Aurélien Barrau appelle à une "révolution écologique"

Brut

"Si on ne décroît pas, évidemment, on va à la catastrophe."  Pour l'astrophysicien Aurélien Barrau, une "révolution écologique" est indispensable. Et il y a urgence. Voilà pourquoi…

Transcript

00:00Moi, quand j'emploie le mot décroissance dans une émission de télé ou de radio, on m'interrompt.

00:04Décroissance ? Vous voulez dire que vous êtes décroissant ?

00:06Là, d'un seul coup, c'est comme si on passait du mauvais côté.

00:08Vous voyez, avant, on était l'astrophysicien écolo, un peu sympa, bienvenu.

00:12Mais là, d'un seul coup, on se dit, oh là là, mais peut-être qu'il est dangereux, en fait.

00:15Peut-être qu'il fait partie de la secte des décroissants.

00:17C'est complètement ubuesque.

00:19Je veux dire, bien sûr qu'il faut décroître.

00:21C'est une évidence.

00:23On est actuellement en train de consommer plusieurs fois les ressources de la Terre chaque année.

00:27Si on ne décroît pas, évidemment qu'on va à la catastrophe.

00:30Mais ce que je voudrais souligner, c'est que le mot décroissance, il est mal choisi.

00:34Parce qu'il est tributaire des indicateurs de l'ancien monde.

00:36Moi, j'ai envie d'évaluer la croissance, non pas sur le PIB,

00:40mais sur la capacité à s'entraider, sur l'amour, sur la beauté,

00:44sur le respect de la vie, sur le développement des espèces,

00:47sur la pérennité du système, sur la diminution des inégalités.

00:50De ce point de vue-là, on n'est pas du tout en croissance en ce moment.

00:53Et ce que je propose, enfin, moi, je n'ai pas de programme politique,

00:55je ne vais pas entrer en politique, mais ce que nous proposons,

00:58c'est précisément de croître par rapport à ces nouveaux indicateurs

01:02que je crois être de meilleurs indicateurs.

01:04Comment fait-on pour concilier cette nécessité de décroissance matérielle

01:08avec, évidemment, la problématique de ce qu'on ne veut pas,

01:11baisser le niveau de vie de ceux qui n'ont déjà presque rien ?

01:13On veut même le monter, au contraire.

01:14Pour moi, la solution, elle est simple, c'est le partage.

01:16C'est un peu de mise en commun.

01:18Autrement dit, la révolution écologique qui est nécessaire,

01:22on ne s'en sortira pas avec une évolution douce, que ce soit clair.

01:25La révolution écologique qui est nécessaire,

01:28elle va contre notre confort, de façon globale.

01:30Il va falloir faire des efforts.

01:32Mais moi, je crois que ces efforts,

01:33ils ne doivent pas être portés par ceux qui n'ont déjà presque rien.

01:37Ce serait indécent.

01:38Et en plus, ça ne se fera pas, d'ailleurs.

01:39Donc, la seule façon, peut-être, de réenchanter un peu les choses

01:43est d'y parvenir, en fait.

01:44C'est-à-dire, profitons de la contrainte écologique

01:47pour, en plus, mettre en place une évolution sociale

01:50qui soit sereine et qui soit un peu raisonnable.

01:52Enfin, il faudrait que les plus aisés prennent sur eux

01:55les évolutions drastiques qui sont nécessaires.

01:57Parce que si on se contente d'augmenter les taxes sur le carburant,

02:00ça veut dire quoi ?

02:01Ça veut dire que les riches continueront à utiliser leurs voitures

02:03exactement de la même manière

02:04et que les pauvres, eux, ne pourront plus le faire.

02:06Ça, c'est évidemment pas acceptable.

02:08Donc, on n'a pas d'autre moyen d'espérer

02:11que de tenter de faire l'évolution sociale

02:14en même temps que la révolution écologique.

02:17Mais je ne vois aucun indicateur aujourd'hui

02:19qui nous laisse espérer que ça va avoir lieu.

