie le cul-de-sac du monde,
04:20comme l'écrivait quelques années plus tôt le journaliste,
04:22pour fendeur de l'administration pénitentiaire, Albert Londres.
04:25Dans les années 30, cette Guyane où les missionnaires spiritains doivent propager la foi chrétienne
04:35est un territoire coupé en deux.
04:38D'un côté, la bande littorale, où se concentre l'essentiel de la population,
04:42majoritairement créole et déjà largement christianisée.
04:45De l'autre, le territoire de Linnini,
04:51qui représente 90% de la superficie de la Guyane.
04:54C'est une immense forêt, bordée des fleuves Maroni et Oyapok,
04:58sur les berges desquelles vivent des peuples amérindiens et noirs marrons,
05:02oubliés de l'État français.
05:03C'est à eux que les missionnaires vont prêcher la bonne parole.
05:08Les zélateurs du Christ remontent les fleuves,
05:11parfois au péril de leur vie,
05:13pour se rendre dans les minuscules villages de ce gigantesque arrière-pays,
05:17prêts à tout pour satisfaire la doctrine spiritaine,
05:20soyez nègres avec les nègres pour les gagner à Jésus-Christ.
05:23L'Église a souvent été un auxiliaire de l'entreprise coloniale,
05:33et parfois a même devancé l'État,
05:36parce que l'Église est celle qui n'hésite pas à aller au-devant des populations.
05:44Et donc l'État s'est souvent replié sur l'Église
05:49pour effectuer des, pour reprendre un terme très contemporain,
05:55des missions de services publics.
05:59Administrativement, les autorités coloniales qualifient de primitifs
06:02les Amérindiens et les Noirs marrons,
06:05appelés aussi Bouchinengue ou Bonni.
06:09Ils ne sont ni sujets ni citoyens.
06:12Officiellement, ce sont des protégés de l'État français.
06:15Pour les spiritins, ces populations en marge,
06:18qui vivent souvent en tribu,
06:19sont autant d'âmes à conquérir et d'enfants à instruire.
06:24Ils sont prêtres missionnaires,
06:25donc ils viennent d'abord pour évangéliser,
06:27mais ils avaient un volet social dans leur formation.
06:32Le prêtre qui était là,
06:33il était à la fois le postier,
06:36le médecin, l'infirmier,
06:39le maître d'école et tout.
06:41C'était vraiment des hommes
06:42polyvalents, disons.
06:45C'est ce qui les a poussés à créer
06:46les internats, les hommes.
06:49Pour permettre aux jeunes, aux enfants,
06:53de ces populations,
06:55d'aller à l'école.
06:58Partout où ils se trouvent en Guyane,
07:01les missionnaires spiritins envisagent de créer des internats
07:03pour y accueillir les jeunes autochtones
07:05des villages environnants.
07:08Ils s'inspirent de ce que différentes églises
07:10pratiquent depuis des décennies au Canada,
07:13en Australie ou aux Etats-Unis,
07:16à une toute autre échelle.
07:24En Guyane, une première expérience est menée sur le littoral Amana.
07:28Une commune plus accessible que les villages de Lignigny,
07:32même s'il faut tout de même une journée de mer
07:34depuis Cayenne pour s'y rendre.
07:37Présente à Amana depuis près d'un siècle,
07:39les sœurs de la congrégation de Saint-Joseph de Cluny
07:42ont largement préparé le terrain.
07:45Et le missionnaire spiritin
07:46qui s'y installe à la fin des années 30
07:47va recruter pour son pensionnat
07:49les enfants des villages voisins,
07:51ceux des Amérindiens Kalinia.
07:53Les petites filles sont recueillies chez les sœurs,
07:56les garçons chez le prêtre.
07:59En fait, les hommes étaient nus pour un internat
08:01pour qu'ils soient scolarisés,
08:02mais ils n'étaient pas scolarisés dans le home.
08:05Le home n'était pas une école.
08:07Le home, c'était justement un foyer
08:09où les enfants viennent là
08:12pour manger, dormir, faire leurs devoirs
08:14et après ils vont à l'école.
08:15En 1941,
08:23un missionnaire spiritin
08:24en poste aux Antilles
08:25vient visiter le home de Mana.
08:28Le révérend père Jean-Baptiste de Lavarde
08:30n'est pas seulement un homme de foi.
08:32Archéologue confirmé,
08:34il a accompagné dans les Caraïbes
08:36plusieurs missions ethnographiques,
08:38s'adonnant à son autre passion,
08:40la photographie.
08:41C'est lui qui va réaliser
08:42les toutes premières images
08:43du home indien de Mana.
08:45On est vraiment dans le portrait ethnologique,
08:50hérité probablement même
08:52de l'anthropologie physique.
08:53Il fait poser deux faces
08:54et deux profils les enfants
08:57pour bien mettre en avant
08:58leur apparence physique.
09:01C'est une petite série un peu émouvante
09:04quand on penche sur elle.
09:07C'est la seule qui fasse mention
09:09de ces enfants
09:11qui sont en pension
09:13dans un home.
09:17Il y a des regards,
09:18il y a des positionnements.
09:21Et là, il y a le portrait de groupe
09:23où il y en a deux qui sourient aussi
09:25aux photographes.
09:29Et puis, il y a celle-ci
09:30où la petite fille
09:31ne suit pas du tout
09:33l'ordre qu'il devait être
09:36de poser de profil
09:37et elle se détourne.
09:39Juste, voilà,
09:39c'est un échange,
09:40en tout cas,
09:41à un moment donné
09:41qui est enregistré
09:42et qui traverse le temps.
09:43Agnès, qui tient dans ses bras
09:50la petite fille au regard inquiet,
09:52a 94 ans aujourd'hui.
09:54Elle en avait 11
09:55quand le père de la Varde
09:56a pris cette photo.
09:58Une vie est passée.
10:01Enfant, Agnès vivait à Pointe-Isère,
10:03un village côtier
10:04typique des Indiens caninia.
10:07Ses jeunes années ont été bercées
10:09par les récits de chasse
10:10et de pêche,
10:12l'histoire de son peuple aussi,
10:13que son père lui racontait
10:15dans sa langue.
10:18Agnès n'a pas goûté très longtemps
10:20cette vie d'enfant amérindienne.
