Olivier Henrard, directeur général délégué, président par intérim du Centre national du cinéma et de l'image animée est l'invité du 7h50 de France Inter.
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00:00Notre invité vient faire avec nous en avant-première, c'est le cas de le dire, le bilan de l'année 2024 dans les cinémas.
00:07Olivier Enrare, bonjour.
00:09Bonjour Simon Le Baron.
00:10Directeur général, président par intérim du CNC, le Centre National du Cinéma et de l'Image Animée.
00:16Vous nous présentez donc ce matin vos chiffres, disons-le, 2024 a été un bon cru, un très bon cru ?
00:22C'était un très bon cru, c'est 180 300 000 billets de cinéma vendus en France.
00:30C'est une double exception, d'abord parce que la France sera dans le monde cette année le seul pays
00:36dans lequel davantage de gens que l'an dernier auront poussé la porte d'une salle de cinéma.
00:41Un million de plus à peu près ?
00:43Un million de plus à peu près que l'an dernier, mais si vous prenez tous les autres pays d'Europe,
00:48les Etats-Unis, la Corée du Sud, on sera 13 ans de ça de 2023,
00:54sachant qu'en 2023 la France avait déjà rebondi beaucoup plus haut que tous ces pays dans le monde.
00:59Donc on avait déjà une base beaucoup plus solide que tous nos concurrents.
01:03Donc ça c'est la première exception française.
01:04Et la deuxième exception française, c'est que c'est une fréquentation qui est tirée par le cinéma national.
01:09Oui, on va voir ça justement, les films français qui ont eu un succès énorme cette année.
01:15Pour rester sur le chiffre global, 181 millions de spectateurs dans les salles françaises, un tout petit peu plus.
01:22On est quand même assez loin globalement des chiffres d'avant-Covid ?
01:25Alors on est 12,8% en dessous des chiffres d'avant-Covid.
01:292019 c'était 213 millions.
01:31Voilà, alors la moyenne, on a l'habitude de raisonner sur une moyenne des années d'avant-Covid.
01:37Donc effectivement on est un petit peu plus de 12% en dessous de la moyenne d'avant-Covid.
01:41Mais si on retient la tendance, c'est-à-dire les derniers mois de l'année 2024,
01:46on a quasiment recollé aux chiffres d'avant la pandémie.
01:51Parce qu'il faut dire que l'année 2024, elle a été très contrastée.
01:54Très mal commencée.
01:55Voilà, très mal commencée parce qu'en réalité, les films de nos amis américains étaient restés dans les frigidaires.
02:01À cause de la grève à Hollywood.
02:03À cause de la grève des comédiens et des scénaristes à Hollywood.
02:05Donc en réalité, on a quatre premiers mois de l'année 2024 sans film américain.
02:09Et donc ce bon chiffre 2024, au total au-dessus de 2023, il a été entièrement tiré par le cinéma français.
02:17Donc si on a une année 2025 avec des films français qui continuent sur leur trajectoire
02:21et un cinéma américain qui est revenu au cours des derniers mois,
02:24on voit bien les succès de ces dernières semaines,
02:26on peut espérer s'approcher des niveaux d'avant-Covid.
02:29Ça veut dire qu'on voit se casser l'habitude de rester chez soi, sur son canapé,
02:34qu'on avait prise, en tout cas qui s'était accentué pendant les confinements ?
02:39Alors une tendance dont on avait parlé avant le confinement, puisque c'était le grand sujet de débat,
02:44le confinement plus les plateformes allaient-ils tuer le cinéma français ?
02:48Mais en réalité, assez rapidement, la France a retrouvé des niveaux assez élevés.
02:53Alors effectivement, comme je le disais en introduction, c'est pas le cas de tous ses voisins.
02:57Mais en réalité en France, on a repris le chemin des salles assez rapidement et à un bon niveau.
03:02Grâce, en grande partie vous l'avez dit, au cinéma français,
03:05près de la moitié de tous les tickets vendus pour des films français cette année ?
03:10On est à 44,4% de part de marché pour des films français.
