Nora Lakheal : infiltrée chez les djihadistes

Brut

25/03/2025

Pendant des années, cette policière a infiltré des groupes d'islamistes radicaux. Sa cible : Nasser, l'un des terroristes les plus recherchés par les renseignements français. Nora Lakheal raconte son histoire.

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00:00Je me lève, je pense à Nasser, pendant dix-huit mois j'étais son ombre, c'était un gros

00:12poisson, c'était parmi les objectifs majeurs du renseignement français.

00:18Le soir, je m'endors en pensant à Nasser.

00:23Nasser, c'est le pseudo donné à un terroriste, la cible de Nora Lakéal.

00:27Pour Brut, je vais vous raconter l'histoire de cet agent, c'est la première femme à

00:31avoir intégré un groupe d'élite anti-terroriste, la Source.

00:34Pendant des années, elle a espionné des groupes d'islamistes radicaux.

00:38Nora, c'est le parcours d'une Française, musulmane et fille d'immigrés, en lutte

00:43contre l'islam radical.

00:44Mes parents sont arrivés en France au début des années 70, il y avait le plein emploi

00:54pour les immigrés, donc mon père a saisi sa chance et il a décidé de venir de Tunisie.

00:59J'ai grandi dans une loge de gardienne, ma mère était gardienne d'immeubles.

01:03C'était plutôt un logement, on va dire, insalubre.

01:11Je pense qu'à ce moment-là, j'avais la rage du pourquoi, pourquoi ça m'arrive

01:17à moi, pourquoi est-ce que je ne suis pas comme les autres, que mes parents ne m'aident

01:21pas à étudier, à me construire.

01:24Il y avait beaucoup de souffrance, je ne savais pas où la mettre et j'ai réussi à canaliser

01:28toute cette énergie en pratiquant la boxe française.

01:45Mon professeur était quelqu'un, déjà physiquement assez robuste, et puis abrupt.

01:53C'est quelqu'un qui ne souriait jamais et c'est très difficile parce que c'est

01:56le type de personne qui vous dit toujours que vous avez beaucoup de chemin à faire

02:01avant d'être le meilleur.

02:09C'était le soir après un assaut que j'ai eu avec mon prof de boxe et qui m'a en fait laminée.

02:14Je me suis dit, il faut que je rattrape le coup, il faut que j'aille quand même prendre

02:16un verre pour dire, je suis quand même sympa comme fille, même si je m'ai explosée.

02:21Il a découvert à ce moment-là que j'étais étudiante en philosophie et ça a fait rire

02:27tout le monde.

02:28Je lui ai dit, tu te moques de moi mais qu'est-ce que tu fais toi ? Et là en fait, il me souviendrait

02:32toujours, il a pris sa veste aviateur, il m'a dit, regarde mais tu ne le dis à personne

02:38sinon ça va mal se finir pour toi.

02:40Il a fait comme ça et là j'ai vu un Glock.

02:42Et en fait j'étais très choquée, c'était la première fois que je voyais une arme.

02:45Et là il me dit, moi je suis à la BRI, Brigade de répression et d'intervention.

02:50J'étais pas rassurée parce que j'ai déjà vécu par procuration la mort de Malik Ousekine.

02:57C'est donc ce matin, entre 1h30 et 2h que Malik Ousekine, 22 ans, étudiant à Dauphine,

03:03a été victime d'affrontements entre des manifestants et les brigades spéciales motocyclistes

03:07de la préfecture de police.

03:09Tous les témoignages concordent, le jeune homme a été violemment frappé par trois

03:13policiers semble-t-il.

03:14Vous voyez des infirmiers en train de faire des gestes de premier secours, c'est un moment

03:19très poignant.

03:20Et en plus, il y a eu le film « La haine » de Kassovitz qui a fini une fois pour toutes

03:25de me faire dire que finalement la police c'était pas nos meilleurs amis.

03:40J'étais assez naïve pour croire qu'à partir du moment où moi, Nora Lakéal, j'allais

03:45rentrer dans la police, j'allais pouvoir changer les choses, c'est-à-dire réparer

03:51les injustices et pacifier les rapports entre la population et la police.

03:56Donc je suis affectée à l'école de police de Reims.

04:04Il a fallu quelques petites semaines pour que déjà je m'accroche avec un formateur.

04:08Il me dit « Bah alors Nora, qu'est-ce qu'on va faire ce week-end ? ». « Alors je suis

04:13sûre que vous allez manger du couscous, c'est ça ? Faire un peu de danse du ventre ? ».

04:16Je ressors en larmes.