10:22À la mort de sa mère,
10:24elle a été confiée
10:24aux sœurs de Mana
10:25et a vécu plusieurs années
10:27au home,
10:28situé à quelques heures
10:29de pirogue de son village,
10:31un autre monde,
10:33dont elle n'a plus
10:33la force de se souvenir.
10:37Agnès n'a quitté
10:38le pensionnat catholique
10:39qu'à l'âge de 16 ans
10:40pour se marier
10:41et avoir des enfants.
10:43Ce sont eux
10:45qui prennent soin
10:45d'elle aujourd'hui.
10:47Autour de la table,
10:47ce jour-là,
10:48trois générations,
10:49tous sont passés
10:50par les homes de Mana.
10:52Franck,
10:53le neuvième des dix
10:54enfants d'Agnès,
10:55y était pensionnaire
10:55à la toute fin
10:56des années 70.
10:58Son entrée dans le home
10:59a brutalement rompu
11:00tous ses liens
11:01avec sa culture traditionnelle,
11:03à une exception près.
11:06Dans le pensionnat,
11:07situé juste derrière l'église,
11:09les enfants dormaient,
11:10comme au village,
11:12dans des hamacs.
11:12Là, c'est une partie
11:15du dortoir, justement.
11:18On avait deux séries
11:19de hamacs carrément.
11:20Il y avait des barres
11:21qui étaient disposées,
11:22bien fixées,
11:24et on avait tous les hamacs
11:25avec un petit espace
11:26justement pour mettre
11:28à la fois son sac,
11:30ses effets personnels,
11:32juste à côté.
11:32Et le matin, justement,
11:37donc, c'était réveil,
11:41détacher cette partie-là,
11:43rabattre sur l'autre,
11:45sur la façade murale,
11:47et ensuite,
11:47on se positionne
11:48pour faire sa prière.
11:51Voilà.
11:51C'était des signales comme ça.
11:53et, bien évidemment,
11:55avant de prendre
11:56la direction de l'école,
11:57pas trop loin,
11:57donc juste à quelques
11:58dizaines de mètres d'ici.
12:00L'école publique
12:01pour les garçons
12:02et forcément
12:03l'école privée
12:03pour les filles.
12:04Les haumes indiens,
12:09ce sont des internats
12:10et dans lesquels
12:11on pense un enseignement
12:13vraiment sur le modèle
12:15de ce que proposaient
12:16les religieux
12:17dans les colonies africaines,
12:18par exemple.
12:19C'est-à-dire que l'idée,
12:20c'est plutôt d'avoir
12:20un enseignement professionnel
12:22pour les garçons
12:23et puis un enseignement ménager
12:26pour les filles, quoi.
12:28Donc, ça va être couture,
12:29bonne manière,
12:31tenue, hygiène,
12:32mais, bien sûr,
12:34les savoirs de base,
12:36savoir lire, écrire, compter,
12:38pouvoir s'insérer
12:39quand même
12:39dans cette société guyanaise,
12:41mais il ne s'agit pas
12:42de leur permettre
12:45de s'émanciper
12:46par l'école, quoi.
12:51Les parents ne comprenaient pas
12:53vraiment, vous voyez,
12:54cette démarche,
12:55mais comme c'était aussi
12:58comme un...
13:00comme, comment dirais-je,
13:02comme une obligation,
13:04vous voyez.
13:05Et quand les parents
13:06refusaient de remettre
13:08leurs enfants en progéniture
13:10aux prêtres,
13:12les gendarmes agissaient.
13:14Ils disaient,
13:14si tu ne sais pas faire,
13:17on t'embarque, quoi.
13:18Vous voyez,
13:19c'est un peu ça, quoi.
13:20C'était des menaces.
13:22Bon, les parents
13:22étaient vraiment affaiblis,
13:25faibles,
13:26devant ce comportement.
13:27C'était l'époque
13:32où il fallait aller
13:33à l'école,
13:34au Homme,
13:35à l'internat,
13:36comme on l'appelle.
13:37Donc, je pense
13:38que j'ai dû entrer
13:39au Homme
13:41aux environs de 4 ans.
13:44Mais mes grandes soeurs
13:44étaient déjà là-bas.
13:46Donc, il paraît
13:47que je n'arrêtais pas
13:48de pleurer.
13:49Je n'ai aucun souvenir
13:51du jour
13:52où je suis arrivée.
13:54Mes souvenirs
13:55commencent vraiment
13:56vers l'âge
13:59de 8 ans,
14:00par là.
14:01On avait,
14:02comment on appelle,
14:03des travaux à faire.
14:05Par exemple,
14:06le ménage.
14:08Ce qu'on faisait aussi,
14:09c'est le nettoyage
14:09du poisson,
14:10le matin,
14:11très tôt,
14:11avant d'aller à l'école.
14:13Après,
14:13on avait nos journées
14:15aidées à la cuisine,
14:17surtout pour faire
14:18des gâteaux,
14:18comme ça.
14:21Et puis,
14:22le jardinage,
14:22il fallait ratisser,
14:24ramasser les feuilles.
14:26pour plus tard,
14:26pour nous former
14:28pour plus tard,
14:28si jamais on devait
14:30se marier
14:30ou on devait avoir
14:31quelqu'un
14:32pour pouvoir
14:32s'occuper des enfants.
14:35Tout était neuf
14:36pour elle.
14:37Elle ne connaissait
14:37pas un mot
14:38de français.
14:40Et nous avions
14:41l'ordre,
14:42si vous voulez,
14:42venant d'un peu plus haut,
14:44de ne pas,
14:45de ne pas nous
14:46parler l'indien.
14:48Nous ne savions pas
14:49non plus,
14:49mais après,
14:49nous aurions pu
14:50l'apprendre.
14:51Et on nous disait,
14:52c'est à vous.
14:53il faut que ce soit
14:54elles qui apprennent
14:55le français
14:55et non pas
14:57le sens inverse.
14:58Ça fait que quand
14:58on leur disait,
14:59par exemple,
15:00de balayer,
15:01il fallait qu'on leur
15:02montre ce que ça
15:03voulait dire
15:04avec le balai.
15:05ou de n'importe
15:06ce qu'on leur disait,
15:07il fallait toujours
15:08faire le geste.