03:14En dehors des Etats-Unis, qui évidemment consomment leur propre cinéma,
03:18il n'y a aucun pays au monde qui approche de ce chiffre.
03:21Petite comparaison internationale, chez nos grands voisins européens,
03:25on navigue entre 15 et 25% de cinéma national.
03:29En France, donc, on est à 44,4%.
03:32Les Américains sont à 37,6% cette année.
03:35Comment vous expliquez, vous, cette vitalité ?
03:39Outre, évidemment, vous allez me dire, le soutien du CNC.
03:43Comment vous expliquez la vitalité des films français ?
03:45Alors, le soutien du CNC, c'est quand même pas totalement anecdotique.
03:48Alors, comment est-ce qu'on explique le soutien des films français ?
03:51D'abord, la première raison, c'est que les gens vont en salle de cinéma
03:55parce qu'ils ont envie de voir des films.
03:57Donc, ils vont en salle de cinéma parce qu'on a fait des propositions qui leur agraient.
04:02Et donc, aujourd'hui, c'est vrai, le cinéma français,
04:05c'est probablement le seul dans le monde, au moment où je vous parle.
04:08Le cinéma français, il sait tout faire.
04:10C'est-à-dire, il sait proposer des grands films populaires.
04:13Il sait proposer des récits dans tous les genres.
04:15Il sait proposer des films dans tous les budgets.
04:18Et ça, on est à peu près les seuls à être capables de faire encore ça.
04:22Cette variété des genres, des publics,
04:24on la constate avec les trois plus gros films français de l'année
04:27qui, tous trois, sont dans le top 5,
04:29dont deux sur les deux premières marches du podium.
04:31Un petit truc en plus d'Artus, près de 11 millions d'entrées.
04:34Le Comte de Monte-Cristo de Mathieu Delaporte et Alexandre de La Patelière,
04:37plus de 9 millions.
04:38Et à la cinquième position, L'Amour Ouf de Gilles Lelouch,
04:41près de 5 millions d'entrées qui, effectivement, sont des films...
04:44Voilà, il y a un film très feel-good, un autre de capé d'épée,
04:47un autre plus... une histoire d'amour sur fond de violence.
04:51Voilà, ça n'a rien à voir.
04:52Voilà, c'est ça, le Roméo et Juliette de l'époque contemporaine.
04:57L'Amour Ouf, c'est un spectateur sur trois, entre 15 et 25 ans.
05:02Donc, il n'y a pas que les séries qui intéressent cette tranche d'âge.
05:06Alors, il y a ces trois films-là, ces 25 millions à E3,
05:09c'est le double des trois meilleurs films,
05:11enfin, des trois films les plus vus français de 2023.
05:15Pour retrouver des chiffres comme ça, il faut remonter à quasiment 15 ans.
05:19Mais c'est aussi toute une diversité de films avec des plus petits budgets,
05:25avec des récits peu attendus qui ont réussi à faire des cartons.
05:30Par exemple, qui aurait dit, en début d'année,
05:32qu'une comédie musicale sur la transition de genre d'un chef de cartel mexicain
05:36allait réunir plus d'un million de spectateurs,
05:39qu'un premier film sur une bande de gamins dans le Jura
05:43qui vont chaparder du lait pour fabriquer du comté
05:46allait réunir 400 000 spectateurs, etc.
05:50J'ai un film sur le rapport filial entre un gangster corse et sa fille
05:56allait réunir le royaume, plus de 200 000 spectateurs.
06:00Et cette année, on a dix films dont le budget est inférieur à 4 millions d'euros
06:04qui ont rassemblé plus de 200 000 spectateurs.
06:06Donc, il y a cette diversité, effectivement.
06:09Quel rôle joue le cinéma dans cette France qui doute d'elle-même,
06:14qui est peut-être plus divisée, tendue que jamais ?
06:17En fait, le cinéma joue beaucoup de rôles à la fois
06:20et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles
06:22les pouvoirs publics s'y intéressent depuis très longtemps.
06:25En réalité, quasiment depuis l'origine.
06:27D'abord, le cinéma est revenu au centre des conversations.
