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  • 25/03/2025
"Il y a un truc qui est viscéral et peut-être que ça m'a parlé."

De Manchester à Détroit en passant par Paris, Laurent Garnier raconte pour Brut ses débuts dans la techno. Rencontre.

Catégorie

🎵
Musique
Transcription
00:00Non seulement, ça vient de chez les Anglais.
00:02La presse n'est pas super cool par rapport à ça.
00:06C'est une musique qu'on ne comprend pas.
00:07Et en plus, musique de pédés, c'est ce qui se dit à l'époque, tu vois.
00:17Manchester, la Sienda,
00:20parce que la Sienda, c'était le club culte de Manchester,
00:24mais il y avait aussi plein d'autres clubs.
00:26Et un soir de 1987,
00:31fin 1986, début 1987, je vais à une soirée.
00:34Il n'y a pas encore de techno, il n'y a pas encore de house,
00:38mais Mike Pickering arrête la musique
00:42et joue un putain d'ovni
00:46qui me tabasse la tête.
00:48Et c'est Farley Jack Master Funk, Love Can't Turn Around.
00:52Ça a fait basculer toute la salle.
00:54Et là, tu montes là-haut, tu tapes à la cabine comme un fou.
00:58Il ouvre la porte et tu lui dis What the fuck is this?
01:01Tu sens que c'est radicalement différent.
01:04C'était logique, quelque part, que ça démarre de là-bas,
01:07puisque plusieurs années avant,
01:11il y avait eu ce mouvement qui s'appelle la Northern Soul,
01:14qui a été vraiment très fort dans le nord de l'Angleterre,
01:17qui était un mouvement autour de la Soul du nord des Etats-Unis.
01:23Donc c'était la Soul de Détroit.
01:25En fait, c'est des DJ de Manchester qui se barraient aux Etats-Unis,
01:29qui allaient acheter des 45 tours, qui n'avaient rien vendu,
01:32qui revenaient donc de Chicago, de Détroit,
01:35de ces villes du nord des Etats-Unis avec des pépites de Soul,
01:39parce que les gamins anglais consommaient cette musique.
01:42Mais c'était incroyable.
01:45En fait, c'était tout le mouvement des rêves avant le mouvement des rêves,
01:49genre 20 ans avant le mouvement des rêves.
01:51Les clubs de Manchester fermaient beaucoup plus tôt qu'à Londres.
01:53Et donc, c'est vrai qu'à la Cienda, à deux heures du matin, finit au rideau.
01:57Et il y a un moment où, c'est ce que je dis dans le docu,
02:00les mecs étaient pleins d'extas à deux heures du matin.
02:02Tu ne leur disais pas d'aller se coucher.
02:04Et donc, très vite, ils se sont rendus compte que c'était compliqué
02:07de continuer en ville.
02:08Et c'est là où, aussi, Manchester est une petite ville.
02:11Donc tu es à la campagne tout de suite.
02:13C'est très vite la campagne, tu vois, que tu te retrouves.
02:16C'est facile pour aller dans des champs et aller monter un chapiteau.
02:20Et jouer de la musique aussi longtemps qu'ils pouvaient.
02:24Le changement en France, c'est toujours compliqué.
02:26Il y a cette musique qui arrive d'Angleterre.
02:28On ne la regarde pas super œil parce que les tabloïds en Angleterre
02:33parlent beaucoup d'ecstasy, de drogue, de n'importe quoi.
02:36Et forcément, la presse lit ça aujourd'hui.
02:41Nouvelle musique, encore les Anglais.
02:44On est dans un pays qui est très rock'n'roll.
02:46Ce n'est pas super bien vu.
02:49En plus de ça, les seules personnes en France au tout début
02:53qui accueillent cette musique-là, c'est la scène gay.
02:55C'est le premier public en France qui écoute cette musique.
02:59Donc, non seulement ça vient de chez les Anglais.
03:03La presse n'est pas super cool par rapport à ça.
03:06C'est une musique qu'on ne comprend pas.