15:18Au lendemain
15:19de la Seconde Guerre mondiale,
15:21un siècle après
15:22l'abolition de l'esclavage
15:23en Guyane,
15:24les Guyanais n'ont
15:24toujours pas gagné
15:25l'égalité qu'ils revendiquent
15:26avec leurs concitoyens
15:28de l'Hexagone.
15:30C'est le combat
15:30que mène à Paris
15:31le député de Guyane,
15:32Gaston Monnerville,
15:34aux côtés du Martiniquais,
15:35Aimé Césaire.
15:36Notamment.
15:37Cette promesse
15:38de la République
15:38est enfin tenue
15:39le 19 mars 1946.
15:43Ce jour-là,
15:44l'Assemblée Constituante
15:45vote à l'unanimité
15:47la loi qui fait
15:48officiellement
15:49des vieilles colonies
15:50des départements français.
15:53À 7000 kilomètres de là,
15:55les rues
15:55et les bâtiments
15:56publics de Cayenne
15:57sont pavoisés.
15:59Mais tout le monde
16:00en Guyane
16:00ne deviendra pas
16:01du jour au lendemain
16:02français à part entière.
16:05Il faudra
16:05attendre plus de 20 ans
16:06pour que les Amérindiens
16:07et les Noirs marrons
16:08acceptent eux aussi
16:10très progressivement
16:11au rendre citoyen.
16:12Le tout premier préfet
16:17de l'histoire de la Guyane,
16:19Robert Vignon,
16:20n'a pas 40 ans.
16:22Il rêve de faire
16:22de ce bout de France
16:23en Amérique du Sud
16:24le pays le plus riche
16:26de l'Union française.
16:27Ce qui est marquant,
16:29c'est la manière
16:30dont il investit
16:31le rôle de préfet
16:32avec l'idée
16:33que c'est un territoire
16:36où il faut tout bâtir
16:37de l'administration
16:38et qu'on peut tout refaire.
16:40Et donc,
16:41c'est vrai que quand il arrive,
16:42il se renseigne
16:42pour imaginer
16:43un nouveau mode
16:44d'administration
16:46du territoire.
16:47Il y a vraiment
16:47cette idée
16:48de bâtir
16:49complètement quelque chose
16:51et d'être
16:54un peu le grand bâtisseur
16:55de la Guyane.
16:59Robert Vignon
17:00ignore tout
17:01du territoire
17:02dont il prend la charge.
17:04Il veut connaître
17:05la Guyane,
17:06comprendre la diversité
17:07des peuples
17:07qui la composent
17:08et recenser
17:09ces ressources naturelles
17:10que l'on dit
17:11foisonnantes.
17:13Ce sont les premiers
17:13chantiers
17:14que lance le préfet
17:15et qu'il dirige
17:16en personne
17:17lors de longues tournées.
17:21Le préfet Vignon
17:22quand même
17:23a sillonné la Guyane
17:24partout
17:25partout
17:26le gars
17:26il est allé quoi.
17:28Il rencontre
17:29les Amérindiens,
17:30il rencontre
17:30les Bonis,
17:31il rencontre
17:31les Créoles.
17:32Partout
17:33peut-être
17:33le gouverneur
17:35à l'époque
17:35n'avait jamais
17:36mis les pieds.
17:37Il l'a fait.
17:41À l'époque
17:42se rendre
17:43à l'intérieur
17:44c'est quand même
17:45en termes
17:46de transport
17:46c'est des jours
17:47de pirogues
17:48que ce soit
17:49le Maroni
17:50ou l'Oia-Poc
17:51c'est des fleuves
17:51qui sont
17:52difficilement navigables
17:54c'est quand même
17:55des expéditions
17:55qui sont longues
17:56qui sont dangereuses
17:57c'est pour ça
17:58que l'emprise coloniale
17:59a été faible aussi.
18:03Ce qui choque
18:04Vignon
18:04dans ses premières
18:05tournées
18:05préfectorales
18:06vers ses administrés
18:08c'est leur état
18:09physiologique.
18:11C'est le fait
18:12que
18:13en tout cas
18:13parmi
18:14les Amérindiens
18:16la mort
18:17sévit
18:17encore.
18:20Vignon
18:21refuse
18:22de s'y résoudre.
18:23Il décide
18:23de mettre
18:24en place
18:24comme cela se fait
18:25au Brésil voisin
18:26un service
18:27de protection
18:28des populations
18:28primitives
18:30puisque c'est ainsi
18:31que les qualifie
18:31toujours
18:32la nouvelle administration.
18:35La préfecture
18:35place un médecin
18:36et deux ethnologues
18:37au chevet
18:38de ses populations
18:39les plus fragiles
18:40éparpillées
18:41sur l'immense
18:42territoire
18:42guyanais.
18:43Une des premières
18:45missions
18:46de ce
18:47service
18:48de protection
18:50des populations
18:51primitives
18:52c'est
18:53de les maintenir
18:55en vie
18:55de les sauver.
18:57Ensuite
18:58c'est
18:59de s'assurer
19:00que
19:00ces populations
19:01qui ont été
19:02ignorées
19:03méprisées
19:04par l'administration
19:06coloniale
19:06et les créoles
19:08reçoivent
19:10une forme
19:11d'instruction
19:12rudimentaire
19:13lire
19:15écrire
19:15et compter.
19:18La vision
19:19humaniste
19:19du préfet
19:20Vignon
19:20n'est cependant
19:21pas dénuée
19:21d'ailleurs pensée.
19:24L'objectif
19:26premier
19:27de Vignon
19:28c'est
19:29le développement
19:30économique
19:30de la Guyane
19:31qui
19:32n'est pas
19:34assuré
19:34alors qu'elle
19:35regorge
19:36de richesses
19:37or
19:38bois
19:39bauxite
19:40etc.
19:41et le problème
19:42c'est le manque
19:42de bras.
19:43Et donc
19:44le changement
19:45de Vignon
19:46c'est
19:47de s'appuyer
19:48désormais
19:49sur les populations
19:50autochtones
19:51amérindiennes
19:52en premier lieu.
19:53On considère
19:54que ce sont
19:54des bras
19:55utiles
19:56qui n'ont
19:57jamais été
19:58exploités.
19:59Il est temps
19:59de s'appuyer
20:01sur ces populations.