02:21Il faut arrêter de se mentir, d'accord ?

02:22On ne peut pas gagner sur tous les tableaux.

02:24L'idée qu'on va pouvoir continuer à avoir de plus en plus

02:26de smartphones hyper performants, d'ordinateurs partout,

02:30de gigantesques écrans LCD chez nous

02:33et en même temps voir les insectes, les oiseaux, les baleines survivre,

02:37c'est faux.

02:38On ne peut pas gagner partout.

02:39Donc, la question à se poser, c'est est-ce que dans 50 ans,

02:42on a envie que nos descendants aient la 17e génération

02:45de téléphones portables qui sera tellement rapide

02:47qu'on pourra télécharger tout Internet en 4 secondes

02:50ou est-ce qu'on a envie que la vie existe encore autour de nous

02:53et que cette extraordinaire construction perdure un peu ?

02:57Moi, je crois que quand on en sera à la 17G,

03:00on se dira que quand même,

03:01les baleines, les vautours et les menthes religieuses,

03:04c'était peut-être un peu mieux et ce sera trop tard.

03:06Je veux être bien clair, je ne suis pas un donneur de leçons.

03:08Moi-même, je possède un téléphone portable récent.

03:12Donc, c'est très dur de résister à ça

03:14parce que la tentation est énorme

03:16et parce qu'on se laisse très vite convaincre

03:17qu'en même cet ordinateur dernière génération,

03:20si on en a les moyens,

03:21nous, on en fera un bon usage.

03:23Bon, ça, il faut arrêter ça.

03:25Voilà, le petit geste le plus essentiel,

03:27ce n'est pas d'acheter équitable,

03:28c'est de ne pas acheter.

03:30C'est d'aller quand même tendanciellement vers l'ascétisme.

03:33Moi, je me suis séparé de ma voiture.

03:35J'ai une voiture de sport d'ailleurs,

03:36donc vraiment, je n'ai vraiment pas de leçons à donner.

03:39Bon, maintenant, je ne suis pas passé à la voiture électrique,

03:41j'ai juste vendu ma voiture, voilà, plus de voiture.

03:44Bon, on va me dire, certains ne peuvent pas le faire.

03:45Très bien, ceux qui ne peuvent pas le faire ne le font pas

03:47mais quand on le peut, on essaye de ne pas le faire.

03:50Moi, je l'ai fait d'aller à des conférences

03:51presque à l'autre bout du monde

03:52pour parler 20 minutes devant des spécialistes.

03:55Ça, ça n'a plus de sens.

03:56Il faut absolument arrêter.

03:57Là encore, tout le monde n'est pas concerné,

03:59certains n'ont pas les moyens.

04:00Mais ceux qui n'ont pas de moyens ne sont pas les plus gros pollueurs,

04:02donc ce n'est pas à eux qu'il faut demander les plus gros efforts.

04:04Si vous voulez, il faut sortir de l'idée

04:06que chacun fait ce qu'il veut.

04:07Oui, chacun fait ce qu'il veut, c'est beau la liberté,

04:09j'aime la liberté, on peut tous se prendre par la main

04:11car vive la liberté.

04:13Mais il faut comprendre

04:14que c'est comme ne pas vacciner ses enfants, si vous voulez.

04:17Non seulement c'est grave pour ses enfants,

04:19mais c'est grave pour les autres.

04:21Parce que la vaccination, elle n'a de sens

04:23que si presque tout le monde est vacciné.

04:24Parce que ceux qui n'ont pas les moyens de se payer le vaccin

04:26ou ceux qui ne sont pas protégés par le vaccin

04:28risquent de mourir si vous ne vaccinez pas vos propres enfants.

04:31Ce n'est pas une décision individuelle.

04:32C'est pareil pour l'écologie.

04:34Quand vous mangez de la viande,

04:35ce n'est pas une décision individuelle.

04:36Vous tuez un être vivant sensible

04:38et vous participez maximalement à la pollution.

