Le masque, symbole des mouvements de contestation

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La casa de papel, le Joker, V pour Vendetta… On retrouve ces masques dans les mouvements qui secouent de nombreuses régions du monde. Et selon l'historien Thomas Snegaroff, derrière ces masques, il y a une idée : la non-violence. Il raconte.

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00:00Musique

00:22Ces mouvements qui sont très différents, qui s'opposent pas aux mêmes choses,

00:25parfois c'est contre des dictatures, parfois c'est uniquement contre de la vie chère,

00:28parfois c'est contre un système économique,

00:30dans tous ces mouvements, il y a quand même des points communs.

00:32Et les points communs, c'est qu'ils semblent y avoir une stratégie commune.

00:35Et cette stratégie commune, elle trouve une origine

00:38dans les écrits d'un homme qu'on ne connaît pas tellement du grand public,

00:42il s'appelle Gene Sharp, qui est mort en 2018, en janvier 2018,

00:46et qui est un philosophe, et qui a beaucoup travaillé dans les années 1970

00:51sur la question de la non-violence.

00:53Comment, par la non-violence, on peut renverser

00:56des régimes autoritaires, totalitaires, des dictatures ?

01:01Alors, selon lui, la non-violence est le meilleur moyen,

01:04parce que, d'abord, la violence ne peut pas permettre

01:07de renverser ces mouvements, selon lui,

01:09parce que la violence est asymétrique, la force est asymétrique,

01:13les pouvoirs sont bien plus puissants parce qu'ils ont les armes,

01:17et notamment l'armée, que la foule,

01:19et donc ce n'est pas par le moyen d'un affrontement violent

01:22que la foule peut, même si elle est plus importante en nombre,

01:25peut renverser un pouvoir.

01:27Donc il a théorisé, d'abord, dans les années 1970, la non-violence.

01:30Mais surtout, surtout, en 1989, il s'est rendu compte

01:34qu'à Tiananmen, le mouvement n'avait pas pris.

01:37Il s'est rendu compte que le gouvernement chinois

01:40avait réussi à casser un mouvement qui, pourtant, pouvait l'emporter.

01:44Et il a eu cette analyse, il s'est dit,

01:46c'est parce que ce mouvement manque de stratégie.

01:49Il n'y a pas de stratégie dans ce grand mouvement populaire

01:52de Tiananmen, et dans toute la Chine d'ailleurs, en 1989.

01:56Et c'est à ce moment-là qu'il a commencé à réfléchir

01:59à l'écriture d'un texte, qui va naître en 1993,

02:03et ce texte s'appelle « De la dictature à la démocratie ».

02:07Et ce petit texte, qui ne fait même pas 100 pages,

02:10et qui s'achève par 198 conseils, c'est très précis,

02:14pour réussir une révolution, ce texte-là,

02:17il va commencer à se diffuser un peu sous le manteau

02:20dans le monde entier.

02:22À côté de la non-violence, il y a plein de petites choses

02:24qu'on retrouve dans les mouvements d'aujourd'hui.

02:26Par exemple, il y a l'idée qu'il faut absolument des slogans.

02:29Des slogans faciles à répéter.

02:31Le « dégagisme », « dégage, dégage » qu'on a retrouvé en Tunisie,

02:34par exemple, je ne sais pas si c'est directement du Gene Sharp,

02:37mais ce que je sais, c'est que dans le texte de Gene Sharp,

02:40il y a vraiment l'idée d'un slogan simple, clair,

02:43que tout le monde retient et que tout le monde dit.

02:45Il y a aussi l'idée de logos.

02:48Par exemple, en Serbie, dans les années 90,

02:50il y a la main tendue, le point tendu.

02:52On va retrouver ça aussi dans les masques de Joker aujourd'hui.

02:55Il faut des signes très clairs.

02:57Ou par exemple, dans le mouvement précédent à Hong Kong,

02:59c'était des parapluies.

03:01Il faut un élément symbolique,

03:03qui va symboliser un peu comme une marque, finalement.

03:06Il faut que votre mouvement révolutionnaire,

03:08même si ce n'est pas de la pub,

03:10mais il faut quand même qu'il y ait des éléments de reconnaissance

03:13qu'on puisse retrouver dans le monde entier,

03:15qu'on puisse dupliquer aussi pour montrer son attachement à cette révolution.

03:18En Algérie récemment, vous avez eu beaucoup de slogans avec de l'humour.

03:22Il faut vraiment contourner, si vous voulez, un piège.

03:27Le piège, ce serait que le pouvoir dise

03:29« ces gens-là sont extrêmement violents,

03:31nous sommes du côté de l'ordre,

03:33donc nous allons tous les arrêter »

03:35et l'opinion publique, la majorité de la population

03:37qui préfère l'ordre au désordre,

03:39pourrait abandonner les mouvements populaires.

03:41Si vous voulez, en conservant au mouvement populaire

03:44sa fraîcheur, son humour, sa féminité,

03:47son absence de violence,

03:49il y a la possibilité qu'arrive ce moment fantastique

03:52pour toutes les révolutions,

03:54et c'est l'objectif numéro un

03:56que Gene Sharp assigne à ces révolutions,

03:58c'est qu'à un moment donné,

04:00l'armée et la police

04:02baissent les armes et aillent avec les révoltés.

04:04Quand ce moment arrive,

04:06c'est que la révolution l'a emporté.

04:08Ce moment ne peut arriver

04:10que si les soldats ne se font pas frapper,

04:12s'ils ne se font pas insulter,

04:14et si au contraire, en face d'eux,

04:16il y a leurs femmes,

04:18il y a leurs enfants,

04:20avec des signes, des symboles

04:22qu'ils ont vus partout fleurir sur les réseaux sociaux

04:24et qu'ils leur disent « peut-être que je suis plus fort qu'eux,

04:26peut-être que si je le veux et que si j'obéis aux ordres,

04:28je vais les écraser,

04:30mais j'ai plus intérêt aujourd'hui

04:32parce que c'est ma dimension d'être humain

04:34de poser les armes et d'être avec eux.

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