20:02à plus forte
20:03raison
20:03que
20:04depuis 1938
20:06la transportation
20:07a cessé
20:08pour le bagne
20:09et donc
20:09on a perdu
20:10aussi
20:10cette main d'oeuvre
20:12taillable
20:12et corveillable.
20:13Merci.
20:15En 1947
20:16la population
20:17de la Guyane
20:18est recensée.
20:19Les autorités
20:20dénombrent
20:2022 000 habitants
20:21pour un territoire
20:22grand comme
20:23dix fois la Corse.
20:25Un chiffre
20:26forcément inexact
20:27car le comptage
20:28des populations
20:28qui vivent en forêt
20:29est pratiquement
20:30impossible.
20:31Si les peuples
20:35amérindiens
20:35sont visiblement
20:36éprouvés
20:37ce qui saute aux yeux
20:38du préfet Vignon
20:39lorsqu'il visite
20:39les villages
20:40c'est tout de même
20:41le nombre d'enfants.
20:43Pour qu'ils deviennent
20:43de bons petits soldats
20:44du développement
20:45de la Guyane
20:45il faut les instruire
20:47leur inculquer
20:48des valeurs morales
20:49compatibles
20:49avec celles
20:50de la République.
20:52Le préfet
20:54va alors
20:55faire alliance
20:55avec l'église catholique
20:56de plus en plus
20:58présente dans l'inini
20:59mais surtout
20:59très bien implantée
21:00sur le littoral.
21:02Les hommes indiens
21:03qu'il a visités
21:03à Mana
21:04semblent parfaitement
21:05correspondre
21:06à ses attentes.
21:08Ce mariage
21:09contre nature
21:10entre la République française
21:11et l'église catholique
21:12n'est pas un problème
21:13en Guyane
21:14où la loi
21:14de 1905
21:16de séparation
21:16de l'église
21:17et de l'état
21:17ne s'applique pas.
21:19Au contraire
21:20dans ce département
21:21une vieille ordonnance royale
21:23oblige l'état
21:24à financer
21:25les salaires
21:25et les dépenses
21:26du clergé catholique.
21:28En 1949
21:3215 ans après
21:33l'ouverture
21:33des premiers
21:34hommes indiens
21:35le préfet Vignon
21:36officialise
21:37le financement
21:37public
21:38des pensionnats
21:38catholiques
21:39de Guyane.
21:40Il en existe
21:41alors 4
21:41tous situés
21:42sur les littorales
21:432 à Mana
21:44à un Saint-Laurent
21:46du Marroni
21:46et un autre
21:48à Irakoubo.
21:58On a un dossier
21:59par home existant
22:01à l'époque.
22:03Le home indien
22:03féminin
22:04de Mana
22:05le home indien
22:07de Saint-Laurent
22:07du Marroni
22:08c'est constitué
22:11en fait
22:11d'échanges
22:12de correspondances
22:13avec les sœurs
22:15qui gèrent
22:15les hommes
22:16avec la préfecture
22:17avec la direction
22:18de la population
22:19avec tous les services
22:20de l'état
22:20qui peuvent être
22:21concernés
22:21par les hommes
22:23et puis on trouve
22:23aussi dans ces dossiers
22:25notamment des arrêtés
22:26qui fixent
22:27les prix de journée
22:28des hommes.
22:30Pour être en mesure
22:32de financer
22:32l'hébergement
22:33des jeunes primitifs
22:34dans les internats
22:34catholiques
22:35les autorités
22:36ont besoin
22:37d'un cadre légal
22:37qui corresponde
22:39aux droits
22:39sociaux français.
22:41Un casse-tête
22:41quand on se souvient
22:43que ces enfants
22:43ne sont pas citoyens.
22:45Jusque dans les années
22:4660-65
22:47ce qu'on appelait
22:47la francisation
22:48les Amérindiens
22:50et les Bouchinenguet
22:50ne sont pas citoyens français
22:51ils sont considérés
22:52comme protégés
22:53de la France.
22:53Ils n'étaient pas recensés
22:54individuellement
22:55ils n'étaient recensés
22:55que collectivement
22:56ils ne payaient pas d'impôts
22:57ils ne faisaient pas
22:58de service militaire
22:59ils ne votaient pas non plus
23:01parce qu'ils n'étaient pas citoyens
23:02donc ils n'avaient pas
23:03le même statut
23:04que les habitants
23:06de la Guyane
23:07de la Guyane en général.
23:09Dans leur grimoire
23:10les administrateurs
23:12trouvent la formule magique
23:13les pensionnaires
23:14des HOM
23:15sont définis
23:16comme recueillis
23:17temporaires
23:17à l'égal
23:18des enfants de détenus
23:19ou de parents défaillants.
23:22Le prix de leur séjour
23:23dans le HOM
23:24est donc inscrit
23:25au budget
23:25de l'aide à l'enfance.
23:28Le département
23:28reprend fidèlement
23:29à son compte
23:30cette devise spiritaine
23:31pour faire d'un petit indien
23:33un bon chrétien
23:34il faut d'abord
23:36en faire un orphelin.