04:41Donc ça engage aussi les autres.

04:42On tue chaque année 100 milliards d'animaux

04:44dans des conditions épouvantables, dans les abattoirs,

04:46et 1 000 milliards de poissons.

04:48Vous savez comment ça meurt, un poisson ?

04:49Lors de la remontée des filets,

04:51la vessie natatoire explose,

04:52les yeux sont arrachés des orbites,

04:54l'estomac et l'osophage ressortent par la bouche.

04:56On n'a pas envie de l'entendre, mais c'est la vérité.

04:58Quand on mange du poisson, c'est ça qu'on fait.

05:01Est-ce qu'on peut vraiment se dire

05:02« Mais tout ça, c'est normal, tout va bien. »

05:05On a quand même atteint un niveau de monstruosité systémique

05:08qui me pose problème.

05:09J'entends dans les petits cafés du centre-ville

05:11où je travaille le matin,

05:12les commerçants sont scandalisés

05:14parce que le chiffre d'affaires a baissé de 2%,

05:16parce qu'effectivement, il y a un peu moins de voitures en ville.

05:19Écoutez, moi je comprends que les commerçants

05:21ont des loyers à payer, des salaires à payer,

05:23des emprunts à rembourser, je leur jette pas la pierre,

05:26mais si on ne fait pas cet effort-là, on est foutus.

05:28Donc ce n'est pas qu'un problème de dirigeants,

05:29on a aussi les dirigeants qu'on mérite.

05:31Il faut quand même que nous, on décide de nos priorités.

05:35Et actuellement, on n'en fait pas une priorité.

05:37C'est ça le problème, c'est que si on était tous d'accord,

05:39le peuple, on pourrait faire une révolution

05:41pour faire triompher l'économie contre nos méchants dirigeants.

05:44Mais ce n'est même pas le cas en ce moment, on n'est pas d'accord.

05:46Le peuple, et j'en fais partie,

05:48nous ne voulons pas aujourd'hui la révolution écologique,

05:51parce qu'elle irait contre notre confort à court terme.

05:54Donc puisque personne ne le veut, ce n'a pas lieu, c'est normal.

05:57Nous ne sommes pas dans la bonne direction.

05:59Oui, tendanciellement, pour quelques industries, ça va plutôt mieux.

06:02Oui, il y a des efforts qui sont faits.

06:04Monsieur Macron sait qu'il faut faire des choses.

06:07Je crois simplement qu'il n'a pas du tout pris la mesure

06:11de l'amplitude de la catastrophe.

06:13Nous n'en sommes plus à des mesures symboliques.

06:16Nous n'en sommes plus à infléchir doucement le système

06:19pour que peut-être dans 50 ans ça marche.

06:21Non, non, si ce n'est pas radical, sincère et effectif à court terme,

06:28les conséquences seront désastreuses.

06:31Mais en même temps, je le comprends, il n'a pas été élu pour ça.

06:34Donc c'est aussi notre faute, ce n'est pas la sienne.

06:37Nous élisons des représentants qui ne s'engagent pas

06:40dans un programme écologique révolutionnaire.

06:42Donc c'est normal qu'il ne le fasse pas, après tout il est cohérent avec lui-même.

06:45Donc moi ce n'est pas à monsieur Macron que je fais le reproche,

06:47c'est à nous avant tout.

06:48Les écolos font toujours des scores minables aux élections.

06:51Peut-être qu'ils sont mauvais d'ailleurs, je ne les connais pas personnellement.

06:54Je ne dis pas qu'il faut voter pour telle ou telle formation,

06:56je n'en sais rien à dire vrai.

06:57Mais enfin, j'imagine que quelqu'un, et ce ne sera pas moi,

07:00qui se présenterait avec un programme écologiste révolutionnaire

07:03recueillerait quoi ? 0,5% des voix.

07:05C'est notre faute.

07:06On ne le veut pas, on ne l'a pas, c'est cohérent.

07:10On se suicide.

Catégorie

Transcription

Recommandations