04:20Déjà d'une, j'ai le droit d'être arabe, j'ai le droit d'être musulmane,

04:25et j'ai le droit d'être française, et j'ai le droit d'être laïque, et j'ai

04:28le droit d'être tout ça en même temps.

04:33À partir du 11 septembre 2001, tout bascule dans le monde mais aussi dans mon parcours.

04:43Au sein de la police, mes collègues ne me considèrent plus comme « la beurette » ou « l'arabe »,

04:48mais je deviens la musulmane.

04:53Ce sont les premières fois où, par exemple, dans les salles de repos, on me pose des questions

04:57à savoir « Tiens, tu pratiques ? Mais est-ce que tu manges du porc ? ».

05:01Des questions auxquelles on ne se posait absolument pas avant.

05:05Les services de renseignement sont maintenant persuadés que le terrorisme peut frapper partout.

05:10Plusieurs islamistes franco-marocains ont été arrêtés en début de semaine en région parisienne.

05:14C'est à Paris, ce matin, que les policiers de la DST ont opéré un coup de filet dans les milieux islamistes.

05:29À cette époque-là, je me suis dit que je n'étais pas le seul à être arrêté.

05:33À cette époque-là, les renseignements généraux avaient décidé de créer des groupes de recherche

05:38spécifiquement attachés à la lutte contre l'islam radical, déjà, dans les banlieues.

05:44Donc, de façon très pragmatique, il avait été décidé de recruter des gens d'origine maghrébine.

05:50Il m'explique, lors du test, que je vais être la première fille à intégrer ce service,

05:55qui est la SORCE, Section Opérationnelle et Recherche Spécialisée.

05:59Donc, c'était le service d'élite des renseignements généraux.

06:02Ces hommes sont chargés de traquer les réseaux terroristes en France.

06:07Leur travail consiste à faire des filatures, surveillance, infiltration dans les milieux islamistes radicaux.

06:14Là, c'était vraiment de la surveillance au plus près.

06:17C'est-à-dire que nos missions, c'était, on nous donnait en gros une photo, on nous donnait une adresse.

06:22Et à partir de là, il fallait retracer les activités de l'objectif, ses contacts, ses habitudes.

06:33Ma mission était de suivre tous les faits et gestes de Nasser.

06:38De cette époque-là, c'était parmi les objectifs majeurs du renseignement français.

06:43C'était un théoricien, quelqu'un de très intelligent, plutôt âgé et qui fédérait énormément.

06:55Pendant 18 mois, j'étais son ombre, j'allais où il allait, très simplement.

07:00Et c'est très compliqué parce que sur 18 mois, il faut ne pas être repéré.

07:06Donc il faut s'habiller de telle manière quand il va dans une mosquée,

07:09puis il faut aller s'habiller de telle autre quand il va aller voir ses copains en bas de la cité.

07:19Après plusieurs mois de filature, Nora est démasquée par Nasser.

07:22Dans le jargon des RG, on dit qu'elle est détronchée.

07:25C'était un des moments les plus difficiles de ma vie.

07:29Il a tourné le dos et il est venu vers moi avec trois de ses acolytes qui revenaient du Pakistan.

07:34Et là, j'ai eu la peur de ma vie.

07:35J'ai mis mon arme à proximité.

07:38Et là, il m'a dit « Bon, écoute, ne sais pas te faire la maligne, on t'a vu.

07:42On connaît déjà toute ton équipe, on les a déjà détranchées depuis un petit moment.

07:46Et le gars me dit « T'inquiète pas, moi je suis là pour toi. »

07:50Il m'a dit « De toutes les façons, tu ne seras jamais française parce qu'ils ne t'aiment pas.

07:55Pour nous, quoi qu'il se passe, tu seras toujours une musulmane. »

07:58Du coup, moi, sincèrement, j'étais au bout de ma vie.

08:03J'ai vu le premier bus qui passait.

08:05Je suis rentrée dedans, je ne savais même pas où j'allais.

08:07Les portes se sont fermées.

08:09J'ai senti, je pense sincèrement, un litre d'eau tomber comme ça.

08:14Et j'ai compris ce que c'était que la peur.

08:17Dans ce cas particulier avec Nasser, il y avait un projet d'attentat qui a été déjoué grâce à nous.

08:23Le travail de ces fonctionnaires n'a jamais été reconnu à sa juste valeur.

08:27Quelque part, on trouvait normal de leur faire prendre des risques.

08:30On demande souvent aux musulmans de France de faire entendre leur voix quand il y a des attentats.

08:34Mais au sein de l'administration, au sein de la police, vous avez des flics musulmans qui font ça tous les jours.

08:38Et cet engagement-là, il passe totalement inaperçu.

08:43Quelque part, on a sauvé la France et les Français.

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