23:42Là nous nous trouvons
23:43dans la commune
23:44d'Irakubo
23:44pas loin du village
23:47amérindien
23:47Yannou Bellevue
23:49et là
23:50ce lieu
23:51principalement
23:52c'était le HOM indien
23:53qui a été
23:55c'est vrai
23:56transformé
23:57c'était là
24:00qu'on nous amenait
24:01pour nous rééduquer
24:05c'était ce lieu
24:09que moi je fréquentais
24:11dans les années
24:1264
24:14à 65
24:15jusqu'à 70
24:16et
24:18c'est un lieu
24:20c'est vrai
24:21plein de souvenirs
24:22avec le temps
24:33c'est vrai
24:33on essayait d'oublier
24:34mais je pense
24:35que ça a été
24:36ça nous a poursuivi
24:37jusqu'à maintenant
24:38c'est peut-être
24:39pour cela
24:40que certains enfants
24:41qui sont passés là
24:42ont eu des séquelles
24:43de la perte
24:45du lien
24:46avec leurs parents
24:47il y a une soeur
24:51qui faisait l'histoire
24:52une soeur
24:53qui faisait la géographie
24:54donc voilà
24:56je connais tout
24:57de la France
24:58le nom des fleuves
24:59les départements
25:03les régions
25:04nous apprenaient ça
25:07mais on ne nous enseignait
25:10pas l'histoire
25:10de la Guyane
25:11éloigné de son village
25:15Kadhi a peu à peu
25:17perdu l'habitude
25:18de parler en Kalinia
25:19avec ses parents
25:20au Homme Indien
25:22elle a fini par oublier
25:23sa langue natale
25:23insidieusement
25:24les liens familiaux
25:25se sont rompus
25:26Kadhi a grandi en orpheline
25:28mais en enfant de Dieu
25:30il fallait absolument
25:33avoir
25:35un nom chrétien
25:37un prénom chrétien
25:38obligation d'aller
25:40à la messe le dimanche
25:41mais c'était bien
25:42parce que le dimanche
25:44nous étions tranquilles
25:45et puis il fallait
25:46se faire belle
25:47pour aller à l'église
25:49et puis c'était une façon
25:50aussi de sortir un peu
25:51et puis de voir
25:52d'autres personnes
25:53que les enfants
25:55de l'éternat
25:55pour les chrétiens c'est une maison de Dieu
25:57pour les chrétiens c'est une maison de Dieu
25:59pour les chrétiens c'est une maison de Dieu
26:01pour les chrétiens c'est une maison de Dieu
26:05pour les chrétiens c'est une maison de Dieu
26:09Pour les chrétiens, c'est une maison de Dieu.
26:23Mais pour moi qui était enfant et venant d'un moment autochtone,
26:29je ne comprenais pas souvent la signification des figurines,
26:35des images, de la peinture.
26:37Mais je savais que les grands-parents avaient contribué à la construction de cette église.
26:53On partait du Homme, on arrivait ici, on se mettait là tous ensemble.
26:57Des fois, on ne comprenait rien dans l'officine, mais on était obligés d'être là.
27:03On chantait parfois, je ne sais plus ce qu'on chantait, on priait, mais on priait je ne sais pas qui.
27:11Et voilà, dans mon enfance, ça ne me parlait pas du tout.
27:15D'un côté, on vous dit, c'est Dieu qui a créé le monde.
27:29Et de l'autre côté, dans le monde kalinien, on dit, voilà nos systèmes de croyances,
27:35voilà les éléments qui peuvent expliquer la création du monde.
27:41Il y a ce qui est visible de l'ordre de la matérialité et ce qui est de l'ordre de l'invisible.
27:47Ça, ces éléments-là, vous ne les apprenez pas quand vous êtes un Homme indien.
27:53Voilà, on vous apprend l'histoire de Charlemagne à sa place.
27:55On vous apprend autre chose.
27:59À un moment donné, si le processus d'assimilation va à son terme,
28:03eh bien, on te fait perdre toute ton identité, toute l'essence de ton identité pour te transformer.
28:12Il ne s'agit pas d'autre chose.
28:15Les Hommes sont un élément de ce processus-là.
28:21Ce déracinement, cet arrachement au mode de vie, à la langue et aux traditions
28:26que décrivent avec pudeur Kadhi, Guillaume et Franck, sont la définition même de l'acculturation.
28:33Une violence symbolique, souvent justifiée par la mission civilisatrice dont se prévalait la France coloniale
28:39et qui subsiste encore dans cette Guyane devenue pourtant département français.
28:47Au mi-temps des années 50, ce débat n'est pas d'actualité pour le préfet Vignon.
28:51Il est sûr, au contraire, d'œuvrer pour le bien de la Guyane et des Guyanais.
28:55Et à Paris, le ministre de l'Intérieur ne lui adresse d'ailleurs aucun reproche
29:00sur sa gestion des pensionnats catholiques.
29:02On estime cependant qu'il s'est tropicalisé.
29:06En clair, qu'il a fait son temps.
29:08En 1955, Robert Vignon est muté.
29:12D'abord dans l'Allier, puis en Algérie, alors en pleine guerre de décolonisation.
29:17A Cayenne, les nouveaux locataires de la préfecture veulent accélérer la politique d'assimilation initiée par Vignon.
29:27Le service de protection des populations primitives met la clé sous la porte.
29:31Mais les homes restent largement encouragés.
29:35En 1962, un cinquième pensionnat catholique ouvre à Sinamari.
29:41Vu des administrateurs de la Guyane, les homes indiens donnent de bons résultats.
29:46Les enfants hébergés dans les internats catholiques et scolarisés maîtrisent bien mieux le français que leurs parents.
29:52A partir de 1964, les gestionnaires des homes, c'est-à-dire des congrégations religieuses et l'État, décident que les enfants seront désormais accueillis dès l'âge de 4 ans.
30:04Au sein de la société civile, des critiques commencent à émerger.
30:11L'ingénieur cartographe français Jean Hurot, qui travaille depuis 15 ans à tracer les frontières de la Guyane pour le compte de l'Institut géographique national,
30:19considère que ses pensionnats catholiques font plus de mal que de bien aux peuples amérindiens.
30:25Il écrit, désigner ses établissements du don de home, qui évoque la douceur du foyer, est une imposture.
30:32Le véritable home d'un enfant indien, c'est son village et le carbet de ses parents.
30:41Pour mener leur mission, Jean Hurot et son équipe partagent pendant de longs mois, dans des conditions souvent très éprouvantes,
30:47le quotidien des Noirs marrons et des Amérindiens.
30:52Progressivement, Jean Hurot va devenir le spécialiste le plus connu et reconnu des sociétés amérindiennes et Noirs marrons de l'intérieur.
31:06Il se construit un capital académique, intellectuel, qui en fait la référence.
31:14C'est le premier à produire des travaux de qualité sur ces sociétés.
31:23Au fil du temps, le jeune ingénieur devient un témoin privilégié de la politique d'évangélisation et d'assimilation forcée menée dans les pensionnats catholiques.
31:35Hurot adresse de nombreux courriers de protestation aux autorités, qui restent cependant sourdes aux critiques.
31:46Le 21 mars 1964, le président de la République française est en déplacement à Cayenne.
31:51C'est son deuxième voyage officiel dans le département en l'espace de 4 ans.
31:56Avec l'indépendance algérienne, la France a perdu sa base spatiale d'Amagir.
32:00Et l'alternative se trouve justement en Guyane, à Kourou.