06:29Souvenez-vous, il y a cinq ans, on ne parlait plus que de séries.
06:33On parlait du cinéma, mais de façon marginale.
06:36Aujourd'hui, autour de la machine à café, au bureau, à la maison, dans les dîners de famille,
06:41le cinéma, c'est à nouveau devenu un sujet important.
06:45La deuxième raison, c'est que l'image animée,
06:48que ce soit le film d'animation ou les séries ou le cinéma,
06:52ça véhicule de façon extrêmement puissante des valeurs et une culture.
06:57Et aussi, c'est le troisième point, c'est un art et une industrie.
07:01Et vous savez que les filières dont s'occupe le CNC,
07:04la création audiovisuelle, cinéma, jeux vidéo, etc.,
07:07c'est 150 000 emplois.
07:09C'est 13% d'emplois en plus qu'avant la crise.
07:12Après tout, on va vous demander de faire des économies,
07:14comme la plupart des secteurs. Vous êtes inquiet, pas particulièrement ?
07:18Nous, on n'est pas particulièrement inquiet,
07:21parce qu'en réalité, on a un système qui est financé d'une façon extrêmement particulière.
07:25Il faut savoir que les gens qui nous écoutent,
07:27pas un euro de leur impôt sur les sociétés, pas un euro de leur TVA,
07:31pas un euro de leur impôt sur le revenu ne va au CNC.
07:34Je veux dire, 100% du budget du CNC, il provient de taxes
07:38qui sont prélevées sur les entreprises du secteur.
07:41C'est-à-dire que, évidemment, c'est de l'argent public,
07:43mais qui, en réalité, est prélevé sur des entreprises qui financent déjà le budget de l'État.
07:47En particulier Canal+, qui est le premier financeur du cinéma français encore aujourd'hui,
07:52et qui menace de se retirer en retirant ses chaînes payantes de la TNT,
07:56donc plus de taxes ou beaucoup moins.
07:58Ça, ce serait un coup de vire énorme pour le cinéma français.
08:01Vous pensez que Canal+, mettra ses menaces à exécution ?
08:04Alors moi, quand j'écoute le très talentueux patron de Canal+,
08:08c'est-à-dire Maxime Sada, j'entends tout le contraire.
08:10J'entends, au contraire, réaffirmer la vocation au cinéma de la chaîne.
08:14Donc, je veux dire, la question du retrait de Canal+, de la TNT payante,
08:17c'est une question un petit peu technique, puisque, par ailleurs,
08:20Canal+, reste présent sur tous les autres canaux de diffusion,
08:23continue à contribuer au CNC,
08:25et, au jour d'aujourd'hui, maintient ses investissements dans le cinéma.
08:28Donc, vous pensez que ce sont des menaces, et qu'elles restent vraiment à l'état de menace ?
08:33Je veux dire, ce qui se passe aujourd'hui, c'est quand même une forme de révolution.
08:37Parce que, rappelez-vous, il y a cinq ans, on expliquait que les plateformes américaines
08:41allaient tuer le cinéma français.
08:43Aujourd'hui, ce qu'on constate, c'est qu'au contraire,
08:45elles cherchent à se faire une place dans le financement du cinéma français.
08:49Elles se battent, regardez, Disney+, par exemple,
08:51se bat pour pouvoir financer et acheter du cinéma français,
08:54aux côtés de Canal+.
08:56C'est quand même un renversement de perspective absolument extraordinaire.
08:59Et donc, moi, je suis certain qu'il faut que les acteurs historiques,
09:02et notamment Canal+, qui est le premier d'entre eux,
09:05conservent évidemment leur position,
09:07et que, à côté, on puisse trouver une combinaison de financement
09:11pour le cinéma français, avec les plateformes,
09:14avec les chaînes historiques, avec les salles de cinéma.
09:18Et ces salles qui ont accueilli énormément de spectateurs cette année.
09:23180 millions, vous nous avez dit, en avant-première.
09:25Ce matin sur France Inter, merci d'être venu nous parler de cette très bonne année
09:29dans les salles françaises.
09:31Et en rare, président par intérim du Centre national du cinéma et de l'image animée.