03:07Et en plus, musique de pédés.
03:10C'est ce qui se dit à l'époque, tu vois.
03:12Le seul endroit hétéro qui m'a accepté avec cette musique-là,
03:15très bizarrement, c'est la locomotive.
03:17Mais c'était quand même
03:20ne nous joue pas trop de ta musique de merde.
03:24Donc, en fait, ce que je faisais, c'est que la Loco, c'était un club assez rock.
03:28Alors, quand je faisais la chaufferie en bas,
03:31je me permettais de faire des séries.
03:33Ce que disait l'autre DJ, il me disait tout le temps,
03:34vas-y, va faire une série Acid Naze.
03:36Et c'était comme ça.
03:37Et bon, je faisais quand même des trucs assez long en bas.
03:40Par contre, quand je faisais la grande salle en haut,
03:43donc la salle de la machine aujourd'hui,
03:44je m'arrangeais pour jouer trois, quatre disques de house,
03:47d'Acid House ou de techno, que je mélangeais avec...
03:51Allez, je mettais un New Order, un Dépêche Mode.
03:53Et dans le tempo, pouf, je leur en mettais deux ou trois.
03:55Là, le patron arrivait en courant, me disait,
03:57tu peux pas jouer cette musique ici.
03:59Je repartais sur autre chose dans le tempo et je revenais sur le rock.
04:02Et c'est comme ça que j'ai incrusté cette musique détroit.
04:06Et ce n'est pas du tout l'Amérique dont j'ai fantasmé.
04:08C'est une Amérique dont je n'ai pas forcément entendu parler.
04:11C'est une ville qui est en banqueroute totale,
04:15avec une souffrance incroyable où quand tu montes dans une bagnole,
04:18on te dit, non, monte derrière parce qu'on est downtown.
04:23Si t'es blanc, c'est mieux d'être derrière.
04:26En fait, c'est mieux que ce soit nous qui conduisons
04:29parce que ça peut devenir dangereux.
04:31Ou quand tu arrives, on te dit,
04:35tiens, là, on va passer ce qui s'appelle la route,
04:37qui est en fait la route qui va séparer,
04:41c'est horrible ce que je vais te dire, mais c'est vrai,
04:44le downtown qui est à 80% de population noire
04:49et les suburbs qui, elles, sont complètement blanches.
04:52En fait, dans la techno détroit, tu vois, dans la house,
04:54je sens tout le côté noir de la musique.
04:57Mais je n'aime pas que la musique noire.
04:59J'aime aussi la musique blanche, tu vois, j'aime bien la musique synthétique.
05:02J'aime bien la musique synthétique,
05:04mais c'est quand même la musique noire qui m'anime.
05:07Donc, c'est assez contradictoire.
05:09Et c'est vrai que pour moi, Détroit a su marier ça.
05:12Tu vois, quand Derek May te dit,
05:14la techno, c'est, tu mets dans un ascenseur,
05:16Kraftwerk et Funkadelic.
05:18Ben, c'est exactement ça.
05:20En fait, t'as tout, la rythmique,
05:22le bordel que peut être Funkadelic,
05:24mais surtout la soul,
05:26et la rythmique,
05:28c'est exactement ça.
05:31le bordel que peut être Funkadelic,
05:33mais surtout la soul,
05:35et tout ce qui parle à tes hanches.
05:37Mais t'as aussi la rigueur de Kraftwerk,
05:39et le côté froid, synthétique.
05:41C'est là où j'ai senti vraiment le mariage
05:43de tout ce que j'aimais.
05:45Et là, j'y étais à fond,
05:47parce que ça m'a tellement ému.
05:49Il y a de la tristesse,
05:51il y a beaucoup d'émotions.
05:53Il y a beaucoup d'émotions contradictoires
05:55dans cette musique-là.
05:57Et tu sens aussi la souffrance.
05:59Tu sens que c'est pas la même histoire.
06:01Tu sens qu'il y a un truc,
06:03un truc qui est viscéral.
06:05Et peut-être que ça m'a parlé.

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