32:04Les populations amérindiennes et Noirs marrons que l'administration qualifie encore et toujours de primitives
32:11doivent apporter leurs pierres à l'édification du centre spatial guyanais.
32:15Dix-huit ans après la loi de départementalisation, elles commencent à être inscrites à l'état civil
32:21et obtenir des documents d'identité synonyme de citoyenneté française.
32:26Ces Français à part entière peuvent désormais voter, payer des impôts et bénéficier d'une protection sociale.
32:38Quatre ans plus tard, en 1968, une première fusée déchire le ciel de Kourou.
32:43La Guyane entre dans la modernité en faisant grand écart.
32:48Car au même moment, à 300 km de là, au fin fond de ce qui est encore le territoire de Linnini,
32:54un prêtre spiritin ouvre un sixième pensionnat en Guyane à Maripassoula.
33:00Drôle de destin que ce village du bout du monde, qui n'est alors qu'un no man's land administratif
33:05où se côtoient populations majoritairement noires marronnes, amérindiens teco et wayana et orpailleurs créoles, et qu'aucune route ne desserrent.
33:15Pour s'y rendre à cette époque, il faut plusieurs jours de pirogue depuis Saint-Laurent du Marronis
33:19ou un saut d'une heure depuis Cayenne par-dessus forêts et nuages.
33:26Maripassoula, c'est un minuscule bourg et une immense forêt, grande comme une fois et demie la région d'Île-de-France.
33:32Avec 0,5 habitants par kilomètre carré, la plus étendue des communes françaises est aussi la moins densément peuplée.
33:42Dans les années 90, Antoine Abienso en était le maire, le premier édile boni de Maripassoula.
33:50Lui aussi est un enfant des Hommes.
33:53Ici, c'est le presbytère. C'est un lieu, je dirais, très ancien, d'où je sors également, c'est-à-dire mon arrivée à l'école.
34:05J'ai fait une partie de ma vie ici pour l'école primaire, avant de partir à Saint-Laurent du Marronis.
34:09Ce bâtiment était en plusieurs parties. Il y avait la partie église qui était au rez-de-chaussée.
34:16La partie d'en haut, c'était la résidence des prêtres, des missionnaires.
34:20Et une partie en dessous pour le catéchisme, l'enseignement du catéchisme.
34:27Comme tous les enfants de son âge à Maripassoula, Antoine a grandi entre le fleuve, la forêt et la bâtie.
34:34Ce potager typique de la Guyane que l'on cultive en famille.
34:38La ville, comme l'école et encore moins la religion catholique, ne faisait partie de sa vie.
34:42Le Seigneur soit avec vous et avec votre esprit.
34:54À un moment donné, mon père a voulu qu'on soit scolarisés.
34:59Il avait vu que la société changeait et qu'il fallait absolument que les enfants aillent à l'école pour apprendre à lire et à écrire.
35:05Quand je suis arrivé là-bas, sur la structure qu'on peut appeler une espèce d'éternat, j'ai pleuré.
35:14J'étais un peu triste, c'est normal, parce que nous avions des habitudes.
35:17On avait des croyances, mais quand on est dans les homes, il fallait faire cet apprentissage biblique.
35:30Et donc ça passait par le catéchisme.
35:32Là-dedans, il y a du bien, puisque ce sont des leçons de morale, jusqu'à un certain degré.
35:39Maintenant, ça ne nous a pas empêché de pratiquer nos cultures.
35:43On apprenait ce qu'il fallait apprendre, mais on savait faire la part des choses.
35:49Un cahier.
35:51Un cahier.
35:52Regarde.
35:53Un cahier.
35:54Où est le cahier ?
35:56Dans la table.
35:57Non, pas dans la table.
35:59Le cahier n'est pas dans la table.
36:02Le cahier est pur.
36:04Dans les homes aussi, je veux dire que là, il y avait une certaine discipline,
36:09qui n'était peut-être pas la nôtre, mais qu'il fallait s'y habituer.
36:12Parfois, quand on était trop dur, on était rappelé.
36:18Les prêtres nous convoquaient et nous disaient fermement ce qu'il ne fallait pas faire.
36:25Il y avait des punitions aussi, données par les prêtres.
36:29En vous mettant à genoux pendant X temps.
36:32Les brimades des prêtres et les tentatives de diabolisation de leur culture traditionnelle n'ont pas laissé le même souvenir chez tous les Noirs marrons.
36:42Avec le recul, quelques-uns, comme Antoine, ont fait de ces homes des opportunités.
36:49L'histoire de ce peuple résilient qui a fui les plantations de Guyane hollandaise au XVIIIe siècle pour échapper à l'esclavage explique sans doute ceci.
36:57Considérés comme les maîtres des fleuves, les Noirs marrons sont des acteurs incontournables du développement de la Guyane.
37:05Et à ce titre, ils ont toujours cherché à être traités comme égaux par l'État français.
37:14Les Amérindiens n'ont pas vécu la même histoire.
37:17Décimés par le choc microbien des premiers contacts avec les conquistadors européens,
37:22ils n'ont cessé de chercher refuge toujours plus loin dans la forêt.
37:26Eux ont durement subi la pratique des pensionnats religieux.
37:30André Cogna en a témoigné.
37:34Alors qu'il traversait la Guyane dans les années 60,
37:37ce jeune Lyonnais a fait naufrage sur le fleuve Maroni, à proximité de Maripassoula.
37:42Sauvé par des Indiens Wayana, il a décidé d'épouser leur mode de vie et de les représenter politiquement,
37:48devenant, avec Jean Hurot, une des voix les plus critiques du système des homes.
37:54Enfin, moi je suis tout à fait hostile, mais alors complètement hostile à cette formule de home indien,
38:00parce que, de home tout court, parce que c'est faire des enfants tout à fait inadaptés.
38:07On va lui apprendre simplement le bas à bas ou des petites choses ridicules.
38:12Ridicules parce que lorsqu'il sortira d'ici, il n'aura jamais qu'un,
38:15un mec, vraiment au mieux, un petit certificat d'études quelconque.
38:20Et puis c'est tout, quoi. Qu'est-ce qu'il va faire avec ça ?
38:23Il sera obligé de rester dans la région et alors il sera inadapté à son propre milieu.
38:29Ou alors il ira à ce moment-là à Cayenne, Saint-Laurent ou par Marivaux.
38:34Et alors là, ce sera vraiment une catastrophe parce qu'il sera vraiment dans le dernier échelon,
38:38au bas de l'échelle, et ce sera vraiment catastrophique de toute façon.
38:44Un cas ou deux de gars qui vont réussir, mais c'est la réussite.
38:49L'installation du CNES a nécessité dans les premières années une importante main-d'oeuvre peu spécialisée, dont des Indiens.
39:04Mais pour eux maintenant, il n'y a plus de travail.
39:07Et une centaine vivent encore dans une sorte de bidonville à trois kilomètres de Kourou.
39:12Après avoir digéré tant bien que mal notre civilisation moderne,
39:19abandonnant la calebasse de noix de coco pour l'assiette de plexiglas.
39:23Avant de fuir cette civilisation moderne, où ils n'arrivent pas à s'intégrer,
39:29il faut encore travailler, gagner de l'argent, afin d'acheter ce qui peut améliorer les conditions de vie.
39:34Les Amérindiens, peuple premier de Guyane, sont relayés au rang de citoyens de seconde zone.
39:44Dans un rapport envoyé au préfet de Guyane,
39:48Jean Hurot expose clairement ses craintes pour l'avenir des jeunes Amérindiens et parle d'ethnocide.
39:53En juillet 1969, Le Monde publie une lettre très critique vis-à-vis de la politique de francisation et d'assimilation forcée des peuples de Guyane.
40:05Elle est signée notamment Claude Lévi-Strauss, figure majeure de la Société des Américanistes
40:11et adressée au secrétaire d'État aux départements et territoires d'Outre-mer.
40:15Tout en mettant immédiatement un terme au scandale que constitue la vente de l'alcool,
40:23l'exploitation touristique des villages indiens et l'envahissement des terrains de chasse, de pêche et de parcours traditionnels,
40:30il faut envisager la création de vastes réserves naturelles
40:35où les communautés soucieuses de préserver leur mode de vie ancestral
40:39seraient libres de se maintenir à l'abri des visites indiscrètes ou de choisir de s'installer.
40:46Les préconisations des anthropologues se retrouvent très exactement dans les revendications
40:52que portera 15 ans plus tard l'Association des Amérindiens de Guyane française.
40:57Une organisation créée par d'anciens pensionnaires des HOM,
41:01qui ont poursuivi leurs études loin de leur village, à Cayenne ou à Paris,
41:06des villes où circulaient alors d'autres visions du monde.
41:09Tout mouvement autochtone est né dans les années 60, aux Etats-Unis, 70, 80, c'est vraiment le moment où on crée le groupe de travail sur les peuples autochtones à l'ONU.
41:21Il y a eu des grandes conférences autochtones aux Etats-Unis et en Amérique du Sud dans les années 70, donc ces idées elles sont présentes.
41:30L'Amérindien est porte-parole de sa propre société et non pas des gens qui pensent pour eux.
41:38C'est là la dynamique qui change.
41:40Et du coup, l'insertion de ces groupes socio-culturels de Guyane dans des mouvements internationaux,
41:49l'UNESCO, le monde amazonien avec les populations amérindiennes,
41:56du coup effectivement ça donne une certaine résonance à leurs revendications.
42:01Les grands chantiers initiés par Vignon et ses successeurs depuis les années 1950 ont profondément changé le littoral guyanais.
42:10Des ponts, des routes et des autobus permettent désormais aux enfants d'aller à l'école sans dépendre des pensionnats catholiques.
42:17Et les missionnaires, qui peinent de plus en plus à recevoir les subsides de l'Etat,
42:22renoncent à évangéliser des populations peu sensibles à la parole du Christ.
42:26En conséquence, au début des années 80, cinq des huit hommes indiens de Guyane ont fermé leurs portes.
42:34Le mouvement autochtone, quant à lui, fourbit ses armes.
42:38La première offensive contre l'Etat est menée les 8 et 9 décembre 1984.
42:44Dans les notes des renseignements généraux, au départ, ils expliquent qu'il y a un grand rassemblement folklorique.
42:50Il y a Limapo, il va y avoir des groupes de musique, des groupes de danse, qu'on attend 1000 personnes, avec aucune dimension politique.
43:00Les invités officiels, aussi bien représentants de l'Etat que représentants élus des différentes collectivités de Guyane,
43:07ont été habitués à venir dans ce type de cérémonie, on leur sert la calebasse de Cachilly, boisson traditionnelle de la Grande Amazonie,
43:17et puis ça s'arrête là, on rigole. Et le discours arrive comme ça, et là ils sont surpris.
43:23Vous nous avez écrasés sous le rouleau compresseur de votre progrès. Vous nous avez ignorés en tant que peuple et en tant qu'individu détenteur des droits égaux aux vôtres.
43:34Félix Tuca fait son adresse au gouvernement français, où il va quand même porter une charge assez violente,
43:42à la fois contre l'Etat et contre les élus locaux guyanais.
43:45Nous ne voulons non plus devenir des Français comme les autres, ou même à part entière.
43:51Nous voulons obtenir la reconnaissance de nos droits, c'est-à-dire la reconnaissance de nos droits territoriaux,
44:02de notre droit à demeurer amérindien et à développer nos institutions et notre propre culture. Je vous remercie.
44:08Je vous remercie.
44:09C'est un soubresaut. C'est un soubresaut dans le monde amérindien de Guyane et en Guyane tout simplement.
44:16Les figures emblématiques et historiques du mouvement amérindien en Guyane restent quand même Thomas Apollinaire,
44:27Paul-Henri et effectivement Félix Tuca, celui qui a prononcé le discours.
44:33Voilà un peu les choses. Le principe de remettre tout en cause et notamment le principe d'assimilation par des primitifs.
44:43J'ai encore en image la colère du plus haut représentant de l'Etat, le préfet Courtois, en l'occurrence,
44:53qui n'a pas porté son nom ce jour-là. Il n'a pas été Courtois. Il n'a pas accepté ce discours-là.
44:58Ce qui me choque, c'est qu'on ne tient pas compte suffisamment de l'effort qui a été accompli ici pour préserver leur identité culturelle.
45:07Et je crois qu'on fait l'amalgame entre ce qui se passe ici et ce qui s'est passé dans d'autres pays.
45:11Et ceci n'est pas admissible s'agissant de la France.
45:15Symboliquement, c'est la première fois qu'il y a une parole politique amérindienne
45:19qui porte devant les autorités préfectorales et des élus locaux.
45:23Et manifestement, ils n'attendaient pas à ça.
45:27C'est dans les homes, dans le secret des dortoirs et alors qu'ils n'étaient que des enfants,
45:32que les trois leaders de la manifestation de 1984 ont apprivoisé méthodiquement
45:38le langage diplomatique de leur adversaire pour mieux l'utiliser contre lui.
45:43Ils ne sont pas des indiens, ils ne sont pas des populations tribales, ils sont des amérindiens.
45:52C'est la première fois que le terme est utilisé.
45:55Il y a le premier symbole.
45:57Le deuxième symbole majeur, et c'est en ça qu'on peut parler de forme de décolonisation, c'est un acte qui est préparé.
46:07C'est un acte qui est pensé, qui a été, donc il a une dimension proprement politique.
46:19À quelques kilomètres de la base de Kourou, où il a travaillé comme agent de sécurité,
46:24Guillaume Couillouri vit sur une zone de droit d'usage collectif.
46:28C'est l'une des victoires de la manifestation de 1984.
46:32Les amérindiens ont obtenu de l'état français l'autorisation d'occuper des terres considérées comme ancestrales.
46:39Des concessions foncières qui ne sont que provisoires.
46:47Afin de retisser les liens perdus avec ses traditions, sa langue et sa culture,
46:52Guillaume a rejoint un groupe de tambours Kalinia.
46:56Une réappropriation culturelle qu'il considère indispensable à sa guérison.
47:01Nous avons repris nos tambours pour montrer qu'on est encore là, qu'on est encore cette culture en nous.
47:20Malgré tout ce qu'on a subi, on n'a pas su effacer tout, on n'a pas su gommer tout.
47:26Le tambour fait partie du domaine spirituel.
47:32C'est festif, ok, mais quelque part ça nous projecte dans l'avenir.
47:42C'est notre force actuellement.
47:43En septembre 2022, la journaliste Hélène Ferrarini publiait un ouvrage consacré à l'histoire des pensionnats catholiques de Guyane.
47:58Son enquête a mis en lumière cette pratique d'endoctrinement, d'évangélisation et d'assimilation contrainte, dont les effets se font sentir sur plusieurs générations.
48:09Sept ans plus tôt, un rapport pointait une épidémie de suicide chez les jeunes amérindiens du Guyane, à la fois coupés de leurs racines et incapables de se projeter dans le monde occidental.
48:19A l'image de ce qui s'est déroulé en Afrique du Sud du temps de l'apartheid, ou bien encore en Australie et au Canada, vis-à-vis des peuples autochtones, certains, encouragés par l'ONU, s'interrogent sur la mise en place d'une commission vérité et réconciliation au sujet des hommes indiens de Guyane.
48:37Alors une commission vérité et réconciliation, c'est une institution qui a été mise en place pour faire une justice qui remonte le temps, c'est-à-dire pour s'occuper de crimes qui ont été commis il y a un certain nombre d'années et qui n'ont pas été traités comme ils auraient dû l'être, parce qu'à l'époque, ceux qui ont commis les crimes étaient au pouvoir, pour faire simple.
49:00Et donc on a mis en place ces commissions qui sont chargées d'étudier ces crimes, d'étudier la violence, de proposer des réparations, d'essayer de comprendre pourquoi cette violence a eu lieu et d'essayer également de proposer des mesures dites de non-répétition pour faire en sorte qu'à l'avenir, cette forme de violence n'existe plus.
49:20Au fond, la justice traditionnelle et les commissions vérités, c'est à la fois une machine à remonter le temps judiciaire et c'est une machine à vouloir faire du plus jamais ça.
49:28La volonté de mettre à jour les méfaits de la colonisation n'est pas nouvelle. C'est un mouvement désormais international. Néanmoins, en France, le sujet est encore tabou et christian. Par honte, par crainte, les histoires sont prues.
49:49Les anciens pensionnaires des hommes doivent pouvoir parler et l'on doit pouvoir les écouter.
49:54Pour les enfants des hommes, la violence qui a été utilisée contre eux est certainement plus limitée que la violence qu'on a utilisée au Canada.
50:03Par exemple, on a trouvé des charniers au Canada, il y a eu des expérimentations médicales sur les enfants améraniens, ce qui pour l'instant n'est pas relevé en Guyane.
50:12Mais même une violence strictement limitée à la répression des habitudes culturelles, des usages culturels, de l'identité culturelle, c'est une manière de vouloir détruire une communauté en tant que telle.
50:29C'est ça qu'on a appelé le génocide culturel. C'est ça qu'on appelle le génocide culturel aujourd'hui.
50:33Le génocide culturel, ce n'est pas tuer les gens, c'est tuer leur culture. C'est le fameux Sloan, tuer l'Indien pour sauver l'homme, mais qu'on a pu entendre dans la bouche de sous-préfets en Guyane dans les années 50,
50:44en disant qu'il faut que le nom d'Indien disparaisse pour voir arriver le nom de Guyanais. C'est une démarche intellectuelle qui est assez proche.
50:51Pour Guillaume, Caddy, Franck et bien d'autres, les hommes indiens sont le dernier chapitre d'une histoire plus longue, celle de la conquête de la Guyane.
51:10Conquistadors, orpailleurs, colonisateurs, missionnaires, tous ont un point commun, ils sont arrivés par la mer.
51:18Les Amérindiens Kalinia ont un mot pour désigner ces hommes qui ne leur ont apporté que le malheur depuis des siècles.
51:26Palanagle, littéralement les mauvais esprits de la mer.
51:31Pour nombre d'Amérindiens de Guyane, en mettant en place les pensionnats catholiques au nom des principes de liberté, d'égalité, de fraternité,
51:41l'État français n'a produit que violence et ressentiment.
51:45L'accaparement des terres et l'intrusion forcée dans l'intimité des familles amérindiennes a durablement bouleversé l'ordre culturel et social de ces peuples autochtones.
51:57Les hommes symbolisent pour beaucoup le dernier coup de hache de la colonisation française.
52:03Une blessure, toujours vive, dont ils ne savent pas comment guérir.
52:07Sous-titrage Société Radio-Canada
52:37...
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